jeudi 3 août 2023

Contre-offensive ukrainienne : bilan du mois de juillet

Le mois de juillet s'est terminé, et il confirme les tendances que je pointais déjà le mois dernier.

Si on regarde uniquement les cartes, l'offensive Ukrainienne piétine: les avancées territoriales sont quasiment nulles: si les Ukrainiens progressent toujours dans le sud comme à proximité de Bakhmut, c'est toujours à une vitesse d'escargot asthmatique. Et dans le nord (oblast de Luhansk), c'est la Russie qui a réalisé quelques avancées, qui sont elles aussi minimes mais compensent les gains Ukrainiens ailleurs.


Mais si, comme je le supposais le mois dernier, l'armée ukrainienne a une stratégie à long terme de destruction des moyens de défense russes (artillerie, MLRS, DCA, équipement spéciaux), ce qui compte, ce n'est pas le territoire, mais les pertes russes.


Pertes et fracas

Les pertes russes sont, de toute évidence, très importantes sur le plan matériel. Les pertes russes annoncées par les officiels ukrainiens sont légèrement inférieures en juillet par rapport au mois de juin, mais dans l'ensemble ces trois derniers mois ont vu des pertes russes très supérieures à la moyenne. En fait, cette augmentation des pertes russes avait commencé en mars, avant de s'accélérer en mai puis encore en juin avec le début des offensives terrestres ukrainiennes. Il y a 4 catégories à surveiller en particulier: artillerie, MLRS, DCA et équipements spéciaux. Pour chacune, je vais donner les chiffres mensuels habituels (c'est à dire avant mars 2023) puis les chiffres de mars > avril > mai > juin > juillet

  • Artillerie (habituellement de 100 à 200/mois): 290 (mars) > 238 (avril) > 553 (mai) > 688 (juin) > 677 (juillet)
  • MLRS (habituellement de 10 à 65/mois): 48 (mars) > 17 (avril) > 31 (mai) > 57 (juin) > 67 (juillet)
  • DCA (habituellement de 5 à 40/mois): 32 (mars) > 16 (avril) > 38 (mai) > 56 (juin) > 73 (juillet)
  • Équipements Spéciaux (habituellement de 10 à 30/mois): 66 (mars) > 63 (avril) > 99 (mai) > 122 (juin) > 138 (juillet)

On voit que pour l'artillerie et les équipements spéciaux, la "chasse" s'est bien ouverte en mars et qu'il y a une accélération ces derniers mois; il y a bien une stratégie à long terme, qui a commencé bien avant les premiers mouvements offensifs ukrainiens début juin.

Bien sûr, ces chiffres sont probablement surestimés (je pense qu'il faut retirer 1/3, voir 1/2 aux chiffres annoncés par les Ukrainiens pour avoir une estimation plus proche de la réalité). Les pertes confirmées par Oryx sont également supérieures à la moyenne (dans de moindre proportions); les pertes russes et ukrainiennes, d'après Oryx, sont en gros de 3:2 en faveur des Ukrainiens, alors que le rapport global est plutôt du 3:1 en leur faveur. Les pertes ukrainiennes (surtout en ce qui concerne les chars et blindés) sont loin d'être négligeables, mais ne représentent au final que 10-20% des dotations des nouvelles brigades ukrainiennes. Cela dit, étant donné que ce que les Ukrainiens tapent (artillerie principalement) est probablement très sous-estimé par Oryx, ce qui fait que le rapport des pertes est probablement un peu plus favorable à l'Ukraine que les chiffres qui sortent.


Redéploiement

Concernant le déploiement des brigades ukrainiennes, j'ai récemment fait un état des lieu des nouvelles brigades ukrainiennes. Globalement, il n'y a que très peu de nouvelles brigades engagées en offensive (6 sur 36), mais beaucoup plus engagées en défense ou en seconde ligne (17 brigades). Sur ces 17 brigades, 4 sont affectées au nord (secteurs Kupiansk -> Kremina), 4 à l'est et donc 9 au sud, selon les cartes de déploiement de l'Etat-Major ukrainien.

On remarque que les brigades de défense territoriales (qui, il y a un an, "tenaient" la plupart du front), sont maintenant en retrait. Il n'y a officiellement qu'une quinzaine de ces brigades qui sont proches du front, avec seulement 5 qui sont a priori en première ligne: la 105e près de Kupiansk, la 103e près de Svatove, la 116e du coté de Marinka, la 109e du côté de Vuhledar, la 102e proche de Hulliapole. Ces brigades tenaient encore majoritairement le sud et le secteur de Kupiansk/Svatove, mais ce n'est plus le cas depuis le début de la contre-offensive ukrainienne et les renforts amenés au nord du front.

Cette "mise en retrait" des brigades de défense territoriale s'explique principalement par le plus grand nombre de brigades de manœuvre dont dispose maintenant l'Ukraine, et qui suffisent maintenant à couvrir presque tout le front. Il est aussi possible (ce n'est qu'une simple hypothèse de ma part, mais ce serait logique) qu'une partie de l'effectif des nouvelles brigades ukrainiennes vient directement des brigades de défense territoriale plutôt que de la conscription de personnes n'ayant pas encore combattu, ce qui aurait pour conséquence d'affaiblir les brigades de défense territoriale.


Conclusion

Il n'y a donc pas grand chose à ajouter à ce que je disais le mois dernier: les Ukrainiens sont dans une stratégie d'affaiblir les Russes avant de tenter de percer. A titre personnel, je suis un peu plus confiant dans mes analyses depuis que des analystes bien plus compétents que moi (Michel Goya, Guillaume Anselme, etc) ainsi que des officiers ukrainiens parlent ouvertement de cette stratégie d'affaiblissement préalable à une possible percée. Mais si cette stratégie semble solide, encore faut-il pouvoir la mettre en œuvre tant que la météo le permet. Or, cela fait déjà 2 mois que l'offensive ukrainienne a commencé, et il reste à peu près le même temps jusqu'aux pluie d'automne. Si les Ukrainiens veulent pouvoir exploiter une percée, il faudrait que celle-ci se produise au plus tard début septembre, ce qui ne laisse qu'au plus un mois pour amener les Russes au point de rupture.

Est-ce que ce sera suffisant ? Seul l'avenir nous le dira. Nous seront fixés, au plus tard, mi-septembre, et seulement à ce moment là que nous pourrons dresser un vrai bilan pour cette contre-offensive ukrainienne. Ce qui me rassure un peu, c'est des interview comme celle de "Arty Green" (un officier de la 45e brigade d'artillerie ukrainienne), qui affirme que c'est effectivement la stratégie ukrainienne et qui  estime que le point de rupture des Russes est proche. Espérons qu'il a raison.





4 commentaires:

  1. Je me permets de vous renvoyer à un article paru sur War on the rocks (https://warontherocks.com/2023/08/why-ukrainian-soldiers-have-to-learn-to-fight-on-youtube-and-how-to-change-that/) et écrit par un officier des forces spéciales US, qui s'est rendu en Ukraine pour y former des soldats. Je crains, si je fais confiance à ce témoin qui s'est rendu sur le terrain, que l'attrition réelle soit surtout celle de l'armée ukrainienne.

    Il pointe aussi les difficultés que l'entrainement prodigué par l'OTAN crée au sine de l'arme ukrainienne, mais tout cela avait déjà été expliqué par le col BAUD l'automne dernier.

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  2. Et dans un nouvel article du New York Times (https://www.nytimes.com/2023/08/07/world/europe/ukraine-marines-counteroffensive.html#commentsContainer), aussi écrit par un journaliste qui s'est rendu sur place, il est dit:

    But some brigades suffered heavy losses in the initial stages of this summer’s counteroffensive, struggling to advance against the formidable Russian defenses. At least one new brigade was so badly debilitated from casualties that it was withdrawn from the battlefield to rebuild. Et lpus loin: The Ukrainian military does not release numbers of dead and wounded, but Oleksandr acknowledged that his brigade had taken heavy casualties in the first days of the counteroffensive in June, when his troops ran into minefields and came under an onslaught of Russian artillery and airstrikes.

    Et encore: Those heavy early losses led to public recriminations in Ukraine, most notably from a popular soldier and blogger, Valerii Markus, who wrote a Facebook post accusing his superior officers of incompetence and of a careless disregard for the morale of the soldiers.

    Sur le site du col GOYA, on se gaussait des mobiks russes. Mais les Ukrainiens disent: Soldiers along the front line blamed commanders for pushing raw recruits into battle and using untested units to spearhead the counteroffensive.

    Quant à la victoire de Kherson, on nous explique maintenant que ce fut une boucherie: The heavy losses were not a shock to them. Most of the commanders said that they had seen units, including their own, decimated at times during the past 16 months of fighting. The battalion commander, Oleksandr, said that casualties were so high during the counteroffensive in Kherson last year that he had been forced to replace the members of his unit three times.

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  3. Et après le New York Times, c'est au clairon du parti démocrate d'en rajouter une couche: https://edition.cnn.com/2023/08/08/politics/ukraine-counteroffensive-us-briefings/index.html

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    1. Mon cher Orekhdin, personne ne lit vos commentaires et ils n'auront absolument aucuns impacts sur les évènements en cours... Néanmoins le peu de brigades mobilisées pourr cette " contre offensive" illustrent juste le fait de simples reconnaissances en forces..Les contre offensives se dérouleront dès que la Crimée sera isolée et/ou suffisament de noeuds logistiques et dépôts d'armements détruits ce qui est en cours actuellement... un peu de patience donc !

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