lundi 3 novembre 2025

Guerre en Ukraine: bilan du mois d'octobre 2025

Comme chaque mois, voici un petit bilan du mois d'octobre 2025, à mettre en perspective avec les constats que j'avais faits précédemment (liens en fin de ce billet). 

Une fois de plus, les Russes ont continué leur grignotage des défenses ukrainiennes, et menacent toujours d'encercler trois villes clefs de la ligne de défense ukrainienne: Kupyansk, Pokrovsk et Kostiantynivka. Au nord-est de Pokrovsk, les Ukrainiens ont continué avec succès leurs contre-attaques du mois précédent et on éliminé un nombre impressionnant de blindés russes. Par contre, les Russes s'infiltrent de plus en plus à Pokrovsk par le sud, et la situation de ce bastion est de plus en plus précaire. Il en est de même à Kupyansk, où des combats se déroulent jusqu'au cœur de la ville. Seule Kostiantynivka est pour le moment épargnée, mais les groupes d'infanterie russe se rapprochent de plus en plus de la ville. De plus, les attaques aériennes ont continué, avec régulièrement des centaines de drones russes frappant les villes ukrainiennes pour y semer la terreur tandis que les Ukrainiens ont continué leurs attaques à longue distance sur les raffineries russes.

Opération aéroportée à Pokrovsk, par le Renseignement Militaire Ukrainien


Pertes russes et ukrainiennes

Je rappelle les pertes russes telles qu'annoncées par les officiels ukrainiens dans les 4 catégories à surveiller: artillerie, MLRS, DCA et équipements spéciaux. Pour chacune, je vais donner les moyennes pour la première année (mars 2022 à février 2023), la deuxième année (mars 2023 à février 2024) et la troisième année (mars 2024 à février 2025) puis les chiffres de mars, avril, mai, juin, juillet, août, septembre et octobre 2025.

  • Artillerie 
    • moyenne 1ere année: 190/mois
    • moyenne 2e année: 650/mois
    • moyenne 3e année: 1150/mois
    • 1690 (mars), 1554 (avril), 1384 (mai), 1243 (juin), 1193 (juillet), 1288 (août), 1112 (septembre), 817 (octobre)
  • MLRS
    • moyenne 1ere année: 40/mois
    • moyenne 2e année: 43/mois
    • moyenne 3e année: 25/mois
    • 44 (mars), 27 (avril), 26 (mai), 27 (juin), 24 (juillet), 25 (août), 29 (septembre), 28 (octobre)
  • DCA
    • moyenne 1ere année: 21/mois
    • moyenne 2e année: 37/mois
    • moyenne 3e année: 30/mois
    • 37 (mars), 23 (avril), 27 (mai), 17 (juin), 13 (juillet), 10 (août), 11 (septembre), 9 (octobre)
  • Équipements spéciaux
    • moyenne 1ere année: 19/mois
    • moyenne 2e année: 114/mois
    • moyenne 3e année: 181/mois
    • 24 (mars), 82 (avril), 33 (mai), 19 (juin), 14 (juillet), 17 (août), 27 (septembre), 7 (octobre)

On observe donc une baisse significative des chiffes d'artillerie et d'équipement spéciaux. Ce que ça signifie est plus compliqué à déterminer. La version la plus optimiste est que les Ukrainiens commence à manquer de cibles. La version pessimiste (et hélas plus probable) est qu'ils manquent de munitions et/ou que les Russes sont plus efficaces pour échapper aux tirs (et surtout aux drones) ukrainiens.

Plus généralement, comparé au mois de septembre, il y a à la fois une baisse des pertes matérielles  (4 010) et une hausse des pertes humaines (31 270), selon le comptage réalisé par l'analyste Ragnar Bjartur Gudmundsson

En ce qui concerne les pertes visuellement confirmées, selon Oryx il y a eu en octobre 443 pertes russes et 355 pertes ukrainiennes. Les pertes russes sont enfin remontées après plusieurs mois où elles était anormalement basses. Si le ratio est légèrement plus favorable à l'Ukraine que celui des mois précédents, il est très inférieur au 2:1 dont l'Ukraine a besoin pour continuer le combat. 



Les frappes aériennes russes 


La Russie poursuit ses attaques terroristes Si le record du 7 septembre n'a pas été battu, le mois d'octobre est comparable à celui de septembre: plusieurs très grosses attaques (plus de 200 drones/nuit), et le reste du temps, ce sont plusieurs dizaines de drones, sans compter les missiles. Principales attaques, selon les Ukrainiens:
  • 03 octobre: 381 drones, 35 missiles
  • 05 octobre: 496 drones, 53 missiles
  • 10 octobre: 465 drones, 32 missiles
  • 16 octobre: 320 drones, 37 missiles
  • 22 octobre: 405 drones, 28 missiles
  • 29 octobre: 653 drones, 52 missiles
Il y a donc une attaques massive tous les 5-6 jours. Au total, ce sont environ 5600 drones et 270 missiles qui ont été employés dans ces attaques au mois d'octobre. Et même si une partie significative sont interceptés, ceux qui passent font des dégâts. Beaucoup sur les immeubles d'habitation, les écoles, les hôpitaux, mais aussi sur l'infrastructure ferroviaire et énergétique.

Face à cela, il n'y a guère de réponse: les Occidentaux n'envisagent toujours pas de donner aux Ukrainiens de quoi "tuer l'archer", au mieux ils lui donnent quelques moyens de détruire quelques flèches. Et encore, trop peu. Les Ukrainiens paient de leur sang l'absence de stratégie et le défaitisme des Occidentaux.

 

Les "sanctions cinétiques" contre l'industrie pétrolière russe

Pendant ce temps, les Ukrainiens ont continué a attaquer les raffineries, dépôts de carburant et autres équipements lourds utilisés par l'industrie pétrolières russes. Voici les frappes du mois d'octobre: 

Avec quel résultat ? Difficile à dire. La baisse de capacité de raffinage semble faible vu le nombre de frappes. Selon l'OCDE, la baisse des capacités de raffinage était de 500 000 baril par jour. Ce chiffre peut sembler impressionnant, mais comparé à leur capacité qui était estimée à 6,7 millions de barils/jour, cela ne représente même pas 10%. Zelensky lui-même évoque tout juste une baisse de 20%. Tout cela affaiblit la Russie, mais il semble que ce soit trop lent et/ou trop peu pour infléchir la volonté de Poutine de continuer sa boucherie.


La dissonante sérénité du haut-commandement Ukrainien

Fin octobre, la situation à Kupyansk et à Pokrovsk est plus que critique pour les Ukrainiens. Si on se fie aux cartes de contrôle du territoire (par exemple deepstate map ou ua control map), qui elles-même se basent sur diverses sources disponibles en OSINT, les Russes occupent une bonne partie de Kupyansk et au moins un quart de Pokrovsk, et les "zones grises" couvrent quasiment la totalité de ces deux villes. Autrement dit: les Ukrainiens ne contrôlent déjà plus ces deux villes. Or, (toujours selon les mêmes sources) plusieurs brigades ukrainiennes sont toujours dans des "poches" profondes de plusieurs km et sont donc, à très court terme, menacées d'encerclement.

Face à cela, le haut-commandement ukrainiens (en particulier le général Syrsky) assure que la situation est certes tendue, mais sous contrôle, et s'est même améliorée, et qu'il n'y a pas d'encerclement. Ces déclarations sont en totale contradiction avec tout ce qui est disponible publiquement. Donc soit le haut-commandement ukrainien sait quelque chose que le public ne sait pas, soit (ce qui est bien plus probable) ils se plantent complètement et sont dans le déni (ou le mensonge) le plus total.

En particulier, Syrsky a demandé l'aide des troupes d'élite du renseignement militaire (forces spéciales) pour défendre Pokrovsk, et celles-ci ont mené un assaut héliporté impliquant deux hélicoptères "Black hawk". L'opération est supervisée par Boudanov et Sirsky eux-même. Ce genre d'opération, bien que spectaculaire et très rare sur la ligne de front, ne change hélas pas fondamentalement la donne: ils ont débarqué peut-être 20 soldats, qui sont probablement très bons, mais ne pourront pas renverser le cours de la bataille à eux tous seuls. Il faudrait des renforts autrement plus conséquent (plusieurs brigades) pour sauver Pokrovsk à ce stade. L'intervention des forces spéciales est plus probablement un moyen de rouvrir une voie pour évacuer les troupes encore présente à Pokrovsk, qui est donc sur le point de tomber. Et si Kupyansk fait moins parler d'elle, la situation là bas n'est guère meilleure.

Si (comme c'est probable) Pokrovsk et Kupyansk tombent dans les prochaines semaines, et que des unités ukrainiennes y sont piégées, il faudra espérer que Syrsky aura le courage de prendre ses responsabilités et démissionnera. Ou que Zelensky le fera pour lui. Il faut vraiment que les Ukrainiens mettent fin aux défaillances de leur haut-commandement militaire que j'évoquais dans une série d'articles début 2025 ([1],[2],[3],[4]). Ils ne peuvent vraiment plus se permettre de laisser de telles erreurs impunies, car elles se répètent, mois après mois, toujours pour les mêmes raisons. L'Ukraine ne va pas perdre la guerre si la Russie prend Pokrovsk ou Kupyansk. Par contre, l'Ukraine perdra la guerre si le haut-commandement ukrainien ne se remet pas en question et n'apprend pas de ses erreurs.


Diplomatie: les montagnes russes

Sur le plan diplomatique, il y a à la fois beaucoup et rien à dire. Fin octobre, on en est au même point que fin septembre: la Russie ne veut pas négocier, les média disent que Trump va peut-être fournir des Tomahawks et/ou prendre des sanctions dévastatrices contre la Russie. En revanche, pour en revenir au même point, il y a eu des hauts et des bas. De véritables montagnes russes.

Plus exactement, Zelensky était invité à Washington le 17 octobre, on peut penser pour un accord important (peut-être la fournir de Tomahawks, comme les médias le disaient). Mais, la veille, Trump a une longue conversation avec Poutine et revient à une position outrageusement pro-russe. Lors de la discussion avec Zelensky, il se contente de répéter la propagande russe. Une rencontre avec Poutine à Budapest est envisagée. Puis, sans que la raison soit rendue publique, cette rencontre est annulée et, le 22 octobre, l'administration Trump prend des sanctions contre l'industrie pétrolière russe.

Que penser de tout cela, et comment expliquer ces revirements aussi soudains que brutaux ? Le premier est facile à expliquer: Trump adore Poutine et ne demande qu'à revenir à sa position poutiniste. Seulement, l'opinion américaine est très hostile à Poutine, et il doit faire avec. Donc il est possible que son entourage a réussi à lui faire "revenir à la raison", si l'on peut dire. On ne connait pas l'état mental de Trump, et il est fort possible qu'il a une forme de sénilité et/ou de démence qui le rendent encore plus erratique qu'avant. Mais l'entourage proche de Trump est truffé de pro-russes (comme J.D. Vance), aussi je ne crois pas que ce sont les "adultes dans la pièce" qui ont fait changé d'avis le traître orange.

Je pense plutôt que Trump et son gouvernement sont toujours pro-russe, et que la séquence sert surtout à occuper les médias (et les dirigeants européens) pour qu'ils ne remarquent pas à quel point Trump est pro-Poutine. Je rappelle que le "plan de paix" de Trump est extrêmement favorable aux Russes, et cette séquence diplomatique peut avoir précisément pour but de faire croire que ce plan est équilibré et/ou raisonnable. De plus, comme l'a fait très justement remarqué Philips O'Brien, le gros des sanctions ne sont que des annonces (les vrais sanctions ne seront effective que fin novembre) et qu'on n'est pas à l'abri d'un nouveau revirement de Trump qui décide, au dernier moment, de ne pas sanctionner la Russie. 


Analyses précédentes

2023

2024

2025

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