mardi 5 mars 2024

Contre-offensive ukrainienne : bilan du mois de février

Comme chaque mois, voici un petit bilan du mois de février 2024, à mettre en perspective avec les constats que j'avais faits fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre, fin novembre, fin décembre 2023 ainsi que fin janvier 2024.

Contrairement à ce que j'ai écrit ces six derniers mois, cette fois-ci, le front a bougé, et pas dans la bonne direction. Les Russes ont pris Avdiivka et progressent au-delà, vers l'ouest. De plus, ils attaquent (et réalisent quelques avancées) du côté de Robotyne, Novomykhailivka, Bakhmut, Vessele, Terny, etc. Les Ukrainiens souffrent d'un manque de munitions et doivent reculer. Si, en terme de surface, ces avancées sont encore minimes; il s'agit à chaque fois de fortifications qui tenaient le front et qui sont tombées aux mains des Russes.


Février 2024: les pertes russes au plus haut

Je rappelle les pertes russes telles qu'annoncées par les officiels Ukrainiens dans les 4 catégories à surveiller: Artillerie, MLRS, DCA et équipements spéciaux. Pour chacune, je vais donner les chiffres mensuels habituels (c'est-à-dire jusqu'à février 2023) puis les chiffres de mars > avril > mai > juin > juillet > août > septembre > octobre  > novembre > décembre 2023 > janvier 2024 > février 2024

  • Artillerie (de 100 à 200/mois): 290 (mars) > 238 (avril) > 553 (mai) > 688 (juin) > 677 (juillet) > 691 (août) > 947 (septembre) > 873 (octobre) > 682 (novembre) > 555 (décembre) > 731 (janvier) > 875 (février)
  • MLRS (de 10 à 65/mois): 48 (mars) > 17 (avril) > 31 (mai) > 57 (juin) > 67 (juillet) > 36 (août) > 63 (septembre) > 47 (octobre) > 66 (novembre) > 33 (décembre) > 31 (janvier) > 26 (février)
  • DCA (de 5 à 40/mois): 32 (mars) > 16 (avril) > 38 (mai) > 56 (juin) > 73 (juillet) > 38 (août) > 37 (septembre) > 25 (octobre) > 39 (novembre) > 23 (décembre) > 40 (janvier) > 27 (février)
  • Équipement Spécial (de 10 à 30/mois): 66 (mars) > 63 (avril) > 99 (mai) > 122 (juin) > 138 (juillet)  > 113 (août) > 102 (septembre) > 84 (octobre) > 108 (novembre) > 144 (décembre) > 184 (janvier) > 149 (février)

Ces chiffres sont toujours aussi faramineux; le mois de février 2024 est celui qui a vu le plus de destruction de matériel russe (dépassant, de peu, le record d'octobre 2023), et le second mois le plus meurtrier pour l'armée russe (28,5k, pas loin du record de décembre 2023) selon les chiffres publiés par le ministère de la défense ukrainien et analysés par Ragnar Bjartur Gudmundsson.

Les chiffres donnés plus haut couvrent dont maintenant 12 mois. Et donc, que l'on peut comparer les pertes durant la première année, et durant la seconde année de la guerre:

  • Artillerie: 2270 soit 190/mois (1ere année); 7800 soit 650/mois (2eme année)
  • MLRS: 478 soit 40/mois (1ere année); 522 soit 43/mois (2eme année)
  • DCA: 246 soit 21/mois (1ere année); 444 soit 37/mois (2eme année)
  • Equipements spéciaux: 228 soit 19/mois (1ere année); 1373 soit 114/mois (2eme année)

Il y a donc bien eu un changement de rythme en ce qui concerne l'artillerie (x3,5) et les équipement spéciaux (x6). Pour les deux autres catégories, l'augmentation est bien plus modeste. Est-ce pour autant que cela a suffit pour réduire les capacités offensives russes ? Les récentes avancées russes à Avdiivka et ailleurs laissent penser que non. Est-ce parce que la Russie a réussi à générer assez de nouvelles forces pour compenser ses pertes immenses ? Ou bien est-ce juste une illusion, l'armée russe ne pouvant avancer que grâce à la conjonction de l'apport en munitions nord coréennes et la pénurie de munitions et de matériel suite à l'arrêt de l'aide américaine ? Probablement un peu des deux.



Succès russe terrestre, succès ukrainiens maritimes et aériens

Comme je l'ai dit plus haut, les Russes ont, contrairement aux 4 mois précédents, réalisé des avancées significatives à plusieurs endroits, la plus importante étant la prise d'Avdiivka. Bien qu'il s'agit d'une victoire à la Pyrrhus, l'armée russe a offert à Poutine sa "victoire" avant la pseudo-élection présidentielle russe. Et elle ne s'arrête pas là car elle "pousse" au-delà d'Avdiivka, profitant de la faiblesse des défenses ukrainiennes justes derrière la ville-forteresse.

Notons cependant que le "rapFeu" est actuellement proche de 10:1 en faveur des Russes, et il faut remonter à avril-juin 2022 pour avoir un "rapFeu" autant à l'avantage des Russes. Or, leur progression (y compris dans le secteur d'Avdiivka où elle a été la plus spectaculaire) reste modeste. Elle est en tous cas plus faible que leur progression d'avril-juin 2022. Comme je le disais déjà le mois dernier, cette situation est à la fois une mauvaise nouvelle pour les Ukrainiens (le rapport est très défavorable, et ils perdent du terrain) et pour les Russes (leur progression est très lente, avec beaucoup de pertes).

A l'inverse, les Ukrainiens ont obtenu des résultats spectaculaires à la fois sur la Mer Noire et dans les airs. Les Ukrainiens ont coulé deux navires de guerre russes à l'aide de leurs drones maritimes: la corvette lance-missile Ivanovets (1er février) et le navire de ravitaillement Cesar Kounikov (14 février). La flotte russe est de plus en plus réduite, et incapable de mener à bien ses missions. D'ailleurs, contrairement à l'an dernier, il n'y a que très peu de missiles qui sont tirés depuis des navires. Plus généralement, les "vagues de missiles russes", qui n'étaient pas bien nombreuses en janvier, ont également diminué en nombre au mois de février. Si leur effet militaire semble faible, en revanche il y a toujours des civils qui sont victimes de ces attaques criminelles par missiles et drones Shahed.

Après deux succès maritimes au cours de la première quinzaine de février, c'est dans les airs que les Ukrainiens ont obtenu leur plus beau succès la seconde quinzaine de février. l'Ukraine dit avoir détruit 13 avions: 1 A-50U, 2 Su-35, 10 Su-34. Si toutes ces destructions ne sont pas confirmées, celle du A-50U l'est, et c'est une énorme perte pour la Russie. Un de ces appareil avait déjà été endommagé en 2023. Un autre a été détruit en janvier. La perte d'un second A-50U, alors que la Russie possédait peut-être 7 de ces appareils capables de voler en 2022, est fortement handicapante pour l'armée de l'air russe. La Russie ne peut guère se permettre de perdre plus d'A50U,  ce qui prive la Russie d'une capacité de détection aérienne à longue distance tant qu'ils n'ont pas réussi à contrer les Ukrainiens. Ce qui compromet à la fois leur défense anti-aérienne et leur capacité de guider leurs bombardiers Su-34, expliquant ainsi l'augmentation des pertes de ces appareils. Quoi qu'il en soit, il semble que l'aviation russe a maintenant de gros problèmes, et ne peut pas se permettre de perdre des Su-34 indéfiniment. Si les pertes russes continuent à ce rythme, les Russes vont se faire chasser du ciel ukrainien comme ils se sont fait chassés de la Mer Noire. C'est d'ailleurs explicitement l'objectif stratégique ukrainien, comme l'explique Xavier Tytelman.

 

 

Déblocage en Europe, blocages aux USA

Enfin, sur le "deuxième front" (celui du soutien occidental), les choses évoluent. Début février, Victor Orban a cessé de bloquer l'aide de l'Union Européenne à l'Ukraine (50 milliards d'euros), puis a laissé le parlement hongrois ratifier l'adhésion de la Suède à l'OTAN. Je ne sais pas comment les européens ont réussi à faire sauter ce verrou, mais le résultat est là: l'aide à l'Ukraine, de la part de l'UE, va continuer, et les dirigeants pro Poutine (Orban et Fico) n'ont pas le poids politique pour s'y opposer. Les 50 milliards votés pour l'Ukraine ne sont pas directement une aide militaire (pas plus que l'adhésion de la Suède à l'OTAN), mais cela montre que les Européens arrivent, pour le moment, à neutraliser les pions du Kremlin.

De plus, les européens annoncent des aides militaires de plus en plus sérieuses, même si la montée en puissance est trop lente et ne compense pas la fin du soutien américain. La sortie de Macron sur l'envoi de troupes en Ukraine, même si elle a été faite au mauvais moment, montre que les Européens commencent enfin à prendre conscience de la menace russe et des efforts qu'ils devront consentir. En particulier, le fait que le président tchèque arrive à "trouver" 800 000 obus au moment où ceux-ci font défaut à l'Ukraine est une preuve que l'Europe est prête à sortir des sentiers battus pour faire face à l'urgence. Ça bouge: toujours dans l'urgence, toujours trop tard, mais ça bouge.

En revanche, de l'autre côté de l'Atlantique, c'est l'inverse qui se produit: la paralysie est complète. Les USA se révèlent être le maillon faible faible du camp occidental. Or, tout repose encore sur eux: militairement et économiquement, ils sont indispensables. Mais la dérive d'une partie de la droite américaine, plus précisément Donald Trump, bloque toute aide américaine. Le sénat a bien voté un "paquet d'aide" dont 61 milliards pour l'Ukraine, mais cette aide ne sera effective que si la chambre des représentants la vote aussi. 

Or, le speaker Mike Johnson use de tous les prétextes et de toutes les procédures pour ne pas le faire. Après avoir refusé de considérer un compromis sur l'immigration en plus de l'aide à l'Ukraine et autres pays, il rejette le texte voté par le sénat car il ne comprend pas ce compromis. Reste la possibilité de la procédure appelée "discharge petition", qui demande une majorité absolue de signataires (donc au moins un petit nombre de républicains) et qui prend du temps.


Conclusion

Ce mois de février est donc très contrasté. Les choses ont bougé, mais dans des directions opposées. Par certains aspects, ça a été un bon mois pour les Russes (prise d'Avdiivka, aide américaine toujours bloquée, etc), d'un autre côté, les Ukrainiens ont aussi des raisons de se réjouir (pertes russes très importantes, espoir d'avoir à terme les munitions dont ils ont besoin). On arrive donc à un point de bascule, difficile de savoir dans quel sens la guerre va basculer.

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