Une fois de plus, les Russes ont continué leur grignotage des défenses ukrainiennes, et menacent très sérieusement d'encercler trois villes clefs de la ligne de défense ukrainienne: Kupyansk, Pokrovsk et Kostiantynivka. En particulier, il y a eu près de Pokrovsk une "percée" qui a fait couler beaucoup d'encre. Les Ukrainiens, de leur côté, ont mené de petites contre-attaques, non seulement sur le front de Sumy (comme en juillet), mais un peu partout sur le front est, de Kupyansk à Ivanska. Cependant, malgré ces contre-attaques, les Ukrainiens perdent dans l'ensemble du terrain (environ 500km2 sur le mois d'août). De plus, les attaques aériennes ont continué, avec régulièrement des centaines de drones russes frappant les villes ukrainiennes pour y semer la terreur tandis que les Ukrainiens ont concentré leurs attaques à longue distance sur les raffineries russes.
Pertes russes et ukrainiennes
Je rappelle les pertes russes telles qu'annoncées par les officiels ukrainiens dans les 4 catégories à surveiller: artillerie, MLRS, DCA et équipements spéciaux. Pour chacune, je vais donner les moyennes pour la première année (mars 2022 à février 2023), la deuxième année (mars 2023 à février 2024) et la troisième année (mars 2024 à février 2025) puis les chiffres de mars, avril, mai, juin, juillet et août 2025.
- Artillerie
- moyenne 1ere année: 190/mois
- moyenne 2e année: 650/mois
- moyenne 3e année: 1150/mois
- 1690 (mars), 1554 (avril), 1384 (mai), 1243 (juin), 1193 (juillet), 1288 (août)
- MLRS
- moyenne 1ere année: 40/mois
- moyenne 2e année: 43/mois
- moyenne 3e année: 25/mois
- 44 (mars), 27 (avril), 26 (mai), 27 (juin), 24 (juillet), 25 (août)
- DCA
- moyenne 1ere année: 21/mois
- moyenne 2e année: 37/mois
- moyenne 3e année: 30/mois
- 37 (mars), 23 (avril), 27 (mai), 17 (juin), 13 (juillet), 10 (août)
- Équipements spéciaux
- moyenne 1ere année: 19/mois
- moyenne 2e année: 114/mois
- moyenne 3e année: 181/mois
- 24 (mars), 82 (avril), 33 (mai), 19 (juin), 14 (juillet), 17 (août)
Comparé au mois précédent, les chiffres sont relativement stables, avec une légère remontée des chiffres concernant l'artillerie. Plus généralement, il y a à la fois une augmentation des pertes matérielles (
5053) et une baisse des pertes humaines (
28 880), selon le comptage réalisé par l'analyste
Ragnar Bjartur Gudmundsson. En ce qui concerne les pertes visuellement confirmées, selon
Oryx on en est à un ratio de 1:1, avec 201 pertes russes et 197 pertes ukrainiennes. C'est la troisième fois de suite que les pertes ukrainiennes sont "normales" (autour de 200/mois) et les pertes russes qui sont anormalement basses. Pourquoi ? Comme toujours, il peut y avoir deux explications (au moins), qui sont mutuellement exclusives.
La première est que les chiffres donnés par les Ukrainiens sont fantaisistes et que, effectivement les pertes russes ont fortement diminué ces derniers mois, car ils sont en train de gagner la guerre d'attrition et ont changé leurs tactiques pour minimiser leurs pertes tout en continuant de grignoter du terrain. Il faut d'ailleurs noter que l'essentiel des pertes revendiquées par les Ukrainiens relève de deux catégories: artillerie et camions, qui ont toutes deux un taux de confirmation par Oryx très faible.
La "percée" de Pokrovsk
La principale nouvelle, sur la ligne de front est la "percée" de Pokrovsk. Du moins, c'est celle qui a eu le plus d'écho médiatique. D'ailleurs, le colonel et historien
Michel Goya a repris la plume sur son blog pour en parler, après 6 mois de silence. Que s'est-il passé ? Le 11 août, des milblogers ukrainiens dont Bohdan Krotevych (ancien commandant de la brigade Azov) et le site DeepStateMap
ont alerté sur une percée russe au nord-est de Pokrovsk: plus de 14km de long, perçant même la ligne défensive que les Ukrainiens sont en train de construire derrières les lignes de front actuelles. Quelques jours plus tard, les Ukrainiens ont réagi, envoyé des renforts et repris en partie ce terrain.
Trois semaines plus tard, il n'y a pas d'évolution sur la carte DeepStateMap, comme si des unités russes étaient encerclées derrières les lignes ukrainiennes. Or, cette situation devrait être instable: soit parce que les Ukrainiens anéantissent les unités encerclées, soit parce que les Russes réussissent à consolider leur avancées. Mais cela peut simplement être le fait que la carte, dans le secteur, n'est plus mise à jour, et que c'est toujours dans une zone grise.
Je constate d'ailleurs que
ce que je disais le mois dernier sur l'état de la "ligne de front" est maintenant, peu ou prou, l'explication donnée par la plupart des analystes pour expliquer cette percée:
En 2025, s'il y a des tranchées, elles sont plutôt des petites positions dans une large "zone grise", avec seulement un petit groupe de soldats les gardant, ou se réfugiant dans la cave d'une maison détruite. Les assauts se font aussi en petits groupes, une dizaine de soldats tout au plus, qui essaient de progresser et occuper plus de terrain. Il arrive donc qu'un groupe arrive à avancer plus avant de se faire éliminer, souvent par les drones FPV.
NB1: ce n'est pas moi qui a fait cette observation en premier, c'est ce qui découle de nombreux témoignages et analyses de milblogger ukrainiens (et OSINTers). Mais il est notable que, jusqu'en août, les grands médias occidentaux ne présentaient pas souvent les choses de cette manière.
NB2: il y a une "percée" similaire" du côté de Kupyansk, dont je parlais déjà dans mon précédent bilan mensuel. Il semble que, là aussi, les Ukrainiens ont contre-attaqué et réduit la dangerosité de l'avancée russe même si la situation reste préoccupante.
J'ai déjà parlé des incertitudes qu'on a sur l'état du rapport de force actuel, et sur le fait que les Russes progressent lentement mais surement depuis maintenant plus de 22 mois. Le plus probable (scénario par défaut) est que les deux armées sont toutes deux épuisées, l'armée russe ayant juste un léger avantage, mais il existe deux scénarios possibles mais peu probables, l'un supposant que l'armée ukrainienne contrôle la situation ("grande feinte ukrainienne"), l'autre au contraire que l'armée russe contrôle la situation ("futur assaut sur l'OTAN"). Or, cette "percée" de Pokrovsk a une interprétation radicalement différente selon ces 3 scénarios, et il est pour le moment impossible de savoir quelle interprétation est la bonne.
- scénario "par défaut": les Ukrainiens manquent d'hommes, ce qui laisse des trous béants dans leur défenses et les Russes ont pu s’infiltrer. Cependant, ces derniers manquent maintenant de matériel mécanisé (qu'ils peuvent difficilement emmener jusqu'à la ligne de contact) et sont eux-même en trop mauvaise position pour exploiter correctement la percée, ce qui laisse le temps à l'Ukraine de ramener des renforts faits de bataillons pris un peu partout sur le front. La contre-attaque colmate tant bien que mal la brèche, mais l'Ukraine reste dans une situation très précaire
- scénario "grande feinte ukrainienne": les Ukrainiens minimisent délibérément le nombre d'hommes placés en première ligne, et privilégient une défense active. Les Russes ont poussé (pour avoir des résultats à montrer avant le sommet d'Anchorage) mais les Ukrainiens ont réagi conformément à leurs plans et ont éliminés les Russes infiltrés.
- scénario "futur assaut sur l'OTAN": les Ukrainiens manquent d'hommes, ce qui laisse des trous béants dans leur défenses et les Russes ont pu s’infiltrer. Ils auraient pu exploiter et faire s'effondrer les défenses ukrainiennes, mais ont délibérément choisi de ne pas le faire car une victoire trope rapide desservirait leur stratégie à plus long terme.
Campagnes aériennes
Après un calme relatif durant les 15 premiers jours d'août, durant lesquels les attaques aériennes russes ont été réduite en volume (en général, de 50 à 100 drones par nuit), les Russes ont repris leur bombardements de terreur sur les villes ukrainiennes avec d'autant plus de force qu'ils ont accumulé du stock, avec 4 attaques massives (plus de 200 drones par nuit). Voici les chiffres donnés par les Ukrainiens:
- 19 août: 270 drones + 10 missiles
- 21 août: 574 drones + 40 missiles
- 28 août: 598 drones + 31 missiles
- 30 août: 537 drones + 45 missiles
Concernant les dégâts causés, il s'agit principalement d'immeubles d'habitations (avec leur triste lot de victimes civiles), mais il y a eu aussi des attaques contre des entrepôts, des infrastructures énergétiques et même quelques cibles de hautes valeur comme
l'usine Bayraktar et
un système de lancement de missiles Neptune.
Outre les raffineries, plusieurs autres cibles de valeurs ont été touchées par les Ukrainiens dont:
Surtout, les Ukrainiens ont développés de nouvelles capacités d'attaque à longue distance, dont le missile "flamant rose". Celui-ci, s'il tient ses promesses en terme de capacités opérationnelles, de coût et de rythme de production,
pourrait devenir une sérieuse épine dans le pieds des Russes. Mais pour le moment, cela reste surtout de la spéculation, il faut que les Ukrainiens concrétisent durant les mois de septembre et d'octobre ce qu'ils ont esquissés en août. S'ils arrivent à détruire les capacités de raffinage russe, ce serait pour le coup quelque chose de stratégique (
mot employé à tort par les journalistes pour parler de la moindre prise d'un village).
La trahison de Trump
Quel contraste avec le mois précédent ! Enfin, dans les média. Car Trump n'a jamais changé. Il a toujours été pour Poutine, quels que soient ses tweets rageurs, ses menaces sans effets, ses mensonges politiques. Oh, pas ouvertement, il doit composer avec une opinion américaine très majoritairement anti-Poutine, il doit donc faire semblant de s'opposer à Poutine et de soutenir l'Ukraine. Mais pas question de sanctions supplémentaires, ou de continuation de l'aide. Tout au plus il veut bien que les Américains vendent ce qu'avant ils donnaient et continuer les sanctions existantes.
J'ai analysé
le sommet d'Anchorage. Qui a été suivi d'un sommet où les Européens se sont déplacés en masse à Washington pour une rencontre "historique" .... qui n'a strictement rien donné. Je ne sais pas si tout cela fait partie d'
un plan machiavélique de Trump et Poutine, ou bien si Trump est juste très con (ou les deux) mais voici ce que l'ordure a fait, ou exige:
- pas de retrait russe, et en revanche, l'Ukraine doit abandonner des territoires très importants
- aucune sanctions supplémentaires contre la Russie; par contre, menaces de sanctions contre l'Ukraine, l'Europe, et le reste du monde
- plus rien sur le retour des enfants ukrainiens, les dommages de guerre, l'arrestation des criminels de guerre etc
- les Européens sont priés d'acheter américains plutôt que de développer leurs industries.
- ils sont aussi censés offrir des "garanties de sécurités" qui n'ont rien de dissuasives.
- et aussi offrir le prix Nobel de la Paix à Trump (comment ça, ils n'ont pas ce pouvoir ?)
- et lui dire merci, sinon JD Vance leur crie dessus.
Et le pire, c'est que ça marche. Les Européens ne parlent que de "garanties de sécurité" à mettre en place lorsque le cessez-le-feu sera mis en place, mais plus de COMMENT imposer ce cessez-le feu puisque Poutine n'en veut pas. Ils attendent juste le bon vouloir de Trump qui peut mettre en place des sanctions efficaces (ce qui n'arrivera pas, Trump roulant pour Poutine). Ou bien ils s'imaginent, comme Trump, qu'en faisant suffisamment de concessions à Poutine celui-ci finira par accepter un "cessez-le-feu" et la promesse de ne plus attaquer de nouveau.
L'aveuglement servile des Européens
Et ce n'est pas que sur l'Ukraine que les Européens ne prennent aucune mesure concrète pour contrer Trump. Ils n'ont pas osé répondre aux droits de douane imposés par Trump. Ils sont
"sonnés" par l'assaut de Trump contre les régulations européennes. Ils semblent incapables de comprendre quelque chose qui est pourtant évident:
Trump est du côté des dictateurs, de Poutine, et contre l'Union Européenne.
Seul le président portugais a osé dire que Trump est un agent d'influence russe. Il n'y a rien à attendre de lui et, s'il peut être utile de le flatter et de manipuler son égo gigantesque, il ne faut pas espérer obtenir autre chose que des broutilles. Face à Trump, les Européens devraient se mettre en ordre de bataille. Et non préparer l'ordre du jour de la prochaine réunion pour tenter d'amadouer Trump pour la 357e fois.
J'aimerais croire que tout cela n'est qu'une ruse, que nos dirigeants agissent discrètement pour contrer Trump et armer l'Ukraine, mais on ne voit rien dans ce sens. Et surtout, je n'ai jamais été surpris positivement par Macron & co. Les seules fois où ils agissent discrètement, c'est pour faire passer leurs mesures fiscales impopulaires. Concernant Macron, j'ai vu sa gestion du covid19: il a pris certaines bonnes décisions, mais souvent trop tard, sans aucune anticipation, et compensant par un excès de communication son manque de préparation. Je me souviens encore de sa sortie au théâtre, début mars 2020, deux semaines avant le premier confinement, et de son explication comme quoi rien ne nous empêchera de sortir et profiter de la vie... avant que la réalité de l'épidémie et des services d'urgences débordés ne le rattrape. Je me souviens de sa dissolution, l'an dernier, persuadé qu'elle lui apporterait une nouvelle majorité alors qu'elle n'a fait que fractionner encore plus l'assemblée nationale. Bref, je l'ai vu se planter, agir trop peu ou trop tard, mais je ne l'ai jamais vu anticiper, agir discrètement et efficacement pour résoudre un problème.
Alors certes, Macron n'est pas le seul dirigeant européen. Mais les autres sont, à de rares exceptions près, faits du même bois. Alors que la montée des dangers exige une Europe forte, avec des dirigeants qui ne se contentent pas de parler mais agissent réellement, on a toute une génération d'hommes et femmes qui semblent incapables de faire autre chose que de la communication, une génération de "dirigeants" tous plus lâches et incapables les uns que les autres, et qui hypothèquent l'avenir de l'Europe par pure médiocrité.
Quo vadimus ?
Trois ans et demi de cette guerre de haute intensité, qui
a probablement fait plus de 1,5 million de morts et blessés. Trois ans et demi que les Ukrainiens luttent pour leur survie tandis que les Européens blablattent et que les Américains sabotent leur démocratie. Et la couverture médiatique est de plus en plus mauvaise, dans le sens où les journalistes sont incapables d'expliquer ce qui se passe, ils s'imaginent que la guerre va bientôt s'arrêter et retombent le lendemain dans leur routine habituelle. Éternel cirque médiatique qui souffre d'amnésie chronique. Mais surtout, ce qui perturbe la compréhension, c'est que tous les acteurs disent que pour eux, tout va bien.
L'Ukraine dit que tout va bien: ils détruisent les Russes à la chaîne, ils communiquent à tout va sur la mise en place de tel ou tel équipement (comme les missiles flamingo) et ne semblent pas remarquer que leurs alliés ne parlent plus d'aider l'Ukraine à gagner la guerre, juste à la perdre dans des conditions "acceptables". Ils n'ont toujours pas de réponse aux bombes planantes et à la supériorité numérique des Russes, leur réforme des corps d'armée tant nécessaire se fait mais les corps ne commandent pas leurs unités et Sirsky reste commandant-en-chef malgré tous les échecs accumulés depuis février 2024.
La Russie dit que tout va bien: l'opération militaire spéciale se déroule comme prévu, l'économie russe ne s'est jamais mieux portée et la Russie peut encore tenir mille ans comme ça, en tous cas bien plus longtemps que cet occident décadent. L'épuisement des stocks soviétiques, la destruction de toute leur économie hors secteur militaire, leur vassalisation par la Chine ne sont que des broutilles sans intérêt.
Trump dit que tout va bien: il est le plus grand président de l'univers, grâce à lui il y aura la paix en Ukraine dans deux semaines (Si seulement Zelensky voulait bien céder la moitié de l'Ukraine en échange d'une vague promesse), et le comité Nobel ferait mieux de lui donné le prix Nobel de la Paix s'il ne veut pas que Trump envahisse la Norvège.
L'Union Européenne dit que tout va bien: on soutiendra l'Ukraine jusqu'au bout, on a annoncé une nouvelle aide de 500 millions (pour acheter des armes américaines destinées à l'Ukraine), la prochaine réunion sur les garanties de sécurité est prévue pour bientôt et d'ailleurs Trump est de notre côté et ne va pas nous trahir. On oublie l'indépendance stratégique et les efforts de réindustrialisation, on ne se soucie pas de la montée des populismes aidés par les Russes.
On a donc 4 acteurs (Ukraine, Russie, Union Européenne, USA) et chacun se répète: "jusqu'ici, tout va bien. jusqu'ici, tout va bien." Comme le disait déjà si bien le filme
La Haine, il y a trente ans:
l'important, ce n'est pas la chute, c'est l'atterrissage. Logiquement, ce n'est pas possible que les 4 aient raison en même temps. Il y a au moins un des quatre acteurs qui a tort et qui finira sur le carreau. Lequel ou lesquels ?
On ne le saura pas tout de suite. Même si les journalistes spéculent sur la fin prochaine de la guerre, sur une hypothétique rencontre entre Zelensky et Poutine, comme souvent depuis novembre dernier, ce sont juste des nouvelles qui font l'actualité mais sont oubliées deux semaines plus tard, cala ne change rien au fait que les exigences russes sont inacceptables, et que l'Ukraine tient encore debout. Je
maintiens donc ce que je disais en janvier dernier: cette guerre va encore durer un an ou plus, hélas. Ce n'est qu'en 2026 ou 2027 qu'on saura, probablement trop tard, quel chemin a été pris et ce vers quoi on s'achemine.
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