C'est Noël.
Aussi, et bien que cela contraste avec l'intensité toujours plus forte de la guerre, les média parlent de plus en plus de la possibilité d'une "paix" en Ukraine. Surtout que Donald Trump a promis de ramener la paix en 24 heures. Mais de quelle paix parle-t-on ?
Guerre et paix
Si on demande à quelqu'un s'il est pour la paix en Ukraine (et même dans le monde entier), n'importe qui répondra par l'affirmative. Qui est contre la paix ? Qui est pour la guerre ? Personne !
Aussi, une question plus pertinente est de savoir ce qu'on entend par "paix". Car ce même mot peut avoir une signification radicalement différente en fonction de votre interlocuteur. Il en est de même pour le mot "guerre".
Rappelons que la guerre entre la Russie et l'Ukraine n'a pas commencé en février 2022,
mais en mars 2014, quand la Russie a envahit la Crimée. Il y a eu
ensuite de violents combats dans le Donbas en 2014 et 2015, puis le
conflit a diminué d'intensité avant de reprendre bien plus intensément
en février 2022. Mais malgré ces plus de 10 ans de conflit, la Russie n'a toujours pas déclaré la guerre à l'Ukraine. Depuis près de 3 ans, elle continue son "opération militaire spéciale de trois jours". De même, la Russie n'est pas en guerre ouverte avec les autres pays européens, mais mène pourtant une vaste guerre hybride mêlant propagande, corruption et sabotages ainsi que des ingérences électorales qui, à une autre époque, aurait probablement constitué un casus belli. Mais personne n'a envie d'une guerre ouverte avec une puissance nucléaire, alors les politiciens font beaucoup d'efforts pour détourner la tête de ces attaques.
Le Colonel Goya n'aime pas ce terme de "guerre hybride" et lui préfère des termes comme "confrontation"; il rappelle aussi que des pays (surtout des pays disposant de la bombe H) peuvent aller très loin, y compris participer directement à des combats, tout en présentant les choses pour éviter d'être officiellement en guerre. Toujours est-il que les choses ne sont pas binaires, il y a un certain continuum entre "l'état de guerre" et "l'état de paix". Et donc qu'il ne suffit pas que les armes se taisent pour que l'on soit réellement en paix. Aussi, plutôt que de vouloir à tout prix "la paix en Ukraine", il faut plutôt s'interroger sur ce que signifie réellement la paix et les conditions nécessaires à celle-ci.
Une paix juste et durable
Comme le rappelle régulièrement le président Volodymyr Zelensky, cette guerre est une guerre d'invasion qui peut être terminée, à n'importe quel moment, si les envahisseurs russes renoncent à leurs projets de conquête et quittent l'Ukraine. Les conditions pour obtenir une paix juste et durable incluent:
- le retrait total des troupes russes
- la libération de tous les Ukrainiens (en particulier les enfants) déportés en Russie
- des poursuites pénales contre les criminels de guerre
- le paiement de réparation pour les dommages causés
- des garanties de sécurité fortes pour l'Ukraine (comme par exemple l'adhésion à l'OTAN)
Obtenir toutes ces conditions est ce qui définit les objectifs politiques de l'Ukraine dans cette guerre. Malheureusement, le rapport de force actuel (et potentiellement futur) ne permet guère d'espérer atteindre tous ces objectifs. Et, en Occident, certains dirigeants, dont Trump, veulent que les Ukrainiens n'en atteignent aucun.
Car si l'attention des média se concentre essentiellement sur le premier point, en se focalisant uniquement sur les questions territoriales, celles-ci sont un peu secondaires. Pour les Ukrainiens, ce qui compte avant tout, ce sont les garanties de sécurité.
La plus grande crainte des Ukrainiens, en cas de cessez-le-feu, c'est que la Russie profite du répit pour se réarmer et lance de nouvelles offensives dans quelques mois/années face à une Ukraine affaiblie et incapable de se défendre une nouvelle fois. C'est pourquoi l'Ukraine a besoin de garanties de sécurité extrêmement fortes, comme une adhésion à l'OTAN et à l'UE, pour lui permettre de se reconstruire après guerre et de ne plus craindre une nouvelle invasion russe.
Les négociations de tous les dangers
En fait, comme l'a très bien dit Anders Puck Nielsen, les négociations (voulues par Trump) peuvent permettre à la Russie de parvenir à ses buts de guerre alors qu'elle en est incapable militairement. La Russie veut:
1) conserver les territoires qu'elle occupe actuellement
2) la fin des sanctions occidentales
3) l'isolement de l'Ukraine (interdite de rejoindre l'OTAN)
Et certains, en Occident, sont prêts à accorder tout ça en échange d'une vague promesse de Poutine qui ne vaudra pas plus que ses promesses précédentes. Si Poutine obtient ça alors la Russie aura gagné: l'Ukraine sera faible, incapable de se reconstruire, son pouvoir politique discrédité et la Russie déploiera toute sa propagande et ses méthodes de corruption pour prendre le contrôle du gouvernement, comme elle l'a fait en Géorgie.
Pire, Trump poussera à ce que les USA se désengagent de l'Europe, ce qui rendra toute l'Europe vulnérable, et susceptible de se faire envahir par la Russie. Quelle sera la réaction des Européens ? Hélas, on peut craindre le pire. Le pire serait que Trump fasse tout pour renforcer la menace russe, et fasse ensuite du chantage aux européens du style "achetez nos armes ou je ne vous défendrai pas face aux Russes".
Si cela se produit, la réaction logique et saine des Européens serait de se passer des Américains et de prendre en main leur défense. Mais je crains que les Européens veuillent au contraire tout faire pour ne pas déplaire à Trump, quitte à sacrifier l'Ukraine... et leur futur à moyen-long terme.
Ce n'est donc pas seulement le sort de l'Ukraine qui est en jeu, mais aussi celui de toute l'Europe, qui pourrait se retrouver coincée entre le marteau d'une Russie impérialiste et belliqueuse et l'enclume d'une Amérique tournant au fascisme.
Les Européens ont leur destin entre leur mains
Cependant, le pire n'est jamais certain; même si beaucoup, comme Guillaume Ancelme pensent que Trump va obtenir son "cessez-le-feu" au dépend de l'Ukraine, il faut noter que ni Poutine, ni Trump n'ont vraiment les moyens de contraindre les Européens à accepter une "paix" qui serait à leur désavantage. Ils ne peuvent que menacer, encore et encore, agiter la somme de toutes les peurs, mais au final les Européens ne sont pas obligés de céder, et les Ukrainiens encore moins.
Mais cela nécessite des changements radicaux. En Ukraine, où la structure de commandement est complètement défaillante. Mais aussi en Europe, où c'est le monde politico-médiatique qui tourne en boucle mais ne fait rien pour résoudre les problèmes auxquels l'Europe est confrontée. Paradoxalement, le pire serait de continuer "comme avant" et l'augmentation des dangers est peut-être la seule chose qui pourrait pousser les Européens à sortir de leur léthargie et leurs querelles intestines. Encore faudrait-il qu'ils le fassent avant qu'il ne soit trop tard.
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