Trump est parfois décrit comme le président de l'ère de la post-vérité. Ses mensonges grossiers, qu'il présente comme des "faits alternatifs" et qui sont crus par les millions de fanatiques font que désormais la réalité ne compte plus: seul le discours de Trump (aussi éloigné soit-il de la vérité) est ce qui "compte" à leurs yeux. Mais si Trump est l'exemple le plus évident des des dirigeants qui entendent supplanter les faits et la Vérité par "leur vérité", il n'est pas le seul.
J'ai récemment pris conscience que, dans le conflit en Ukraine, presque tous les dirigeants (occidentaux et russes) usent et abusent de ce concept de post-vérité lorsqu'il s'agit de définir (ou plutôt de ne pas définir) leurs objectifs et leur stratégie générale, à l'exemption peut-être des Ukrainiens, qui eux ont clairement indiqué ce qu'ils voulaient: chasser les Russes de leur territoire, rapatrier les Ukrainiens déportés en Russie (notamment les enfants), poursuivre les criminels de guerre russes et obtenir des réparations. En comparaison, les autres dirigeants n'ont pas défini précisément leurs objectifs, ou l'ont fait de telle manière que seul compte ce que le dirigeant en dit.
Le Vranyo stratégique de Poutine
Les "raisons" avancées par Poutine en 2022 pour "justifier" son invasion à grande échelle de l'Ukraine n'ont pas changé depuis et elles sont lunaires, tellement éloignées de la réalité que seul un imbécile peut y croire. Ou plutôt, il s'agit d'un exemple de vranyo, une forme de mensonge évident (même pour celui qui le reçoit) mais que l'on traite pourtant comme la vérité, et qui leur a coûté si cher, notamment en 2022. Poutine prétend qu'il veut:
- le désarmement de l'Ukraine: en 2014, l'armée Ukrainienne était une des plus mauvaise armées du monde. Depuis 2022, c'est une des plus forte armée du monde, à la pointe de l'innovation quand il s'agit de drones qui bouleversent la façon de faire des guerres à haute intensité au XXIe siècle.
- la protection des populations russophones: ce sont les Russes qui rasent toute la partie russophone de l'Ukraine, et les Ukrainiens russophones vivaient en paix avant que Poutine n'envahissent une partie de l'Ukraine en 2014
- la "dénazification" de l'Ukraine, alors que Poutine et toute sa clique est ce qui se rapproche le plus du nazisme alors que l'Ukraine est un pays démocratique, où l'extrême-droite fait des score électoraux très faibles comparé au reste de l'Europe
Mais avoir des objectifs de guerre ne faisant sens que dans le discours et la "logique" de Poutine offre également l'avantage que c'est le grand chef qui juge si oui ou non ces objectifs ont été atteints. A tout moment, Poutine peut décider arbitrairement que la guerre doit s'arrêter car "les objectifs ont été atteints" ou au contraire décider de laisser la boucherie se poursuivre un peu plus longtemps. Du point de vue de Poutine, avoir des objectifs stratégiques déconnectés du réel est politiquement bien pratique.
Stoltenberg révèle le défaitisme des Occidentaux
Mais Poutine n'est pas le seul à s'être fixés des objectifs tellement flous qu'il est le seul juge de leur réalisation. Les dirigeants occidentaux, eux aussi, se sont toujours bien gardé de se fixer des objectifs militaires et/ou politiques précis. Il y a eu de très nombreuses déclarations de principe, souvent grandiloquentes, genre "nous soutiendrons l'Ukraine aussi longtemps que nécessaire", mais qui ne fixent rien: ni la stratégie, ni le volume du soutien, ni même sa durée.
Diplomatiquement, cela peut se comprendre: en effet, c'est à l'Ukraine de fixer ses objectifs stratégiques, pas à ceux qui la soutiennent. Dans le cas contraire, l'Ukraine apparaîtrait comme une marionnette et les Occidentaux comme ceux tirant les ficelles. Mais en pratique, même si l'Ukraine dispose d'une volonté et de ressources qui lui sont propres (et qui sont bien plus importantes que beaucoup, en Occident, ne se l'imaginent), elle reste financièrement et militairement dépendante de ces soutiens occidentaux, sans lesquels l'Ukraine ne pourrait même pas espérer mener une guerre conventionnelle longue contre la Russie. Aussi il serait logique que les occidentaux se fixent des objectifs et une stratégie pour les atteindre, quitte à ne pas les rendre public. Et, sans être dans le secret des dieux, il est fort probable que ces objectifs et cette stratégie n'existent tout simplement pas.
Tout d'abord, car ce que l'on peut observer des actions de ces dirigeants occidentaux laisse penser qu'il n'y a effectivement pas de stratégie: aucune planification sur la quantité et le type d'armes fournies à l'Ukraine, décisions ou déclarations contradictoires, "coalition des volontaires" qui s'occupe de l'après-guerre sans chercher à "gagner la guerre" d'abord, etc. On entraîne des brigades entières en 2023 (trop rapidement) puis plus rien ou presque. On ne se demande jamais "quelles sont les armes dont les Ukrainiens ont besoin" ou "comment contrer telle arme ou tactique russe". Bref, on observe un chaos, une absence de plan et de cohérence à long terme, tout le contraire d'une stratégie.
De plus, le livre de Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'OTAN de 2014 à 2024, dépeint une ambiance défaitiste et un manque de volonté pour soutenir l'Ukraine. Philips O'Brien, qui a souvent critiqué les dirigeants occidentaux sur ce point précis, explique ce défaitisme par le "contrôle réflexif" exercé par la Russie sur l'esprit des Occidentaux. Mais ce défaitisme décrit par Jens Stoltenberg me fait envisager l'hypothèse que cette absence d'objectif et de stratégie est peut-être vue comme une manière de "surtout ne pas perdre" par des dirigeants plus préoccupés par communication politique que par l'efficacité militaire. En refusant de s'engager à soutenir suffisamment l'Ukraine pour lui permettre d'accomplir ses objectifs, les dirigeants occidentaux pourront toujours clamer après coup que leur but était juste d'empêcher les Russes d'envahir toute l'Ukraine, ou quelque chose du même genre. En quelque sorte, une sorte de variante du sophisme du tireur d'élite texan, une manière de présenter la situation finale comme une "victoire", même si dans les faits c'est plutôt une défaite pour l'Ukraine et les Occidentaux.
Macron et l'accord UE-Mercosur
L'autre nouvelle qui me fait dire que les dirigeants européens utilisent eux aussi l'ère de la post-vérité à leur profit est le changement de discours de Macron sur l'accord EU-Mercosur. Cela n'a rien à voir avec l'Ukraine, mais permettez-moi de développer un peu. Il y a huit mois, suite à des manifestations d'agriculteurs en colère, Macron qualifie l’accord de "mauvais texte" et dit qu’il fera tout pour le bloquer. Il se faisait fort de réunir une coalition de pays pour s'opposer à cet accord. Résultat, en marge de la "coallition des volontaires", le chancelier allemand a annoncé que l'accord était accepté. Même si Macron dit que l'annonce de Merz est prématurée et que les travaux continuent, il n'est plus opposé au texte. Pourtant, pratiquement rien dans le texte de l'accord n'a changé ces huit derniers mois. En tous cas pas la "clause de sauvegarde" utilisée par Macron comme prétexte à son revirement. Alors, peut-être que Macron était secrètement pour cet accord (c'est bien possible, vu ses opinions politiques) et qu'il a simplement attendu un peu avant de soutenir l'accord, espérant apaiser ainsi la colère des agriculteurs. Ou alors il a vraiment essayé de faire bouger le texte mais, n'étant pas suivi par les autres pays de l'UE et face à inéluctabilité de la mise en place de cet accord, il essaie simplement de tourner ça d'une manière positive.
Mais ce faisant, il crée une situation où la réalité du texte importe peu, seul compte le discours (changeant) du Président. Et pour en revenir à l'Ukraine, je remarque que ces derniers temps, l'Ukraine et les dirigeants européens se disent prêts à accepter un plan de cessez-le-feu sur les lignes actuelles, sans garanties de sécurité pour l'Ukraine, bref une copie du plan présenté en février dernier par les Américains et qui avaient alors indigné les Européens. Sauf si c'est une ruse pour se mettre Trump dans la poche (en comptant sur le fait que Poutine rejettera probablement ce plan), il faut croire que la position des Européens a changé à 180° sans raison valable.
Conclusion
Les hommes politiques ont toujours su s'arranger un peu avec la vérité. Le mensonge politique est sans doute aussi vieux que la politique elle-même. Mais dans l'ère de la post-vérité, on est au delà du simple mensonge: la réalité (quelle qu'elle soit) ne compte tout simplement plus. Un même homme politique peut dire tout et son contraire sur un même texte, une même proposition d'accord, sans que ce soit mentionné par les journalistes, toujours à la recherche de la petite phrase ou de l'instant-émotion qui fera le buzz. Tout n'est plus que communication pour un petit mode politico-médiatique qui tourne en rond, déconnecté de la réalité.
Poutine est tout autant sinon plus déconnecté de la réalité, mais il a au moins défini une stratégie et s'y tient: donner l'illusion qu'il "gagne" en Ukraine et attendre que les Occidentaux se découragent et que des politiciens pro-russes soient élus. Et cette stratégie, qui peut échouer si la Russie flanche d'abord (militairement et/ou économiquement), peut aussi très bien réussir: Trump le traître a été élu, la Slovaquie et la république tchèque ont maintenant des premiers ministres pro-russes, et en 2027, il se pourrait bien que ce soit la France qui bascule dans le fascisme pro-russe. Terrifiante perspective.
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