dimanche 21 juillet 2024

Contre-offensive ukrainienne: un an après (1)

Il y a un peu plus d'un an, tout le monde attendait la "grande contre-offensive ukrainienne" et celle-ci fut lancée début juin 2023. 

Fin juin 2023, j'ai écrit une analyse (1, 2 et 3), dans laquelle je développais l'idée (peu partagée par les experts militaires, c'est le moins qu'on puisse dire) que l'Ukraine cherchait d'abord à détruire l'armée russe (plus qu'à obtenir immédiatement des gains territoriaux) et donc que l'objectif des Ukrainiens n'était pas de percer immédiatement, mais de mettre "KO debout" l'armée russe. J'ai poursuivi ensuite par des bilans mensuels plus succincts.

Un an plus tard, le récit médiatique est unanime:

  • la contre-offensive ukrainienne a duré de juin à septembre 2023; elle a été coûteuse en hommes et en matériel, et a complètement échoué
  • l'armée russe est de nouveau à l'offensive depuis octobre 2023;  supérieure en nombre comme en équipement, elle avance inexorablement, l'armée ukrainienne étant incapable de la stopper.

Une fois de plus, je vais aller (un peu) à l'encontre de ce récit médiatique dominant. Notez que je me repose sur d'autres analyses et données collectées par des gens bien plus compétents que moi et que je ne revendique aucune expertise particulière, à part celle de prendre un peu de recul, de poser certaines questions sans a priori et de chercher des réponses en me basant sur les faits et l'ensemble des données disponibles.

 

célèbre image des Bradleys et Leopards 2 détruits lors des premiers assauts

 

Un an d'offensives pour un front qui a si peu bougé

Je vais très brièvement rappeler l'évolution du front depuis la prise de Bakhmut par les Russes jusqu'à aujourd'hui, en rappelant les différents axes des offensives russes et Ukrainiennes. Pour des résumés plus détaillés, il y a par exemple la série de vidéos faites par la chaîne Kings & Generals, ou les analyses de Perun et bien d'autres.

Offensives Ukrainiennes:

  • fin mai 2023, les Ukrainiens commencent à contre-attaquer autour de Bakhmut, à la fois au nord et au sud. Ces offensives culminent:
    • au nord en juillet (sans prendre de village)
    • au sud en septembre 2023 (avec les prises des villages de Klishiivka et Andriivka)
  • début juin 2023, les Ukrainiens lancent leur contre-offensive au sud, sur 3 axes
    •  le principal axe est en direction de Tokmak; après des début très difficiles, ils prennent le village de Robotyne en aout 2023 et vont un peu au delà; cette offensive culmine en septembre 2023, après avoir franchi la première ligne fortifiée russe à l'est de Robotyne
    • l'axe où les Ukrainiens ont eu le plus de succès initialement est celui en direction de Berdiansk. Ils avancent très rapidement 5-6 km, puis la progression est plus lente; cette offensive culmine en juillet 2023 avec la prise d'Urozhaine
    • un troisième axe, souvent oublié, était tout à l'ouest du front (à proximité de Kamyansk); les Ukrainiens prennent deux petits villages en juin 2023, et le front ne bouge plus ensuite 
  • fin octobre 2023, les Ukrainiens prennent pied sur la rive gauche du Dnipro, et maintiennent une présence à Krynky. Si ce n'est pas une offensive à proprement parler, il y a eu autour de ce village une intense bataille, les Russes cherchant à recapturer le village. Il semble que, à l'heure actuelle, cette opération touche à sa fin et a coûté la vie à des centaines de soldats ukrainiens.

Offensives russes (la plupart sont toujours en cours):

  • en juillet 2023, les Russes commencent à lancer des attaques un peu partout sur le front est, de Kupyansk (au nord) à Vuhledar (au sud) en fait, ils n'ont jamais cessé d'attaquer de manière plus ou moins régulière à divers endroit du front est, souvent sans succès mais parfois avec quelques progression. En particulier:
    • il semblerait que les Russes ont mené une offensive à l'ouest de Stepove (oblast de Luhansk). J'emploie le conditionnel car les analyses OSINT n'étaient pas tous d'accord sur l'ampleur de cette offensive, Deepstatemap faisant étant de mouvements relativement important, d'autres disant qu'il ne s'y passait presque rien. Quoi qu'il en soit, le front ne bouge plus à cet endroit depuis septembre 2023
    • les Russes ont attaqué en direction de Kupyansk. Si les attaques directes ont échoué malgré de grands moyens employés, les Russes ont plus de succès à environ 20km à l'est de Kupyansk, prenant un peu de terrain et quelques villages
    • les Russes ont également lancé de nombreuses attaques  tout autour du saillant de Siversk (près de Kremina/Lyssychansk/Severodonetsk), cherchant à capturer les villages de Terny, Bilohorivka, etc. Leur progression est très limitée malgré beaucoup de moyens déployés dans le secteur
  • en octobre, les Russes lancent leur grande offensive vers la ville d'Avdiivka. En fait, les attaques russes sur Avdiivka étaient permanentes depuis février 2022, mais il y a eu un changement d'échelle en octobre 2023 avec l'emploi de centaines de blindés dont beaucoup seront détruits par les Ukrainiens. après une progression sur les flancs, les Russes prennent Avdiivka en février 2022, puis continuent leur progression. L'absence de bonnes lignes défensives ukrainiennes derrière la ville fait que les Russes continuent leur progression. C'est dans ce secteur qu'ils obtiennent les meilleurs résultats, avec la prise du village d'Ocheretyne fin avril, et qui reste un secteur critique du front pour les Ukrainiens
  • à partir de novembre 2023, les Russes commencent à reprendre du terrain au nord de Bakhmut et annulent les gains ukrainiens de l'été 2023 (au nord) et poussent même plus loin vers la ville stratégique de Chassiv yar, un point clef de la défense ukrainienne. Au sud de Bakhmut, les avancées russes n'ont pas totalement annulé les gains ukrainiens, mais ils ont repris les ruines de Klishiivka et (plus important) le village d'Ivaniske. La ville de Chassiv Yar tient encore, mais elle est très sérieusement menacée et attaquée par les Russes et on ne sait pas si les Ukrainiens parviendront à les contenir
  • Mariinka, attaquée elle aussi depuis le départ, est finalement prise par les Russes en décembre 2023. Les Russes ont également attaqué et/ou pris d'autres villages à proximité de Mariinka: Krasnohorlivka au nord, Pobedia et Novomykhailivka au sud.
  • les Russes cherchent à annuler les gains ukrainiens en attaquant au sud, et ont repris Robotyne et Staromaiorske en mai 2024
  • enfin, ils ont également attaqué en direction de Kharkiv; leur progression est importante les premiers jours, mais ils sont stoppés au bout d'une dizaine de jour et ne progressent plus ensuite

On constate donc que, sur un an, les Russes ont très majoritairement été à l'offensive. Ils ont pris du terrain (un peu plus de 800 km2 de gain net), des villes comme Avdiivka et Marinka et plusieurs dizaines de villages. Cela peut sembler important, c'est en réalité assez peu (l'équivalent de 10-15% d'un département français, alors que l'Ukraine est plus grande que la France). Néanmoins, les Russes ont progressé là où les Ukrainiens ont fait du sur-place, voire ont reculé. Pire: les promesses d'une contre-offensive ukrainienne et d'une victoire ukrainienne en 2023 ne se sont pas réalisées, et qu'au contraire les Russes semblent maintenant plus forts et sont toujours à l'offensive.

Le récit médiatique semble donc juste: en 2023 et jusqu'à maintenant (mi-2024), il y a bien eu un échec ukrainien de la contre-offensive ukrainienne, et une victoire des offensives russes. Je vais cependant remettre en question, en commençant par une question qui semble toute bête: la contre-offensive ukrainienne a-t-elle seulement eu lieu ?



Y a-t-il bien eu une contre-offensive ukrainienne ?

Si cette question semble toute bête, c'est que la réponse parait évidente: oui, il y a bien eu une contre-offensive ukrainienne, tout le monde (moi y compris) en a parlé. Au printemps 2023, on parlait beaucoup de la formation de 12 nouvelles brigades (dont 9 entraînées en occident), chacun se demandait où les Ukrainiens attaqueraient, si cela suffirait pour gagner, etc. Puis, à partir de juin, les attaques ukrainiennes (et notamment la perte de plusieurs dizaines de blindés occidentaux) a fait la une des journaux. Et, depuis fin 2023, beaucoup d'articles sur l'Ukraine commencent par  une formule du genre "l'armée ukrainienne manque d'hommes et de munition depuis l'échec de sa contre-offensive."

Et pourtant, il y a quelque chose qui me dérange. Si on regarde le déroulement des attaques comme je l'ai résumé plus haut, on voit que, les Russes sont de nouveau à l'offensive dès juillet 2023 sur au moins 5 axes: Kupyansk, ouest de Stepove, Kremina, Avdiivka, Marinka, alors que les Ukrainiens n'attaquent plus que sur 3 axes, et seulement 2 à partir d'aout 2023. Autrement dit: à part au mois de juin 2023, les Russes attaquent toujours plus qu'ils ne défendent. C'est d'ailleurs aussi le seul mois où les pertes matérielles confirmées (par Oryx) des Ukrainiens dépassent celles des Russes: tout le reste du temps, les Russes perdent plus de matériel que les Ukrainiens.

Il y a bien eu des attaques ukrainiennes, et une progression par endroits de mai 2023 à septembre-octobre 2023, mais cette progression a été très limitée, et ne cherchait peut-être même pas à percer les lignes russes. La phase d'assaut mécanisés a été si courte et si localisée, que les commentateurs occidentaux n'étaient même pas sûrs que la fameuse contre-offensive ukrainienne avait bien commencé quand ça s'est produit. De manière générale, ces attaques ukrainiennes ont été généralement très petites, et très différentes de ce qu'on envisageait comme étant la fameuse contre-offensive ukrainienne tant attendue. On verra que c'est d'ailleurs un des reproches que lui font les analystes occidentaux: ne pas avoir suivi le plan établi par les Américains, avec une grosse offensive à un seul endroit.

Alors, les pro-Poutine disent qu'il y a bien eu cette contre-offensive à un seul endroit (entre Orikhiv et Robotyne), mais qui a échoué dès les premiers jours, puisque c'est ce qu'ont affirmé Choigu et Poutine, et montrent en boucle la destruction de Bradley et Léopards. Alors, il y a bien eu, début 2023, un assaut catastrophique de la 47e brigade mécanisée ukrainienne, et dont le seul résultat a été la perte, en seulement 2/3 jours, d'une dizaine de tanks Leopards et une trentaine de véhicules blindés Bradley. Ce qui représente 1/3 des véhicules de cette brigade. C'est beaucoup. Et en même temps, cela représentait moins de 5% des forces amassées par les Ukrainiens pour leur contre-offensive. Sauf s'il y a eu d'autres pertes massives n'ont pas été documentées, ce qui est très improbable.

Pour ma part, dès le mois de mars 2023, je me demandais si les Ukrainiens avaient les moyens de lancer une contre-offensive, et je concluais ainsi: 

  • soit l'Ukraine est vraiment mal et n'aura pas les moyens de contre-attaquer à grande échelle
  • soit les Occidentaux et les Ukrainiens se sont secrètement entendus pour maximiser les chances d'une contre-offensive victorieuse (en livrant secrètement bien plus de matériel qu'annoncé); auquel cas non seulement l'opération "X" sera un succès mais verra probablement la défaite de l'armée russe.

Le second point ne s'est certainement pas produit. Le premier, en revanche, est plus proche de ce qui s'est passé. Et dans l'analyse des documents qui avaient fuité du Pentagone, début avril 2023, ma conclusion était:

Le tableau que dressent ces documents est donc plutôt sombre: ils décrivent une armée ukrainienne peu nombreuse, manquant de tout, sans réserve, et de nouvelles brigades en formation qui sont pas suffisamment puissantes pour espérer pouvoir disloquer le front russe et obtenir une victoire décisive. Le matériel manque, les munitions manquent et les occidentaux n'ont apparemment pas l'intention de fournir à l'Ukraine des moyens à la hauteur des enjeux. Autrement dit, si on reprend la question que je posais précédemment, on est clairement dans le cas où il n'y aura pas de contre-offensive d'ampleur.

Avec le recul, ce pessimisme sur l'état de l'armée ukrainienne était plutôt du réalisme, et il est probable que l'état de l'armée ukrainienne ne permettait pas de mener une grande offensive comme les média occidentaux s'y attendaient, mais que le général Zaluzhny a quand même voulu, ou été contraint (par le pouvoir politique et/ou la pression des Occidentaux) à lancer de "petites" offensives. D'ailleurs, cela se comprend quand on regarde l'allocation des forces ukrainiennes pour ces contre-offensives.



La répartition de l'effort ukrainien

Au printemps 2023, l'Ukraine avait formé 36 "nouvelles" brigades (NB: la plupart de ces brigades ont été formées à partir d'unités existantes, bataillons ou régiments, et certaines était toujours en formation en juin 2023; quelques unes de ces "nouvelles" brigades étaient des brigades existantes de la garde nationale qui ont été renommées et rééquipées). De plus, certaines des anciennes brigades ont aussi participé aux offensives. Jerome, du site Militaryland.net, avait listé 27 brigades (anciennes ou nouvelles) prêtes pour la contre-offensive en avril 2023. Au final, les brigades ayant réellement participé aux contre-offensives ont été un peu différentes. Sur les 4 ou 5 axes où l'Ukraine a attaqué, les brigades suivantes ont été déployées:

  • axe Bakhmut-nord: principalement les 57e et 67e brigades mécanisées, avec le soutient des 30e, 56e, 77e et 92e brigades (peut-être aussi les 4e et 17e brigades blindées)
  • axe Bakhmut-sud: principalement les 3e et 5e brigades d'assaut, 28e et 80e brigades, brigade Lyut(*), avec le soutien des 22e(*) et 93e brigades et de 2 brigades d'artillerie
  • axe Berdiansk: principalement les 35e, 36e brigades de marine, avec le soutien des 23e(*), 31e(*), 68e (qui sera transférée en juillet près de svatove), 37e(*), 38e(*)  brigades de marine (peut-être aussi les 1ere et 3e brigades blindées) et une brigade d'artillerie
  • axe Melitopol: au début, principalement la 47e(*) brigade mécanisée, avec la 33e(*) et 65e brigade  (+1 brigade d'artillerie) en support. A cela s'ajoutent les 46e, 82e(*) brigades à l'assaut, plus en soutien les 71e, 116e(*), 117e(*), 118e(*) brigades mécanisées, les 3e(*), 14e(*), 15e(*) et 17e brigades de la garde nationale et une seconde brigade d'artillerie
  • axe Kamyansk: 128e brigade d'assaut de montagne


NB1: les brigades marquées (*) sont les fameuses "nouvelles" brigades formées en 2023.

NB2: il faut se rappeler que l'Ukraine déploie ses unités probablement au niveau des bataillons plus que des brigades. Parfois, ce n'est qu'un ou deux bataillons qui ont participé au combats, pas la brigade toute entière.

On voit donc que, sur les 36 nouvelles brigades,  seul un peu plus d'un tiers ont été déployées pour cette contre-offensive. Et encore, plutôt dans un rôle se support qu'à la pointe des assauts. Les autres sont soit restées en réserves (parfois parce qu'elles étaient encore au stade de la formation), soient déployées en défense dans d'autres secteurs. Or, si on considère ces nouvelles brigades comme l'effort consenti par l'armée ukrainienne, on constate:

  1. que sur 2 des 5 axes (Bakhmut-nord et Kamyansk), il n'y a eu aucun effort, et très peu d'effort sur Bakhmut-sud. Il est donc probable que ces trois axes n'ont été que des attaques d'opportunité et/ou de diversion
  2. l'effort sur l'axe Berdiansk a été assez important au départ, puis s'est tari au bout d'un mois et demi; ce changement peut s'expliquer soit par des pertes importantes, soit par la décision stratégique de se concentrer sur un seul axe
  3. le principal effort a été sur l'axe Melitopol; au départ, seules 2 ou 3 brigades ont réellement participé aux assauts, mais ensuite plusieurs autres les ont rejoint, et à partir d’août c'est le principal axe d'attaque ukrainien
  4. Mais que, globalement, la "grande contre-offensive ukrainienne" n'a engagé que des moyens modestes et que les nouvelles brigades ont surtout été nécessaires pour contrer la montée en puissance de l'armée russe.

Contrairement à ce qui a été beaucoup dit dans la presse (souvent pour le critiquer) et aussi par de nombreux analystes militaires, il ne semble pas que les Ukrainiens aient beaucoup dispersé leurs efforts. Beaucoup moins que les Russes qui attaquent fréquemment sur une dizaine d'axes en simultanée depuis octobre 2023. Reste à savoir si cette décision de ne consacrer que peu de moyens à la contre-offensive est volontaire, ou contraintes par les nombreuses attaques russes ailleurs sur le front qui ont forcé les Ukrainiens à ne pas consacrer toutes leurs forces disponibles à la contre-offensive.

Et si ce manque d'engagement a très certainement diminué les progrès de l'armée ukrainienne, il a probablement aussi limité les pertes, comme nous le verrons plus tard. Mais avant cela, je voudrais revenir sur mes analyses de mai et juin 2023, et les confronter à ce que nous savons maintenant.

 

 

Mes analyses étaient-elles justes ?

Fin mai 2023, j'avais donné les 5 axes possibles pour une contre-offensive ukrainienne, avec leurs objectifs, et les classant du plus probable au plus improbables:

  1. Région de Zaporijja (c'est là que le principal effort ukrainien a eu lieu)
  2. Vuhledar (l'attaque a en fait eu lieu un peu plus à l'ouest que ce que j'envisageais)
  3. Région de Luhansk
  4. Autour de Bakhmut
  5. Région de Kherson
     

Sans surprise, l'attaque a été menée sur les deux premiers axes, avec des attaques de diversion autour de Bakhmut et quelques actions commandos du côté de Kherson. A vrai dire, ce classement était peu ou prou partagé par la plupart des analystes militaires, tant il semblait logique.

Comme on l'a vu dans ce bilan, loin de chercher une percée sur un ou plusieurs de ces 5 axes, les Ukrainiens ont mené des actions offensives assez différentes de ce qu'on imaginait.

Fin juin 2023, j'analysais la stratégie ukrainienne (partie 1, partie 2, partie 3) et j'étais arrivé à des conclusions assez différentes de ce que disaient la plupart des analystes militaires. Je soutenais:

  1. que le but de l'armée ukrainienne a toujours été de détruire l'armée russe, la libération des territoires ne se faisant qu'ensuite
  2. que la priorité des Ukrainiens, c'était donc de détruire les équipements qui pourraient faire échec à la contre-offensive (artillerie, MLRS, DCA, radars et équipements de guerre électroniques)
  3. que ce n'est qu'une fois l'armée russe mise dans une situation de "KO debout" que l'armée ukrainienne pourra réellement percer le front

Au moment où j'ai formulé cette théorie pour la première fois, peu d'analystes militaires étaient d'accord. Depuis, Guillaume Ancel Michel Goya et Tom Cooper (Sarcastosaurus) ont exprimé des idées similaires. A vrai dire, j'espérais que fin aout/début septembre 2023, les Russes seraient suffisamment usés pour que les Ukrainiens puissent mener leur "vraie" contre-offensive. Cela ne s'est pas produit, bien au contraire. NB: j'ai toujours dit que c'était un souhait, pas une prédiction, et j'ai toujours dit que cela ne pourrait se produire qu'à certaines conditions qui n'ont pas été réunies.

Mais cette théorie était-elle juste ? Les officiels ukrainiens (en particulier Zelensky) ont toujours dit que leur but était la libération des territoires. Ainsi, le général Tarnavsky a déclaré que Tokmak était le but minium de la contre-offensive. Ce n'est que récemment, alors que les Ukrainiens sont plutôt sur la défensive, que les Ukrainiens expliquent que leur but est d'infliger un maximum de pertes à l'armée russe. D'un autre côté, si la stratégie ukrainienne n'était pas de prendre des territoires immédiatement, cela aurait difficilement été admissible publiquement / politiquement. Donc les déclarations publiques, si elles ne corroborent pas cette théorie, elles ne l'infirment pas vraiment non plus.

Une autre objection est que détruire l'artillerie, la DCA, les radars etc, c'est relativement classique dans la préparation d'une offensive, mais que cela ne constitue pas une stratégie de contre-offensive. D'ailleurs, les Russes eux aussi cherchent à détruire l'artillerie et les défenses anti-aériennes ukrainiennes, et obtiennent certains succès. A cela, je réponds que:

  1. Je suis le premier à dire que la "contre-offensive ukrainienne" n'est pas une contre-offensive au sens classique du terme, et qu'il faut mieux parler d'une phase dans la stratégie plus globale de destruction de l'armée russe. J'ai gardé le terme de "contre-offensive ukrainienne" car c'était le terme consacré, tout en soulignant souvent que l'important, ce n'était pas le terrain reconquis, mais les pertes infligées à l'armée russe
  2. Lorsque les Ukrainiens ont mené leurs opérations sur la rive gauche du Dnipro (à Krynky), l'attrition des forces russes dans le secteur était présenté comme le principal but; certes, cette opération a été faite à part de fin octobre 2023, donc alors que l'armée ukrainienne était généralement sur la défensive, mais ce débarquement était un mouvement offensif
  3. Il y a clairement eu une augmentation notable du nombre de pièces d'artillerie et d'équipement spéciaux entre la première année (jusqu'en février 2023) et la seconde année (mars 2023- février 2024), preuve que ces équipements sont particulièrement visés
  4. La vitesse avec laquelle les Ukrainiens ont abandonné le plan "américain" pour privilégier les petites avancées (moins de 4 jours) laisse penser que dès le départ, la stratégie d'attrition était celle voulue par les Ukrainiens.

Et avec le recul, on sait que relativement peu de ressources ont été consacrées à cette contre-offensive, ce qui ne laisse logiquement que deux possibilités:

  • soit le haut-commandement ukrainien a gravement sous-estimé les moyens nécessaires pour percer
  • soit il savait très bien qu'il n'y aurait pas de percée avec les moyens engagés et a conçu une stratégie correspondant aux moyens dont il disposait

Alors, on ne peut pas écarter a priori l'hypothèse d'une erreur du commandement ukrainien; mais tout indique que s'il y a eu sous-estimation des capacités russes, ce fut surtout de la part des Occidentaux, les Ukrainiens insistant au contraire sur le fait qu'ils n'avaient pas assez de moyens. En particulier, le général Zaluzhny a par deux fois expliqué publiquement quels étaient les moyens nécessaires pour, selon lui, vaincre l'armée russe, et que ces moyens ne lui ont jamais été accordés (notamment par les Occidentaux).

On reviendra là dessus, mais il y a des témoignages qui affirment qu'en septembre 2023, les Américains pressaient le général Zaluzhny d'engager tous ses moyens dans la bataille, et que celui-ci préférait les conserver pour la défense, ce qui rétrospectivement était une bonne décision et montrait que Zaluzhny ne sous-estimait pas les Russes.

 

Donc, sans avoir de certitude absolue, la balance penche clairement vers l'idée qu'il y avait bien une stratégie d'affaiblissement général de l'armée russe, principalement focalisée sur la destruction de l'artillerie, de la DCA et des équipements spéciaux. Cette stratégie a-t-elle été un succès ? C'est ce que nous verrons dans la suite de cette analyse.


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