dimanche 5 janvier 2025

Guerre en Ukraine: bilan du mois de décembre 2024

Comme chaque mois, voici un petit bilan du mois de décembre 2024, à mettre en perspective avec les constats que j'avais faits fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre, fin novembre, fin décembre 2023 ainsi que fin janvier, fin février, fin mars, fin avril, fin mai, fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre et fin novembre 2024.

Une fois de plus, les Russes ont continué leur grignotage des défenses ukrainiennes, surtout dans le sud-est où ils ont pratiquement pris Kurakove et menacent très sérieusement Velyka Novosilka.  La situation reste très préoccupante aussi vers Pokrovsk, Toretsk, Chassiv Yar et vers Kupyansk, même si jusqu'à présent ces villes tiennent encore. Dans la région de Kursk, les Ukrainiens continuent de reculer tout en infligeant de grandes pertes aux Russes et aux Nord-Coréens déployés dans la région.
 
Cependant, une fois de plus, l'événement qui aura le plus de conséquence n'a pas eu lieu sur le champ de battaille. Ce mois-ci, c'est en Syrie que ça s'est passé: la chute de Bachar el-Assad prive la Russie d'un précieux allié.
 
 
 

Pertes humaines record, pertes matérielles en baisse (bis)

Je rappelle les pertes russes telles qu'annoncées par les officiels Ukrainiens dans les 4 catégories à surveiller: Artillerie, MLRS, DCA et équipements spéciaux. Pour chacune, je vais donner les chiffres mensuels habituels ces derniers mois, ainsi que les moyennes pour la première année (mars 2022 à février 2023) et la deuxième année (mars 2023 à février 2024) puis les chiffres de mars > avril > mai > juin > juillet > août > septembre > octobre > novembre > décembre 2024

  • Artillerie 
    • moyenne 1ere année: 190/mois
    • moyenne 2e année: 650/mois
    • 980 (mars) > 961 (avril) > 1129 (mai) > 1393 (juin) > 1553 (juillet) > 1528 (août) > 1208 (septembre) > 1191 (octobre) > 896 (novembre) > 619 (décembre)
  • MLRS
    • moyenne 1ere année: 40/mois
    • moyenne 2e année: 43/mois
    • 23 (mars) > 30 (avril) > 35 (mai) > 22 (juin) > 21 (juillet) > 45 (août) > 28 (septembre) > 39 (octobre) > 10 (novembre) > 3 (décembre)
  • DCA
    • moyenne 1ere année: 21/mois
    • moyenne 2e année: 37/mois
    • 53 (mars) > 36 (avril) > 36 (mai) > 58 (juin) > 34 (juillet) > 33 (août) > 23 (septembre) > 31 (octobre) > 25 (novembre) > 13 (décembre)
  • Équipements spéciaux
    • moyenne 1ere année: 19/mois
    • moyenne 2e année: 114/mois
    • 228 (mars) > 148 (avril) > 187 (mai) > 284 (juin) > 249 (juillet) > 280 (août) > 336 (septembre) > 257 (octobre) > 47 (novembre) > 54 (décembre)

Les baisses constatées au mois dernier se poursuivent. En particulier, les pertes de MLRS sont encore plus basses, presque inexistantes. Ce qui est d'autant plus intrigant que les réserves matérielles russes de MLRS sont virtuellement épuisées. Se pourrait-il qu'ils n'en aient plus ? Pourtant, chaque jour, les Ukrainiens rapportent environ 200 attaques de MLRS russes chaque jour, une moyenne qui est d'ailleurs en augmentation ces deux derniers mois. L'explication à cette contradiction apparente est peut-être la même que celle qui explique pourquoi les Ukrainiens ne détruisent plus que très rarement des avions et hélicoptères, car ceux-ci veillent à rester autant que possible loin de la ligne de front. De même, il est possible que la Russie utilise moins les MLRS TOS1A (portée ~10km) et BM-21 "Grad" (portée ~20km)  et plus les MLRS à plus longue portée BM-27 "Uragan" et BM-30 "Smerch".

En tout, 3 764 pièces d'équipement ont été perdues par les Russes selon le comptage mensuel fait par Ragnar Bjartur Gudmundsson, en baisse de 20% par rapport au mois précédent, alors que dans le même temps les Russes ont perdu 49 150 hommes en novembre, ce qui pulvérise une fois de plus le record du mois précédent. 

Ce double mouvement (baisse des pertes matérielles, augmentation des pertes humaines) s'accentue donc en décembre et n'est pas du tout une bonne nouvelle pour la Russie: c'est le signe que les capacités de son armée se dégradent. Malheureusement, il est probable qu'il en soit de même pour l'armée ukrainienne.



Critiques contre le haut commandement ukrainien

De plus en plus de voix s'élèvent contre la gestion de la guerre par le haut-commandement ukrainien, et ces critiques viennent souvent de pro-ukrainiens fervents. Un des plus expressifs est sans aucun doute Tom Cooper / Sarcastosaurus qui depuis maintenant près de six mois injurie les décideurs ukrainiens (en particulier le commandant-en-chef Syrsky et le président Zelensky) et les traite d'incompétents. Si tous ne partagent pas le ton (excessif et insultant) de Tom Cooper, d'autres analystes et militaires formulent les mêmes critiques de manière plus polie mais non moins sévère:
 
Les principaux griefs sont:
  • mauvais processus de mobilisation et d’entraînement
  • problèmes d'organisation de la structure de commandement
  • problèmes lors des rotations d'unités
  • problèmes de logistique
  • mauvais choix tactiques
  • fâcheuse habitude de "découper" les brigades et d'envoyer ses bataillons sur différents fronts 

Tous ces problèmes ont pour conséquences une baisse de la qualité des unités ukrainiennes, un manque de cohésion tactique et opérationnelle, et au final une défense plus faible et des pertes plus importantes.

J'avais parlé de certains de ces problèmes il y a près d'un an. Hélas, ils se sont aggravés depuis. La 155e brigade mécanisée "Anne de Kiev", tout juste équipée et entraînée par la France, semble avoir fait les frais de ces problèmes de commandement ukrainien, du moins si on en croit les reportages qui circulent à son sujet.
 
Des réformes drastiques sont donc d'autant plus nécessaires que ces problèmes sont anciens et que de nombreux articles ont été écrits dessus tout au long de 2023 et 2024. Mais, autant que l'on puisse en juger, le haut-commandement ukrainien n'apprécie guère toutes ces remises en questions et sa réponse varie entre essayer de faire taire les critiques et promettre des réformes qui ne se font pas. Comprendre pourquoi ces réformes ne se font pas, alors que l'Ukraine pourrait grandement en bénéficier, est une autre paire de manche. J'essaierais de développer ce point prochainement.


La chute du boucher de Damas

En novembre, c'est hors d'Ukraine que Poutine a eu sa plus belle victoire avec l'élection de Trump. En décembre, c'est encore hors d'Ukraine que Poutine a eu sa plus terrible défaite avec la chute de Bachar El-Assad. Avec la fin du règne de la terreur du "Boucher de Damas", la Russie perd un allié précieux, et l'Ukraine gagne un ami. La Russie a été incapable de sauver Assad, preuve s'il en était besoin de son affaiblissement militaire suite à la guerre en Ukraine.

Certes, la Syrie ne fournissait à la Russie ni armes ni hommes, contrairement à l'Iran et la Corée du Nord. Au contraire, elle immobilisait une petite partie de la puissance militaire russe. Mais elle fournissait toute la base arrière nécessaire au développement de l'influence russe au Moyen-Orient et en Afrique. De plus, le fait que le régime syrien est tombé si rapidement montre à quel point ce genre de dictature (même quand il obtient officiellement 99% des votes) peut tomber facilement quand un petit groupe (mais bien armé et déterminé) se rebelle contre le pouvoir central. On se souvient de la facilité avec laquelle Prigojine a marché sur Moscou.
 
Pour le reste, l'issue de la guerre en Ukraine est toujours suspendu aux futures décisions de Donald Trump. J'ai déjà écrit dessus le mois dernier, et il n'y a pas grand'chose à ajouter; comme Trump dit tout et son contraire, il est difficile de prévoir ce qu'il fera, même si je devine que ce ne sera pas bon pour l'Ukraine. Beaucoup d'analystes tiennent pour acquis que Trump obtiendra son cessez-le-feu. Pour ma part, j'en doute. D'abord, parce que le plan proposé par Trump ne plait ni aux Ukrainiens, ni aux Russes, ni aux Européens (même si personne ne commet l'affront de le dire frontalement). Ensuite, parce que Trump a fait des promesses sur tous les sujets, et n'en tiendra que quelques unes (voire même aucune). Je doute que l'Ukraine fasse partie de ses priorités, et son investissement dans cette affaire sera sans doute minimal. Possible que les négociations s'enliseront, Trump passera a autre chose et se contentera de ne plus envoyer d'aide à l'Ukraine.

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