jeudi 27 novembre 2025

Commentaires sur la "Checklist des erreurs ukrainiennes" de Tom Cooper / Sarcastosaurus

Tom Cooper est un écrivain/analyste militaire autrichien, qui a écrit de nombreux articles et livres sur les conflits de la fin du XXe siècle/ début XXIe et est expert en aviation militaire. Depuis 2023, il tient aussi un blog/substack intitulé Sarcastosaurus où il commente la guerre en Ukraine (et autres conflits actuels). Je le cite souvent dans mes billets de blogs, ainsi que Donald Hill, qui a son propre substack mais publie, chaque semaine, un bilan hebdomadaire, le Don's weekly (que j'apprécie beaucoup) sur le substack de TomCooper (qui en fait l'intro et ajoute quelques commentaires). 

Cela fait plus d'un an que Tom Cooper critique vertement le haut commandement ukrainien, en particulier le général Sirsky, le président Zelensky et son "bras droit" Yermak.  Plus généralement, il considère que TOUS les dirigeants ukrainiens, russes, occidentaux sont incompétents et/ou corrompus. Et si je n'apprécie pas la forme (je trouve son style d'écriture exécrable), j'étais plus ou moins d'accord sur le fond. Ou du moins, je pense que son point de vue est intéressant, malgré ses excès et sa tendance à un peu trop s'appuyer sur ce qu'il appelle le RUMINT (c'est-à-dire le renseignement basé sur des rumeurs / témoignages) en plus de l'OSINT.

Ces derniers temps, Tom Cooper a décidé que l'Ukraine va perdre la guerre. Et comme il ne fait jamais dans la demi-mesure, il écrit depuis de nombreux articles pour enfoncer le clou. Dans ce billet, je veux critiquer un de ces articles, Checklist of Ukrainian Failures, dans lequel il liste vingt erreurs et/ou échecs ukrainiens, selon lui. Pour chaque item de cette liste, je vais dire ce que j'en pense.

NB: cette liste n'est qu'une série d'affirmation. Tom Cooper ne donne aucune preuve, aucune référence, on est censé le croire sur parole. Selon le principe "ce qui est énoncé sans preuve peut être réfuté sans preuve", je pourrais me contenter de dire "c'est faux", mais ça n'apporterai pas grand chose. Aussi, je vais essayer, autant que possible, de donner des liens pour sourcer ce que j'avance.

Les passages en italique sont de Tom Cooper, traduits automatiquement. Pour chaque point, j'utilise le code couleur suivant:

  • les critiques valides (à quelques détails près)
  • les critiques valides, mais qui concernent des choses hors de contrôle des Ukrainiens
  • les critiques partiellement vraies
  • les critiques fausses et/ou de mauvaise foi
  • les critiques dont je ne peux pas attester de la validité ni de l'invalidité



I. DÉFAILLANCES DE LA PLANIFICATION STRATÉGIQUE

1. Absence de concept de mobilisation cohérent pour une guerre globale (2022-2023)

Les vagues de mobilisation ont été improvisées, réactives et soumises à des contraintes politiques.

L'Ukraine n'a jamais mis en place un système durable de formation industrielle et de main-d'œuvre capable de soutenir une guerre de position de longue durée.

Résultat : graves déficits de remplacement dès mi-2023 ; effondrement des effectifs des brigades fin 2024.

-> Je suis d'accord, avec le petit bémol suivant: début 2022, l'Ukraine avait plus de volontaires qu'elle ne pouvait en équiper, et jusqu'à septembre-octobre 2022, l'Ukraine a bénéficié de la supériorité numérique. L'erreur a plutôt été de ne pas mettre en place cette mobilisation rationnelle et systématique à partir de mi-2023, quand il est apparu que la guerre allait durer longtemps, et de ne pas mobiliser 500 000 hommes supplémentaires comme le réclamait Zaluzhny.


2. Dépendance excessive à l'égard de concepts d'entraînement de l'OTAN inadaptés au terrain ukrainien

La doctrine de manœuvre de l'OTAN au niveau de la brigade suppose :

  • la supériorité aérienne
  • une saturation élevée en renseignement, surveillance et reconnaissance (ISR)
  • une logistique robuste
  • une domination en profondeur

L'Ukraine ne réunissait aucune de ces conditions.

Résultat : la contre-offensive de 2023 a échoué au niveau doctrinal avant même son lancement. (D'autres erreurs de décision majeures – voir la liste ci-dessous – ont ensuite empêché la récupération de la ZSU).

-> S'il y a des problèmes pour l'entrainement des troupes ukrainiennes, on ne peut certainement pas reprocher aux Ukrainiens de suivre les doctrines de l'OTAN. Au contraire, certains (surtout des Américains) ont reproché aux Ukrainiens de ne pas employer la doctrine de l'OTAN, alors que celle-ci est effectivement inadaptée. Quant à la contre-offensive de 2023, j'ai déjà écrit beaucoup dessus, et si elle a échoué, ce n'est pas tant à cause d'un problème doctrinal, mais tout simplement car le rapport de force était trop défavorable à l'Ukraine


3. Mauvaise évaluation persistante des capacités de régénération russes

Les planificateurs de Kiev ont présumé que les pertes russes de 2022 seraient stratégiquement décisives.

La Russie a porté ses effectifs à 1,3-1,5 million d'hommes depuis 2024.

L'incapacité à anticiper cette expansion a conduit à :

  • une sous-estimation du potentiel offensif russe
  • des choix inappropriés en matière d'allocation des forces
  • une absence de préparation des zones de repli
-> Rien n'indique que ça a pu être le cas. Au contraire, les Ukrainiens ont toujours correctement estimé le nombre de Russes présents en Ukraine (voire les ont même surestimé), et les capacités de recrutement de la Russie. Peut-être que les Occidentaux ont sous-estimé les capacités de régénération des Russes, mais pas les Ukrainiens.


4. Absence de plan pluriannuel de production de munitions

Absence de production nationale stratégique de :
  • obus d’artillerie
  • moteurs de drones
  • munitions thermobariques
  • systèmes de guerre électronique
L’Ukraine dépendait des stocks occidentaux, dont la disponibilité était imprévisible.
Conséquence : la Russie a conservé une supériorité en artillerie de 7:1 à 15:1 (fin 2023-2025).

-> S'il y a bien eu une absence de plan pluriannuel de production, ce qui est une erreur, l'Ukraine n'a de toute manière pas la possibilité de produire tout ce dont elle a besoin sur son sol, qui est constamment bombardé par les missiles et drones russes. Ce sont les Occidentaux qui eux auraient pu et dû mettre en place ce plan pluri-annuel, mais ne l'ont pas fait (ou trop peu fait).

Quant à la supériorité en terme d'artillerie (qui n'a atteint ces ratio que quand les élus républicains, obéissant à Trump, ont coupé toute aide de septembre 2023 à mai 2024), elle est le résultat de la fourniture massive (plusieurs millions d'obus) par la Corée du Nord. Ce n'est pas quelque chose que les Ukrainiens peuvent contrôler. 


5. Absence de cadre national de priorisation de la défense aérienne

Le déploiement des systèmes Nasam/IRIS-T/PATRIOT a été influencé par des considérations politiques.
Les nœuds stratégiques (usine chimique de Pavlohrad, TEC-5, nœuds ferroviaires de Dnipro) n'ont pas bénéficié d'une protection constante.
Conséquence : la Russie a systématiquement dégradé la production énergétique et de munitions ukrainienne.

-> Je ne me prononce pas sur la véracité de la première phrase. Et revanche, la seconde est de la pure mauvaise foi. L'Ukraine n'a jamais reçu assez de système de défense anti-aérienne pour pouvoir protéger constamment ses noeuds stratégiques. La production de missiles russes a fortement augmenté quand celle des anti-missiles stagne en Occident.



II. DÉFAILLANCES AU NIVEAU OPÉRATIONNEL

6. Absence de séquencement en profondeur des lignes défensives

Les ceintures défensives (lignes de Kupiansk, Bakhmut et Pokrovsk) étaient :
  • superficielles
  • non connectées
  • incohérentes entre les brigades
Conséquence : la défaillance d’un seul nœud entraînait l’effondrement de toute la ceinture (par exemple, l’axe Avdiivka-Ocheretyne-Pokrovsk-Mirnograd).

-> C'est vrai que les défenses ukrainiennes auraient pu être mieux organisées: bien souvent, elles étaient laissées à l'initiative de brigades ou de commandements locaux, et donc de qualité très variable. Mais vue la lenteur de la progression russe malgré leur supériorité numérique, l'usage des bombes planantes, des drones etc, ces défenses ne sont quand même pas trop mauvaises, malgré leurs défauts. Et contrairement à ce qu'affirme Tom Cooper, il est faux de dire que "la défaillance d’un seul nœud entraînait l’effondrement de toute la ceinture"; les fois où la prise d'une position a compromis toute la défense ukrainienne (Soledar en 2023, Ocheretyne en 2024, etc), c'était en raison de la géographie (point clef à tenir) et d'une erreur de commandement (pas assez de moyens humains pour défendre le point-clef), pas du fait de la faiblesse inhérente des fortifications.


7. Mauvaise affectation des formations d'élite (2022-2024)

Les brigades aéroportées d'élite (46e, 79e, 80e et 95e) ont été engagées dans des combats d'usure sans objectif opérationnel.
Résultat : épuisement catastrophique ; la réserve mobile d'élite, comparable aux VDV, a disparu en 2024.

-> Je ne comprends pas vraiment ces reproches. Certes, ces unités ont été engagées sur le front, et ont subi des pertes. Mais, à ma connaissance, leur situation n'a pas été plus "catastrophique" que celles des autres unités. Il y a un problème général de mauvaise régénération des forces ukrainiennes, de manque de rotation etc (on va y venir). Que veut dire Tom Cooper ? Que les Ukrainiens auraient dû garder ces unités loin du front quand il manquent cruellement d'hommes ? 

De plus, Xavier Tytelman, récemment revenu d'Ukraine, affirme avoir vu que les Ukrainiens gardent d'importantes forces mécanisées en réserve (dans cette vidéo, à partir de 19:30), ce qui contredit la disparition annoncée par Tom Cooper.


8. Absence de réserve mobile

Aucune réserve opérationnelle pour contrer les percées russes.
La Russie pourrait constituer localement des réserves de 5 à 8 hommes pour 1 Ukrainien.
Conséquence : effondrements rapides à :
  • Lyman (2023)
  • Avdiivka (2024)
  • Toretsk-Pokrovsk (2025)

-> Il est vrai que les Ukrainiens manquent de réserve, notamment de réserves opérationnelles. Mais de quelles "percées" russe parle-t-on ? La seule percée russe, depuis 2022, a été celle de Dobropillia, début août 2025 ... qui a été contrée, justement. Et les trois exemples qu'ils donnent ne sont pas des "effondrement rapides". Il ne s'est rien passé à Lyman en 2023 (confond-il avec Soledar ?) Avdiivka a tenu 2 ans, Pokrovsk presque autant. Toretsk a tenu 6 mois entre le moment où les Russes disent avoir conquis la ville (quand ils ont planté le drapeau à l'ouest de la ville) et le moment où, objectivement, ils contrôlaient effectivement la ville. Ce ne furent certainement pas des "effondrements rapides".


9. Incapacité à intégrer l'artillerie, les drones et la guerre électronique dans une chaîne de destruction unique

Les brigades ukrainiennes utilisaient souvent :
  • un ciblage cloisonné
  • des flux de renseignements, de surveillance et de reconnaissance (ISR) non coordonnés
  • des protocoles de drones non standardisés
Les forces russes ont mis en œuvre un système de destruction unifié (Orlan-ZALA-Leer-Lancet-artillerie).

Résultat : Les brigades ukrainiennes ont été détruites progressivement.

-> Tous les reportages montrent au contraire que les Ukrainiens utilisent des systèmes astucieux pour intégrer les renseignements, la surveillance par drones etc. On voit la coordination entre les frappes d'artillerie et les drones FPV quand une colonne russe est repérée. Certes, le matériel est hétéroclite (et donc les systèmes le sont aussi) comparé au matériel russe, mais ça marche assez bien.

Et ce qu'il présente comme un "résultat" est un non sequitur (pas de lien logique avec le reproche fait aux Ukrainiens). 

10. Les corridors logistiques n'ont jamais été sécurisés

Les corridors M-04, M-18, R-66, R-85 et Bakhmut–Kostiantynivka sont restés :
  • ouverts
  • exposés
  • non cartographiés pour des itinéraires alternatifs
Résultat : des interdictions russes prévisibles qui ont provoqué des ruptures répétées du ravitaillement des ZSU.

-> A part le troisième point (qui a été fait), les Ukrainiens ne pouvaient rien y faire.



III ÉCHECS AU NIVEAU TACTIQUE

11. Incapacité à s'adapter à la supériorité russe en matière de drones

Le ZSU a accusé un retard de 9 à 14 mois dans ses adaptations par rapport à la Russie.
L'Ukraine a déployé divers drones non standardisés ; la Russie a déployé :
  • des FPV produits en masse
  • des munitions rôdeuses coordonnées par guerre électronique
  • des essaims de drones à ciblage automatisé
Résultat : pertes catastrophiques de véhicules ukrainiens à partir de 2023.

-> En fait, ce sont souvent les Ukrainiens qui testent en premier les divers innovations de drones, et les Russes qui suivent. La massification de l'usage des drones FPV, les frappes systématiques sur les lignes de ravitaillement, l'opération spiderweb sans parler des drones maritimes, tout ça ce furent les Ukrainiens qui les ont fait en premier. Les Russes ont ensuite rattrapé leur retard et, dans certains domaines, ils ont maintenant une certaine avance. De fait, les deux camps s'adaptent (et aucun des deux n'a 9 à 14 mois de retard sur l'autre) et le fait que l'Ukraine déploie des drones non standardisés n'est pas qu'un défaut: ils sont plus difficile à brouiller.

Quant aux pertes de véhicules ukrainiens, elles ont certes augmenté (justement car les Russes copient les tactiques ukrainiennes), mais les Russes sont dans la même merde: c'est juste le fait que les drones FPV sont trop durs à contrer de part et d'autre de la ligne de front.

12. Les systèmes de tranchées ne sont pas conçus pour résister aux bombes planantes russes

Absence de bunkers renforcés et d'abris profonds.
Les bombes planantes russes FAB-250/500/1500 ont ravagé les zones fortifiées.

Résultat : les défenses de position sont devenues inefficaces.

-> Mouais. Je ne suis pas sur qu'il existe des bunkers capables de résister au déluge de bombes planantes déployées par la Russie. Il aurait mieux valu avoir des moyens pour détruire l'aviation russe. Malheureusement, les Occidentaux n'ont jamais voulu donner à l'Ukraine les moyens de tuer l'archer plutôt que de détruire quelques flèches.


13. Recours excessif aux « groupes d’assaut » motorisés à partir de pick-up


Cette mécanisation improvisée a exposé les troupes :
  • absence de blindage
  • itinéraires prévisibles
  • aucune protection contre les FPV
Résultat : taux de pertes extrêmement élevés et dégradation rapide des brigades.

-> Il parle des Russes ? Parce que ça s'applique bien moins aux Ukrainiens qu'aux Russes.


IV DÉFAILLANCES DE COMMANDEMENT ET DE CONTRÔLE

14. Fragmentation excessive des brigades

Les brigades ont été divisées en groupes de compagnies et utilisées à tort comme « brigades d'intervention d'urgence ».
Aucune concentration des efforts.

Résultat : les brigades se sont désintégrées plus rapidement et ont perdu leur cohésion.

-> Je suis d'accord. C'est un problème que je pointais déjà en janvier 2024.

15. Absence de structure de commandement unifiée pour les drones et la guerre électronique

Des agences internes concurrentes et des « bataillons de drones volontaires » opéraient indépendamment.
Absence de doctrine centralisée.

Résultat : échec de la contestation du contrôle russe du spectre électromagnétique.

-> S'il est vrai que les développements de drones ont beaucoup étés dus à de petits groupes de volontaires, ça a plutôt été une bonne chose pour les Ukrainiens qui se sont adaptés plus vite à cette technologie. Les Ukrainiens sont les premiers à avoir mis les drones au coeur de leur doctrine militaire, a avoir créé un commandement spécifique (un an et demi avant les Russes). L’ascension de Robert "Magyar" Brovdi, qui est passé en deux ans de chef de peloton à chef des forces de dronistes (l'équivalent d'un poste de général, même s'il n'a que le grade de major), en développant une bonne partie de la doctrine de l'usage de drones au passage, contredit les affirmations de Tom Cooper. Voir l'histoire de son unité, publiée sur le site de Tom Cooper (mais écrite par Donald Hill). 

16. Ingérence du pouvoir politique dans les décisions opérationnelles

Ordres répétés de « tenir bon à tout prix » :
  • Severodonetsk (2022)
  • Bakhmut (2022-2023)
  • Avdiivka (2023-2024)
  • Pokrovsk (2024-2025)
Conséquence : destruction de formations entières et aguerries.

-> J'ai déjà discuté de ça:  tant qu'on n'a pas accès aux ordres effectivement donnés par Zelensky, on n'en sait rien. Je n'ai pas ces ordres, Tom Cooper non plus. 

17. Évaluations irréalistes des effectifs

Les commandants ont surévalué leurs effectifs afin d'éviter des conséquences politiques.

Résultat : les plans offensifs et défensifs reposent sur des chiffres d'effectifs fictifs.

-> Même remarque: sans accès aux ordres et aux rapports internes de l'armée ukrainienne, on ne sait pas ce que les uns et les autres ont dit.


V DÉFAILLANCES DU SYSTÈME DE GESTION DES EFFECTIFS

18. Sous-rotation catastrophique

Des unités sont restées en première ligne pendant 180 à 300 jours, voire plus, sans rotation.

Conséquence : effondrement psychologique, forte hausse des désertions et brigades inefficaces au combat.

-> D'accord, avec un petit bémol: une brigade peut rester sur le front tout en faisant une rotation de ses bataillons.

19. Absence de réserve stratégique après 2023

Les pertes liées à la mobilisation ont dépassé le rythme de formation.

Conséquence : en 2025, l’ensemble de l’unité de soutien logistique du ZSU manque de cohésion et de capacité opérationnelle.

-> En 2024, il y avait encore une réserve stratégique (puisqu'elle a été utilisée pour attaquer du côté de Koursk). Et même actuellement, bon nombre de brigades et de corps d'armée ne sont pas déployés sur le front (selon UA Control map). Est-ce parce que ces unités n'existent pas ? Ou parce qu'elles sont gardées en réserve ? Difficile de le savoir. Dans le doute, je considère cette critique comme partiellement valide.


20. Dégradation du corps des sous-officiers expérimentés

Les pertes parmi les sous-officiers de 2022-2023 ont décimé l’ossature de la ZSU.

Les sous-officiers de remplacement ont reçu une formation minimale.

Conséquence : effondrement des compétences tactiques des petites unités.

-> il y a eu des pertes, mais comme le rappelait le colonel Goya, dans un conflit long, les armées initiales sont remplacées par les armées mobilisées. La question est donc de savoir si les remplaçants sont bien formés, s'ils peuvent acquérir de l'expérience, etc. Je n'ai rien vu qui permette de parler d'un "effondrement", mais je n'ai pas vu non plus d'amélioration des capacités tactiques. Le colonel Goya affirme aussi que:  "On peut aussi évoquer le RAPINF pour comparer les capacités de combat rapproché ; ce RAPINF, très favorable aux Ukrainiens au début de la guerre, penche désormais en faveur des Russes" mais il ne parle pas spécifiquement d'un problème avec les sous-officiers ukrainiens. C'est pourquoi je considère cette critique comme partiellement valide.


Conclusion

Sur les 20 critiques exprimées par Tom Cooper, il y a donc:

  • 3 critiques valides (à quelques détails près)
  • 3 critiques valides, mais qui concernent des choses hors de contrôle des Ukrainiens
  • 3 critiques partiellement vraies
  • 9 critiques fausses et/ou de mauvaise foi
  • 2 critiques dont je ne peux pas attester de la validité ni de l'invalidité
Ce n'est pas très brillant, surtout pour un type qui affirme, presque chaque semaine, que tous les experts se trompent sauf lui. 

Pourtant, il pointe depuis longtemps de vrais problèmes dans l'armée ukrainienne. Il n'est pas le seul. Certains analystes l'avaient fait dès 2023, et c'est à la fois horrible et frustrant de voir se répéter les mêmes erreurs. Donc je comprends l'état d'esprit de Tom Cooper/Sarcastosaurus. Mais ça n'excuse pas son manque de rigueur.

Tom Cooper a toujours eu tendance à s'enflammer un peu vite; lors de la contre-offensive ukrainienne, c'était un de ceux qui plaçaient les ukrainiens les plus en avant, et affirmait que les défenseurs russes avaient de nombreuses pertes. Là, il tombe dans l'excès inverse. Mais ça ne veut pas dire que sa conclusion est fausse (ni qu'elle est vraie). Juste qu'il faut prendre ses prédictions avec un peu de recul, essayer de faire abstraction de son style pourri, et tenter de discerner, dans ses diatribes, les informations pertinentes.



mercredi 19 novembre 2025

La promesse de l'ombre

Dans les "arguments" de Poutine pour justifier sa guerre en Ukraine, et plus généralement sa guerre hybride contre l'occident revient presque invariablement l'idée que l'OTAN n'avait pas le droit d'incorporer les anciens pays du pacte de Varsovie (ou pire: les anciennes républiques de l'URSS) et que la Russie a vécu ça comme une "provocation", d'autant plus que l'OTAN avait promis de ne pas le faire. D'après Poutine, c'est donc l'OTAN qui a "trahi" la Russie. De très nombreuses vidéos, articles, et même une page wikipedia ont déjà été écrits sur cet "argument", mais je voudrais me focaliser juste sur le dernier point. Y a-t-il eu, ou non, une promesse faite à l'URSS/Russie? Si oui, laquelle, qui l'a faite et qui l'a reçue ?


La thèse de Poutine et compagnie

Comme le rappelle par exemple un article du Figaro: Déjà, le 18 mars 2014, le jour de l'annexion de la Crimée, il [Poutine] s'écriait : «Ils nous ont menti à plusieurs reprises, ils ont pris des décisions dans notre dos, ils nous ont mis devant le fait accompli. Cela s'est produit avec l'expansion de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord vers l'est, ainsi qu'avec le déploiement d'infrastructures militaires à nos frontières». Encore auparavant, lors de son discours de 2007 de Munich, considéré comme le moment du tournant anti-occidental du président russe, ce dernier s'interrogeait ainsi : «Nous avons le droit de poser la question : contre qui cette expansion est-elle dirigée ? Et qu'est-il advenu des assurances données par nos partenaires occidentaux après la dissolution du pacte de Varsovie ?». C'est donc un discours qu'il rabâche depuis de très nombreuses années.

Et il n'y a pas que Poutine qui tient ce discours. En France, Mélenchon et Zemmour disent la même chose, en bons poutinistes qu'ils sont. A l'international, c'est souvent les noms de John Mearsheimer et Jeffrey Sachs qui reviennent. Et la thèse de ces gens est toujours la même: "On" (selon les variantes, Georges H. Bush, son secrétaire d'Etat James Baker et/ou le chancelier allemand Helmut Kohl) aurait promis à Gorbatchev de ne pas étendre l'OTAN vers l'est; mais, après la chute de l'URSS, les USA dans leur hubris seraient revenus sur cette promesse et ont accepté (voire même ont incité) à ce que les anciens pays du pacte de Varsovie rejoignent l'OTAN.

Alors certes, tous ces gens reconnaissent (parfois) qu'il n'y a jamais eu de telle promesse écrite. Même  Joshua R. Itzkowitz Shifrinson, un des chercheurs les plus favorables à la thèse de la promesse faite à la Russie de non-extension de l’Otan, concède qu’il n’existe pas d’engagement écrit mais considère que cette promesse a bien été faite lors de discussions informelles, et que "l'erreur" de Gorbatchev aurait été de ne pas consigner par écrit cette promesse orale.


Un mythe démenti par Gorbatchev lui-même

Pour l'OTAN, et pour bon nombre d'historiens de renom, cette thèse est tout simplement un mythe. Et on le sait parce que le premier intéressé, Mikhail Gorbatchev, le dit (à 2:10 de cette vidéo). Les autres personnes impliquées ont elles aussi démenti. Ces témoignages de première main suffisent à invalider la thèse de Poutine. Mais les poutinistes écartent le témoignage de Gorbatchev, qui à l'époque de l'interview (2014) était très vieux et opposé à Poutine.

Ces poutinistes insistent au contraire sur cette prétendue promesse, en s'appuyant sur des documents déclassifiés, et sur certaines citations, dont la plus fameuse, celle de James Baker, adressée à Mikhail Gorbatchev le 9 janvier 1990: "la juridiction militaire actuelle de l'OTAN ne s'étendra pas d'un pouce vers l'est". 

Gorbatchev aurait-il menti ? Non. Car comme Gorbatchev le précise lui-même dans l'interview en question: ces discussions avaient lieu pour discuter d'une éventuelle réunification de l'Allemagne. Et ce contexte change tout au sens des mots. Car ces hommes ne discutaient pas d'une non-extension de l'OTAN aux pays de l'Europe de l'Est. Ils discutaient juste de ce qu'il allait advenir de la RFA et de la RDA.


La promesse qui a été faite (et tenue)

Lors des discussions préparant la réunification de l'Allemagne, la question des alliances militaires se posait: la RFA faisait partie de l'OTAN, la RDA faisait partie du pacte de Varsovie. Pire: les deux Allemagnes étaient toujours occupées par des armées étrangères, la RDA étant occupée par l'URSS et la RFA par le trio (France/UK/USA). Quel serait le statut de l'Allemagne réunifiée ? Un temps, il fut envisagé que l'Allemagne deviendrait neutre (autrement dit: la RFA quitte l'OTAN, la RDA le pacte de Varsovie, et toutes les troupes d'occupation quittent le territoire allemand). Mais ça ne plaisait pas à Helmut Kohl (entre autres) aussi l'ensemble des participants ont négocié un accord qui, dans les grandes lignes, prévoyait que l'Allemagne réunifiée ferait bien partie de l'OTAN mais que l'OTAN n'implanterait pas de bases sur le territoire de l'ex-RDA et que l'on mettrait fin à l'occupation de l'Allemagne. C'est bien ça le sens de la citation de James Baker: la juridiction militaire de l'OTAN ne s'étendra pas à l'Allemagne de l'Est. Voilà ce qui a été promis à Gorbatchev.

Alors certes le traité signé à la suite de ces discussions (traité de Moscou) ne mentionne pas cette promesse dans son intégralité. Son article 5 stipule juste que, sur le territoire de l'ex-RDA et pendant la période de retrait des forces armées soviétiques (c'est-à-dire de 1990 à 1994), les autres États n'y stationneront pas de troupes et n'y mèneront aucune autre activité militaire, et n'augmenteront pas leurs capacités militaire dans Berlin-Ouest. Ce même article 5 stipule les forces de l'OTAN pourront ensuite stationner à l'est de l'Allemagne mais s'engagent à ne pas faire stationner d'armes nucléaires après l'évacuation de l'ex-RDA par les troupes soviétiques.

Mais cela ne change rien car cette promesse orale a été tenue. Encore aujourd'hui, il n'y a aucune base de l'OTAN le territoire de l'ex-RDA, ce qui va donc au delà de l'article 5 du traité de Moscou. On peut, bien sur, juger que cette promesse ne faut plus rien, car il y a désormais des bases de l'OTAN plus à l'est que le territoire de l'ex-RDA: en Pologne, dans les pays baltes, etc. Toujours est-il que la promesse qui a été faite est toujours tenue, et que par contre il n'y a il n'y a jamais eu la moindre promesse de ne pas accepter de nouveaux pays dans l'OTAN.


Est-ce important ?

On pourrait se dire que l'exercice auquel je viens de me livrer est un peu futile: après tout, nous vivons un moment de l'Histoire où les Etats les plus puissants renient leur signature et ne s'embarrassent plus de respecter les traités officiellement ratifiés, alors pourquoi se demander quelle a été la promesse faite à l'oral et si elle a bien été respectée ? 

C'est important car cette promesse est à la base du narratif de Poutine (ce n'est pas pour rien qu'il la répète depuis 20 ans) et au cœur de la propagande russe. Vous retrouvez invariablement la thèse de la "trahison" de l'OTAN dans tous les discours pro-russes:
  • pour inverser les rôles et faire passer la Russie comme une victime
  • pour justifier la "légitimité" des revendications russes sur toute l'Europe de l'Est
En effet, sur ce dernier point, la prétendue promesse de "non-extension de l'OTAN à l'est" est vue comme une reconnaissance, par les dirigeants occidentaux de l'époque, de la sphère d'influence russe.

Aussi il est toujours bon de revenir à ce qui a été vraiment promis, et de montrer comment Poutine et compagnie déforment la réalité pour justifier l'impérialisme russe.





NB: le titre du billet fait référence au film Les promesses de l'ombre, de David Cronenberg, et dont le titre original est Eastern Promises.

lundi 10 novembre 2025

Chasse aux bots sur Mastodon

 Cela fait quelque temps que  je n'ai plus écrit de billet sur comment repérer la propagande russe, ce que je faisais assez régulièrement au début de ce blog. Le précédent billet de cette série remonte en effet à décembre 2023. La propagande russe est pourtant bien plus présente qu'en 2023, en fait elle est tellement banale que souvent je n'y prête même plus attention.

Récemment, j'ai observé ce qui semble être une montée en puissance de la propagande russe sur le réseau social Mastodon, sous forme de comptes "bot" qui diffusent, de manière plutôt évidente, la propagande russe. Aujourd'hui donc sur ce blog, un petit tuto sur comment repérer un bot russe sur Mastodon.


Mastodon pour les nuls

Petite explication pour nombreuses personnes qui ne connaissent pas Mastodon. C'est un réseaux social, similaire à Twitter ou Bluesky, mais qui a l'avantage d'être décentralisé, constitué d'environ 1000 instances. Personne ne contrôle Mastodon: chaque instance est indépendante, définissant ses propres règles de modération et communiquent entre elles pour former le réseau social. D'où le nom des comptes qui sont toujours de la forme:

pseudo@instance

Mastodon n'a pas l'audience de Bluesky, et encore moins celle de Twitter/X. Néanmoins, il attire des utilisateurs qui y voient un refuge depuis que Musk a reprise en main Twitter pour en faire une chambre d'écho de la propagande fasciste. C'est pourquoi les utilisateurs sont probablement bien plus "à gauche" du spectre politique que ceux de Twitter. Ou simplement plus normaux ?

Toujours est-il que les débats y sont généralement bien moins toxiques que sur Twitter, et surtout à bien plus petite échelle: n'espérez pas des milliers de réponses ou de "boosts"/"repouets" (les "retweets" de twitter) à un de vos messages, même les plus gros comptes n'en n'ont que quelques dizaines. 

Hélas, cette faible audience ne le préserve pas de la propagande russe, qui s'y est installé comme sur tous les autres réseaux sociaux, à l'aide de "bots".


Pléthore de bots russes

Voici la liste de bots russes que j'ai identifié depuis juillet 2025:

odessa_today@mustodon.kattsu.com
state404@abyss.fun
world_today@vonhaller.social
kaliber24@modalnode.club
rubicon@i.cancn.com
kvn@9kb.me
lancet_24@vebinet.com
orcavoice@mstdn.beer
auslank@compassion.host
alt_z_press@imastodon.blue
yars@social.tsst.net
kiev24@social.mastolivre.fr
sputnik@nitiasa.com

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TeFemiG@defcon.social
grampost@mas.to
freegram@qlub.social

openrecord@alive.bar gewoja@danodidon.azzarakko.net noxen@tty0.social


Quelques observations sur cette très longue liste:

  • ils ne privilégient pas d'instance particulière. Ces comptes sont dispersés dans plein d'instances différentes pour rendre tout filtrage plus complexe
  • je n'identifie que les bots qui publient en français (assez peu à vrai dire) et en anglais (la quasi-totalité de la liste). Aucune idée de ce qu'il en est dans les autres langues
  • beaucoup (voire tous) ont été suspendus, grâce au travail de modération


Comment identifier les bots russes ?

Par définition, les bots ont un comportement assez prévisible, et très différent d'un utilisateur humain. Les bots russes sont donc identifiables car:

  • ils se contentent de reprendre le contenu de chaînes Telegram de propagande russe, en particulier deux chaines très actives: "Il russo" et "Lord of war". Ils n'ajoutent aucune info, aucun commentaire au contenu qu'ils copient
  • il leur arrive parfois de reprendre du contenu pro-ukraine, mais c'est assez rare. Je ne sais pas si c'est leur algo de sélection de contenu Telegram qui est trop imprécis, ou si c'est fait délibérément pour brouiller les pistes
  • ils n'interagissent jamais avec les autres utilisateurs: pas de réponses, pas de boosts, et s'ils peuvent suivre certains comptes, ces abonnements se font toujours à la création de la chaîne, alors qu'un utilisateur humain s'abonne petit à petit aux autres comptes. D'ailleurs, ils publient souvent les mêmes messages que d'autres bots, là où un humain se contenterait de les booster.
  • ils n'ont jamais le tag "BOT" dans leur profil, qui est de rigueur pour les bots sur Mastodon
  • l'image de leur profil est souvent (mais pas toujours) une variante du logo de Telegram (un avion en papier)
Enfin, leur nom d'utilisateur n'est pas choisi au hasard, et est très souvent lié à un des deux thèmes suivants:
  • une référence à l'armée russe (lancet, rubicon) ou aux media russes (russia_today, sputnik)
  • une référence à la liberté et l'ouverture d'esprit (free, liberty, ...), ou aux média alternatifs / indépendants (alt_, indie_, ...)



Que faire une fois les bots russes identifiés ?


Si vous identifiez un bot russe, la procédure est simple: signaler et bloquer. La plupart des instances ont des règles contre les bots spammant de la propagande et/ou contre les fausses informations. Par exemple, pour l'instance piaille.fr, sur laquelle je suis, la raison à indiquer dans le signalement d'un bot russe est:
infraction aux règles du serveur -> "Il est interdit de publier ou diffuser intentionnellement des propos diffamatoires, calomnieux, ainsi que toute désinformation avec intention de tromper (le gorafi ou the onion sont donc autorisés). Les profils satiriques doivent être indiqués comme tels dans leur nom et description publique"

Le signalement autorise également à ajouter des commentaires additionnels. Voici le texte que je mets généralement:
"The account is probably a Russian disinformation bot. They write the same messages as many other bots. They don't have the "BOT" tag in their profile and many (if not all) of their messages are fake news and/or russian propaganda. Also, their account name and/or profile picture follow the same pattern as other Russian disinformation channels."


Bonne chasse !

lundi 3 novembre 2025

Guerre en Ukraine: bilan du mois d'octobre 2025

Comme chaque mois, voici un petit bilan du mois d'octobre 2025, à mettre en perspective avec les constats que j'avais faits précédemment (liens en fin de ce billet). 

Une fois de plus, les Russes ont continué leur grignotage des défenses ukrainiennes, et menacent toujours d'encercler trois villes clefs de la ligne de défense ukrainienne: Kupyansk, Pokrovsk et Kostiantynivka. Au nord-est de Pokrovsk, les Ukrainiens ont continué avec succès leurs contre-attaques du mois précédent et on éliminé un nombre impressionnant de blindés russes. Par contre, les Russes s'infiltrent de plus en plus à Pokrovsk par le sud, et la situation de ce bastion est de plus en plus précaire. Il en est de même à Kupyansk, où des combats se déroulent jusqu'au cœur de la ville. Seule Kostiantynivka est pour le moment épargnée, mais les groupes d'infanterie russe se rapprochent de plus en plus de la ville. De plus, les attaques aériennes ont continué, avec régulièrement des centaines de drones russes frappant les villes ukrainiennes pour y semer la terreur tandis que les Ukrainiens ont continué leurs attaques à longue distance sur les raffineries russes.

Opération aéroportée à Pokrovsk, par le Renseignement Militaire Ukrainien


Pertes russes et ukrainiennes

Je rappelle les pertes russes telles qu'annoncées par les officiels ukrainiens dans les 4 catégories à surveiller: artillerie, MLRS, DCA et équipements spéciaux. Pour chacune, je vais donner les moyennes pour la première année (mars 2022 à février 2023), la deuxième année (mars 2023 à février 2024) et la troisième année (mars 2024 à février 2025) puis les chiffres de mars, avril, mai, juin, juillet, août, septembre et octobre 2025.

  • Artillerie 
    • moyenne 1ere année: 190/mois
    • moyenne 2e année: 650/mois
    • moyenne 3e année: 1150/mois
    • 1690 (mars), 1554 (avril), 1384 (mai), 1243 (juin), 1193 (juillet), 1288 (août), 1112 (septembre), 817 (octobre)
  • MLRS
    • moyenne 1ere année: 40/mois
    • moyenne 2e année: 43/mois
    • moyenne 3e année: 25/mois
    • 44 (mars), 27 (avril), 26 (mai), 27 (juin), 24 (juillet), 25 (août), 29 (septembre), 28 (octobre)
  • DCA
    • moyenne 1ere année: 21/mois
    • moyenne 2e année: 37/mois
    • moyenne 3e année: 30/mois
    • 37 (mars), 23 (avril), 27 (mai), 17 (juin), 13 (juillet), 10 (août), 11 (septembre), 9 (octobre)
  • Équipements spéciaux
    • moyenne 1ere année: 19/mois
    • moyenne 2e année: 114/mois
    • moyenne 3e année: 181/mois
    • 24 (mars), 82 (avril), 33 (mai), 19 (juin), 14 (juillet), 17 (août), 27 (septembre), 7 (octobre)

On observe donc une baisse significative des chiffes d'artillerie et d'équipement spéciaux. Ce que ça signifie est plus compliqué à déterminer. La version la plus optimiste est que les Ukrainiens commence à manquer de cibles. La version pessimiste (et hélas plus probable) est qu'ils manquent de munitions et/ou que les Russes sont plus efficaces pour échapper aux tirs (et surtout aux drones) ukrainiens.

Plus généralement, comparé au mois de septembre, il y a à la fois une baisse des pertes matérielles  (4 010) et une hausse des pertes humaines (31 270), selon le comptage réalisé par l'analyste Ragnar Bjartur Gudmundsson

En ce qui concerne les pertes visuellement confirmées, selon Oryx il y a eu en octobre 443 pertes russes et 355 pertes ukrainiennes. Les pertes russes sont enfin remontées après plusieurs mois où elles était anormalement basses. Si le ratio est légèrement plus favorable à l'Ukraine que celui des mois précédents, il est très inférieur au 2:1 dont l'Ukraine a besoin pour continuer le combat. 



Les frappes aériennes russes 

La Russie poursuit ses attaques terroristes Si le record du 7 septembre n'a pas été battu, le mois d'octobre est comparable à celui de septembre: plusieurs très grosses attaques (plus de 200 drones/nuit), et le reste du temps, ce sont plusieurs dizaines de drones, sans compter les missiles. Principales attaques, selon les Ukrainiens:
  • 03 octobre: 381 drones, 35 missiles
  • 05 octobre: 496 drones, 53 missiles
  • 10 octobre: 465 drones, 32 missiles
  • 16 octobre: 320 drones, 37 missiles
  • 22 octobre: 405 drones, 28 missiles
  • 29 octobre: 653 drones, 52 missiles
Il y a donc une attaques massive tous les 5-6 jours. Au total, ce sont environ 5600 drones et 270 missiles qui ont été employés dans ces attaques au mois d'octobre. Et même si une partie significative sont interceptés, ceux qui passent font des dégâts. Beaucoup sur les immeubles d'habitation, les écoles, les hôpitaux, mais aussi sur l'infrastructure ferroviaire et énergétique.

Face à cela, il n'y a guère de réponse: les Occidentaux n'envisagent toujours pas de donner aux Ukrainiens de quoi "tuer l'archer", au mieux ils lui donnent quelques moyens de détruire quelques flèches. Et encore, trop peu. Les Ukrainiens paient de leur sang l'absence de stratégie et le défaitisme des Occidentaux.

 

Les "sanctions cinétiques" contre l'industrie pétrolière russe

Pendant ce temps, les Ukrainiens ont continué a attaquer les raffineries, dépôts de carburant et autres équipements lourds utilisés par l'industrie pétrolières russes. Voici les frappes du mois d'octobre: 

Avec quel résultat ? Difficile à dire. La baisse de capacité de raffinage semble faible vu le nombre de frappes. Selon l'OCDE, la baisse des capacités de raffinage était de 500 000 baril par jour. Ce chiffre peut sembler impressionnant, mais comparé à leur capacité qui était estimée à 6,7 millions de barils/jour, cela ne représente même pas 10%. Zelensky lui-même évoque tout juste une baisse de 20%. Tout cela affaiblit la Russie, mais il semble que ce soit trop lent et/ou trop peu pour infléchir la volonté de Poutine de continuer sa boucherie.


La dissonante sérénité du haut-commandement Ukrainien

Fin octobre, la situation à Kupyansk et à Pokrovsk est plus que critique pour les Ukrainiens. Si on se fie aux cartes de contrôle du territoire (par exemple deepstate map ou ua control map), qui elles-même se basent sur diverses sources disponibles en OSINT, les Russes occupent une bonne partie de Kupyansk et au moins un quart de Pokrovsk, et les "zones grises" couvrent quasiment la totalité de ces deux villes. Autrement dit: les Ukrainiens ne contrôlent déjà plus ces deux villes. Or, (toujours selon les mêmes sources) plusieurs brigades ukrainiennes sont toujours dans des "poches" profondes de plusieurs km et sont donc, à très court terme, menacées d'encerclement.

Face à cela, le haut-commandement ukrainiens (en particulier le général Syrsky) assure que la situation est certes tendue, mais sous contrôle, et s'est même améliorée, et qu'il n'y a pas d'encerclement. Ces déclarations sont en totale contradiction avec tout ce qui est disponible publiquement. Donc soit le haut-commandement ukrainien sait quelque chose que le public ne sait pas, soit (ce qui est bien plus probable) ils se plantent complètement et sont dans le déni (ou le mensonge) le plus total.

En particulier, Syrsky a demandé l'aide des troupes d'élite du renseignement militaire (forces spéciales) pour défendre Pokrovsk, et celles-ci ont mené un assaut héliporté impliquant deux hélicoptères "Black hawk". L'opération est supervisée par Boudanov et Sirsky eux-même. Ce genre d'opération, bien que spectaculaire et très rare sur la ligne de front, ne change hélas pas fondamentalement la donne: ils ont débarqué peut-être 20 soldats, qui sont probablement très bons, mais ne pourront pas renverser le cours de la bataille à eux tous seuls. Il faudrait des renforts autrement plus conséquent (plusieurs brigades) pour sauver Pokrovsk à ce stade. L'intervention des forces spéciales est plus probablement un moyen de rouvrir une voie pour évacuer les troupes encore présente à Pokrovsk, qui est donc sur le point de tomber. Et si Kupyansk fait moins parler d'elle, la situation là bas n'est guère meilleure.

Si (comme c'est probable) Pokrovsk et Kupyansk tombent dans les prochaines semaines, et que des unités ukrainiennes y sont piégées, il faudra espérer que Syrsky aura le courage de prendre ses responsabilités et démissionnera. Ou que Zelensky le fera pour lui. Il faut vraiment que les Ukrainiens mettent fin aux défaillances de leur haut-commandement militaire que j'évoquais dans une série d'articles début 2025 ([1],[2],[3],[4]). Ils ne peuvent vraiment plus se permettre de laisser de telles erreurs impunies, car elles se répètent, mois après mois, toujours pour les mêmes raisons. L'Ukraine ne va pas perdre la guerre si la Russie prend Pokrovsk ou Kupyansk. Par contre, l'Ukraine perdra la guerre si le haut-commandement ukrainien ne se remet pas en question et n'apprend pas de ses erreurs.


Diplomatie: les montagnes russes

Sur le plan diplomatique, il y a à la fois beaucoup et rien à dire. Fin octobre, on en est au même point que fin septembre: la Russie ne veut pas négocier, les média disent que Trump va peut-être fournir des Tomahawks et/ou prendre des sanctions dévastatrices contre la Russie. En revanche, pour en revenir au même point, il y a eu des hauts et des bas. De véritables montagnes russes.

Plus exactement, Zelensky était invité à Washington le 17 octobre, on peut penser pour un accord important (peut-être la fournir de Tomahawks, comme les médias le disaient). Mais, la veille, Trump a une longue conversation avec Poutine et revient à une position outrageusement pro-russe. Lors de la discussion avec Zelensky, il se contente de répéter la propagande russe. Une rencontre avec Poutine à Budapest est envisagée. Puis, sans que la raison soit rendue publique, cette rencontre est annulée et, le 22 octobre, l'administration Trump prend des sanctions contre l'industrie pétrolière russe.

Que penser de tout cela, et comment expliquer ces revirements aussi soudains que brutaux ? Le premier est facile à expliquer: Trump adore Poutine et ne demande qu'à revenir à sa position poutiniste. Seulement, l'opinion américaine est très hostile à Poutine, et il doit faire avec. Donc il est possible que son entourage a réussi à lui faire "revenir à la raison", si l'on peut dire. On ne connait pas l'état mental de Trump, et il est fort possible qu'il a une forme de sénilité et/ou de démence qui le rendent encore plus erratique qu'avant. Mais l'entourage proche de Trump est truffé de pro-russes (comme J.D. Vance), aussi je ne crois pas que ce sont les "adultes dans la pièce" qui ont fait changé d'avis le traître orange.

Je pense plutôt que Trump et son gouvernement sont toujours pro-russe, et que la séquence sert surtout à occuper les médias (et les dirigeants européens) pour qu'ils ne remarquent pas à quel point Trump est pro-Poutine. Je rappelle que le "plan de paix" de Trump est extrêmement favorable aux Russes, et cette séquence diplomatique peut avoir précisément pour but de faire croire que ce plan est équilibré et/ou raisonnable. De plus, comme l'a fait très justement remarqué Philips O'Brien, le gros des sanctions ne sont que des annonces (les vrais sanctions ne seront effective que fin novembre) et qu'on n'est pas à l'abri d'un nouveau revirement de Trump qui décide, au dernier moment, de ne pas sanctionner la Russie. 


Analyses précédentes

2023

2024

2025

Comment repérer la propagande russe (4)

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