lundi 25 mars 2024

Critique d'un article publié par Les Crises

Petite critique de l'article "La CIA en Ukraine : pourquoi n’est-ce pas considéré comme une provocation ?" traduit et publié par Les Crises, site d'Olivier Berruyer, dont le biais pro-Poutine est bien connu. Sur la guerre en Ukraine, Berruyer n'a JAMAIS publié des tribunes ou analyses favorables à l'Ukraine, et a au contraire très souvent publié des écrits pro-russes et/ou anti-occidentaux. On se souvient aussi de la prestation de Berruyer à Arrêt sur Images, où il avait été invité sur l'affaire du vol MH17, durant laquelle il avait usé de toute sa mauvaise foi légendaire pour s'opposer à l'enquête de Jean-Marc Manach et de Bellingcat. Or, l'enquête internationale puis le procès au Pays-Bas ont largement validé la plupart des informations révélées par Bellingcat et ont condamné les coupables russes, notamment le maintenant célèbre Igor Girkin. Berruyer n'a, à ma connaissance, jamais reconnu son erreur.

Certains font semblant d'ignorer que ce n'est pas parce que l'article en question reprend des informations du New York Times (à supposer que ces informations soient vraies) que ce n'est pas de la propagande. Il a suffit à son auteur, Mark Episkopos (connu pour son biais pro-russe) de simplement sélectionner les faits qui l'arrangent tout en ignorant ceux qui ne l'arrangent pas (cherry picking), de glisser ici et là quelques remarques perfides, de prendre des libertés avec la chronologie et/ou de passer sous silence le contexte pour produire au final un article trompeur qui ne vise pas à informer, mais à défendre les thèses de Poutine.

 

Commençons par "l'éléphant dans la pièce" dont Mark Episkopos évite soigneusement de parler: l'invasion de l'Ukraine, par la Russie, en 2014. Il parle bien de la révolution de Maidan, mais c'est tout. Pas un mot sur l'invasion de la Crimée et d'une partie du Donbas. Cet "oubli" lui permet de faire croire que c'est l'Ukraine qui aurait "provoqué" la Russie en commençant une coopération avec la CIA et le MI6, alors qu'au contraire c'est suite à l'invasion  surprise de la Crimée par les Russes, qui a révélé que les services secrets russes avaient largement infiltré les instances militaires et civiles de l'Ukraine qu'est devenu évidente, pour l'Ukraine, la nécessité de devoir éliminer les agents russes et d'avoir de meilleurs renseignements concernant les agissements de la Russie. Notons également que les 12 « bases d’opérations avancées » secrètes de la CIA le long de la frontière ukrainienne avec la Russie n'ont été établies qu'à partir de 2016, deux ans après le début du conflit (information disponible dans l'article du NYT, mais là encore passée sous silence par Mark Episkopos). Ce petit arrangement avec la chronologie permet à l'auteur d'inverser les causes et les conséquences: le rapprochement entre l'Ukraine et la CIA n'est pas la cause, mais la conséquence de l'invasion russe, qui a commencé en 2014.

NB: les plans d'invasion de l'Ukraine étaient établis bien avant 2014; les premiers éléments de ces plans ont commencé à être mis en place dès 2009.


Autre information disponible dans l'article du NYT mais "oubliée" par Mark Episkopos: la CIA formaient les Ukrainiens à des opérations de guérilla (car ils pensaient que l'armée russe pourrait facilement occuper toute l'Ukraine), mais ne les encourageait pas à opérer dans les territoires alors occupés par les Russes. Autrement dit: les Américains préparaient l'Ukraine en renforçant ses défenses dans l'hypothèse d'une invasion russe à plus grande échelle, qui est effectivement advenue en 2022, mais ne la préparaient pas à ne serait-ce que libérer les territoires occupés, et encore moins à attaquer directement les Russes. Mark Episkopos se trompe donc (ou ment délibérément) lorsqu'il écrit: " Cette coopération, comme le souligne minutieusement le Times, est allée bien au-delà de l’aide apportée à l’Ukraine pour se défendre contre la Russie dans un sens étroit et technique "  -> non, l'aide n'est pas allée au delà de ce qui était nécessaire à la défense de l'Ukraine.

Enfin, et bien qu'il s'en défende, l'auteur passe longtemps à justifier le point de vue du Kremlin, sans jamais rappeler une évidence: à chaque fois que le Kremlin parle d'obtenir des "garanties de sécurité", ce qu'il entend par là c'est obtenir le droit de faire tout ce qu'il veut (y compris soumettre par la force) dans une aire géographique que le Kremlin veut toujours plus grande. Si le Kremlin considère comme une "provocation" le fait que l'Ukraine demande et obtienne l'aide des USA pour se défendre, alors même que la Russie l'avait attaqué et occupait illégalement une partie de son territoire, au mépris des traités qu'elle avait signés et de l'ordre international, si la Russie "joue la victime" alors qu'elle est l’agresseur, alors non seulement il s'agit bien d'une vision paranoïaque (ce que Mark Episkopos admet du bout des lèvres), mais surtout qu'on ne peut pas laisser agir la Russie faire ce qu'elle veut sans sacrifier la paix et la liberté des peuples d'Ukraine, des pays baltes,  de Moldavie, de Pologne et sans doute d'autres pays de l'Europe de l'est. Et plus la Russie se montrera agressive, plus ses voisins chercherons l'aide des USA pour se protéger (cf l'entrée de la Suède et de la Finlande dans l'OTAN), et plus l'enjeu sera grand. 

Mais derrière cette paranoïa affichée, les dirigeants russes savent bien que l'OTAN ne les attaquera pas. L’extension de l'OTAN les emmerde car il leur est plus difficile de menacer leurs voisins quand ceux-ci sont dans l'OTAN (mentalité de mafieux). Poutine & co savent très bien que l'arsenal nucléaire russe est suffisant pour garantir que personne ne cherchera à l'envahir. C'est pourquoi, par exemple, ils dégarnissent toutes leurs frontières avec l'OTAN de matériel militaire pour l'envoyer en Ukraine. Ce n'est pas le comportement d'un pays qui craint l'OTAN, juste d'une puissance militaire à la peine en Ukraine qui cherche à gagner par tous les moyens, tout en agitant la peur pour empêcher les Occidentaux de faire ce qu'il doivent faire: armer massivement l'Ukraine pour lui permettre de gagner le plus rapidement possible cette guerre horrible. 

 

Donc au final, l'article de Mark Episkopos reprend tous les poncifs de la propagande russe sur les causes de la guerre (probablement car il partage la vision erronée de Mearsheimer).

lundi 18 mars 2024

Lettre à mon député

NB: vous pouvez reprendre cette lettre, en la modifiant au besoin, en particulier les passages sur le vote pour l'aider à l'Ukraine (vérifiez ce qu'a voté votre député) et le soutien  à la proposition Haddad/Bayou

 

Monsieur le Député,

 

Je vous écris au sujet de la guerre en Ukraine. Comme beaucoup de Français, c'est un problème qui me préoccupe fortement depuis maintenant plus de deux ans.


Deux ans que, chaque nuit ou presque, la Russie continue ses attaques terroristes à coups de missiles, de drones kamikaze et de tirs d'artillerie lourde contre les villes et villages ukrainiens. La Cour Pénale Internationale a récemment émis deux mandats d'arrêt contre l'amiral Sokolov et le général Kobylach qui ont donné l'ordre de mener ces bombardements meurtriers contre des civils. L'exemple récent de la double frappe à Odessa, où les Russes ont délibérément utilisés deux missiles très précis (un pour frapper un immeuble d'habitation, le second pour tuer les secouristes alors qu'ils aidaient les victimes de la première frappe) montre que les Russes cherchent à maximiser le nombre de victimes civiles, ce qui est un crime de guerre.

Deux ans que les territoires occupés par l'armée russe sont le théâtre d'exécutions sommaires, de scènes de torture, et de déportation des enfants ukrainiens, un crime pour lequel Vladimir Poutine est lui aussi poursuivi devant la Cour Pénale Internationale. Ce dernier crime, particulièrement horrible, est encore pire quand on sait le destin que Poutine réserve à ces enfants: les endoctriner puis les utiliser comme "chair à canon" pour sa prochaine guerre, comme l'ont annoncé des journalistes de la télévision publique russe. Certains pourraient croire que cet avis n'engage pas le Kremlin, mais c'est mal connaître la Russie de Poutine.

Dans cette Russie-là, il n'y a plus de liberté d'expression: ceux qui s'opposent à Vladimir Poutine, comme Anna Politkovskaïa ou plus récemment Alexei Nalvany, sont condamnés à de la prison et/ou assassinés. Les "journalistes" qui apparaissent régulièrement à la télé russe sont donc tous, sans exception, de simples relais de la propagande du Kremlin. Aussi quand des gens comme Vladimir Soloviev ou Dimitri Medvedev menacent chaque jour ou presque de larguer des bombes H sur les différentes capitales européennes ou de déporter les Ukrainiens en Sibérie pour les "rééduquer", ils sont la voix du pouvoir russe. Poutine ne cache donc pas à sa population son ambition impérialiste ni la méthode brutale qu'il compte employer pour soumettre non seulement l'Ukraine, mais aussi le reste de l'Europe.

 

Face à cette menace clairement formulée, que fait la France ? Certains hommes politiques français veulent négocier, espérant qu'un traité accordant des gains territoriaux aux Russes suffira à stopper Poutine. C'est vite oublier que les victoires de Poutine en Tchétchénie (2000) et en Géorgie (2008) n'ont pas réduit les ambitions de Poutine, bien au contraire. Ces mêmes hommes politiques français affirment que si l'Ukraine se déclare "neutre" (hors de l'OTAN), Poutine ne l'envahira pas une nouvelle fois. Or, l'Ukraine était neutre en 2014 quand les forces spéciales russes ont envahi la Crimée et une partie du Donbas. La Russie était pourtant une des garantes des frontières de l'Ukraine, qu'elle avait reconnu formellement. Elle était tout aussi neutre en 2022 quand Poutine a décidé de lancer son invasion de l'ensemble du pays.

La vérité est donc que Poutine se contrefiche des traités qu'il signe, des résolutions de l'ONU (comme celles interdisant le commerce d'armes avec la Corée du nord, et que la Russie avait votées). La seule chose qui a empêché les Russes de conquérir Kyiv, ce qui les a chassé de Kharkiv et de Kherson, ce ne sont pas des accords diplomatiques ou de belles promesses, mais bien le courage des Ukrainiens et la force des armes. 


Or, des armes et des munitions, les Ukrainiens en manquent cruellement en ce moment, ce qui explique leur défaite à Avdiivka début 2024. Plus que jamais, l'Ukraine a donc besoin de l'aide de la France pour gagner cette guerre que Vladimir Poutine impose à tous. Je donc tiens à vous remercier pour votre vote favorable, le 12 mars 2024, sur la stratégie d'aide à l'Ukraine. Mais je crains que cette stratégie qui vient d'être votée manque encore d'ambition pour faire face à l'ampleur de cette guerre et par les ressources que la Russie moblise. En effet, celle-ci est en pratique (et non seulement en parole) passée à une économie de guerre, dépensant chaque année plus de 100 milliards de $ pour son effort de guerre, tandis que le soutien américain à l'Ukraine est de plus en plus incertain, car Donald Trump y est opposé.

Il y a quelques jours, Victor Orban a rencontré Donald Trump, et a confirmé que ce dernier supprimera toute aide à l'Ukraine s'il revient au pouvoir. Par ailleurs, Donald Trump a aussi déclaré qu'il laissera tomber les Européens  et encouragera même la Russie à les envahir. Or, une victoire de Donald Trump est possible, si ce n'est probable, en novembre prochain, et il faut que la France et l'Europe se préparent à cette éventualité. D'autant plus que, même si Trump perd les élections, il serait tenté d'obtenir par la sédition ce qu'il n'aurait pas obtenu par les urnes, de manière bien plus vicieuse et/ou bien plus violente que ce qui s'est passé le 6 janvier 2021. Ces futurs problèmes doivent être anticipés dès maintenant, quoi qu'il en coûte.


Il faut donc que l'Europe se donne les moyens de vaincre militairement la Russie sans le soutien des USA, et la France, en tant que première puissance militaire de l'Union Européenne, se doit d'être à la hauteur. La France peut en faire plus, doit en faire plus, pour augmenter sa production d'armes et de munitions et en livrer à l'Ukraine. Une tribune publiée dans Le Monde (31/01/2024) et une pétition, initiée par l'association "Pour l'Ukraine, pour leur liberté et la notre!", posent les bases de ce qu'il faudrait faire:

  • augmenter la cession, la fabrication et les livraisons d’armes et de munitions ;
  • donner des garanties aux industriels de l’armement ;
  • se doter, avec nos partenaires européens, d'un organisme de contrôle pour assurer un embargo strict sur l’exportation des technologies duales ;
  • encourager la mutualisation des outils de production, civils et militaires, au service de la défense ;
  • mobiliser de nouvelles ressources financières en faveur de l’aide à l’Ukraine.

Cela nécessite un effort budgétaire conséquent et qui doit être débloqué en urgence, puis continué sur une longue durée pour être efficace. Je suis conscient, Monsieur le Député, que vous devez recevoir de part et d'autres de nombreuses sollicitations pour consacrer plus d'argent public pour régler tel ou tel problème. Il existe cependant des moyens de mobiliser pour l'Ukraine les avoirs russes "gelés" dans nos banques, comme le proposent vos collègues Julien Bayou et Benjamin Haddad, et je vous remercie de soutenir cette proposition.

Je sais aussi que d'autres problèmes peuvent sembler plus urgents selon ce qui se dit dans les média. Mais si j'attire votre attention sur ce problème aujourd'hui, c'est parce que nous sommes maintenant au pied du mur, que Donald Trump sera peut-être élu très prochainement, et que depuis deux ans la France, comme les autres pays occidentaux, n'anticipe pas assez. Et chaque fois que nous tergiversons,  chaque fois que nous reportons notre aide, chaque jour qui passe, les Ukrainiens en paient le prix du sang, et cela m'est insupportable.

Aussi je vous serai gré, Monsieur le Député, d'en parler à vos collègues (notamment ceux qui siègent à la Commission de la Défense Nationale) et de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour que la France mobilise immédiatement ses ressources afin de donner à l'Ukraine les moyens de vaincre la Russie, défendant ainsi sa liberté (et la notre) et assurant sa sécurité et son avenir (et le notre).


Je vous prie d'agréer, Monsieur le Député, l'expression de mes sentiments distingués.


mardi 5 mars 2024

Contre-offensive ukrainienne : bilan du mois de février

Comme chaque mois, voici un petit bilan du mois de février 2024, à mettre en perspective avec les constats que j'avais faits fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre, fin novembre, fin décembre 2023 ainsi que fin janvier 2024.

Contrairement à ce que j'ai écrit ces six derniers mois, cette fois-ci, le front a bougé, et pas dans la bonne direction. Les Russes ont pris Avdiivka et progressent au-delà, vers l'ouest. De plus, ils attaquent (et réalisent quelques avancées) du côté de Robotyne, Novomykhailivka, Bakhmut, Vessele, Terny, etc. Les Ukrainiens souffrent d'un manque de munitions et doivent reculer. Si, en terme de surface, ces avancées sont encore minimes; il s'agit à chaque fois de fortifications qui tenaient le front et qui sont tombées aux mains des Russes.


Février 2024: les pertes russes au plus haut

Je rappelle les pertes russes telles qu'annoncées par les officiels Ukrainiens dans les 4 catégories à surveiller: Artillerie, MLRS, DCA et équipements spéciaux. Pour chacune, je vais donner les chiffres mensuels habituels (c'est-à-dire jusqu'à février 2023) puis les chiffres de mars > avril > mai > juin > juillet > août > septembre > octobre  > novembre > décembre 2023 > janvier 2024 > février 2024

  • Artillerie (de 100 à 200/mois): 290 (mars) > 238 (avril) > 553 (mai) > 688 (juin) > 677 (juillet) > 691 (août) > 947 (septembre) > 873 (octobre) > 682 (novembre) > 555 (décembre) > 731 (janvier) > 875 (février)
  • MLRS (de 10 à 65/mois): 48 (mars) > 17 (avril) > 31 (mai) > 57 (juin) > 67 (juillet) > 36 (août) > 63 (septembre) > 47 (octobre) > 66 (novembre) > 33 (décembre) > 31 (janvier) > 26 (février)
  • DCA (de 5 à 40/mois): 32 (mars) > 16 (avril) > 38 (mai) > 56 (juin) > 73 (juillet) > 38 (août) > 37 (septembre) > 25 (octobre) > 39 (novembre) > 23 (décembre) > 40 (janvier) > 27 (février)
  • Équipement Spécial (de 10 à 30/mois): 66 (mars) > 63 (avril) > 99 (mai) > 122 (juin) > 138 (juillet)  > 113 (août) > 102 (septembre) > 84 (octobre) > 108 (novembre) > 144 (décembre) > 184 (janvier) > 149 (février)

Ces chiffres sont toujours aussi faramineux; le mois de février 2024 est celui qui a vu le plus de destruction de matériel russe (dépassant, de peu, le record d'octobre 2023), et le second mois le plus meurtrier pour l'armée russe (28,5k, pas loin du record de décembre 2023) selon les chiffres publiés par le ministère de la défense ukrainien et analysés par Ragnar Bjartur Gudmundsson.

Les chiffres donnés plus haut couvrent dont maintenant 12 mois. Et donc, que l'on peut comparer les pertes durant la première année, et durant la seconde année de la guerre:

  • Artillerie: 2270 soit 190/mois (1ere année); 7800 soit 650/mois (2eme année)
  • MLRS: 478 soit 40/mois (1ere année); 522 soit 43/mois (2eme année)
  • DCA: 246 soit 21/mois (1ere année); 444 soit 37/mois (2eme année)
  • Equipements spéciaux: 228 soit 19/mois (1ere année); 1373 soit 114/mois (2eme année)

Il y a donc bien eu un changement de rythme en ce qui concerne l'artillerie (x3,5) et les équipement spéciaux (x6). Pour les deux autres catégories, l'augmentation est bien plus modeste. Est-ce pour autant que cela a suffit pour réduire les capacités offensives russes ? Les récentes avancées russes à Avdiivka et ailleurs laissent penser que non. Est-ce parce que la Russie a réussi à générer assez de nouvelles forces pour compenser ses pertes immenses ? Ou bien est-ce juste une illusion, l'armée russe ne pouvant avancer que grâce à la conjonction de l'apport en munitions nord coréennes et la pénurie de munitions et de matériel suite à l'arrêt de l'aide américaine ? Probablement un peu des deux.



Succès russe terrestre, succès ukrainiens maritimes et aériens

Comme je l'ai dit plus haut, les Russes ont, contrairement aux 4 mois précédents, réalisé des avancées significatives à plusieurs endroits, la plus importante étant la prise d'Avdiivka. Bien qu'il s'agit d'une victoire à la Pyrrhus, l'armée russe a offert à Poutine sa "victoire" avant la pseudo-élection présidentielle russe. Et elle ne s'arrête pas là car elle "pousse" au-delà d'Avdiivka, profitant de la faiblesse des défenses ukrainiennes justes derrière la ville-forteresse.

Notons cependant que le "rapFeu" est actuellement proche de 10:1 en faveur des Russes, et il faut remonter à avril-juin 2022 pour avoir un "rapFeu" autant à l'avantage des Russes. Or, leur progression (y compris dans le secteur d'Avdiivka où elle a été la plus spectaculaire) reste modeste. Elle est en tous cas plus faible que leur progression d'avril-juin 2022. Comme je le disais déjà le mois dernier, cette situation est à la fois une mauvaise nouvelle pour les Ukrainiens (le rapport est très défavorable, et ils perdent du terrain) et pour les Russes (leur progression est très lente, avec beaucoup de pertes).

A l'inverse, les Ukrainiens ont obtenu des résultats spectaculaires à la fois sur la Mer Noire et dans les airs. Les Ukrainiens ont coulé deux navires de guerre russes à l'aide de leurs drones maritimes: la corvette lance-missile Ivanovets (1er février) et le navire de ravitaillement Cesar Kounikov (14 février). La flotte russe est de plus en plus réduite, et incapable de mener à bien ses missions. D'ailleurs, contrairement à l'an dernier, il n'y a que très peu de missiles qui sont tirés depuis des navires. Plus généralement, les "vagues de missiles russes", qui n'étaient pas bien nombreuses en janvier, ont également diminué en nombre au mois de février. Si leur effet militaire semble faible, en revanche il y a toujours des civils qui sont victimes de ces attaques criminelles par missiles et drones Shahed.

Après deux succès maritimes au cours de la première quinzaine de février, c'est dans les airs que les Ukrainiens ont obtenu leur plus beau succès la seconde quinzaine de février. l'Ukraine dit avoir détruit 13 avions: 1 A-50U, 2 Su-35, 10 Su-34. Si toutes ces destructions ne sont pas confirmées, celle du A-50U l'est, et c'est une énorme perte pour la Russie. Un de ces appareil avait déjà été endommagé en 2023. Un autre a été détruit en janvier. La perte d'un second A-50U, alors que la Russie possédait peut-être 7 de ces appareils capables de voler en 2022, est fortement handicapante pour l'armée de l'air russe. La Russie ne peut guère se permettre de perdre plus d'A50U,  ce qui prive la Russie d'une capacité de détection aérienne à longue distance tant qu'ils n'ont pas réussi à contrer les Ukrainiens. Ce qui compromet à la fois leur défense anti-aérienne et leur capacité de guider leurs bombardiers Su-34, expliquant ainsi l'augmentation des pertes de ces appareils. Quoi qu'il en soit, il semble que l'aviation russe a maintenant de gros problèmes, et ne peut pas se permettre de perdre des Su-34 indéfiniment. Si les pertes russes continuent à ce rythme, les Russes vont se faire chasser du ciel ukrainien comme ils se sont fait chassés de la Mer Noire. C'est d'ailleurs explicitement l'objectif stratégique ukrainien, comme l'explique Xavier Tytelman.

 

 

Déblocage en Europe, blocages aux USA

Enfin, sur le "deuxième front" (celui du soutien occidental), les choses évoluent. Début février, Victor Orban a cessé de bloquer l'aide de l'Union Européenne à l'Ukraine (50 milliards d'euros), puis a laissé le parlement hongrois ratifier l'adhésion de la Suède à l'OTAN. Je ne sais pas comment les européens ont réussi à faire sauter ce verrou, mais le résultat est là: l'aide à l'Ukraine, de la part de l'UE, va continuer, et les dirigeants pro Poutine (Orban et Fico) n'ont pas le poids politique pour s'y opposer. Les 50 milliards votés pour l'Ukraine ne sont pas directement une aide militaire (pas plus que l'adhésion de la Suède à l'OTAN), mais cela montre que les Européens arrivent, pour le moment, à neutraliser les pions du Kremlin.

De plus, les européens annoncent des aides militaires de plus en plus sérieuses, même si la montée en puissance est trop lente et ne compense pas la fin du soutien américain. La sortie de Macron sur l'envoi de troupes en Ukraine, même si elle a été faite au mauvais moment, montre que les Européens commencent enfin à prendre conscience de la menace russe et des efforts qu'ils devront consentir. En particulier, le fait que le président tchèque arrive à "trouver" 800 000 obus au moment où ceux-ci font défaut à l'Ukraine est une preuve que l'Europe est prête à sortir des sentiers battus pour faire face à l'urgence. Ça bouge: toujours dans l'urgence, toujours trop tard, mais ça bouge.

En revanche, de l'autre côté de l'Atlantique, c'est l'inverse qui se produit: la paralysie est complète. Les USA se révèlent être le maillon faible faible du camp occidental. Or, tout repose encore sur eux: militairement et économiquement, ils sont indispensables. Mais la dérive d'une partie de la droite américaine, plus précisément Donald Trump, bloque toute aide américaine. Le sénat a bien voté un "paquet d'aide" dont 61 milliards pour l'Ukraine, mais cette aide ne sera effective que si la chambre des représentants la vote aussi. 

Or, le speaker Mike Johnson use de tous les prétextes et de toutes les procédures pour ne pas le faire. Après avoir refusé de considérer un compromis sur l'immigration en plus de l'aide à l'Ukraine et autres pays, il rejette le texte voté par le sénat car il ne comprend pas ce compromis. Reste la possibilité de la procédure appelée "discharge petition", qui demande une majorité absolue de signataires (donc au moins un petit nombre de républicains) et qui prend du temps.


Conclusion

Ce mois de février est donc très contrasté. Les choses ont bougé, mais dans des directions opposées. Par certains aspects, ça a été un bon mois pour les Russes (prise d'Avdiivka, aide américaine toujours bloquée, etc), d'un autre côté, les Ukrainiens ont aussi des raisons de se réjouir (pertes russes très importantes, espoir d'avoir à terme les munitions dont ils ont besoin). On arrive donc à un point de bascule, difficile de savoir dans quel sens la guerre va basculer.

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