vendredi 20 septembre 2024

Big boum big badaboum

Dans la nuit du 17 au 18 septembre 2024, les Ukrainiens ont détruit un important dépôt de munitions situé à proximité de la ville de Toropets, dans la région russe de Tver, à environ 500km des frontières de l'Ukraine.


Dépôt de munitions de Toropets, au petit matin du 18/09/2024


 

Un exemple de mauvais journalisme

Dans un premier temps, cette attaque a donné lieu à un n-ième exemple de mauvais journalisme dans certains média, en France et ailleurs.

Voici ce qu'en dit le fil en direct du Figaro:

"Des drones ukrainiens ont «détruit» un entrepôt contenant des missiles et des munitions d'artillerie dans l'ouest de la Russie, a affirmé mercredi à l'AFP une source des services de sécurité ukrainiens, les autorités russes ordonnant, elles, des évacuations en raison d'un «incendie». Des vidéos, publiées sur les réseaux sociaux et par des médias russes et ukrainiens, montrent d'impressionnantes explosions répétées et un immense panache de fumée. L'AFP n'est pas en mesure de confirmer leur authenticité dans l'immédiat."

Et ce qu'en dit celui du Monde:

"Des drones ukrainiens ont « détruit » un entrepôt contenant des missiles et des munitions d’artillerie dans l’ouest de la Russie, a affirmé mercredi à l’Agence France-Presse (AFP) une source du service de sécurité d’Ukraine (SBU), les autorités russes ordonnant, elles, des évacuations en raison d’un « incendie ». Des vidéos, publiées sur les réseaux sociaux et par des médias russes et ukrainiens, montrent d’impressionnantes explosions répétées et un immense panache de fumée. Le Monde n’est pas en mesure de confirmer leur authenticité dans l’immédiat."

C'est quasiment le même texte, et pour cause: c'est une dépêche AFP qui a été copiée/collée. Le Monde a juste pris le soin de changer une référence à l'AFP par le propre nom de son journal et de préciser la signification des acronymes AFP et SBU. Mais, pour être honnête avec le quotidien du soir, ils ont ensuite fait un vrai article sur le sujet, qui est bien meilleur que la dépêche AFP.

Le Monde et Le Figaro ne sont pas les seuls à reprendre ces dépêches AFP qui se contentent de citer les uns et les autres sans jamais chercher à démêler le vrai du faux, comme dans cet article de France 24:

"Les autorités régionales de Tver ont annoncé sur Telegram qu'un "incendie (était) en cours d'extinction à l'endroit où sont tombés les débris d'un drone" à Toropets, sans mentionner d'entrepôt d'armement. Elles ont affirmé que les systèmes de défense antiaérienne continuaient de "repousser une attaque de drones massive" contre la ville. L'Ukraine mène régulièrement des frappes de drones contre le territoire russe, touchant parfois des cibles très éloignées de ses frontières. Elle affirme souvent viser des infrastructures militaires ou énergétiques afin de perturber la logistique des troupes russes."

Notez que:

  • à aucun moment, l'AFP ne souligne le mensonge plus qu'évident des Russes. Ils se contentent de rapporter les dires des un et des autres, sans apporter plus de précisions (comme les photos, vidéos, images satellite etc qui prouvent les dires des Ukrainiens et contredisent les mensonges des Russes
  • ce faisant, ils mettent sur un pied d'égalité les deux, ce qui jette un doute sur l'affirmation ukrainienne

C'est ce qu'on appelle en anglais du "bothsidesism", une forme particulièrement pernicieuse de "journalisme" qui, à la fois par fainéantise et par soucis de neutralité, refuse de "prendre parti" même quand un des camps ment clairement. Et, comme toujours, beaucoup de journalistes refusent de faire une quelconque analyse "à chaud" de ce qui s'est passé.

Déjà, évacuons tout de suite les mensonges russes: le dépôt a bien été en grande partie détruit suite à une attaque aérienne ukrainienne. Cela dit, il reste bien des questions pour lesquelles nous n'avons que des éléments de réponses.

 

 

Que contenait ce dépôt ?  

Le 107e arsenal de la Direction générale des missiles et de l'artillerie (GRAU), situé à quelques km seulement de la petite vile de Toropets, est un dépôt soviétique récemment rénové (de 2015 à 2019, pour 39 millions de $).  Selon Euronews, il contenait 30 000 tonnes de munitions et de carburant, ce qui peut paraître beaucoup mais est possible vu la surface de ce vaste dépôt (5km2). Le site comprenait en effet une centaine de bâtiments de stockage, chacun pouvant contenir jusqu'à 240 tonnes de munitions/explosifs et conçu pour résister "à une petite explosion nucléaire", aux dires des Russes. Les 30 000 tonnes annoncées correspondent donc à la capacité maximale du site, pas nécessairement à ce qu'il contenait au moment de l'attaque.

Selon les sources ukrainiennes, il aurait stocké des éléments pour missiles Tochka-U et iskanders, des bombes aériennes, des obus d'artillerie, y compris de l'artillerie et des missiles nord-coréens. Il n'est pas possible de vérifier les dires ukrainiens (notamment sur la présence de munitions nord-coréennes) mais la violence des explosions et la persistance des incendies indiquent sans aucun doute qu'il y avait beaucoup de matières explosives et inflammables, qui y étaient entreposées.



Quelle a été la violence des explosions  et des incendies ?  

Selon les témoignages, l'attaque s'est produite à 3h du matin, heure locale, et a déclenché de nombreuses explosions secondaires pendant des heures, puisque le site était toujours en flamme au matin du 18 et l'incendie n'était pas encore complètement éteint le 19.  Il y peut-être eu plusieurs vagues d'attaques, celle de 3h n'étant que la première.

La plus forte explosion aurait été équivalente à 240 tonnes de TNT, soit environ 1% de la puissance de la bombe atomique d'Hiroshima et provoquant un petit tremblement de terre (2,8 sur l'échelle de Richter), enregistré à 3h56. Les Ukrainiens parlent même d'une explosion de 1,8 kilotonnes (9% de la puissance d'Hiroshima), dont le souffle se serait propagé dans un rayon de 320 km. Si cela semble exagéré compte tenu des données sismiques, ces dernières laissent penser qu'au moins un entrepôt avec la capacité maximale de 240t a été détruit en un seul coup. Quoi qu'il en soit, on peut déjà affirmer que c'est la plus grosse explosion enregistrée durant cette guerre. Et si ce fut la principale explosion, ce fut loin d'être la seule. Si le tremblement de terre le plus important a eu lieu à 3h56, c'est un total de 18 tremblements de terres qui ont été enregistré pendant les deux heures suivantes. De nombreuses explosions se sont fait entendre, même 24h après l'attaque initiale.

Au matin du 18, les données FIRMS indiquait que les incendies couvraient 13km2, plus du double de la surface du dépôt. Une analyse des images satellites montre que sur les plus de 100 bâtiments entreposant des munitions, 56% ont été détruits, 36% endommagés et seulement 8% sont intacts.



Comment ont procédé les Ukrainiens ? 

Le dépôt est à 500km de leurs frontières. Si les Ukrainiens ont déjà frappé plus loin (jusqu'à 1800 km), c'était à l'aide de drones (similaires à de petits avions à hélice télécommandés) et incapables de pénétrer dans un bunker (les munitions étaient entreposées dans des bunkers censés résister à de petites explosions nucléaires).

Cette nuit là, les Russes disent avoir abattu 54 drones et que les "débris" d'un drone aurait mis le feu au déport de munition, soit exactement le même discours qu'à chaque fois que les Ukrainiens réussissent une de leurs frappes. Les Ukrainiens, eux, disent avoir utilisé 100 drones. NB: cela ne veut pas dire que la vérité est quelque part entre les deux chiffres. Il est possible que le nombre de drones utilisé soit très différent, voire même que ce ne sont pas des drones qui ont été utilisés mais des missiles.

En effet, le site était censé être sécurisé "selon les normes internationales", comment les Ukrainiens ont-ils pu faire exploser les munitions protégées par des bunkers ? Plusieurs explications possibles:

  1. les munitions n'étaient pas stockées dans les bunkers
  2. les bunkers, du fait de la corruption, n'offraient aucune protection
  3. l'Ukraine aurait utilisé des missiles capables de percer les bunkers

Les trois explications posent de sérieux problème aux Russes. Les deux premières signifient à la fois que les Russes ne sont pas capables de protéger leurs dépôts de munitions, l'ignorent et/ou s'en contrefichent, et -pire- que les Ukrainiens ont les informations nécessaires pour savoir où frapper. En effet, les Ukrainiens n'auraient pas lancé une telle attaque s'ils n'avaient pas l'assurance que les bunkers de Toropets étaient inefficaces et/ou inemployés.

La troisième explication est encore pire: si les Ukrainiens disposent de missiles capables de frapper avec précision un bunker à 500 km de leurs frontières et de le détruire, cela signifie qu'ils pourraient théoriquement détruire un bunker dans les environs de Moscou. Nul doute que cette hypothèse doit déjà donner quelques sueurs froides à Vladimir Poutine.


 

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