mercredi 3 avril 2024

Contre-offensive ukrainienne : bilan du mois de mars

Comme chaque mois, voici un petit bilan du mois de mars 2024, à mettre en perspective avec les constats que j'avais faits fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre, fin novembre, fin décembre 2023 ainsi que fin janvier et fin février 2024.

Les combats ne diminuent pas vraiment en intensité, et si les avancées russes sont moins importantes qu'au mois de février, mais elles sont bien réelles. Les Ukrainiens continuent à souffrir d'un manque de munitions (obus et défenses anti-aériennes) et doivent reculer, en particulier à l'ouest d'Avdiivka, où le front n'est toujours pas stabilisé.



Mars 2024: nouveaux records pour les pertes russes

Je rappelle les pertes russes telles qu'annoncées par les officiels Ukrainiens dans les 4 catégories à surveiller: Artillerie, MLRS, DCA et équipements spéciaux. Pour chacune, je vais donner les chiffres mensuels habituels (c'est-à-dire jusqu'à février 2023) puis les chiffres de mars > avril > mai > juin > juillet > août > septembre > octobre  > novembre > décembre 2023 > janvier 2024 > février > mars

  • Artillerie (de 100 à 200/mois): 290 (mars) > 238 (avril) > 553 (mai) > 688 (juin) > 677 (juillet) > 691 (août) > 947 (septembre) > 873 (octobre) > 682 (novembre) > 555 (décembre) > 731 (janvier 2024) > 875 (février) > 980 (mars)
  • MLRS (de 10 à 65/mois): 48 (mars) > 17 (avril) > 31 (mai) > 57 (juin) > 67 (juillet) > 36 (août) > 63 (septembre) > 47 (octobre) > 66 (novembre) > 33 (décembre) > 31 (janvier 2024) > 26 (février) > 23 (mars)
  • DCA (de 5 à 40/mois): 32 (mars) > 16 (avril) > 38 (mai) > 56 (juin) > 73 (juillet) > 38 (août) > 37 (septembre) > 25 (octobre) > 39 (novembre) > 23 (décembre) > 40 (janvier 2024) > 27 (février) > 53 (mars)
  • Équipement Spécial (de 10 à 30/mois): 66 (mars) > 63 (avril) > 99 (mai) > 122 (juin) > 138 (juillet)  > 113 (août) > 102 (septembre) > 84 (octobre) > 108 (novembre) > 144 (décembre) > 184 (janvier 2024) > 149 (février) > 228 (mars)

On constate donc que, dans ces quatre catégories, les pertes russes augmentent. L'augmentation est même spectaculaire concernant les équipements spéciaux  (+50% en un mois). Les pertes d'artillerie sont également à un niveau record. 

Les pertes ne sont pas limitées à ces quatre catégories, puisque les pertes matérielles russes (selon le ministère de la défense ukrainienne) sont en forte augmentation (+30%). Le record du mois de février a été tout simplement pulvérisé au mois de mars: 3968 équipements terrestres perdus au mois de mars, contre 3076 au mois de février. Les pertes humaines (28 410) reste à un niveau élevé, légèrement inférieures à celles du record (30 470 en décembre 2023).

Bien entendu, face à ces chiffres, la première réaction est l'incrédulité. Ces chiffres sont-ils fiables ? Oryx, quant à eux, ont enrichi leur base de données avec ~500 pertes russes et ~200 pertes ukrainiennes en un mois. Comment expliquer cet écart ? Je vous renvoie à ce que je disais le mois dernier:  je crois que c'est d'avantage un manque de documentation qu'une baisse de fiabilité des chiffres ukrainiens qui explique cet écart.

D'un autre côté, tous les témoignages et les statistiques sur les tirs d'artillerie concordent pour dire que les Ukrainiens manquent de munitions. Comment, dans ces conditions, peuvent-ils infliger des pertes record ? Probablement grâce aux drones FPV. Les Ukrainiens comme les Russes utilisent massivement ce type de drones, et publient beaucoup de vidéo des frappes. Or, s'il semble qu'en novembre-décembre, les Russes utilisaient autant voire plus de FPV que les Ukrainiens, ces derniers semblent avoir repris l'avantage début 2024. Outre le nombre, les FPV ukrainiens sont également moins standardisés (car provenant de multiples petits constructeurs) et sont donc plus difficile à brouiller. A l'inverse, les drones russes venant tous d'une même usine, il suffit de trouver la bonne fréquence pour les brouiller tous. Cela dit, la bataille de la guerre électronique et des drones est en constante évolution, et aucun des deux camps ne possède une supériorité absolue sur l'autre.

Cet usage des drones FPV sert notamment à frapper les véhicules utilisés pour le ravitaillement, et cela se voit bien dans les pertes russes annoncées par les ukrainiens: sur ces graphes, on note qu'en 2024, les Russes perdent bien plus de véhicules logistiques (et d'artillerie) qu'en 2022 et 2023. Comme ces véhicules logistiques sont souvent de simples voitures ou camions civils, ils ne sont pas comptabilisés par Oryx et c'est cela, avec les pertes d'artillerie, qui expliquent en grande partie l'écart entre les pertes déclarées et les pertes visuellement confirmées.

 

 

Succès des campagnes de frappes aériennes

Les Ukrainiens ont continué leur campagne de frappes à longue distance, avec quelques succès notamment sur les raffineries russes. Presque toutes les raffineries à moins de 1000km des frontières ukrainiennes ont été frappées depuis le début de l'année 2024. Ces frappes ont causé une réduction d'environ 10% du diesel raffiné en Russie. Ce succès est tel qu'il inquiète les Etats-Unis, plus précisément certaines personnes à la Maison Blanche, qui auraient demandé à l'Ukraine d'arrêter de frapper les raffineries de peur que cela augmente le cours du pétrole, selon les informations du Financial Times.

Les Ukrainiens ont aussi frappé une nouvelle fois Sébastopol à l'aide de drones et de missiles, détruisant un centre de communication et endommageant quelques navires de guerre. Ces frappes n'ont cependant pas eu le même impactes que celles de septembre dernier, durant lesquelles le QG de la flotte avait été détruit, 1 sous marin et 1 navire détruits, et les cales-sèches rendues inutilisables.

Mais ce qui a marqué le mois de mars, c'est surtout les frappes russes sur l'arrière du front et qui ont causés beaucoup de dégâts aux Ukrainiens. Il y a tout d'abord eu des frappes à longue distance sur:

  • un lanceur HIMAR
  • deux lanceurs d'une batterie Patriot
  • trois hélicoptères MI-8

Dans tous les cas, le ou les véhicules étaient immobilisés pendant au moins plusieurs dizaines de minutes, se sont fait repérer par un drone russe puis frapper par un missile Iskander. Il y a donc à la fois une erreur des ukrainiens et de nouvelles compétences et/ou de nouveaux équipement côté russe qui peuvent maintenant identifier et détruire rapidement des cibles à plus de 50km du front.

La perte du Patriot est particulièrement douloureuse; en effet, les Ukrainiens n'ont qu'au mieux 3 batteries de Patriot, 2 restant fixe, et la troisième (celle qui a été touchée) étant  mobile  (138e brigade de défense anti-aérienne) et qui, selon les rumeurs, a été responsable des succès de la défense anti-aérienne en février (10 Su-34 et 2 Su-35 abattus, selon les chiffres ukrainiens).

Puis, à partir du 22 mars, les Russes ont repris leur campagne de frappes massives contre le réseau électrique ukrainien. Et, soit parce qu'ils ont amélioré la précision de leurs missiles, soit parce que la défense aérienne ukrainienne n'a plus assez de munition, plusieurs centrales de production d'électricité ont été touchées, notamment la centrale hydroélectrique de Zaporijja, la plus grande d'Ukraine. La plus grande centrale de Kharkiv a été détruite. Et rien n'indique que cette campagne de frappe aérienne va s'arrêter de sitôt. Les défenses aériennes ukrainiennes continuent de faiblir, et seul un soutien massif des USA peut inverser cette tendance.



Un futur très incertain

Or, le soutien américain est toujours bloqué par Mike Johnson, le speaker de la Chambre des représentants. La pétition pour forcer Mike Johnson à faire voter l'aide à l'Ukraine n'a recueilli que 190 signatures des démocrates et 1 républicain (Ken Buck, qui a annoncé sa démission). La Chambre est actuellement en vacances (4e période de vacances de 2 semaines depuis novembre dernier); Mike Johnson a promis de faire voter "une loi" sur l'aide à l'Ukraine dès le 9 avril, mais c'est juste une ruse: il ne veut pas faire voter l'accord bi-partisan passé au Sénat, mais il va probablement présenter une loi inacceptable pour les démocrates. Son but n'est pas d'aider l'Ukraine, mais de rejeter la faute sur les démocrates. Les républicains trumpistes sont objectivement des alliés de Poutine, leur but est de faire échouer Biden (et donc l'Ukraine) pour faciliter l'élection de Trump. Peu leur importe que l'Ukraine (et indirectement les USA) paient un prix exorbitant pour leur basse manœuvre politicienne.

Pour compenser cet abandon américain, les Européens redoublent d'efforts, mais ce n'est pas suffisant. Les obus "trouvés" par les Tchèques arriveront, au mieux en juin. Les F-16 arriveront eux aussi trop tard, et en trop petit nombre pour faire la différence. Comme le dit justement un officier cité dans un article pessimiste sur les chances de l'Ukraine: "Les F-16 étaient l'armes qu'il fallait en 2023, et arriveront en 2024". De manière générale, si les Occidentaux font beaucoup de promesses, il y a un tel délai entre les promesses et leur réalisation que les Russes ont le temps de prendre l'avantage, aidé par le soutien nord-coréen (qui lui, est massif et arrive à temps, tout le contraire du soutien occidental).

Je concluais le mois dernier qu'on est à un "point de bascule". En effet, il est difficile de savoir si la situation de l'Ukraine est désespérée  et peut à tout moment s'effondrer (comme le disent les Russes et une partie des média occidentaux) ou bien si les Russes jouent leur va-tout pour profiter d'une faiblesse temporaire de l'Ukraine et se cassent les dents pour prendre quelques champs et villages au prix de milliers de morts et de la destruction de leur matériel disponible. Nous n'aurons pas la réponse à cette question avant encore quelques mois.

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