dimanche 24 septembre 2023

Liens en vrac 24/09/23

Divers liens vers des articles/vidéos que j'ai trouvés depuis le précédent inventaire, et qui méritent d'être lus/vues selon moi.

NB: je vais essayer de me prêter à cet exercice de collecter les liens et les regrouper dans un même billet toutes les 2 ou 3 semaines



Artillerie, matériels et capacités de production

Dernière interview d'Arty Green

Les russes n'ont pas de plan de secours (article de juillet)

Perun, sur la question des capacités de production militaire de la Russie

Les leurres ukrainiens

Tout, tout, tout vous saurez tout sur les ATACMS

 


Analyses et essais

Une tribune de Daily Kos qui va dans le sens de la conclusion de mon billet Apaisement ou escalade ?

Que pense l'armée russe ?

Touché coulé grandeur nature



Vatniks et propagande

Le deuxième front: j'avais déjà donné le lien vers la version in english, voici la VF. Article recommandé par le Colonel Goya

Babakovleaks

Sergei Kraraganov, l'homme qui a voulu et théorisé les guerres d’agression de la Russie post-soviétique

La propagande russe sur les morts du théâtre d'Odessa (2014)



Crimes de guerre russes

Vidéo-enquête sur les auteurs des massacres de Bucha (vieille vidéo)

Texte très fort de Julia Mendel, sur l'oppression russe depuis quatre générations

Crimes sexuels de masse (vieil article)



Divers

Interview Budanov

ChrisO_Wiki sur Mastodon, toujours intéressant à suivre

samedi 16 septembre 2023

Apaisement ou escalade ?

Ces dernières semaines, plusieurs textes et événements sont venus questionner, ou du moins illustrer, ce que l'on désigne souvent par "la peur de l'escalade", et son pendant, "la politique de l’apaisement":


Je voudrais apporter mes deux centimes, comme on dit, même si l'essentiel a déjà été dit (et très bien dit) dans ces textes.

 

L'escalade

Quand on pense à l'escalade, il faut se demander de quels moyens disposent les différents acteurs pour cette escalade, autrement dit ce qu'ils peuvent faire et ne font pas déjà. Il y a toute une théorie autour de l'escalade (et de nombreux articles sur le sujet), mais sans entrer dans les détails, on peut déjà lister toutes les actions possibles des Occidentaux, des Ukrainiens et des Russes.

Pour les Occidentaux, ces moyens sont nombreux, voici une liste non exhaustive :

  • Fournir plus d'armes à l'Ukraine 
  • Fournir des armes plus avancées 
  • Mobiliser leur base industrielle et passer en économie de guerre 
  • Autoriser les Ukrainiens à utiliser les armes fournies sur le sol russe
  • Assurer une "no fly zone" sur tout ou une partie de l'Ukraine 
  • Raids aériens sur les cibles militaires russes en Ukraine
  • Engagement des troupes au sol en Ukraine
  • Raids aériens sur les cibles militaires en Russie
  • Engagement des troupes au sol en Russie (ou Biélorussie)
  • Mobilisation générale
  • Guerre nucléaire

Bien entendu, personne dans l'OTAN n'envisage de dépasser le "seuil de belligérance" (les 4 ou 5 premiers stades), sauf si les Russes utilisent l'arme nucléaire (et auquel cas on arrivera très probablement au dernier stade).

Les Russes, quand à eux, n'ont que deux moyens d'escalade:

  • Mobilisation générale
  • Guerre nucléaire

Et encore, on peut argumenter qu'ils sont déjà en mobilisation générale, mais qu'ils sont limités dans le nombre de troupes qu'ils peuvent équiper/entraîner (c'est-à-dire la même situation que les Ukrainiens). Autrement dit: les Russes n'ont aucun moyen d’escalader le conflit, car ils sont déjà à fond. La seule "carte" qu'il leur reste, c'est la guerre nucléaire. Et tout le monde sait cela.

Aussi quand quelqu'un dit qu'il/elle a "peur de l'escalade", il faut se demander de quelle escalade on parle. Est-ce la peur que les occidentaux s'engagent plus ouvertement ? Auquel cas ce serait effectivement un "risque colossal ... pour eux [les Russes]".

Mais plus généralement, quand quelqu'un parle de sa "peur de l'escalade", c'est juste la peur que les Russes utilisent l'arme nucléaire. Sur ce risque, je vous renvoie au billet de Michel Goya, écrit il y a maintenant plus d'un an, et qui n'a pas pris une ride. Et dont la conclusion est que les Russes n'utiliseront pas l'arme nucléaire.

Cette peur est pourtant toujours agitée, généralement par les mêmes personnes, qui est ressortie à chaque fois que l'armée russe est en difficulté sur le terrain (autrement dit: souvent). C'est cette peur qu'a évoqué Elon Musk pour justifier sa traîtrise l'an dernier, quand il a saboté une opération ukrainienne. C'est cette peur qui fait que certains veulent "l'apaisement", autrement dit que l'on force l'Ukraine à céder  une partie de son territoire en l'échange de "la paix". C'est aussi cette peur qui fait que l'OTAN escalade si peu.

Car si l'OTAN voulait escalader, elle a toutes les raisons pour le faire. Entre le S300 tombé en Pologne (et qui a fait 2 morts) et que Biden s'est empressé de déclarer comme "ukrainien" sans attendre le résultat de l'enquête, le drone américain détruit alors qu'il volait en zone internationale, la destruction du barrage de Nova Kakhovka et les menaces sur la sûreté de la centrale nucléaire de Zaporijja, ou plus récemment les drones Shahed-136 tombés en Roumanie, l'OTAN a  suffisamment de casus belli pour intervenir bien plus directement en Ukraine tout en respectant la charte de l'ONU. A une époque, on déclenchait une guerre pour bien moins que ça. Mais c'était avant que chaque camp ne possède de quoi faire sauter la planète. La priorité numéro 1 des occidentaux est d'éviter que la guerre en Ukraine ne dégénère en guerre nucléaire (et c'est un objectif nécessaire).

Je pense d'ailleurs que cette absence de réaction des Occidentaux montre que l'escalade est presque toujours un choix. Sauf en cas d'agression directe (comme l'invasion de son pays par 150 000 soldats), on n'est pas "poussé" à l'escalade; escalader est toujours un choix politique, comme ce qu'a fait Poutine en septembre 2022 en décidant la mobilisation "partielle". 

Donc, pour résumer: l'OTAN a à la fois les moyens et des raisons d'escalader le conflit, mais choisit de ne pas le faire. Pourquoi ?

 

 

Le status quo

La principale raison de la non-escalade est que l'OTAN estime qu'elle n'a tout simplement aucun intérêt à escalader le conflit actuel. Et, d'un point de vue purement cynique, c'est en partie vrai: la guerre de touche pas l'OTAN directement, la Russie est en train de mourir à petit feu, et le coût de la guerre est largement supportable pour l'Occident, qui a traversé des crises économiques bien plus grave. Certains vont même jusqu'à imaginer que l'OTAN donne délibérément suffisamment d'armes à l'Ukraine pour ne pas perdre la guerre, mais pas assez pour lui permettre de gagner. 

Mais, même à supposer que l'OTAN veut sincèrement que l'Ukraine gagne la guerre, il est fort probable que les décideurs occidentaux estiment que les efforts qu'ils fournissent actuellement sont suffisants et que l'Ukraine finira par gagner de toute manière. Bref, ils cherchent à gagner la guerre "à l'économie", en dépensant le moins possible, et ne comprennent pas que prolonger la guerre leur coûtera au final plus cher que s'ils donnaient aux Ukrainiens les moyens pour écraser les Russes rapidement.

Si c'est le cas, c'est à mon sens une très mauvaise erreur de calcul. D'abord parce que la victoire n'est jamais acquise d'avance, même quand les choses "se déroulent comme prévu". On n'est jamais à l’abri d'un retournement de situation, même improbable, surtout si le conflit s'enlise. Il est possible que Trump soit élu en 2024 et stoppe alors l'aide aux Ukrainiens. Et, dans les autres pays, il est également possible que l'intérêt pour l'Ukraine diminue, que les hommes politiques se perdent dans l'immédiat et ne pensent pas à long terme. Il est aussi possible que l'on sous-estime les capacités de la Russie à produire plus d'armes et de munitions. Et il est possible que la Russie reçoive plus de soutien des autres pays. Si l'aide de la Corée du Nord ne va probablement pas changer la donne, il n'en est pas de même de l'aide de l'Iran, et surtout d'une possible aide militaire chinoise, qui est le seul pays capable de fournir suffisamment d'armes et de munitions à la Russie pour prolonger durablement le conflit. Bref, prolonger le conflit, c'est prendre des risques inutiles.

D'autant que plus le conflit dure, plus les morts russes s'accumulent, plus il sera difficile à Poutine de justifier un simple retrait d'Ukraine et/ou plus la défaite russe sera amère pour eux. Et donc, plus augmente le risque que, s'ils sont sur le point de perdre en Ukraine, ils utilisent l'arme atomique ne serait-ce que par vengeance, même si elle n'a aucun intérêt tactique ou stratégique. Les USA ont probablement fait comprendre à la Russie que l'usage d'une arme atomique entraînerait la destruction (par l'OTAN) de tout ou partie des troupes russes se trouvant en Ukraine, mais si les troupes russes sont chassées d'Ukraine et qu'ensuite, Poutine balance une bombe nucléaire sur Kiev, comment l'OTAN réagirait-il ? En bombardant la Russie ?

Bref, pour toutes ces raisons, je pense que l'Occident fait une erreur monumentale en n'escaladant pas, et que c'est cette non-escalade qui risque au contraire de donner envie à Poutine d'utiliser la dernière arme qui lui reste en cas de défaite sur le terrain. Il faut que ce conflit se termine au plus vite. Mais cet impératif, c'est bien la seule chose que je partage avec ceux qui défendent "l'apaisement".


L'apaisement

Les arguments des pro-Poutine ne sont pas nouveaux

Vous connaissez certainement une de ces personnes qui affirment: "la guerre, ça suffit, il faut faire la paix maintenant !" Ce à quoi on ne peut être que d'accord. Mais s'il suffit d'un seul agresseur pour déclencher une guerre, il faut que les deux camps soient d'accord pour faire la paix, et ça, ce n'est pas gagné. Car pour le moment, ni la Russie ni l'Ukraine ne veulent la paix, pour la bonne raison que chacun pense pouvoir gagner militairement.

Mais si on demande à ces "amoureux de la paix" ce qu'ils proposent exactement, généralement ils se taisent. Quelques uns osent cependant exprimer ce que pensent aussi les autres, à savoir qu'il faut que l'Occident arrête d'aider l'Ukraine et que celle-ci renonce à libérer les territoires actuellement occupés par les Russes, et que l'Ukraine reste "neutre" (comprendre: non protégée par l'OTAN). Ces "amoureux de la paix" ne demandent par contre aucune concession à la Russie, qui pourra ainsi souffler quelques années, reconstituer son armée bien détruite par la guerre en Ukraine et ainsi attaquer de nouveau l'Ukraine et/ou un autre pays dans quelques années, avec cette fois là bien plus de chances de réussir. Bref, les "amoureux de la paix" ne veulent pas la paix, ils veulent tout céder à la Russie. Exactement comme leur prédécesseurs voulaient que les USA cessent d'aider la Grande Bretagne face aux Nazis (cf image ci-dessus, ou ce fameux texte).

Le pire, si l'on peut dire, est que cette "politique d'apaisement" n'a aucune chance de marcher. Comme le dit bien Tendar, l'apaisement est par définition une politique de l'échec, qui autorise précisément ce qu'il prétend prévenir. Face à un dictateur narcissique, impérialiste et revanchard, il n'y a pas d'apaisement possible. Plus on tolère ses agissements, plus il se sentira légitime à continuer. Plus on lui concède, plus il exige d'autres choses. Seule la fermeté permet de lui faire face. Car Poutine ne respecte pas sa parole (cf l'assassinat de Prigojine) ni les traités qu'il signe.

Et pourtant, beaucoup de gens prônent l'apaisement, et certains sont même de bonne foi. Certains, simplement parce qu'ils ne s'intéressent guère au conflit et ne réfléchissent pas aux conséquences de laisser Poutine parvenir à ses fins. D'autres, plus nombreux, parce qu'ils ont l'impression que le conflit est enlisé et qu'il faut se faire une raison. Mais quelle qu'en soit la raison, ils reprennent simplement le narratif russe, parfois sans en être conscient, parfois en étant conscient et le faisant par intérêt financier et/ou idéologique, comme l'a expliqué Françoise Thom. C'est pourquoi il est important de ne pas laisser prospérer ces discours qui, sous couvert de pacifisme, ne sont au final que des discours de soumission au pouvoir russe qui garantiront une nouvelle guerre, plus terrible encore, dès que la Russie se sera remise sur pied.


Que faire ?

Une fois que l'on a établi que l'apaisement est tout bonnement une erreur et que le status quo est dangereux à long terme, est-on condamné à choisir l'escalade ? D'une certaine manière, oui, nous sommes condamné à une certaine escalade. Mais pas à une escalade certaine. Je m'explique.

La première chose à faire, c'est d'admettre que les Ukrainiens, moralement, c'est nous, ou du moins c'est "comme nous". Ce ne sont pas nos alliés, ou des étrangers dont le sort nous indifférent, ils font partie de la communauté, du "nous". Et qu'en s'attaquant à l'Ukraine, Poutine s'attaque directement à nous. C'est d'ailleurs le discours de propagande destiné aux Russes: la télévision d'état leur explique qu'ils ne sont pas en guerre contre l'Ukraine, mais contre l'OTAN (ses fameux polonais noirs, ses innombrables mercenaires occidentaux zombies et ses fameux moustiques téléguidés). Et si nous ne sommes pas techniquement en guerre contre la Russie, moralement nous le sommes et nous subirions tous les conséquences d'une victoire russe, ou d'une non-victoire ukrainienne.

Ayant admis que les Ukrainiens, c'est nous, cela change nécessairement notre regard sur ce conflit. Déjà, tolérerions nous que nos ville soient bombardées chaque nuit, que nos enfants soient enlevés puis endoctrinés pour nous haïr, que les civils des territoires occupés soient torturés ? Non. Nous n'avons pas toléré le terrorisme de Daesh, nous n'avons pas à tolérer le terrorisme des Russes.

Ensuite, quel général ou responsable politique accepterait d'envoyer nos soldats attaquer des positions fortifiées, sans soutient aérien ni équipement adéquat ? Les gens qui trouvent qu'on en fait trop pour l'Ukraine oseraient-ils monter à l'assaut comme le font actuellement les fantassins ukrainiens, et dans les mêmes conditions qu'eux ? Je ne le pense pas. On comprend alors qu'on est loin, très loin d'en faire assez pour les Ukrainiens, et qu'il faut leur envoyer tous les moyens dont ils ont besoin. Il faut cesser de calibrer notre aide en fonction de ce que nous avons; il faut augmenter notre production et/ou accepter de dégarnir un peu nos armées pour fournir à l'Ukraine de quoi écraser les Russes. C'est ce qu'on fait les pays baltes, par exemple, transférant certaine partie de leur armée (par exemple, tous leurs hélicoptères) et comptant sur la solidarité de l'OTAN pour combler ces manques. Bien sûr, en France, on ne peut pas se dégarnir ainsi. Mais il était question, par exemple, de donner à l'Ukraine les Mirages 2000 qui sont sur le point d'être remplacés par des Rafales. Pourquoi ne pas se dire que, pour patrouiller dans les cieux français (qui ne sont guère menacés), un vieux mirage 2000 suffit, et réserver les Rafales aux missions de combat ... y compris les missions de combat que mènent les Ukrainiens ? Ce n'est bien sûr qu'un exemple, l'idée générale est qu'il faut cesser de considérer les questions de défense au niveau national pour les considérer plutôt au niveau européen (ou OTAN). 

Mais on s'éloigne un peu trop de la question de la guerre en Ukraine. Concrètement, ce qu'il faut c'est surtout:

  1. planifier à long terme (on y vient, mais péniblement), pour faire comprendre aux Russes que, quoi qu'il arrive, le soutien à l'Ukraine n'ira qu'en se renforçant
  2. prendre en compte les besoins des ukrainiens, et les planifier les livraisons en conséquent. Par exemple, on peut estimer que les Ukrainiens perdent chaque mois ~50 tanks ~100 blindés ~30 pièces d'artillerie, et nous devons donc compenser au moins ces pertes chaque mois.
  3. augmenter massivement la production d'obus et de drones (et de tout le "consommable") pour donner aux Ukrainiens un avantage écrasant dans ces deux domaines clefs
  4. si possible, standardiser les armes livrées à l'Ukraine pour éviter le "cauchemar logistique" que représente la livraisons de centaines d'équipements différents (tous en trop petites quantités)

C'est seulement ainsi qu'on peut donner à l'Ukraine une chance de remporter cette guerre dans un délai raisonnable. Et surtout, ce n'est qu'ainsi qu'on peut faire comprendre aux Russes qu'ils n'ont aucune chance de gagner cette guerre. Car tant qu'ils peuvent espérer que le soutien occidental peut s'arrêter demain, tant que le niveau des deux armées est proche de la parité, les Russes s'entêteront et continueront cette guerre inutile. Il faut les surclasser dans tous les domaines, leur faire comprendre que les Ukrainiens recevront toujours plus d'équipements que les Russes ne peuvent en détruire. Et plus vite le territoire ukrainien sera libéré, plus vite s'éloignera, pour les Russes, la perspective d'une victoire. 

Il faut donc légèrement escalader (augmenter et systématiser notre soutien à l'Ukraine) pour ensuite grandement dé-escalader. Car comme l'a très bien dit Timothy Snyder: "Avec chaque village repris par l’Ukraine, nous assistons à la désescalade la plus importante : s’éloigner des crimes de guerre et du génocide, vers quelque chose qui ressemble davantage à une vie normale." C'est le seul chemin possible vers une véritable paix.








lundi 11 septembre 2023

Liens en vrac 11/09/23

Liens vers des articles parus récemment sur la guerre en Ukraine, et qui, à mon avis, méritent d'être lus. Beaucoup de ces liens ont été publiés dans les commentaires du blog de Michel Goya, La voie de l'épée, et je remercie tous les contributeurs.


Réflexions générales

Timothy Snyder: https://snyder.substack.com/p/the-state-of-the-war

Tendar: https://twitter.com/Tendar/status/1700280785729704282

Françoise Thom: The second front

https://www.lemonde.fr/un-si-proche-orient/article/2023/09/10/la-mobilisation-des-tatars-pour-la-liberation-de-l-ukraine_6188681_6116995.html

Combien de char reste-t-il à la Russie ? PDF à télécharger ici: https://institutactionresilience.fr/publications.php

https://www.bbc.com/afrique/monde-66422787


Analyses de la contre-offensive

https://www.dailykos.com/stories/2023/9/6/2191834/-Ukraine-Update-How-Robotyne-became-the-center-of-the-counteroffensive

https://www.dailykos.com/stories/2023/9/5/2191502/-Ukraine-Update-Ukraine-breaches-Russia-s-2nd-Surovikin-Line-west-of-Verbove

https://www.areion24.news/2023/09/05/quelle-evolution-pour-les-operations-militaires-en-ukraine/

https://threadreaderapp.com/thread/1695710620341912035.html

https://warontherocks.com/2023/09/perseverance-and-adaptation-ukraines-counteroffensive-at-three-months/

https://xxtomcooperxx.substack.com/p/ukraine-war-8-september-2023-general

https://www.kyivpost.com/post/21368

Drone tombé en Roumanie: https://threadreaderapp.com/thread/1699085764502364410.html


Témoignages / hommages

https://kyivindependent.com/new-brigade-bears-heavy-brunt-of-russias-onslaught-in-kharkiv-oblast/

https://www.kyivpost.com/post/21357

https://edition.cnn.com/2023/09/01/opinions/ukraine-fighter-pilot-andriy-pilshchikov-juice-peterson/index.html


Bonus 

"Chaudron Production": https://twitter.com/Skal_pol/status/1699755102955831786


lundi 4 septembre 2023

Contre-offensive ukrainienne : bilan du mois d'août

Le mois d'août s'est achevé, et les constats que j'avais fait fin juin et fin juillet se confirment, à quelques nuances près.
 
terrain regagné par l'Ukraine @Pouletvolant3

 


Sur le plan du terrain reconquis, il y a eu quelques avancées petites mais significatives (Urozhaine, Robotyne, et plus récemment la ligne de défense russe percée près de Verbove). Cela reste du grignotage et on est encore loin d'une quelconque percée. Mais si comme je l'ai déjà dit plusieurs fois, l'armée ukrainienne a une stratégie à long terme de destruction des moyens de défense russes (artillerie, MLRS, DCA, équipement spéciaux), ce qui compte, ce n'est pas le territoire, mais les pertes russes.


Les succès de la stratégie d'attrition


Je rappelle les pertes russes telles qu'annoncées par les officiels Ukrainiens dans les 4 catégories à surveiller: Artillerie, MLRS, DCA et équipements spéciaux. Pour chacune, je vais donner les chiffres mensuels habituels (c'est à dire avant mars 2023) puis les chiffres de mars > avril > mai > juin > juillet > août

  • Artillerie (de 100 à 200/mois): 290 (mars) > 238 (avril) > 553 (mai) > 688 (juin) > 677 (juillet) > 691 (août)
  • MLRS (de 10 à 65/mois): 48 (mars) > 17 (avril) > 31 (mai) > 57 (juin) > 67 (juillet) > 36 (août)
  • DCA (de 5 à 40/mois): 32 (mars) > 16 (avril) > 38 (mai) > 56 (juin) > 73 (juillet) > 38 (août)
  • Équipement Spécial (de 10 à 30/mois): 66 (mars) > 63 (avril) > 99 (mai) > 122 (juin) > 138 (juillet)  > 113 (août)


On voit que pour l'artillerie et les équipements spéciaux, la "chasse" s'est bien ouverte en mars et qu'il y a une accélération ces derniers mois; il y a bien une stratégie à long terme, qui a commencé bien avant les premiers mouvements offensifs ukrainiens début juin. Concernant l'artillerie, on a battu de peu le record du mois de juin; pour les trois autres catégories, les chiffres sont un peu inférieurs. Cependant, les chiffres d'autres catégories (en particulier les tanks et blindés) sont en hausse, si bien que si on considère le total des équipements terrestres (tels que comptablisés par Ragnar Gudmundsson), le mois d'août a totalisé 2206 équipements russes perdus, ce qui est plus que le précédent record de mars 2022 (2151 équipements).

Bien sûr, ces chiffres sont probablement surestimés (je pense qu'il faut retirer 1/3, voir 1/2 aux chiffres annoncés par les Ukrainiens pour avoir une estimation plus proche de la réalité). Si on se fie aux pertes confirmées par Oryx, on est, depuis le début de la contre-offensive ukrainienne, à un ratio un peu supérieur à 3:2 en faveur des Ukrainiens: les Russes perdent donc toujours plus de matériel, mais l'écart est moindre qu'avant la contre-offensive. A noter que ce ratio évolue positivement depuis le début de la contre-offensive: en juin, les Ukrainiens perdaient plus de matériel; en juillet, c'était à peu près équilibré. En août, ce sont les Russes qui perdent plus de matériel. Qu'en sera-t-il en septembre-octobre ?

Toujours est-il que l'Ukraine semble prendre le dessus sur la Russie dans deux domaines où celle-ci était auparavant dominatrice:

  1. l'artillerie: l'important travail de contre-batterie mené par l'Ukraine ces derniers mois semble porter ses fruits: il y a de proportionnellement plus d'artilleurs morts (parmi les morts russes identifiés par Mediazona/bbc), les soldats russes se plaignent d'un manque de soutien d'artillerie, "Arty Green" explique que les Ukrainiens tirent maintenant presque autant d'obus que les Russes, et les Ukrainiens semblent progresser un peu plus rapidement sur le terrain. Ce sont des "petits signaux", qui ne montrent pas un effondrement de l'artillerie russe mais un affaiblissement significatif et durable.
  2. les frappes à longues portées: outre les frappes avec les SCALP/Stormshadows (qui sont limitées par le faible nombre de missiles donnés à l'Ukraine), le mois d'août a vu d'impressionnantes frappes ukrainiennes à très longue portée menées par des drones (maritimes ou aériens) et même un raid de commandos en Crimée et des opérations spéciales au cœur même de la Russie. Ces frappes ont endommagé ou détruits de nombreux équipements très chers et difficilement remplaçables: navires de ravitaillement, bombardiers Tu-22M3, avions  transporteurs Il-76, batterie S-400, etc. Pendant ce temps, la Russie a comme d'habitude gaspillé ses "missiles de haute précision" sur des écoles, des cathédrales, des silos à grains, etc.


On voit donc l'Ukraine prendre l'ascendant dans tous les domaines, y compris ceux où elle partait avec un désavantage gigantesque. Mais est-ce que ces succès suffisent à mettre l'armée russe dans une situation de "KO debout" c'est à dire dans une situation où, sans avoir perdu beaucoup de terrain, elle a perdu suffisamment d'équipements-clefs (artillerie, radars, DCA, etc) pour ne plus être capable de mener une défense efficace ? Hélas, rien ne le laisse supposer actuellement. Et surtout, même si l'Ukraine parvenait à mettre l'armée russe dans un tel état, aura-t-elle les moyens et le temps de percer les lignes russes puis d'exploiter dans la foulée ? Cela semble fortement compromis.

 

Une contre-offensive qui semble compromise


Déjà, sur le temps: l'automne avance à grand pas, et il ne reste plus aux Ukrainiens que quelques semaines pour réaliser cette percée puis l'exploiter avant le retour de la raspoutitsa. C'est court. 

Ensuite, sur les moyens. Il semble que toutes les brigades ukrainiennes sont maintenant engagées. Du moins, elles figurent près du front sur les cartes. Mais il m'est difficile de comprendre l'ordre de bataille ukrainien. Prenons par exemple le groupe de brigades au sud d'Orikhiv, qui semble maintenant porter la contre-offensive. Il y a en théorie 6 brigades mécanisées (33e, 47e, 65e, 116e, 117e et 118e), 2 brigades d'assaut aérien (46e et 82e) et 5 brigades de la garde nationale (3e, 11e, 12e, 14e, 15e) plus quelques autres unités. Soit, potentiellement, environ de 30 000 à 60 000 combattants dans un terrain de 100 km2. Cela devrait grouiller de monde. Or, il semble que ce ne soit pas le cas. Les assauts semblent être menés par seulement 3 brigades (46e, 47e, 82e) avec parfois l'appui de quelques autres unités. Pourquoi ?

De plus, la structure de commandement semble floue. Pour la contre-offensive, l'armée ukrainienne a créé 2 corps d'armée (9e et 10e). Michel Goya supposait que l'axe Orikhiv était sous la responsabilité d'un corps, et l'axe "Velyka Novosilka" d'un autre. Or, il semble au contraire que ces corps d'armée sont tous les deux sur l'axe Orikhiv, et que le 10e corps est seulement composé de 4 brigades + 1 bataillon "Skala": 46e, 116e, 117e et 118e. Les 47e et 82e ferait-elle partie du 9e corps ? avec les 33e et 65e brigades mécanisées ? C'est fort possible. Et qu'en est-il des 5 brigades de la garde nationale qui sont également dans le secteur ? Si oui, ça doit être un joyeux bordel de commander dans ce secteur, avec deux structures de même niveau commandant chacun des brigades qui doivent coopérer entre elles.

Cela dit, il est curieux que la contre-offensive (qui semble s'être uniquement focalisé sur l'axe Orikhiv) repose uniquement sur quelques brigades. Bien entendu, les Russes prétendent que c'est parce que toutes les autres brigades réservées pour la contre offensive ont été "détruites", mais c'est un très probablement mensonge. Si on se fie aux destructions répertoriées par Oryx, on sait que les Ukrainiens perdu seulement 10-15% du matériel donné pour la contre offensive. Même s'il faut augmenter ce chiffre pour tenir compte des pertes non répertoriées, on est encore loin de l'épuisement. En outre, une des brigades ayant subit le plus de perte (la 47e mécanisée) est justement une des trois brigades qui sont toujours à la pointe de l'attaque. Donc une fois écartée l'hypothèse de l'épuisement, comment expliquer que si peu de brigades ukrainiennes sont impliquées dans ce qui est pourtant la plus importante opération militaire de 2023 ?

La première explication (et la plus probable) est que les Ukrainiens manquent de munitions, de matériel de déminage, et qu'ils doivent se contenter d'attaquer avec seulement quelques brigades, car ils n'ont pas de quoi alimenter un effort offensif plus important.

La seconde explication serait que l'armée ukrainienne est trop désorganisée, que sa logistique est trop compliquée du fait de la diversité du matériel occidental livré, et que cela limite donc fortement ses capacités offensives, laissant donc une grande partie de son potentiel inexploité.

La troisième explication (et la moins probable) est que l'Ukraine s'apprête à lancer une nouvelle contre offensive ailleurs. Cela peut sembler impossible, car presque toutes les brigades ukrainiennes semblent sur le front, mais nous verrons qu'il y a (potentiellement) de la réserve. Notons que deux des meilleurs brigades ukrainiennes (92e et 93e) se trouvent actuellement à l'arrière pour être réorganisées/rééquipées. Notons aussi que certaines brigades (par exemple la 35e brigade de marine) ont été à la pointe de la contre-offensive, alors que sur le papier elles étaient engagées dans un autre secteur (Marinka, pour la 35e brigade). De plus, en fonction des secteurs, les unités sur place pourraient fournir un appui sérieux pour une contre-offensive.


Unités présentes @Pouletvolant3

 

Une nouvelle contre-offensive ?


Donc, tout en gardant à l'esprit que c'est peu probable, demandons-nous où pourrait avoir lieux cette contre-offensive surprise. J'avais indiqué 5 axes possibles pour la contre-offensive (juste avant que celles-ci ne débute) et les Ukrainiens ont effectivement attaqués sur 2 des 5 axes indiqués (que j'avais estimé être les plus probables). Reste donc 3 axes possibles.

Commençons par le secteur de Bakhmut, où les Ukrainiens ont reconquis un peu de terrain depuis mai. Il y a encore là bas de très bonnes unités ukrainiennes, qui pourraient contre-attaquer surtout si elles sont renforcées. Cependant, je pense que ce n'est plus le bon moment pour attaquer dans ce secteur. Le bon moment, c'était en juin - début juillet tout au plus. Depuis, les troupes russes (qui avaient remplacé Wagner à la va-vite) ont pu s'habituer au terrain et construire des lignes de défenses plus efficaces, ce qui rend le front plus difficilement perçable à cet endroit.

Plus intéressant est le secteur de Kherson où, depuis 2 mois, les Ukrainiens mènent des raids commandos et parviennent à maintenir une présence permanente sur la rive est du fleuve. Il semble que les forces russes dans ce secteur sont débordées (cf les plaintes de la 205e brigade), que leurs meilleures unités sont partie se battre du côté de Tokmak, aussi il y a une belle opportunité pour les Ukrainiens, s'ils arrivent à faire passer plusieurs brigades, de prendre rapidement du terrain et menacer toute la connexion terrestre avec la Crimée. Le problème, ici, est avant tout logistique. Il faut pouvoir acheminer et ravitailler (par bateau) plusieurs brigades pour pouvoir percer. Or, cela fait 3 mois que les Russes ont fait sauté le barrage de Nova Kakhovka, détruisant de fait un atout maître qu'ils avaient dans ce secteur. Si les Ukrainiens ont mis à profit ces 3 mois pour constituer une flotte de transport/ravitaillement conséquente (ne pas oublier que le principal chantier naval ukrainien est à Mikolaiv, à seulement 40km de Kherson), ils peuvent surprendre les Russes. Avec quelles unités ? il leur faudrait des brigades d'infanterie légère, et quelques troupes de choc pour les assauts. Idéalement, les troupes de marines, mais celles-ci sont déjà engagées sur l'axe "Velyka Novosilka". Mais le sont-elles vraiment ? De plus, lors de mon "bilan de juillet", j'avais souligné de beaucoup d'unités de défense territoriale avaient été retirées du front. Peut-être que ces brigades, moins équipées que les brigades mécanisées, seraient idéales pour ce type de mission. Cependant, elles n'ont probablement pas les compétences pour être utilisées dans un rôle offensif.

Les Russes mènent actuellement des opérations offensives au nord-est, sur la ligne de front Kupyansk-Lyman. Les Ukrainiens y ont donc dépêché des renforts. Maintenant, imaginons que d'ici quelques semaines,  les Russes sont obligés d'envoyer leurs dernières réserves (qui se trouvent dans la région nord) vers le sud, et que les unités russes de premières lignes sont affaiblies par plus d'un mois d'attaques infructueuses contre les défenses ukrainiennes. Cela serait alors une belle opportunité de contre-attaque aux Ukrainiens, d'autant qu'il semble que, dans la région, il n'y a qu'une seule ligne fortifiée russe (contre au moins 3 dans le sud). Cela pourrait justifier que les Ukrainiens fassent un raffut sur les "100 000 russes" présents dans le coin, et envoient donc logiquement des troupes en renfort. Ainsi, parmi les nouvelles brigades, il y a la au moins 4 brigades mécanisées (21e 32e, 43e, 88e) qui sont venues renforcer les unités déjà présentes. Si on y ajoute les 92e et 93e brigades, cela commencera à faire une force de frappe conséquente, si une opportunité se présente.

Enfin, il reste une dernière possibilité, complètement folle, a priori impossible même, mais qui, si elle réussit, offre la victoire en 15 jours à l'Ukraine. Il y a un endroit du front, certes très bien défendu, mais qui n'a qu'une seule ligne de défense. Et derrière cette ligne, rien: pas de champ de mine, pas de fortifications, et un énorme objectif stratégique. Percer à cet endroit demanderait aux ukrainiens qu'ils amassent, en toute discrétion, au moins une vingtaine de brigades, qu'ils accumulent assez de pièces d'artillerie et d'obus pour saturer les défenses russes, qu'ils soient ensuite capables de prendre les défenses russes en seulement quelques jours. Bref, une opération qui demande des mois de préparation discrète, un grand professionnalisme et d'énorme moyens, mais seulement quelques jours d'exécution car elle ne peut réussir que si la surprise est totale. Et quel meilleur moment pour cette opération que celui où les Russes sont persuadés que les Ukrainiens sont à bout de souffle, que toutes leurs unités sont engagées, qu'ils (les Russes) ne risquent plus rien ? Si les Ukrainiens parviennent à mener à bien ce plan, que je nommerais "plan D", cela restera dans les annales militaires.


Mais comme je l'ai dit, cela reste extrêmement improbable. Le plus probable, c'est qu'il n'y aura pas de nouvelle offensive surprise ukrainienne, et que dans un ou deux mois, il faudra faire le bilan final de cette opération qui se déroule actuellement au sud.


NB: je conseille la lecture de cet article très fouillé sur la contre-offensive ukrainienne

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