jeudi 2 novembre 2023

Contre-offensive ukrainienne : bilan du mois d'octobre

Comme précédemment, voici un petit bilan du mois d'octobre, à mettre en perspective avec les constats que j'avais fait fin juin, fin juillet, fin août et fin septembre.

Une fois de plus, le front n'a quasiment pas bougé malgré l'intensité des combats. Mais surtout, ce qui a marqué le mois d'octobre est la reprise de l'offensive Russe, notamment dans le secteur d'Avdivka. Avec comme principale conséquence un niveau record des pertes russes.

 

Des pertes record


Je rappelle les pertes russes telles qu'annoncées par les officiels Ukrainiens dans les 4 catégories à surveiller: Artillerie, MLRS, DCA et équipements spéciaux. Pour chacune, je vais donner les chiffres mensuels habituels (c'est-à-dire jusqu'à février 2023) puis les chiffres de mars > avril > mai > juin > juillet > août > septembre > octobre 2023

  • Artillerie (de 100 à 200/mois): 290 (mars) > 238 (avril) > 553 (mai) > 688 (juin) > 677 (juillet) > 691 (août) > 947 (septembre) > 873 (octobre)
  • MLRS (de 10 à 65/mois): 48 (mars) > 17 (avril) > 31 (mai) > 57 (juin) > 67 (juillet) > 36 (août) > 63 (septembre) > 47 (octobre)
  • DCA (de 5 à 40/mois): 32 (mars) > 16 (avril) > 38 (mai) > 56 (juin) > 73 (juillet) > 38 (août) > 37 (septembre) > 25 (octobre)
  • Équipement Spécial (de 10 à 30/mois): 66 (mars) > 63 (avril) > 99 (mai) > 122 (juin) > 138 (juillet)  > 113 (août) > 102 (septembre) > 84 (octobre)

 

On voit donc que ces chiffres sont en légère baisse. Mais cette baisse est plus que compensée par les pertes russes en blindés et chars qui atteignent un niveau stratosphérique (ce qui doit être aussi l'altitude atteinte par leurs tourelles de chars), en particulier autour d'Avdivka. Septembre 2023 avait déjà été largement un record en terme de matériel terrestre (tous types confondu): 2600 équipements perdus en septembre, loin des 2200 du mois de mars 2022. Octobre 2023 affiche plus de 3000 équipements terrestres détruits et pulvérise ce record qui n'a donc duré qu'un mois. Ce sont des pertes énormes, et qui sont (du moins pour ce qui concerne les blindés et les chars) en grande partie  confirmées par Oryx. Si bien que, si on compte depuis début juin, on est remonté à un rapport de 2:1 pour les pertes confirmées, et même à du 3,5:1 si on ne tient compte que du mois d'octobre.

De plus, l'arrivée des ATACMS en Ukraine a finalement permis aux ukrainiens de taper efficacement les aéroports d'où partent les hélicoptères russes, et la première utilisation de ces ATACMS a fait un carnage: on parle d'une quarantaine d'hélicoptères détruits/ endommagés, au minimum. Cela prive l'armée russe d'une des armes qui lui avaient permis de repousser les blindés ukrainiens cet été.

Les pertes humaines russes sont elles aussi catastrophiques du fait des "assauts de viandes" lancés par les Russes pour avancer un peu. Le résultat est une boucherie, mais Poutine est content: ses troupes ont pris du terrain et les Ukrainiens sont sur la défensive. Et c'est là tout le paradoxe de ce mois d'octobre: alors que ce mois montre que l'Ukraine gagne la guerre d'attrition, la quasi totalité des commentaires sont pessimistes sur les chances de l'Ukraine, voire même défaitistes. Pourquoi ?


Avdivka = nouveau Vuhledar ou nouveau Bakhmut ?


La première raison est que, malgré les pertes, les Russes ont quand même réussi à avancer autour d'Avdivka, et menacent sérieusement la seule ligne d'approvisionnement de la ville. Or cette ville-forteresse est un des verrous qui tiennent le front du Donbas, et sa perte serait douloureuse pour l'Ukraine.

La situation n'est cependant pas désespérée, et les Ukrainiens peuvent encore rétablir la situation à condition qu'ils disposent de réserves de troupes et surtout de munitions. Mais les ont-ils ? Le fait que la 47e brigade (bien démolie par ses assauts dans le sud) aient été rappelée en renfort n'est pas de bon augure. Les Ukrainiens manquent-ils de réserves à ce point ?

Toujours est-il qu'à l'heure actuelle, les Russes n'ont pas réussi leur attaque et on laissé sur le carreau des milliers d'hommes et de véhicules blindés. S'ils peuvent continuer leurs assauts sans que les Ukrainiens ne puissent riposter, alors Avdivka deviendra un nouveau Bakhlut (en pire); mais si les Ukrainiens arrivent à rétablir la situation, alors Avdivka sera une défaite russe bien pire que leur précédente défaite à Vuhledar.

Surtout, outre le sort de la ville, c'est le fait que les Russes semblent avoir assez de ressources à gaspiller qui est déprimant. Les ressources russes sont-elles infinies ? Sur ce dernier point, la réponse est clairement : "non". Et s'ils ont perdus autant de troupes et de matériel, ça ne veut pas dire qu'ils en disposent encore beaucoup en réserve, il ne faut pas supposer que les Russes utilisent leurs ressources de manière rationnelle. De fait, une telle quantité d'hommes et de munitions auraient posé beaucoup plus de problèmes aux Ukrainiens si les Russes s'étaient contentés de rester sur la défensive.


Le soutien international faiblit

 

Le plus préoccupant, plus que les offensives russes, ce sont des évènements indépendants de la volonté des Ukrainiens mais qui assombrissent néanmoins leur avenir:

  1. la reprise du conflit israelo/palestinien qui détourne l'attention médiatique, et possiblement les fonds et les munitions, de l'Ukraine
  2. la victoire de Robert Fico (un populiste poutiniste) en Slovaquie
  3. les manoeuvres des trumpistes aux USA

 

Ces trois événements mettent en danger le soutien international à l'Ukraine, alors qu'il est plus que jamais nécessaire. Les USA et l'UE semblent ne pas être à la hauteur des enjeux de cette guerre, et les dirigeants politiques occidentaux ne semblent pas à la hauteur. Il est triste de voir que dans les faits, la Corée du nord apporte un soutient plus massif à la Russie (on parle de plusieurs centaine de milliers d'obus, de canons, etc) que l'Occident ne le fait à l'Ukraine.

C'est sur ce dernier point qu'il faut insister: l'occident doit passer à la vitesse supérieure. Il en va de l'avenir des Ukrainiens, mais aussi du notre. Tout le monde dit qu'il ne faut pas laisser la Russie gagner. Mais personne ou presque n'ose prendre les mesures qui s'imposent: décupler la production militaire, augmenter tant en quantité qu'en qualité les livraisons de matériels, quitte à accepter d'affaiblir nos armées actives. Mais surtout, il faut des obus, des munitions,  des drones FPV, etc dans un volume proportionné aux besoins des Ukrainiens et à l'importance de cette guerre.






3 commentaires:

  1. Ok avec ce point de situation, à l'exception d'une phrase :
    "il ne faut pas supposer que les Russes utilisent leurs ressources de manière rationnelle"...
    Et bien si il faut, sinon cela conduit à sous-estimer l'adversaire, ce qui est toujours extrêmement dangereux dans une guerre.
    Les russes ne manqueront pas d'hommes, et ils ont encore certainement beaucoup de matériels à casser. Les pertes, ils s'en foutent, et ils ont du calculer qu'ils peuvent encore continuer à ce rythme de longs mois. Et nous devons partir de ce postulat.
    Ce qu'il faut, c'est se sortir les doigts et enfin donner des moyens à l'Ukraine.
    Le fait que la Corée du Nord livre plus de munitions aux russes que toute l'Europe à l'Ukraine est un camouflet pour l'occident.

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    1. La phrase en question exprime surtout une incertitude. Beaucoup de commentateurs ont conclut que si les Russes peuvent gaspiller autant d'hommes et de matériel à Avdivka, c'est qu'ils ont de la réserve. Car c'est ce qu'un acteur rationnel ferait. Mais peut-être qu'ils ont, en dépit de tout bon sens, brûlé tout ce qu'ils avaient dans un vain assaut destiné à changer le narratif. On ne sait pas.

      Naturellement, il faut que nos dirigeants tablent sur l'hypothèse pessimiste (c'est à dire, que les Russes sont rationnels et qu'ils ont encore de la réserve). Mieux vaut sur-estimer l'adversaire que le sous estimer.

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  2. Oui, c'est ce que disait Tom Cooper sur la 47e.

    Il n'empêche: si les ukrainiens avaient des réserves, une unité ayant besoin d'être reconstituée ne devrait pas être au front, même dans un secteur calme.

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