Après avoir analysé les raisons de la diversité des brigades ukrainiennes dans la première partie de cette analyse, les problèmes de la structure de commandement dans la seconde partie, et le fiasco des brigades d'infanterie mécanisées numérotées de 150 à 159 dans la troisième partie, je vais maintenant pouvoir aborder la question que certains se posent: Zelensky et Sirsky sont-ils de gros nuls ?
Cette question est volontairement provocatrice, et posée ainsi elle n'a pas beaucoup d'intérêt, à part peut-être d'attirer le lecteur. En revanche, il faut s'interroger sur les erreurs du commandement-en-chef ukrainien. A ce niveau-là, on parle d'erreurs stratégiques, de problème d'organisation générale et de réformes qui tardent à se mettre en place. Dans ce billet, je vais essayer de résumer les critiques qui sont faites à l'encontre du haut-commandement ukrainien, m'interroger sur la responsabilité personnelle du président Zelensky et du général Sirsky et parler des réformes en cours et de celles qu'il faut encore mener.
![]() |
Zelensky et Sirsky à Kyiv, en février 2024 |
De nombreuses critiques
Cela fait plusieurs mois que de nombreux analystes critiquent les décisions du haut-commandement ukrainien, et en particulier le général Sirsky (commandant-en-chef depuis février 2024, et avant commandant des forces terrestres) et le président Zelensky (qui est constitutionnellement le chef des armées). Il leur est reproché de ne pas avoir réglé les problèmes de l'armée ukrainienne, pire de les avoir aggravés au lieu de mettre en oeuvre des solutions proposées par ces analystes. Parmi ces critiques, on peut citer notamment:
Et bien d'autres encore. Les principales critiques portent sur:
- la mobilisation et l'entrainement
- les défauts d'organisation
- le manque de préparation des fortifications
- une production nationale inadaptée / insuffisante
- le refus d'ordonner des replis
Pour plus de détails, voir les critiques suivantes: Tatarigami (janvier 2025), Butusov (avril 2024), Butusov (juin 2024), Tom Cooper (octobre 2024) , Donad Hill (février 2024) et Donald Hill (janvier 2025).
Ces critiques sont détaillées, précises et sont généralement constructives : elles proposent des solutions aux problèmes qu'elles dénoncent. Cela fait longtemps que ces critiques existent, et pourtant les solutions ne sont pas mises en place. Pourquoi ? Tom Cooper, dont le sens de la nuance est légendaire, a une réponse toute trouvée : Zelensky et Sirsky sont incompétents. A-t-il raison ?
Remarque préliminaire
Il faut bien être conscient qu'il y a un effort délibéré de la propagande russe visant à délégitimer le haut-commandement ukrainien. En particulier, de nombreuses fausses accusations ont été portées contre Zelensky, et plus récemment les Russes (et donc Trump) essaient de le présenter comme "un dictateur" et autres qualificatifs absurdes.
Les analystes qui ont émis les critiques présentées plus haut ne peuvent pas être soupçonnés d'un quelconque biais pro-russe. Au contraire, ils sont à 100% pour l'Ukraine. Mais il est difficile de ne pas être influencé par la propagande russe, même involontairement. Surtout quand on ne sait pas tout (par exemple, on ne sait pas quels sont les ordres donnés par Zelensky et Sirsky à leurs troupes), et qu'il est tentant de "combler les trous" en se laissant alors influencé par ses propres préjugés, qui eux peuvent être influencés par la propagande russe.
De plus, les critiques doivent être constructives, et ceux qui les émettent devraient se poser la question: est-ce que cette critique peut corriger un ou des défauts de l'armée ukrainienne ? Et si la réponse à cette question est "non", alors il vaut sans doute mieux ne pas publier la critique, qui peut être exploitée par la propagande russe quelles que soient les intentions de son auteur.
Cela étant dit, l'auto-censure n'est pas non plus la solution; Zelensky et Sirksy sont des êtres humains, ils peuvent faire des erreurs et peuvent aussi être incompétents. Il faut juste toujours vérifier si les critiques sont fondées et être conscient des ravages de la propagande russe même sur des esprits "sains".
Sirsky est-il incompétent ?
Commençons par le général Sirsky, qui porte le triste surnom de "boucher" donné par ses propres troupes, qui lui reprochent de ne pas se soucier assez de la vie de ses soldats. C'est pourquoi sa nomination en tant que commandant-en-chef, remplaçant le général Zaluzhny, bien plus populaire, a fait grincer des dents. En particulier, un des analystes précédents, Tatarigami a une dent contre Sirsky, depuis la bataille de Debaltseve. Tom Cooper, qui au départ saluait l'arrivée de Sirsky, le considère maintenant comme un incompétent.
Tom Cooper accuse Sirsky de:
- micro-manager certains secteurs du front et abandonner d'autres secteurs, laissant les brigades sans ordre et sans support logistique
- découper des brigades en séparant leur bataillon (cf la première partie de mon analyse)
- Ne pas avoir publié de doctrine uniformisant l'ensemble des procédures de l'armée ukrainienne; ne pas réformer celle-ci
- Promouvoir des officiers incompétents / s'en prendre à des officiers compétents
- Et surtout, ne rien apprendre de ses erreurs
En particulier, une séquence semble se répéter, de nombreuses fois, sous le commandement de Sirsky
- Un secteur du front, défendu par une unité ukrainienne faible (A), est enfoncé par les Russes; le commandement ukrainien ne semble pas réagir et les Russes consolident leur avancée
- L'avancée russe menace les lignes de ravitaillement d'un secteur adjacent; l'unité ukrainienne (B), qui est de meilleure qualité que (A) et qui défend ce secteur est alors menacée d'encerclement
- Le commandement ukrainien n'ordonne pas le retrait de (B) mais envoient en renfort une faible unité (C) qui ne résout pas le problème. Les difficultés de ravitaillement augmentent
- Sirksy ne donne pas d'ordre, ou donne l'ordre de ne pas reculer; la situation empire, et, au dernier moment, les Ukrainiens se retirent (à l'initiative d'un commandant local, qui est ensuite sanctionné) mais subissent des pertes, et la ligne de défense suivante est fragilisée
Oui, mais...
Prenons le cas de toutes ces séquences de quasi-encerclement qui semblent se répéter sous son commandement. D'abord, il faut noter que s'il y a eu beaucoup de situations de quasi-encerclement, rares sont les cas d'unités ayant été totalement encerclées. A part à Marioupol, les unités ukrainiennes ont toujours réussi à s'en sortir avant d'être complètement encerclées (avec certes des pertes lors de la retraite). On est loin des grands encerclements du temps de la blitzkrieg. NB: c'est aussi vrai côté russe, il n'y a eu que rarement des unités encerclées et/ou un grand nombre de prisonniers. Les seules exceptions semblent avoir été dans les premiers jours de l'opération de Koursk (entre 500 et 1000 Russes capturés).
De plus, le grand nombre de drones déployés change considérablement la logistique sur les derniers 5-10km. Il ne faut pas voir le front comme une ligne (telle qu'elle apparaît sur les cartes) mais comme une zone relativement large. Alors certes, les situations de quasi-encerclement compliquent encore plus la logistique (réduisant le nombre de routes qui peuvent être empruntées), mais ce n'est pas une situation de "tout ou rien": même si la ligne de front était parfaitement droite, il y aurait quand même des problèmes de ravitaillement. Le "désavantage tactique" de ces situations de quasi-encerclement est donc moins graves que ce qui a pu exister dans le passé.
Nota Bene: je ne suis pas en train de dire que ces situations de quasi-encerclement ne sont pas graves, je dis qu'elles sont juste un peu plus graves que la situation "ordinaire". Et donc, si on considère que:
- le commandement opérationnel des ukrainiens est déficient (cf la seconde partie de mon analyse), ce qui produit des failles tactiques exploitées par les Russes
- le désavantage tactiques de ces situations de quasi-encerclement est relatif, et jusqu'à présent, ils ont toujours réussi à s'en sortir sans désastre majeur, ce qui peut les pousser à minimiser la gravité de la situation
- les Ukrainiens sont attachés à défendre leur terre autant que possible (soit parce qu'ils en ont reçu l'ordre, soit parce qu'ils ne savent pas si les terrains qu'ils abandonnent pourront être libérés un jour) et sont donc incités à ne reculer qu'au dernier moment
- réformer le commandement opérationnel, en introduisant un échelon "corps" (ce que font les Ukrainiens en ce moment) pour réduire le nombre d'erreurs et le manque de coordination entre brigades voisines
- donner ordres et/ou écrire une doctrine indiquant clairement les situations de quasi-encerclement comme étant à éviter autant que possible; prévoir des positions et des plans de replis sur l'ensemble de la ligne de front.
- assurer les Ukrainiens d'un soutien sans faille, qui correspond à leurs besoins, jusqu'à ce qu'ils aient récupérer l'intégralité de leur territoire
Sirsky vs Zaluzhny
D'autant plus que l'Ukraine a déjà changé de commandant-en-chef, il y a maintenant plus d'un an. Il semble d'ailleurs que tout oppose Sirsky et son prédécesseur Zaluzhny:
- leur style de commandement: Zaluzhny laissait beaucoup de liberté aux commandants de brigades et restait plutôt en retrait, Sirsky est réputé micro-manager les unités sous sa responsabilité et visite régulièrement la ligne de front
- leur réputation: Zaluzhny a la réputation de prendre soin de la vie de ses hommes, Sirsky est surnommé "le boucher"; NB: je ne me prononce pas sur le bien fondé de ces deux réputations
- leur vision stratégique: Zaluzhny a écrit et publié trois rapports présentant la situation générale, les besoins ukrainiens, etc; Sirsky ne s'est jamais prêté à cet exercice
Sur ce dernier point, il faut souligner qu'à chaque fois, les rapports de Zaluzhny montraient qu'il avait une bonne vision du rapport de force, des besoins de l'armée ukrainienne et de la dynamique de la guerre. Lors de son dernier rapport (en novembre 2023), il notait très justement la fin de la dynamique de la "contre-offensive ukrainienne", la nécessité de mobiliser d'avantage de soldats et l'importance de la technologie des drones. 18 mois plus tard, force est de constater qu'il avait entièrement raison. Et que c'est très dommage qu'on n'ai pas accordé à ce général les moyens qu'il réclamait.
Peut-on dire pour autant que Zaluzhny était un meilleur commandant-en-chef que ne l'est Sirsky, et que Zelensky a fait l'erreur de le remplacer par Sirsky ? Difficile à dire. D'abord, parce qu'on n'a pas les éléments pour juger "à chaud" du bien-fondé des décisions militaires prises par les uns et les autres. Il faudra du temps avant d'avoir une idée précise du bilan de chaque bataille et de l'influence des différentes décisions. D'autant plus que, même si Zaluzhny avait une vision plus claire de la situation stratégique, cela n'implique pas nécessairement que les décisions qu'il a prises soient meilleures. Une comparaison du style "x km2 perdus avec Zaluzhny, y km2 perdus avec Sirsky" ne serait pas non plus pertinente, car la guerre a bien changé entre 2022 et 2025.
Ensuite, il faut noter que Zaluzhny a travaillé avec Sirsky, qui était alors commandant des forces terrestres pendant 4 ans et l'a explicitement désigné comme son successeur. Si Sirsky était réellement incompétent, cela signifierait que Zaluzhny le serait aussi pour avoir désigné un aussi mauvais successeur. On peut bien sûr imaginer que la décision de le remplacer par Sirsky était déjà prises par Zelensky (avec qui Zaluzhny s'était brouillé), et que Zelensky n'a adoubé Sirsky que pour défendre les apparence. Mais je ne crois pas que ce soit le cas.
Je surinterprète peut-être, mais je crois que Zaluzhny est quelqu'un de très empathique. Et passer deux ans à commander une armée en guerre, avec chaque jour des centaines de morts et blessés a du être pour lui une épreuve terrible. Ajouter à cela une possible perte de confiance politique, et on comprend mieux pourquoi il semblait presque soulagé d'être déchargé de son rôle de commandant-en-chef. Peut-être était-il à bout, auquel cas Zelensky a bien fait de le remplacer, même si c'était pour de mauvaises raisons.
Zelensky est-il incompétent ?
Cela dit, remplacer Zaluzhny par Sirsky n'est pas la seule décision controversée qu'a prise Zelensky. Tom Cooper lui reproche (entre autres):
- de ne pas avoir réformé la structure militaire, ni avoir combattu la corruption
- d'avoir raté la mobilisation
- de privilégier les opérations destinées à "impressionner les Occidentaux"
- de donner des ordres de tenir le terrain "coûte que coûte"
- et plus généralement, de ne pas avoir de stratégie
NB: Ce n'est pas parce que Tom Cooper le dit que ces accusations sont vraies. Mais ces accusations, ou du moins des variantes de celles-ci, sont assez courantes, et personnellement je pense qu'il y a au moins un fond de vérité, si ce n'est plus.
Cela dit, ces accusations sont vagues, et comme on ne connait pas les ordres donnés par Zelensky, en toute honnêteté il est difficile de savoir si les accusations visant Zelensky sont fondées ou non. Ainsi, Zelensky donne-t-il vraiment l'ordre de tenir le terrain "coûte que coûte" ?
Il y a bien des fois où Zelensky a explicitement justifié la décision de ne pas abandonner certaines positions alors même qu'elles étaient très menacées: à Lyssychansk/Severodonetsk en mai/juin 2022 et Bakhmut en février/mars 2023. Dans les deux cas, Zelensky justifiait publiquement le fait de "tenir" ces villes le temps que l'aide occidentale arrive (pour le premier cas) ou que la contre-offensive ukrainienne se mette en place (pour le second cas). Or, ces explications ne faisaient pas grand sens: ni l'aide occidentale, ni la contre-offensive ukrainienne ne dépendaient du fait que les Ukrainiens tiennent ces villes. D'ailleurs, les Ukrainiens ont perdu ces villes, et pourtant l'aide est arrivée, et la contre offensive a eu lieu (plus ou moins). Tom Cooper en déduit sûrement que c'est la "preuve" que Zelensky est incompétent et a imposé de tenir le terrain coûte que coûte. Il y a pourtant des explications alternatives.
Il faut se demander QUI a réellement pris la décision de tenir ces villes, et pour quelles raisons. Imaginons que, poursuivant leur stratégie de s'attaquer et d'éliminer les meilleurs éléments russes, le commandement militaire ukrainien tende un piège à l'armée russe dans ces villes en leur donnant une importante symbolique spéciale, les incitant à les attaquer de front et éliminent ainsi les meilleurs éléments russes, empêchant par la suite toute avancée russe dans le secteur (même après la chute de ces villes) et affaiblissant l'armée russe de manière générale. Zelensky intervient ensuite pour justifier publiquement cette décision militaire et accroire l'importance symbolique de ces villes. Est-ce ce qui s'est passé ? Est-ce que cette stratégie a réussi ? Je n'en ai pas la certitude. Mais c'est une interprétation alternative autant, voire plus vraisemblable, que la diatribe de Tom Cooper. Ce qu'on a constaté, c'est qu'après la prise de Lyssychansk/Severodonetsk, et après la prise de Bakmuth, l'armée russe a été stoppée et les Ukrainiens ont pu contre-attaquer avec plus ou moins de succès.
Il en est de même pour "l'offensive de Koursk". La décision de se lancer dans une invasion terrestre de la Russie a certainement été prise conjointement par Sirsky et Zelensky. Mais pour savoir quels étaient leurs objectifs stratégiques réels (et pas seulement les objectifs affichés), et qui est responsable des erreurs commises lors de cette offensive, c'est une autre paire de manche.
Certains (comme Tatarigami) pensent que la décision même de lancer une telle offensive était une erreur, car cela a détourné des ressources qui auraient mieux été utilisées dans le Donbas. D'autres, comme Philips O'Brien, Anders Puck Nielsen, pensent au contraire que certains des objectifs ont été atteints. Je suis plutôt d'accord avec ce second groupe, mais je vois trois erreurs commises par les Ukrainiens:
- Ne pas avoir employé assez de troupe dans les premiers jours pour sécuriser un territoire facilement défendable par la suite
- avoir confié, en septembre, la défense d'un point clef à une brigade territoriale mal équipée, ce qui a permis aux Russes de contre-attaquer
- Ne pas s'être retiré à temps
Ces trois erreurs sont au niveau "opérationnel", pas stratégique, mais vue l'implication de Sirsky dans cette opération, il est certain qu'il est au moins en partie responsable de ces erreurs. Qu'en est-il de Zelensky ? Par exemple, pour le point 3, les militaires ont-ils demandé à Zelensky de se retirer ? L'a-t-il refusé ? Est-il simplement informé quand la situation militaire se détériore ? Autant de questions auxquels on n'a pas de réponse pour le moment. Et donc, il est difficile de juger de la compétence de Zelensky.
Certes, on peut, comme Tom Cooper, considérer que puisque Zelensky est l'autorité suprême, il est de toute manière responsable. Mais c'est un argument de mauvaise foi, et qui ne tient pas compte, tout simplement, de toutes les tâches dont quelqu'un comme Zelensky est officiellement responsable, et qu'aucun humain ne peut mener en parallèle. Zelensky, comme n'importe quel dirigeant politique de haut niveau, doit déléguer. Et c'est peut-être sur ce point qu'on peut le plus formuler de critiques contre Zelensky: il a du mal à déléguer et à choisir de bons collaborateurs.
Un Winston Churchill sans son Clement Attlee
Avant de devenir président de l'Ukraine, Zelensky était comédien. Comme son personnage de la série Le Serviteur du Peuple, il arrive à la présidence sans expérience de la politique, mais avec la volonté de lutter contre la corruption. Il n'a pas été très efficace dans ce rôle, et après trois ans de présidence, son bilan était faible et il n'a pas marqué les esprits. Jusqu'au 24 février 2022.
Ce jour là, la Russie lance son invasion à grande échelle. Dès le premier jour, les Russes arrivent dans la banlieue de Kyiv, leurs forces spéciales étant peut-être dans la ville même. On dit Zelensky en fuite. Et pourtant, le soir, Zelensky publie une courte vidéo, avec un message simple: dans les rues de Kyiv, il présente les ministres et ses conseillers et dit "nous sommes là, nous nous battrons pour notre indépendance". Ce message, ainsi que la citation apocryphe, mais qui résume bien l'esprit de combat de Zelensky: "Le combat est ici; je n'ai pas besoin d'un taxi, mais de munitions" a marqué les esprits. Par ces simples mots, Zelensky a incarné la résistance ukrainienne.
Et ce ne fut que le premier d'une longue série de discours marquants, de courage personnel (Zelensky visite souvent la ligne de front, contrairement à Poutine), d'épreuves, de victoires et de défaites. Le charisme de Zelensky, son courage et sa volonté à ne pas céder face à un ennemi qui semble trop fort rappellent bien évidement Winston Churchill en 1940-1941. Or, si le rôle et les discours de Winston Chruchill sont, à juste titre, toujours bien connus du grand public, un autre politicien anglais, tout autant essentiel à la résistance anglaise durant ces années noires, est aujourd'hui bien moins connu: Clement Attlee.
Clement Attlee était à la tête du parti travailliste (tout comme Churchill était à la tête du parti conservateur) et à ce titre numéro 2 du gouvernement d'union nationale mis en place en mai 1940, puis vice premier-ministre à partir de 1942. Attlee n'avait pas le charisme de Churchill. Il n'a pas fait de grands discours promettant "du sang et des larmes". C'était un homme peu loquace, cherchant le consensus et ne faisant guère parler de lui; tout le contraire de Churchill. Mais son rôle fut pourtant essentiel. D'abord, en soutenant Churchill, surtout dans une période où une partie des conservateurs, menés par Lord Halifax, voulaient négocier avec Hitler plutôt que continuer le combat. Ensuite, il s'est révélé être un très bon organisateur, et quelqu'un capable d’apaiser les frictions pouvant apparaître dans le gouvernement. Churchill et Attlee étaient donc complémentaires, et tous deux furent vitaux au bon fonctionnement du Royaume-Uni en temps de guerre.
Et je pense que c'est ce qui manque à Zelensky: un numéro 2 capable de faire "tourner la machine" de l'état pendant que lui-même se concentre sur les grands discours, sur l'aide internationale, quelqu'un capable de l'épauler. Alors certes, Zelensky ne gouverne pas seul. En particulier, il semble qu'il se repose beaucoup sur son chef de cabinet, Andriy Yermak. Or, celui-ci est autant, voire plus décrié que Zelensky. Et de toute manière, il est trop proche de Zelensky pour jouer le rôle de "contre-poids", il aurait fallu, pour cela, quelqu'un qui a politiquement du poids et s'oppose à Zelensky, ou du moins est indépendant de lui. On peut d'ailleurs reprocher à Zelensky de n'avoir pas formé un gouvernement d'union nationale dans les premiers jours de l'invasion.
Or, le principal parti d'opposition est celui de Porochenko, que Zelensky avait battu à la présidentielle de 2019. Y avait-il quelqu'un dans ce parti, qui pouvait apporter quelque chose au gouvernement ? Je ne connais pas assez le monde politique en Ukraine pour répondre à cette question. Mais, même si la popularité de Zelensky est toujours bien plus élevée que celle de ses opposants politiques, il gagnerait à partager le pouvoir avec quelqu'un de compétent et de populaire. Je ne vois qu'une seule personne remplissant ces critères (mais il en a sans doute d'autres que je ne connais pas): l'ex-général Zaluzhny. Zelensky osera-t-il faire ce geste d'ouverture ?
Conclusion
Durant ces 3 ans de guerre à grande échelle, l'Ukraine a connu bien des revers. Mais tous ces revers ne sont pas dus à des erreurs ukrainiennes, et toutes ces erreurs ne sont pas dues à une incompétence des dirigeants ukrainiens.
Prenons par exemple le plus gros revers, celui qui a le plus de conséquences: l'arrivée, à la Maison Blanche, d'une crapule pro-russe: Krasnov, aka Traitor Trump. L'Ukraine n'y est pour rien dans sa réélection, mais doit en subir les conséquences. Zelensky a, dès l'été 2024, essayé d'anticiper la victoire de Trump, en proposant un "plan de la victoire" qui était en fait une explication de ce qu'une victoire ukrainienne pourrait apporter aux Américains, et surtout à Trump. Trump, bien entendu, n'est pas du tout intéressé. Zelenksy a pu commettre des erreurs dans sa "gestion" de Trump, mais même s'il avait fait un sans-faute, Trump serait resté pro-russe. Dans ce cas précis, il est donc difficile, pour un observateur extérieur, de déterminer quelles ont été les réelles erreurs commises par le haut-commandement ukrainien, tant les dés étaient pipé en leur défaveur. Et, dans une moindre mesure, il en est de même pour les autres erreurs (réelles ou supposées) du haut commandement ukrainien.
Entendons-nous bien: il est évident que Sirsky et Zelensky ont commis des erreurs. Ce qui est moins évident, c'est de savoir s'ils ont commis plus d'erreurs que ce que d'autres personnes placées dans la même situation auraient commises. En tous cas, ils ne sont pas incompétents. Mais la question la plus importante est: peuvent-ils rectifier leurs erreurs ? Ou doivent-ils être remplacés ?
Je pense qu'à plus ou moins long terme, Sirsky devra être remplacé. Quelles que soient ses qualités et ses défauts personnels, trop d'erreurs ont été commises sous sa responsabilité directe. Plusieurs personnes, dont Bohdan Krotevych, réclament déjà sa démission. Or, l'armée ukrainienne est en pleine réforme structurelle avec la création d'une vingtaine de corps d'armée. Cette réforme capitale, annoncée en novembre dernier, se met très lentement en place. Trop lentement. Sirsky la freine-t-il ? Ou est-il au contraire un de ceux qui poussent sa mise en place ? La seule certitude, c'est que 5 mois après l'annonce de la mise en place de cette réforme, il n'y a qu'un seul corps peut-être opérationnel, centrée sur la 3e brigade d'assaut. Et c'est tout. A croire qu'ils veulent battre le record de la "coalition des volontaires" en terme de lenteur.
Quant à Zelensky, il est irremplaçable. Non pas parce qu'il est tellement bon que personne ne peut faire aussi bien que lui. Mais parce que, qu'on le veuille ou non, il est un des symboles de la résistance ukrainienne et que les Russes veulent absolument son départ. Espérons seulement qu'il apprendra de ses erreurs.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire