Comme chaque mois, voici un petit bilan du mois de novembre 2025, à mettre en perspective avec les constats que j'avais faits précédemment (liens en fin de ce billet).
Une fois de plus, les Russes ont continué leur grignotage des défenses ukrainiennes, et menacent de prendre (ou ont déjà pris) trois villes clefs de la ligne de défense ukrainienne: Kupyansk, Pokrovsk et Kostiantynivka. D'après les cartes OSINT, Pokrovsk est presque entièrement sous contrôle russe, mais il se peut que les choses ne soient pas aussi claires que ça. De violents combats ont toujours lieu à Kupyansk, mais les Russes sont encore loin de contrôler cette ville et ont peut-être reculé par endroits. Kostiantynivka est toujours sous contrôle ukrainien, mais les Russes sont maintenant aux portes de la ville. En outre, les Russes progressent (un peu) sur presque l'ensemble du front, y compris dans des secteurs qui étaient, jusqu'à peu, très stable, comme Vovchansk (au nord-est de Kharkiv). Leur principale progression a eu lieu au sud, dans le secteur d'Houliaïpole, qui est maintenant elle aussi menacée d'être coupée des lignes de ravitaillement.
De plus, les attaques à longue distance ont continué, chaque camp intensifiant encore ses frappes. Mais c'est sur le plan politique que les choses ont le plus bougé ce mois-ci.
La situation à Pokrovsk et Myrnohrad
Je ne vais pas passer en revue l'ensemble du front. Je vais juste me focaliser sur la situation dans Pokrovsk et la ville voisine Myrnohrad.
Il y a un mois, j'écrivais:
"Si (comme c'est probable) Pokrovsk et Kupyansk tombent dans les prochaines semaines, et que des unités ukrainiennes y sont piégées, il faudra espérer que Syrsky aura le courage de prendre ses responsabilités et démissionnera."
Qu'en est-il maintenant ? Les Russes ont revendiqué la prise des deux villes (
le 20 novembre pour Kupyansk,
le 1er décembre pour Pokrovsk). Les cartes comme celle de
DeepState confirment qu'ils contrôlent une grande partie de ces deux villes, mais pas la totalité, et les Russes n'ont donc toujours pas refermé les poches pour y piéger les unités ukrainiennes.
En fait, les choses ne sont pas claires, surtout à Kupyansk où la carte de DeepState n'a pas bougé tout le mois de novembre (et même depuis le 19 octobre). Si à Pokrovsk, les Russes ont un peu progressé d'après ces cartes, un bon quart de la ville est toujours en zone grise. Et de fait, on a observé ce mois-ci plusieurs actions ukrainiennes à la fois à Pokrovsk et à Myrnohrad, à laquelle RFU a consacré plusieurs de ses vidéos.
Même s'il faut toujours prendre ce qu'affirme RFU avec un peu de recul (car c'est une chaîne de propagande ukrainienne), il est indéniable que les Ukrainiens ont contesté (avec plus ou moins de succès) le contrôle russe de Pokrovsk tout au long du mois de novembre, plutôt que de retirer leurs unités comme la logique le commandait. En fait, l'état major Ukrainien prétend qu'il contrôle toujours Pokrovsk et nettoie la ville des groupes de russes infiltrés. D'autres (comme Tom Cooper) affirment que Zelensky et/ou Sirsky envoient des unités qui se font détruire pour essayer de tenir un bout de Pokrovsk. Qu'en est-il réellement ?
Commençons par rappeler que "la carte n'est pas le territoire". Autrement dit: les cartes comme celles de DeepState sont imparfaites et ne reflètent qu'une partie de la réalité, et l'OSINT ne fait que lever une partie du brouillard de guerre. Certains sont tentés croire qu'une photo ou vidéo géolocalisée est la preuve que le point est tenu par l'un ou l'autre camp, mais, du fait de l'omniprésence des drones, de l’extension de la "zone grise" et de la très faible densité des troupes, cette présence ne signifie pas un contrôle de la zone. Et si certains, comme Olivier Kempf, affirment que les Russes sont bien au delà de ce que les cartes montrent, ils ne se basent sur rien d'autre que leurs préjugés et/ou leur désir que cela se réalise.
Aussi je pense qu'il faut rester prudent, et garder à l'esprit que le contrôle des Russes sur les zones (même celles marquées en rouge) n'est peut-être pas aussi solide que ce que les cartes montrent: de part et d'autre de la "zone de front" (ce n'est plus une ligne depuis bien longtemps), la logistique est attaquée par les drones FPV, et si les Ukrainiens ont bien du mal à entrer ou sortir de Pokrovsk, c'est aussi le cas des Russes. Peut-être que Pokrovsk, comme Toretsk avant elle, restera contestée pendant encore quelques mois.
J'espère juste que l'attrition est favorable aux Ukrainiens, mais les données OSINT laissent penser que ce n'est pas le cas: sur les routes menant à Pokrovsk, on compte une centaine de véhicules détruits. A titre de comparaison, c'est deux à trois fois plus que les véhicules détruits sur la route menant à Bakhmut, en 2023, et presque autant que les véhicules détruits lors de la retraite de Soudja, en février-mars 2025. Toutes les données dont nous disposons en OSINT vont dans le même sens: Pokrovsk est, ces deux derniers mois, un calvaire pour l'armée Ukrainienne qui aurait dû se retirer depuis bien longtemps. Et les communiqués de Sirsky semblent complètement déconnectés de la réalité du terrain, pour ce qu'on peut en juger. Quelle que soit ses compétences et qualités personnelles (ou plutôt leur absence), le haut commandement ukrainien accumule les erreurs depuis que Sirsky en a pris les commandes, et ce dernier aurait donc dû être viré en mars dernier après l'échec de l'opération à Soudja.
Pertes russes et ukrainiennes
Je rappelle les pertes russes telles qu'annoncées par les officiels ukrainiens dans les 4 catégories à surveiller: artillerie, MLRS, DCA et équipements spéciaux. Pour chacune, je vais donner les moyennes pour la première année (mars 2022 à février 2023), la deuxième année (mars 2023 à février 2024) et la troisième année (mars 2024 à février 2025) puis les chiffres de mars, avril, mai, juin, juillet, août, septembre, octobre et novembre 2025.
- Artillerie
- moyenne 1ere année: 190/mois
- moyenne 2e année: 650/mois
- moyenne 3e année: 1150/mois
- 1690 (mars), 1554 (avril), 1384 (mai), 1243 (juin), 1193 (juillet), 1288 (août), 1112 (septembre), 817 (octobre), 612 (novembre)
- MLRS
- moyenne 1ere année: 40/mois
- moyenne 2e année: 43/mois
- moyenne 3e année: 25/mois
- 44 (mars), 27 (avril), 26 (mai), 27 (juin), 24 (juillet), 25 (août), 29 (septembre), 28 (octobre), 19 (novembre)
- DCA
- moyenne 1ere année: 21/mois
- moyenne 2e année: 37/mois
- moyenne 3e année: 30/mois
- 37 (mars), 23 (avril), 27 (mai), 17 (juin), 13 (juillet), 10 (août), 11 (septembre), 9 (octobre), 20 (novembre)
- Équipements spéciaux
- moyenne 1ere année: 19/mois
- moyenne 2e année: 114/mois
- moyenne 3e année: 181/mois
- 24 (mars), 82 (avril), 33 (mai), 19 (juin), 14 (juillet), 17 (août), 27 (septembre), 7 (octobre), 24 (novembre)
C'est une nouvelle baisse sensible des chiffres concernant l'artillerie. En deux mois, le chiffre a été diminué de moitié, tandis que les autres chiffres fluctuent mais, compte tenu de leur faible ampleur, cela n'est peut-être pas très significatif.
Plus généralement, comparé au mois d'octobre, il y a à la fois une baisse des pertes matérielles (
3 305) et une stagnation des pertes humaines (
31 030), selon le comptage réalisé par l'analyste
Ragnar Bjartur Gudmundsson.
En ce qui concerne les pertes visuellement confirmées, selon
Oryx il y a eu en novembre
225 pertes russes et
339 pertes ukrainiennes. Les pertes russes sont retombées à leur niveau anormalement bas (à moins que ce soit la nouvelle normale). Les pertes ukrainiennes, en revanche, sont aussi importantes qu'au mois d'octobre (notamment à cause de la situation à Pokrovsk) et le ratio mensuel de pertes visuellement confirmées est un des pires pour l'Ukraine.
Attaques russes à longue distance
En novembre, la Russie a lancé environ 5600 drones et 210 missiles, des chiffres sensiblement égaux à ceux de septembre et octobre. Principales attaques, selon les Ukrainiens:
- 08 novembre: 458 drones, 45 missiles
- 14 novembre: 430 drones, 19 missiles
- 19 novembre: 479 drones, 43 missiles
- 25 novembre: 464 drones, 22 missiles
- 30 novembre: 596 drones, 36 missiles
Et toujours aucune réaction des Occidentaux.
La pétition Skyshield stagne à moins de 60 000 signatures.
Quand vont-ils enfin réaliser que le fait que la Russie produise des milliers de ces drones par mois représente une menace sérieuse pour la sécurité de tous les Européens ? Si un cessez-le-feu est conclu dans les prochains mois, combien de temps faudra-t-il à la Russie pour produire et stocker 50 000 shaheds (largement de quoi saturer toutes les défenses européennes et causer des dégâts considérables, sans pour autant franchir le seuil atomique) ?
L'Ukraine continue à faire des dégâts pour le pétrole russe
De son côté, l'Ukraine poursuit sa stratégie de frappes sur les infrastructures pétrolières russes:
On observe donc quelques changements dans le choix des cibles: si les raffineries sont toujours frappées, les stations de pompage des pipeline ne l'ont pas été ce mois-ci. Est-ce parce que ces attaques étaient inefficaces ou trop difficiles? En revanche, l'Ukraine a intensifié ses attaques contre les infrastructures de la Mer Noire, et même contre les pétroliers de la flotte fantôme russe.
Ces dernières cibles, en particulier, interrogent (cf
la vidéo d'Anders Puck Nielsen): pourquoi maintenant, alors que ces pétroliers sont des cibles faciles pour les drones maritime ukrainiens depuis au moins 2023? Est-ce un message politique à destination d'alliés vacillants, leur rappelant les enjeux de cette guerre ? Ou une mesure de désespoir, les frappes contre les raffineries n'ayant pas l'effet escompté ?
Diplomatie: la traîtrise de Trump et Witcoff exposée au grand jour
Depuis le temps que je dis que Trump n'est pas pour l'Ukraine, le mois de novembre a montré cela de manière éclatante.
Beaucoup de choses ont déjà été dites sur ce "plan de paix", aussi pour éviter des redites, je vais aller à l'essentiel.
Comme le résume DarthPutin, ce plan se résume en 3 points:
- la Russie gagne des territoires
- Trump gagne un pot-de-vin
- l'Ukraine gagne des promesses en l'air
Le plan établi par Dimitriev et Witcoff (
Dim-Wit Plan en anglais) est tellement pro-russe qu'il a en fait été repris directement du russe et traduit en anglais. C'est un plan qui ne cache même pas son but: donner aux Russes tout ce qu'ils veulent, et permettre à Trump de s'enrichir, le tout au détriment des Européens et des Ukrainiens.
Le plan amendé par les Européens est un peu plus équilibré, mais favorise toujours largement les Russes. Si le but était d'introduire des clauses inacceptables pour les Russes tout en restant proche de ce que proposait Trump, je comprends la démarche. Mais ce faisant, les Européens adoptent, eux aussi, le narratif russe (toujours ce fameux contrôle réflexif) et s'interdisent de proposer quelque chose de plus ambitieux - et surtout de préparer une stratégie pour accomplir ce but plus ambitieux. C'est à mon avis une erreur des Européens: ils auraient du refuser le plan par principe et proposer quelque chose qui défend leurs intérêts, plutôt que de chercher à aller dans le sens de Trump.
Surtout, ce qu'il faut retenir de cette séquence, c'est
la duplicité du gouvernement Trump. Ils ont publiquement laissé entendre qu'ils pourraient augmenter les sanctions contre la Russie (et les journalistes se sont engouffrés dans ce tunnel informationnel)... tout en conspirant avec les Russes pour trahir leurs alliés. Il faut arrêter de croire qu'on peut retourner ou amadouer Trump; ce dernier est pro-Poutine, il faut faire avec, et le traiter en ennemi. Il faut que l'Europe ose défendre ses intérêts, et ceux-ci sont clairs. En effet,
une victoire russe serait bien plus coûteuse, pour l'Europe, qu'une victoire ukrainienne. Lire aussi
la tribune publiée par RUSI.
Corruption au sommet en Ukraine
Le 10 novembre,
les unités anti-corruption révèle un scandale de corruption au plus haut niveau: avec la complicité de l'ancien ministre de l'Energie, Tymour Minditch - un ancien associé de Zelensky- aurait détourné des sommes très importantes (75 à 100 millions d'euros) en exigeant des pots-de-vins de la part de sous-traitants d'Energoatom, l'entreprise publique gérant les centrales nucléaires. Autant d'argent qui n'ira pas dans les efforts visant à préserver le réseau électrique ukrainien mis à mal par les multiples attaques aériennes russes.
Alors que les services anti-corruption allaient arrêter Minditch, celui-ci a pu fuir en Israël, avec la probable complicité de gens hauts placé. L'enquête est en cours, mais plusieurs personnes du gouvernement ukrainien ont déjà dû démissionner:
- German Galushchenko, Ministre de la Justice et ancien ministre de l'Energie
- Svitlana Gryntchouk, Ministre de l'Energie
- Andriy Yermak, chef de l'Office présidentiel et officieusement bras-droit de Zelensky.
Il est probable que ce ne seront pas les seuls. C'est tout le pouvoir ukrainien qui vacille au pire moment, alors qu'aidé par le traître Trump (et par l'inaction des Européens) les Russes font monter la pression.
Le problème de la corruption en Ukraine n'est hélas pas nouveau. Si, début 2022, il semble qu'il y a eu un sursaut momentané, les mauvaises habitudes ont vite repris le dessus. Et Pourtant, les Ukrainiens luttent contre ce fléau. Mais la corruption est tellement systémique (comme elle l'est en Russie) qu'il est difficile de la combattre, malgré les efforts des Ukrainiens. Au contraire des Américains, par exemple, qui ont élu un traître tellement corrompu qu'il ne cache même plus qu'il demande des cadeaux en l'échange de faveur diverses.
Pour essayer de finir sur une note légèrement plus positive, la démission de Yermak affaiblit incontestablement Zelensky, mais Yermak était tellement impopulaire (et représentatif
des pires travers du Système zelensky) qu'un changement n'est peut-être pas mauvais pour l'Ukraine, du moins à moyen ou long terme. Espérons que ce ne sera pas le seul changement et qu'une nouvelle équipe mettra en oeuvre les réformes structurelles dont l'Ukraine a besoin.
Car s'il n'y a pas très rapidement des changements (pas qu'en Ukraine, mais en Europe aussi), l'Ukraine ne pourra pas gagner cette guerre et l'Europe sera foutue à moyen/long terme.
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