Schrödinger's Special Kherson Cat (réaction au point de situation)

Le titre fait référence au compte Twitter Special Kherson Cat (juste pour le jeu de mot).

Réaction au point de situation de Michel Goya. Dans ce billet, le colonel Goya envisage la possibilité que la contre-offensive ukrainienne (l'opération X) échoue, ou perce les premières lignes russes prenne un peu de terrain ; dans les deux cas, la guerre longue se poursuivra sur un front peu modifié. Je pense au contraire que soit il n'y aura pas de contre-offensive d'ampleur (car l'Ukraine n'en a tout simplement pas les moyens) soit il y aura de nouveau une victoire éclatante des Ukrainiens.

Possibilité 1: Pas de contre-offensive

En effet, il semble que ces derniers temps les mauvaises nouvelles s'accumulent pour l'armée Ukrainienne, qui semble souffrir face à l'armée russe:

1. Bakhmut est pratiquement encerclée depuis début mars;
2. Avdiivka, qui est une forteresse tenant bon depuis le début de la guerre, semble maintenant aussi menacée d'encerclement;
3. Marinka, plus au sud, est complètement détruite et les Russes essaient de contourner la ville par le sud.

Ainsi, de nombreux articles sont parus, notamment dans la presse américaine, faisant état de difficultés parmi l'armée ukrainienne:

• On fait état de perte terribles à Bakhmut, qui, selon certains, serait le cimetière de l'armée Ukrainienne: chaque semaine, des bataillons entiers seraient perdus sous les coups de boutoir de Wagner et de l'artillerie russe, et beaucoup émettent des doutes sur le prix à payer pour esayer de conserver "la forteresse Bakhmut (the Guardian)
  
• Les Ukrainiens se plaignent du manque de munition, et de nouvelles recrues seraient envoyé au front sans formation (washington post)
  
• Un commandant de bataillon s'est fait viré pour avoir parler à un journaliste du Washington Post

Tout cela interroge sur l'état de l'armée ukrainienne, et sur l'état de ses réserves. Par exemple, les Ukrainiens ont déployé à Bakhmut un bataillon de la 92e brigade mécanisée (qui est normalement du côté de Svatove). L'armée Ukrainienne est-elle sur le point de craquer ? 

De plus, depuis le Ramstein de janvier, durant lequel les occidentaux avait promis beaucoup de matériel à l'Ukraine, les annonces se font rares, quand ce ne sont pas des rétropédalages: les armes promises arriveront plus tard, seront moins nombreuses, seront des versions plus anciennes, etc. Le dernier paquet d'aide américain, 350 millions, ne comporte que des munitions. Et c'est ainsi depuis plus d'un mois.

Et pourtant, l'Ukraine va former de nouvelles brigades. Le colonel Goya en compte 19, j'ai pour ma part noté l'annonce de la formation de 17 brigades (selon le site militaryland):

• 1 brigade de chasseurs ("jäger"): 13e
• 10 brigades mécanisées: 21e, 22e, 23e, 31e, 32e, 33e, 88e, 116e, 117e, 118e
• 2 brigades infanterie de marine: 37e, 38e
• 1 brigade assaut aérien: 82e
• 3 brigades d'artillerie: 47e, 48e, 49e

Sachant que le matériel promis à Ramstein était tout juste suffisant pour bien équiper 2 ou 3 de ces brigades, la différence entre ces annonces et ce qui semble arriver en Ukraine est frappante. L'Ukraine serait-elle en train de former des unités sous-équipées pour essayer désespérément de combler les trous de sa défense ? Et les occidentaux, malgré leurs grands discours, sont-ils en train de lâcher l'Ukraine ? C'est en tout cas la conclusion à laquelle on arrive en lisant la presse occidentale. Si cela est vrai, les Ukrainiens n'auront pas les moyens de lancer une contre-offensive de grande ampleur, et auront déjà bien du mal à ne pas céder trop de terrain aux Russes. Sauf si ...

Possibilité 2: Victoire Ukrainienne

Tout d'abord, demandons-nous ce dont les Ukrainiens ont besoin pour remporter la victoire. A mes yeux, ils ont surtout besoin:

1. de suffisamment de matériel pour former 20-30 brigades supplémentaires: soit au minimum 300 tanks, 500 pièces d'artillerie, et 1000 blindés d'infanterie, selon les demandes du Haut Commandement Ukrainien en décembre dernier
2. de l'effet de surprise stratégique: or, celui-ci semble impossible à obtenir, tant les Russes se préparent depuis novembre à une contre-attaque Ukrainienne

Il y a pourtant un moyen "relativement simple" d'obtenir les deux: si les occidentaux fournissent, en toute discrétion, tout le matériel nécessaire. Pendant qu'ils forment les nouvelles brigades avec tout ce matériel, les Ukrainiens se mettent volontairement en situation de faiblesse. Pour accentuer cette impression de faiblesse, les occidentaux font exprès de s'embrouiller dans toutes les annonces un peu contradictoire sur l'envoi (ou non) des chars, des avions, etc. Les Ukrainiens font volontairement fuiter des "mauvaises nouvelles" de Bakhmut et d'autres endroits de la ligne de front, voire même laissent les Russes avancer jusqu'au point où ils encerclent presque Bakhmut etc, avant de les stopper à quelques kilomètres de leur but. Bref, les occidentaux et les Ukrainiens ont mis en place une ruse à grande échelle pour faire croire au monde entier (et en particulier aux Russes) que l'armée ukrainienne est sur le point d'être en déroute quand  en fait elle obtient tout le matériel nécessaire pour mener une contre -offensive victorieuse.

Disons-le tout de suite: cette idée est coupée par le rasoir de Hanlon. Il est bien plus simple et plus logique que les Ukrainiens soient réellement en train de souffrir sur le terrain à cause du manque de prévoyance (ou du lâchage) des occidentaux, qui n'arrivent toujours qu'à donner trop peu et trop tard.

Mais supposons que, pour une fois, le rasoir de Hanlon se trompe. Il y a un certain nombre de "signaux faibles" qui vont dans le sens de cette théorie:

• tout d'abord, du matériel occidental a tendance à apparaître sur le champ de bataille Ukrainien sans annonce préalable, ou en plus grandes quantités qu'annoncé.
• certaines brigades Ukrainiennes (notamment 4 brigades blindées) sont absentes du front depuis le mois de novembre
  
• les paquets d'aide USA allaient crescendo jusqu'à la visite de Biden à Kyiv fin février... et soudainement, plus rien ou presque (juste quelques munitions); si Biden avait l'intention de lâcher l'Ukraine, pourquoi s'y rendre juste avant (et donc s'y engager politiquement) ?
• le nombre de chars modernes fournis à l'Ukraine dépasse les promesses initiales: toujours fournis en petite quantité (de 4 à 10 chars à chaque fois), l'accumulation de ces petites quantité finit par faire beaucoup; surtout, il est difficile de savoir exactement qui a promis quoi, quand ils seront livrés, etc
• toujours sur les chars modernes: les Britanniques ont promis 14 Challengers 2, mais entraînaient des ukrainiens de 2 brigades différentes (ce qui laissait penser qu'ils en obtiendrai plus que 14). Puis les Ukrainiens ont annoncé qu'il en recevraient 28, avant de se faire démentir immédiatement par les Britanniques
• un article du Figaro parle de la formation de 30 pilotes ukrainiens sur mirages 2000 (Xavier Tytelman en avait parlé aussi), avant de se faire démentir par le ministère ukrainien
• le ministre ukrainien de la défense est à chaque fois reparti très content des deux derniers sommets Ramstein, où il n'a pourtant rien obtenu officiellement.
• il y a tout un cirque à propos de la fourniture d'avion de chasse. Un pays annonce qu'il veut en livre. Puis plus rien. Puis un autre prend le relais. On parle de F 16. Puis de Mirage 2000. Puis de MiG29.
  

Bref, on souffle le chaud et le froid. Chacun de ces "signaux faibles" peut n'être que du bruit que je surinterprète. Ou un brouillard informationnel savamment entretenu pour masquer une aide militaire massive à l'Ukraine.

Conclusion de Schrödinger

La situation actuelle est on ne peut plus ambiguë: toutes les informations que nous avons peuvent aussi s'interpréter de deux manières diamétralement opposées:

• soit l'Ukraine est vraiment mal et n'aura pas les moyens de contre-attaquer à grande échelle
• soit les Occidentaux et les Ukrainiens se sont secrètement entendus pour maximiser les chances d'une contre-offensive victorieuse; auquel cas non seulement l'opération "X" sera un succès mais verra probablement la défaite de l'armée russe.

Et tant qu'on n'ouvre pas la boite (ce qui se fera seulement en mai au plus tôt, et plus probablement en juin/juillet), aucun moyen de savoir dans quel état on est.