lundi 25 mars 2024

Critique d'un article publié par Les Crises

Petite critique de l'article "La CIA en Ukraine : pourquoi n’est-ce pas considéré comme une provocation ?" traduit et publié par Les Crises, site d'Olivier Berruyer, dont le biais pro-Poutine est bien connu. Sur la guerre en Ukraine, Berruyer n'a JAMAIS publié des tribunes ou analyses favorables à l'Ukraine, et a au contraire très souvent publié des écrits pro-russes et/ou anti-occidentaux. On se souvient aussi de la prestation de Berruyer à Arrêt sur Images, où il avait été invité sur l'affaire du vol MH17, durant laquelle il avait usé de toute sa mauvaise foi légendaire pour s'opposer à l'enquête de Jean-Marc Manach et de Bellingcat. Or, l'enquête internationale puis le procès au Pays-Bas ont largement validé la plupart des informations révélées par Bellingcat et ont condamné les coupables russes, notamment le maintenant célèbre Igor Girkin. Berruyer n'a, à ma connaissance, jamais reconnu son erreur.

Certains font semblant d'ignorer que ce n'est pas parce que l'article en question reprend des informations du New York Times (à supposer que ces informations soient vraies) que ce n'est pas de la propagande. Il a suffit à son auteur, Mark Episkopos (connu pour son biais pro-russe) de simplement sélectionner les faits qui l'arrangent tout en ignorant ceux qui ne l'arrangent pas (cherry picking), de glisser ici et là quelques remarques perfides, de prendre des libertés avec la chronologie et/ou de passer sous silence le contexte pour produire au final un article trompeur qui ne vise pas à informer, mais à défendre les thèses de Poutine.

 

Commençons par "l'éléphant dans la pièce" dont Mark Episkopos évite soigneusement de parler: l'invasion de l'Ukraine, par la Russie, en 2014. Il parle bien de la révolution de Maidan, mais c'est tout. Pas un mot sur l'invasion de la Crimée et d'une partie du Donbas. Cet "oubli" lui permet de faire croire que c'est l'Ukraine qui aurait "provoqué" la Russie en commençant une coopération avec la CIA et le MI6, alors qu'au contraire c'est suite à l'invasion  surprise de la Crimée par les Russes, qui a révélé que les services secrets russes avaient largement infiltré les instances militaires et civiles de l'Ukraine qu'est devenu évidente, pour l'Ukraine, la nécessité de devoir éliminer les agents russes et d'avoir de meilleurs renseignements concernant les agissements de la Russie. Notons également que les 12 « bases d’opérations avancées » secrètes de la CIA le long de la frontière ukrainienne avec la Russie n'ont été établies qu'à partir de 2016, deux ans après le début du conflit (information disponible dans l'article du NYT, mais là encore passée sous silence par Mark Episkopos). Ce petit arrangement avec la chronologie permet à l'auteur d'inverser les causes et les conséquences: le rapprochement entre l'Ukraine et la CIA n'est pas la cause, mais la conséquence de l'invasion russe, qui a commencé en 2014.

NB: les plans d'invasion de l'Ukraine étaient établis bien avant 2014; les premiers éléments de ces plans ont commencé à être mis en place dès 2009.


Autre information disponible dans l'article du NYT mais "oubliée" par Mark Episkopos: la CIA formaient les Ukrainiens à des opérations de guérilla (car ils pensaient que l'armée russe pourrait facilement occuper toute l'Ukraine), mais ne les encourageait pas à opérer dans les territoires alors occupés par les Russes. Autrement dit: les Américains préparaient l'Ukraine en renforçant ses défenses dans l'hypothèse d'une invasion russe à plus grande échelle, qui est effectivement advenue en 2022, mais ne la préparaient pas à ne serait-ce que libérer les territoires occupés, et encore moins à attaquer directement les Russes. Mark Episkopos se trompe donc (ou ment délibérément) lorsqu'il écrit: " Cette coopération, comme le souligne minutieusement le Times, est allée bien au-delà de l’aide apportée à l’Ukraine pour se défendre contre la Russie dans un sens étroit et technique "  -> non, l'aide n'est pas allée au delà de ce qui était nécessaire à la défense de l'Ukraine.

Enfin, et bien qu'il s'en défende, l'auteur passe longtemps à justifier le point de vue du Kremlin, sans jamais rappeler une évidence: à chaque fois que le Kremlin parle d'obtenir des "garanties de sécurité", ce qu'il entend par là c'est obtenir le droit de faire tout ce qu'il veut (y compris soumettre par la force) dans une aire géographique que le Kremlin veut toujours plus grande. Si le Kremlin considère comme une "provocation" le fait que l'Ukraine demande et obtienne l'aide des USA pour se défendre, alors même que la Russie l'avait attaqué et occupait illégalement une partie de son territoire, au mépris des traités qu'elle avait signés et de l'ordre international, si la Russie "joue la victime" alors qu'elle est l’agresseur, alors non seulement il s'agit bien d'une vision paranoïaque (ce que Mark Episkopos admet du bout des lèvres), mais surtout qu'on ne peut pas laisser agir la Russie faire ce qu'elle veut sans sacrifier la paix et la liberté des peuples d'Ukraine, des pays baltes,  de Moldavie, de Pologne et sans doute d'autres pays de l'Europe de l'est. Et plus la Russie se montrera agressive, plus ses voisins chercherons l'aide des USA pour se protéger (cf l'entrée de la Suède et de la Finlande dans l'OTAN), et plus l'enjeu sera grand. 

Mais derrière cette paranoïa affichée, les dirigeants russes savent bien que l'OTAN ne les attaquera pas. L’extension de l'OTAN les emmerde car il leur est plus difficile de menacer leurs voisins quand ceux-ci sont dans l'OTAN (mentalité de mafieux). Poutine & co savent très bien que l'arsenal nucléaire russe est suffisant pour garantir que personne ne cherchera à l'envahir. C'est pourquoi, par exemple, ils dégarnissent toutes leurs frontières avec l'OTAN de matériel militaire pour l'envoyer en Ukraine. Ce n'est pas le comportement d'un pays qui craint l'OTAN, juste d'une puissance militaire à la peine en Ukraine qui cherche à gagner par tous les moyens, tout en agitant la peur pour empêcher les Occidentaux de faire ce qu'il doivent faire: armer massivement l'Ukraine pour lui permettre de gagner le plus rapidement possible cette guerre horrible. 

 

Donc au final, l'article de Mark Episkopos reprend tous les poncifs de la propagande russe sur les causes de la guerre (probablement car il partage la vision erronée de Mearsheimer).

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