lundi 25 août 2025

Estimations des pertes russes et ukrainiennes, fin août 2025

Tous les 6 mois depuis la création de ce blog, je fais une estimation des pertes russes et ukrainiennes en utilisant la même méthodologie. Estimations précédentes:

Une fois de plus, je vais suivre la même méthodologie, en commençant par les pertes matérielles puis les pertes humaines. Toutes les estimations que je donne portent sur la période du 24/02/2022 au 25/08/2025, sauf si une autre période est précisée.


Estimation des pertes russes (The Economics).
En bleu: mes propres estimations du nombre de morts



Les pertes matérielles

Comme précédemment, je m'appuie sur toutes les pertes confirmées par le désormais célèbre site Oryx. Ils ont continué leur travail de titan, et il y a actuellement plus de 32 000 pièces d'équipement considérées comme perdues (détruites, endommagées ou capturées) par les belligérants: 22 585 pour les Russes, 9 636 pour les Ukrainiens au 25/08/2025.
 
Si on regarde l'évolution de ces chiffres depuis le début de la guerre,  on voit que le déséquilibre est surtout durant la 1ere année et que ces 12 derniers mois, le rapport de perte tend à être de moins en moins favorable à l'Ukraine, au point qu'on en est maintenant à un rapport proche de 1:1 en ce qui concerne les pertes matérielles visuellement confirmées:
  • février 2022 - février 2023: 9400 pour les Russes, 3000 pour les Ukrainiens
  • février 2022 - août 2023: +2450 pour les Russes, +1250 pour les Ukrainiens 
  • août 2023 - février 2024: +2700 pour les Russes, +1000 pour les Ukrainiens 
  • février 2024 - août 2024: +2950 pour les Russes, +1100 pour les Ukrainiens 
  • août 2024 - février 2025: +2980 pour les Russes, +1550 pour les Ukrainiens  
  • février 2025 - août 2025: +2080 pour les Russes, +1725 pour les Ukrainiens

On en est à un rapport de 2,3:1 en faveur des Ukrainiens en ce qui concerne les pertes matérielles prouvées, conséquence de la nette dégradation du ratio ces six derniers mois. Avant, on était à 2,6:1 en février 2025, à 2,8:1 d'août 2023 à  août 2024, et la baisse est encore plus marquée comparé à ce qu'il était en février 2023 (3,1:1). Mais pour estimer le rapport réel, il faut bien entendu estimer quelles sont les pertes réelles (dont les pertes documentées ne sont qu'un sous-total) des deux camps. Comme précédemment, je m'appuie sur l'avis des analystes militaires (par exemple le Colonel Michel Goya) qui pensent qu'il faut multiplier les chiffres des pertes documentées par un facteur compris entre 1,3 et 2 pour obtenir les pertes réelles. Cela donne une fourchette de 29 300 à 45 100 équipements lourds perdus par les Russes, et une fourchette de  12 450 à 19 200 pour les Ukrainiens.

Il y a donc probablement un rapport de 1,5:1 à 3,6:1 en faveur des Ukrainiens en ce qui concerne les pertes matérielles réelles. Le Colonel Goya estimait (en juillet 2022) que les pertes russes étaient plus documentées que les pertes ukrainiennes (et donc qu'on serait plutôt dans le bas de la fourchette), mais j'ai du mal à croire que c'est encore le cas actuellement, chaque camp publiant un grand nombre de photos/videos.

Pour finir, je rappelle que ce rapport est aussi une première indication en ce qui concerne les pertes humaines; en effet, pour deux armées équipées sensiblement au même niveau, les pertes humaines et matérielles sont peu ou prou proportionnelles, avec quelques écarts possibles.

 

 

Les pertes humaines

Je vais surtout me concentrer sur les estimations du nombre de morts, en utilisant les mêmes méthodes que précédemment (où ces méthodes étaient expliquées).



Première méthode: estimation à partir du nombre d'équipement perdus

En suivant cette méthode (où chaque équipement perdu équivaut à 8 morts), et en utilisant mon estimation des pertes matérielles, j'obtiens:
Pour les Russes: de 234 900 à 361 400 morts
Pour les Ukrainiens: de 100 200 à 154 200 morts



Deuxième méthode: en corrigeant les chiffres donnés par les Ukrainiens

Le ministère de la défense ukrainien publie chaque jour un tableau des pertes russes (matérielles et humaines): 1 076 940 Russes éliminés (au 25/08/2025). Comme on peut comparer ce qui est déclaré à ce qui est confirmé par Oryx (pour les pertes matérielles), cela donne une estimation de la fiabilité de ces chiffres. Oryx confirme actuellement environ 16,5% des pertes russes déclarées par le ministère de la défense ukrainien. Il y a 6 mois et un an, ce pourcentage était de 20%, 27% il y a 18 mois, 35% il y a deux ans, et 45% il y a deux ans et demi. 

L'écart continue de se creuser donc entre les deux chiffres, et cela peut s'expliquer de deux manières:

  • soit c'est parce que les Ukrainiens gonflent leurs chiffres dans un but de propagande, par exemple pour compenser leurs difficultés dans le Donbas. Ce serait donc les Ukrainiens qui seraient moins fiables
  • soit c'est parce que proportionnellement moins de vidéo sortent, le caractère répétitif des combats fait que l'intérêt est moindre qu'au début de la guerre. Ce serait donc Oryx qui serait moins fiable

De plus, cette baisse peut aussi s'expliquer parce que l'armée Ukrainienne vise spécifiquement l'artillerie russe (qui a actuellement un taux de confirmation de l'ordre de 1%). A noter que, pour l'artillerie, Oryx recense environ 1200 pièces perdues par les Russes alors que plus de 9 000 pièces (majoritairement de l'artillerie tractée) ont été retirées des stocks russes. Il est donc probable que, au moins pour les pièces tractées, les pertes recensées par Oryx ne représentent qu'une faible partie des pertes réelles. 

Une autre raison de cet écart est que les Russes emploient de plus en plus de véhicules civils pour leur logistique ; or, Oryx ne les comptent pas. Comme ces 59600 véhicules représentent 45% des pertes annoncées par les Ukrainiens, et que Oryx n'en confirme que 4 100, cela explique aussi l'écart entre les différents chiffres.

Je pense donc que c'est d'avantage un manque de documentation qu'une baisse de fiabilité des chiffres ukrainiens qui explique cet écart. Mais comme je ne peux pas le prouver formellement, je vais faire les calculs en utilisant ce taux de 16,5%, même si cela conduit à une petite sous-estimation des pertes russes.

L'inverse de 16,5%, c'est 6; autrement dit, les pertes annoncées par les ukrainiens sont, en moyenne, 6 fois plus élevées que les chiffres Oryx.  Donc, comme les pertes matérielles réelles (équipement) sont de 1,3 à 2 fois celles observées, il suffit de multiplier les chiffres donnés par le ministère ukrainien par 1,3/6 et 2/6 pour avoir les bornes inférieures et supérieures des pertes réelles. En supposant que le même facteur correctif peut être appliqué aux pertes humaines, on obtient:


Pour les Russes: de 234 000 à 360 000 morts
Pour les Ukrainiens: cette méthode ne peut pas être employée.


Méthode 2 bis: on peut aussi choisir un intervalle plus grand en estimant les pertes réelles entre le pourcentage de pertes confirmées (16,5%) et 100% du total annoncé par les Ukrainiens. Ce qui donne des pertes russes comprises entre 180 000 et  1 080 000 morts (j'arrondis à la dizaine de milliers)
 
NB: on lit souvent, dans les journaux, que le chiffre indiqué dans les bilans quotidiens des pertes russes couvrent les morts et blessés, et non juste les morts. Il est vrai que la formulation ("eliminated personnel" en anglais) est ambiguë mais:
  • lors des premiers bilans, en 2022, ce chiffre était bien présenté comme le nombre de russes morts. Pas "tués et blessés".
  • ce n'est que lorsque le chiffre a dépassé les 200 000 (au printemps 2023) que les gens ont commencé à le présenter comme étant le total "tués et blessés"
  • j'ai déjà argumenté plusieurs fois pour dire que les chiffres indiqués par les Ukrainiens sont certainement surestimés, mais pas tant que ça, et que pour les pertes humaines, il faut diviser par 3 ou 4 les chiffres ukrainiens pour avoir une estimation plus "correcte". Donc si le chiffre actuel de 1 080 000 représente le total "morts+blessés", cela signifierait que l'estimation correcte serait de 270 à 360 000 morts et blessés. Or, ces chiffres sont très inférieurs aux autres estimations (700 000 à 900 000 tués et blessés, au minimum, et très probablement bien plus), et donc probablement faux.
  • Est-ce que je crois qu'il y a 1 080 000 morts russes ? Non (cf la conclusion, plus bas). Par contre, le chiffre de 270 à 360 000 morts me semble être une estimation raisonnable.
 
 

Troisième méthode: évaluation à partir du nombre de Russes recrutés pour faire la guerre

Dans mes deux premières estimations, j'avais utilisé les chiffres de la prétendue "république populaire de Donetsk" (DNR), qui publiait jusqu'à début décembre 2022 des tableaux détaillés de ses pertes, et donnait le chiffre de presque 4000 morts. On pouvait en déduire une estimation des pertes russes totales à cette date (environ 80 000 morts). Cependant, comme le décompte s'est arrêté il y a maintenant plus de 2 ans, je ne pense pas que ça a grand sens d'extrapoler pour essayer d'en déduire les pertes actuelle. J'abandonne donc cette méthode. 
 
Je la remplace  par une autre méthode (assez peu fiable) elle aussi basée sur les déclarations russes. A l'heure actuelle, la Russie a envoyé en Ukraine environ 1,6 million d'hommes:
  • invasion initiale février 2022: ~ 180k 
  • renforts printemps/été 2022 (3e corps, BARS): > 30k
  • prisonniers recrutés par Wagner sept/oct 2022: > 50k
  • mobilisation "partielle" septembre 2022: 300k (*)
  • "engagés volontaires" durant l'année 2023: 340k (**) - 490k (*)
  • "engagés volontaires" durant l'année 2024: 360k (**) - 410k (*)
  • "engagés volontaires" durant l'année 2025: 210k - 480k (***)

(*) selon les chiffres russes, donc sujet à caution.

(**) le ministère de la défense britannique, et les services de renseignement ukrainiens, estiment tous deux que la Russie recrute environ 30 000 hommes/mois dans son armée. Il est possible que ce chiffre soit un peu plus bas fin 2024-début 2025.

(***) le 2 juillet 2025, les Russes annonçaient plus de 210k contrats signés pour les 6 premiers mois de 2025. Poutine annonçait 60k nouvelles recrues mensuelles, Zelensky chiffrait les recrues russes mensuelles entre 45k et 47k. Vadim Skibitskyi estime que les Russes ont atteint 60% de leur objectif annuel de 343 000 recrues, soit 210 000 recrues en 2025.


Or, les estimations récentes montrent que seuls 600 000 à 700 000 soldats russes sont en Ukraine (j'étais arrivé au chiffre de 450 à 500 000 en avril 2024). Où sont donc passé les (1 470 000 à 1 940 000) - (600 000 à 700 000) = 770 000 à 1 340 000 soldats russes qui ne sont plus en Ukraine ? Probablement morts ou blessés. Si on estime qu'il y a un rapport de 2 à 4 blessés pour 1 mort, cela donnerait une estimation comprise entre 155 000 et 445 000 morts russes. La méthode est relativement peu fiable, mais on retrouve le même ordre de grandeur que les autres estimations. NB: Perun a utilisé une méthode similaire dans sa vidéo sur les pertes russes. Il arrive à des estimations comprises entre 700 000 et 900 000 blessés et tués côté russe début 2025 (à ajuster  pour tenir compte des pertes de 2025).



Quatrième méthode: évaluation à partir du nombre d'officiers russes tués

Autre méthode employée par Xavier Tytelman. Utiliser le nombre d'officiers russes dont la mort en Ukraine a été confirmée (6750). Doubler ce nombre (pour considérer tous ceux dont la mort n'a pas été confirmée). Multiplier ensuite par 30 (d'après Tytelman, même s'il fait une confusion entre "pertes" et "morts" dans son analyse); on obtient alors 405 000 morts russes.
 
Petite note sur le nombre d'officiers russes tués:
  • fin février 2023, il y avait 2000 cas documentés, soit 1000 / 6 mois
  • fin août 2023, 2700 (+700)
  • fin février 2024, 3600 (+900)
  • fin août 2024, 4600 (+1000)
  • fin février 2025, 5600 (+1000)
  • fin août 2025, 6750 (+1100)

Au début de la guerre, il y a eu beaucoup d'officiers tués; d'une part à cause de la confusion et des lignes de ravitaillement trop longues lors de l'offensive sur Kyiv; d'autre part car le ratio officier/non officiers était bien plus élevé dans l'armée russe "de métier" et que ceux-ci étaient plus en avant dans les grandes offensives mécanisées. Avec la mobilisation de septembre 2022, les officiers ont eu tendance à plus laisser les simples soldats combattre en première ligne, et le nombre d'officiers tués a chuté. Puis,  avec l'intensification des combats, le chiffre est reparti à la hausse, ce qui témoigne de l'augmentation des pertes russes au cours du temps.

 
 
Cinquième méthode: se fier aux estimations faites par les services de renseignement/media

Les estimations des pertes humaines par les services de renseignement occidentaux se font de plus en plus rares dans les média. Cependant, divers journaux  (et responsables politiques) ont pris le relais. Quand une estimation est donné en nombre de morts et blessés, je vais considérer que les morts représentent entre 1/5 et 1/3 de ce total (en me basant sur un ratio morts:blessés de 1:2 à 1:4)


Le 21 mars 2025, le ministère de la défense britannique chiffrait les pertes russes à 900 000 morts et blessés (donc de 180  000 à 300 000 morts)

Le 3 avril 2025, le Général Cavoli, commandant suprême des forces de  l'OTAN, estimait les pertes russes à 790 000 morts et blessés (donc de 158 000 à 263 000 morts). 

Le 9 juillet, The Economist estime qu'il y a eu entre 900 000 et 1 300 000 pertes russes, dont de 190 000 à 350 000 morts russes, et de 73 000 à 140 000 morts ukrainiens.

Fin juillet 2025, Xavier Tytelman a publié ses propres estimations: 250 000 morts russes (+100 000 disparus), 73 000 morts ukrainiens (+78 000 disparus). Il estime aussi qu'il y a eu 200 000 civils (ukrainiens) qui sont morts dans ce conflit.

Le 25 juillet 2025, BBC Russia publie son estimation, basée sur les décomptes nominatifs mentionnés plus haut: de 206 000 à 291 000 morts (russes + "séparatistes" DPR/LPR), auxquels il faudrait aussi ajouter les nord-Coréens et autres nationalités (quelques milliers de morts supplémentaires) 

Actuellement, UALosses.org compte 74 000 soldats ukrainiens morts (plus environ 5000 morts avant le 22 février 2022).  C'est un site dont les auteurs restent anonymes, mais leurs données ont été vérifiées sur un échantillon aléatoire et le résultat est que cette base de donnée est globalement fiable (discuté dans cet article). En particulier, cette discussion a établi qu'un ukrainien mort avait 75% de chance d’apparaître dans la base de donnée UALosses. A partir de là, on peut estimer que les 74 000 morts répertoriés représentent 75% des morts ukrainiens, et on peut donc extrapoler les pertes ukrainiennes à environ 98 700 morts.


On voit que, de manière générale, ces estimations sont relativement basses, bien plus faibles que celles obtenues par les méthodes précédentes. Or, certaines de ces estimations (notamment celles faites par Mediazona, Meduza, BBC Russia et celles extrapolées à partir de UAlosses.org) reposent sur une méthodologie qui semble solide, bien plus solide que les calculs que j'ai fait plus haut. Cependant, j'ai déjà discuté de ce qui pose problème dans leur méthodologie et émis certaines réserves. Il est notable qu'ils réévaluent à chaque fois les morts russes de manière assez significative, à chaque nouvelle estimation:

  • 1re estimation: 47 000 (jusqu'à mai 2023) soit une moyenne de 3 100 morts/mois
  • 2e estimation: 75 000 (jusqu'à décembre 2023) soit une moyenne de 3 750 morts/mois
  • 3e estimation: 120 000 (jusqu'à juin 2024) soit une moyenne de 4 280 morts/mois
  • 4e estimation: 138 500 à 200 000 (jusqu'en janvier 2025) soit une moyenne de 3900 à 5700 morts/mois
  • 5e estimation: 185 000 à 276 500 (jusqu'en juillet 2025) soit une moyenne de 4500 à 6700 morts/mois

Une partie de cette augmentation est due au fait que la guerre s'intensifie, une autre vient qu'ils complètent leur données et révisent leur méthodologie. Il ne serait pas surprenant que le chiffre qu'ils annoncent est encore un peu trop bas. D'autant plus qu'ils ne comptent pas les morts "non russes" (DPR/LPR/étrangers, etc) qui apparaissent nécessairement en utilisant les autres méthodes discutées plus haut. Ces pourquoi mes estimations sont plus élevées que celles de ces journaux.





Conclusion: plus d'1,5 million de morts et blessés

Bien que ne coïncidant qu'imparfaitement entre elles, ces différentes estimations donnent un ordre de grandeur des pertes matérielles et humaines: environ 270 000 morts côté russe, environ 120 000 morts côté ukrainien.


En terme de vraisemblance, je dirais qu'à l'heure actuelle (fin août 2025):

Intervalles probables (indice de confiance > 60%)
- les Russes comptent probablement de 200 000 à 340 000 morts
- les Ukrainiens comptent probablement de 105 000 à 135 000 morts


Intervalles très probables (indice de confiance > 95%)
- les Russes comptent très probablement de 160 000 à 420 000 morts
- les Ukrainiens comptent très probablement de 80 000 à 160 000 morts

NB: on ne parle là que des pertes militaires. Côté ukrainien, il faut aussi rajouter les pertes civiles, très importantes. Par exemple, il pourrait y avoir eu 100 000 morts rien qu'à Marioupol. Xavier Tytelman estime qu'il y a eu plus de 200 000 morts civils (ukrainiens) dans les territoires occupés.


Comme je l'ai dit et répété lors des estimations précédentes,  il faut prendre ces chiffres comme un ordre de grandeur plus qu'un chiffre exact. Il y a une grande incertitude, en particulier sur les pertes russes. Je voudrais aussi commenter le graphique qui représente l'évolution des pertes russes selon The Economist, auxquelles j'ai ajouté mes propres évaluations semestrielles de février 2023 à février 2025 : 


Estimation des pertes russes (The Economics).
En bleu: mes propres estimations du nombre de morts

On constate que, quand on compare mes estimations (en bleu) avec celles de The Economist (en rouge) :
  • mes estimations sont systématiquement supérieures à celle du journal britannique
  • en revanche, il y a une convergence avec le temps: j'était très au dessus de leurs estimations en 2023, et maintenant je suis à peine au dessus de leur cône de probabilité
En fait, c'est même pire: ma première estimation (environ 100k morts côté russe, 50k côté ukrainien), comparée à mes estimations suivante, dit que la première année a été la plus meurtrière. Si on regarde les morts confirmées nominativement côté russe comme côté ukrainien et qu'on se penche sur les statistiques  "par semaine", on constate que les semaines les plus meurtrières pour les Ukrainiens furent les deux premiers ois de la guerre, et pour la Russie les deux premiers mois de 2023. Mais en moyenne, la première année fut la moins meurtrière pour les Russes et une année moyenne pour les Ukrainiens (toujours en se fiant aux morts confirmés nominativement).

Alors, peut-être que mes premières estimations étaient un peu trop hautes, mais j'ai tendance à penser que, surtout les premiers mois, les Russes ont tout fait pour cacher leur nombre de morts. Les 5 méthodes que j'utilise (toujours les mêmes ou presque depuis le début) ne montrent en tout cas pas une augmentation drastique du nombre de morts avec le temps (tels qu'ils apparaissent sur le graphique de The Economist):
  • selon la méthode 1, la première année fut, de loin, la plus meurtrière
  • selon la méthode 2, les annonces ukrainiennes ont bien considérablement augmentés, mais le taux de confirmation a bien baissé, ce qui fait que l'estimation de croit que lentement
  • pour la méthode 3, j'ai changé de méthode, aussi je ne peux pas faire le suivi des estimations
  • pour la méthode 4, le nombre d'officier russes confirmés comme morts est assez constant (environ 1000 par semestre), avec une très légère augmentation ces six dernier mois
  • pour la  méthode 5, ça dépend des estimations; mediazona/BBC Russia était parti de très bas et ont du réviser à la hausse leur estimation, comme j'en ai parlé plus haut. Au contraire, les renseignements américains étaient partis de plus haut, puis ont cessé d'augmenter les nombres qu'ils donnaient, comme s'ils avaient peur d'admettre qu'il y a eu plus de 100 000 Russes rués.
Donc ces 5 méthodes ne montrent pas une courbe telle que celle que publie The Economist, mais plutôt quelque chose d'à peu près linéaire. Cela va à l'encontre des nombreux témoignages et données montrant que la guerre s'intensifie. Aussi il faut rester prudent dans les estimations, et garder à l'esprit que les pertes sont peut-être bien plus importantes que ce que les données OSINT montrent.


Il y a un an, j'avais indiqué qu'il y avait probablement 1 million de morts et blessés, un chiffre double de ce qu'indiquait Wikipedia à l'époque. Or, il semble malheureusement que j'étais en dessous de la réalité, notamment pour les pertes civiles. A l'heure actuelle, il y a probablement plus de 1,5 million (voire plus de 2 millions) de morts et blessés, tous camps confondus (civils + militaires), pour cette guerre inutile qui pourrait s'arrêter à tout moment, dès que la Russie renonce à envahir l'Ukraine et retire ses troupes. Chaque jour qui passe, chaque mort et blessé supplémentaire est une tragédie dont la responsabilité incombe totalement à Vladimir Poutine et à tous ceux qui, en Russie comme ailleurs, le soutiennent et lui permettent de continuer à commettre ses crimes.

 



vendredi 22 août 2025

Commentaires sur le dernier billet de blog de Mélenchon

Jean-Luc Mélenchon a publié sur son blog son avis sur la rencontre entre Trump et Poutine. J'ai moi-même analysé cette rencontre. Et s'il y a de rares points sur lesquels je suis d'accord avec Mélenchon, le reste de son texte est tellement contestable (pour rester poli) que ça mérite que je réfute ses "arguments", en essayant de ne pas trop s'énerver.



Texte commenté

Les passages en italique sont de Jean-Luc Mélenchon

C’est aussi une humiliation de plus pour les vassaux européens et les commensaux de l’OTAN qui tiendront la bougie chez eux pendant que les dominants se passent d’eux pour décider de l’avenir de leur continent. 

Si je suis d'accord pour dire que c'est une humiliation pour l'Europe (en faite, pour tout le monde à part Poutine), utiliser le terme de "vassaux européens" rappelle (sans surprise) la propagande russe. Et surtout, JLM, qui a œuvré toute sa vie contre l'avènement d'une Europe puissante, est bien hypocrite de reprocher à cette même Europe son impuissance actuelle (un thème qu'il va dérouler tout au long de ce billet de blog).


Car la Russie est une composante de l’Europe. Davantage que la Turquie avec qui pourtant les négociations en vue de son adhésion à l’UE sont pourtant censées continuer. 

L'adhésion de la Turquie à l'UE est bloquée depuis 20 ans déjà. Et pourquoi parler de la Turquie ? La Russie agresse ses voisins européens, c'est ça le problème !

Les dirigeants de l’Union européenne ont accepté le scénario conclu en 2008 à Budapest en faveur de l’annexion par l’OTAN de l’Ukraine et de la Géorgie, véritable déclaration de guerre à la Russie.

Oh putain. Il a osé (c'est même à ça qu'on le reconnait). Rappelons à JLM que:

  1. En 2008, à part une vague déclaration qui n'engage à rien, l'adhésion de l'Ukraine et la Géorgie à l'OTAN n'est tout simplement pas à l'ordre du jour. Ces (futures, possibles) adhésions étaient d'ailleurs refusées par la France et l'Allemagne.
  2. Une annexion, c'est ce que fait la Russie en envoyant ses troupes et en organisant des "référendum" bidons. Comparer ça à l'adhésion volontaire à l'OTAN, c'est juste indécent.
  3. Personne ne cherche à "déclarer la guerre" à la Russie. C'est la Russie qui envahit ses voisins (sans déclaration de guerre) comme, en 2008, la Géorgie.  Bien entendu, JLM n'en dit pas un mot

De leur côté, les USA ont joué une partie trop compliquée. La Chine ou la Russie, il leur fallait choisir quel était le véritable « adversaire systémique ». Les atermoiements, hésitations et les allers-retours ont embrouillé leur action.  

La Chine, c'est la seule puissance actuellement capable de rivaliser avec les USA, et est identifiée comme telle par les Américains. La Russie, c'est le petit caïd qui emmerde ses voisins mais ne peut pas jouer dans la cour des grands. C'est ça que Mélenchon ne comprend pas: jusqu'en 2022, tout le monde fichait une paix royale à la Russie, qu'on se contenter d'ignorer malgré les saloperies qu'elle faisait déjà.

En fait, Jean-Luc Mélenchon a le fantasme de la guerre froide, durant laquelle la Russie (enfin, l'URSS) était la grande rivale des USA. Comme Poutine, il n'arrive pas à accepter le fait que ce n'est plus le cas, qu'elle a été remplacée dans ce rôle par la Chine. L'invasion de l'Ukraine par la Russie a obligé les USA à réinvestir un terrain, l'Europe, qu'ils étaient en train d'abandonner depuis la fin des années 1990.

 

Trop tard maintenant. Poutine a gagné la guerre parce que l’Ukraine ne peut la gagner sans un engagement des USA d’une ampleur qui n’est plus à l’ordre du jour. 

Mélenchon disait déjà ça le 26 février 2022. Niveau d'analyse militaire = zéro. 

Les USA ne peuvent donc pas se tirer d’affaires en vainqueurs. Ils devront accepter qu’une nouvelle carte de l’Europe soit dessinée. 

Hé, Méluche, c'est Trump qui veut aider Poutine a avaler une partie de l'Ukraine alors que les Européens et Ukrainiens s'y opposent. Trump va pas "devoir accepter", il veut offrir à Poutine ce que ce dernier ne peut pas obtenir militairement.


Pour finir, l’Europe politique y aura donc laissé sa peau. Elle a prouvé qu’elle n’existe pas et n’en a ni la volonté ni les moyens. Plus que jamais ce sera l’Europe allemande. C’est-à-dire le néant.  

Ah, la germanophobie habituelle de Mélenchon. Il revient toujours à ses petites obsessions. Au fait, l'Europe a largement les moyens de vaincre la Russie, même sans les USA. C'est la volonté politique qui lui fait défaut. En particulier à cause de la "5e colonne russe" dont fait partie JLM.

L’Ukraine pensait pouvoir compter sur les USA surtout et sur les européens aussi pour garantir son indépendance contre l’invasion dont elle fait l’objet. 

Et sans la trahison de Trump, elle aurait pu compter sur ce soutien. C'est Trump, a.k.a. Krasnov, qui veut forcer l'Ukraine à la capitulation (la grande majorité des américains étant pro-Ukraine). 

Elle sait à quoi s’en tenir. Elle ne peut plus gagner. 

Si. Ce n'est pas évident, cela va demander que les Européens arrêtent d'avoir peur de leur ombre et y mettent les moyens, mais il y a un chemin vers la victoire.

tout concourt à l’effondrement : avoir interdit les syndicats et les partis d’opposition,

C'est un copier-coller de la propagande russe. Ce ne sont pas "les" syndicats et "les" partis d'oppositions qui sont interdits, mais un certain nombre d'organisations complètement noyautées par les espions russes. D'autres partis d'opposition, dont le principal, celui de Poroshenko, sont toujours autorisés.

avoir maintenu Zelenski en place alors que son mandat présidentiel est fini, 

C'est un copier-coller de la propagande russe. Le mandat de Zelensky a été prolongé selon les dispositions de la constitution ukrainienne. Zelensky lui-même dit qu'il quittera le pouvoir dès que la paix sera signée.

avoir tenté de sauver les corrompus qui pillent l’effort de guerre, les désertions massives, 

Mélenchon parle de la Russie ?

tout cela a brisé le lien unissant le système Zelenski à son peuple en guerre

Zelensky a un taux d'approbation supérieur à 60%. Bien au dessus du score électoral de Mélenchon.

Les bonimenteurs sur l’alliance OTAN comme garantie de défense vont manger leur chapeau.

L'OTAN est une garantie de défense très forte (ou du moins l'était jusqu'à la trahison de Trump). C'est pour ça que l'Ukraine veut y adhérer.

Au demeurant, compte tenu de la nature des liens qui unissent les USA et Netanyahu, il est peu probable que le divorce entre atlantistes ait lieu.

Heu ? C'est quoi le rapport entre l'Ukraine et Netanyahu ? Mélenchon croit-il que Netanyahu contrôle l'OTAN comme dans les plus gros clichés antisémites ?

Pour nous plus que jamais, compter sur qui que ce soit d’autre que soi-même pour se défendre est une naïveté qui se paiera toujours très cher. 

Ah, enfin une phrase sur laquelle avec laquelle on ne peut être que d'accord. Nous Européens devons prendre notre destin en main. Mais la germanophobie et l'europhobie maladive de Mélenchon l'empêche de voir que ce n'est qu'unis que les Européens auront la puissance nécessaire pour défendre leurs intérêt et s'opposer aux Russes.

Le départ de Zelenski est la condition de l’accord. Tout simplement parce que son mandat est fini et que je ne crois pas la Russie capable de signer quoique ce soit avec quelqu’un bientôt remplacé par un autre qui pourrait tout remettre en cause.

C'est la signature de la Russie qui ne vaut rien. Et ce n'est pas à la Russie de décider de qui dirige l'Ukraine.

Mais en l’absence de la Chine aucun arrangement n’a de valeur stable.  Et Poutine ne lâchera pas son alliance chinoise contre les promesses des paltoquets de la fin d’empire US et de leur ribambelle de marionnettes confuses en Europe. Il aura raison. Une telle étape porte en elle d’autres orages. 

Je ne sais pas dans quel délire Mélenchon est parti. C'est quoi, cette histoire avec la Chine ? La Chine s'en fout de l'Ukraine.

Je note pour mémoire à cette occasion : sur cette base les appétits de bouts d’Ukraine en Pologne et en Hongrie seront rallumés. 

C'est un copier-coller de la propagande russe. Qui veut faire croire que l'Ukraine sera dépecée et que la Pologne et la Hongrie vont en récupérer un partie.

Dès lors, d’une façon ou d’une autre, la question des frontières va revenir plus forte que jamais. Nous avions proposé une conférence des frontières sous l’égide de l’OSCE en 2016. On me fit le procès stupide de m’accuser de vouloir les changer. J’argumentais qu’elles le feraient sans nous. Et que mieux valait prendre les devant en organisant la discussion que de subir les guerres que ce genre de situation déclenche. 

Donc Mélenchon voulait effectivement changer les frontières, et accepte implicitement l'impérialisme russe qui entend le faire par la force.

Mais encore une fois, souvenons-nous que les frontières de l’ancien bloc soviétique n’ont jamais été stabilisées comme je l’ai rappelé à l’instant à propos de la Pologne et de la Hongrie. 

Dans l'ensemble, les frontières ont été stabilisées pacifiquement. Les frontières qui n'ont pas été "stabilisées" (transnistrie, Géorgie, etc), c'est parce que la Russie post-soviétique les a destabilisés par des actions clandestines. Idem pour la Yougoslavie, où c'est la Serbie qui a tenté d'empêcher l'indépendance de la Slovénie, de la Croatie, la la Bosnie, en les envahissant. 

Quant aux frontières de l'Ukraine, elles ont été reconnues formellement par la Russie dans une série de traités. Traités que la Russie a ensuite violés sans vergogne. En 2008, Poutine lui-même affirmait qu'il n'y avait pas de conflit territorial avec l'Ukraine.


Bref, la rencontre de Trump avec Poutine sur le détroit de Behring peut être un énorme franchissement de seuil. Seul les USA assument un risque dans cette affaire. Celui de revenir sans aucune décision validée. 

Effectivement, Poutine a mené Trump en bateau

Quant aux européens, ils n’ont aucun moyen de tirer si peu que ce soit quelque avantage que ce soit… Tel est le bilan réel de tous les bavards qui nous ont saoulé depuis 2005 avec leur coup de menton, leur insupportable arrogance atlantiste et leurs ritournelles à l’eau tiède sur l’avenir merveilleux de leurs plans. Leur temps est épuisé comme leur projet. 

Toujours le blabla de Mélenchon, qui regrette l'impuissance de l'Europe tout en refusant que l'UE devienne une puissance. Quel tartuffe !

Un gouvernement insoumis aura les mains libres pour engager tout autre chose, tout autrement pour que la France puisse déployer son offre de non-alignement altermondialiste. Une tout autre Europe peut être en vue.

On connait le principe du "non-alignement" de Mélenchon (qui transparaît entre les lignes de son blog): c'est de tout céder à Poutine. Mélenchon veut d'une Europe paillasson sur laquelle le boucher du Kremlin pourra s'essuyer les pieds.



Résumé

Ce billet est un peu décousu. Mais si on résume le texte de Mélenchon, on y trouve surtout:

  1. du copier-coller de la propagande russe
  2. ses diatribes habituelles contre les Américains, les Allemands, et mêmes contre la Turquie et Israel qui sont pourtant hors sujet

Et surtout, on n'y trouve pas:

  1. de mention de l'impérialisme russe, cause de ce conflit
  2. de proposition pour refuser le découpage de l'Ukraine
  3. plus généralement, d'analyse des enjeux, de rappel du contexte, bref, de tout début de réflexion

Mélenchon raconte souvent des conneries sur l'Ukraine. J'ai expliqué pourquoi il peut être considéré comme un poutiniste.  Et, dans ce billet de blog, il a trouvé les moyens de se surpasser. Tout ce qu'il a écrit est d'une pauvreté affligeante. Et c'est dommage, car sur d'autres sujets, il apporte des éléments factuels, qui nous apprendre des choses qu'on soit d'accord ou non avec sa vision politique. Mais là, il n'y a rien à sauver.



Les contradictions politiques

Si je voulais parler de ce billet, c'est parce qu'il illustre parfaitement les contradictions politiques de Jean-Luc Mélenchon:
  1.  JLM voudrait que la France soit une grande puissance. Or la France a perdu ce statut avec la décolonisation. JLM,qui est opposé à la colonisation, rejoint en cela des personnalités d'extrême droite comme Eric Zemmour qui ont la nostalgie de cette époque.
  2. Dans le même temps, il refuse l'avènement d'une Europe-puissance. L'Europe, contrairement à la France seule, a les moyens (humains, financiers) d'être une grande puissance ... à condition d'être unie politiquement, ce que refuse Mélenchon
  3. JLM dit vouloir des relations internationales basées sur le droit, le refus de la guerre, et en même temps il se veut un tenant de la RealPolitik, prêt à s'allier avec des crapules comme Poutine (et Assad, quand ce dernier était au pouvoir). Il ne propose rien pour s'opposer aux ambitions impérialistes des Russes, et propose juste de se coucher et d'accepter par avance toutes les revendications russes


samedi 16 août 2025

Anch-ô rage, ô désespoir

ô vieillesse ennemie !

Deux vieillards (Poutine 72 ans, Trump 79 ans), qui sont nos ennemis, viennent donc de se rencontrer à Anchorage, en Alaska, pour tenter de dépecer l'Ukraine comme la Tchécoslovaquie avait été dépecée à Munich en 1938.

Fin juillet, les média occidentaux en étaient sûrs: Trump était fâché contre Poutine, et allait prendre des sanctions dévastatrices et aider massivement l'Ukraine si ce dernier ne cessait pas les combat d'ici le 8 août. Seules les rares personnes lisant ce blog, ou d'autres analystes lucides sur Trump et Poutine (par exemple le professeur Philips P. O'Brien), savait qu'il n'en était rien.

Et le 7 août, à la place des sanctions, Trump nous annonce qu'il va rencontrer Poutine pour décider du sort de l'Ukraine, sans les Ukrainiens. Tout comme les Tchécoslovaques n'étaient pas invités à Munich. Voici donc une analyse à chaud de cette "rencontre au sommet" entre le truand russe et le truand américain.


Trump et Poutine se partageant l'Europe (c) Jess Frampton

Un peu de contexte

Mon introduction peut sembler un peu brutale à ceux qui suivent de loin le conflit. Trump et Poutine sont ils vraiment nos ennemis ? Après tout, nous ne sommes pas en guerre contre la Russie, et les USA sont nos alliés. Du moins en théorie. Car en pratique, si nous ne sommes pas en guerre contre la Russie, la Russie elle mène une guerre hybride contre nous. Et Trump cherche la guerre commerciale avec le monde entier... à l'exception de quelques pays comme la Russie et Israël.

Mais, même ainsi, ne vaut-il pas mieux négocier une fin de la guerre en Ukraine, guerre qui n'a que trop duré et a fait plus d'un million de victimes ? Si, mais Poutine n'a aucune envie de négocier. Où plutôt, il négocie en utilisant la doctrine Gromyko:

Premièrement, exigez le maximum et ne soyez pas gênés dans vos demandes. Exigez même ce qui ne vous a jamais appartenu. Deuxièmement, présentez des ultimatums. Menacez de guerre, n’épargnez pas les menaces, puis proposez des négociations comme issue à la situation : il y aura toujours, en Occident, des gens pour mordre à l’hameçon. Troisièmement, une fois les pourparlers engagés, ne cédez pas d’un pas. Vos interlocuteurs finiront par vous offrir une partie de ce que vous avez demandé. Mais même alors, ne signez pas : poussez pour obtenir davantage, et ils accepteront. Lorsque vous aurez obtenu la moitié ou les deux tiers de ce qui ne vous appartenait pas, vous pourrez vous considérer comme un diplomate.



Le choix de l'Alaska

La rencontre a eu lien en Alaska, et Trump croit qu'il va en Russie. Outre que cela illustre la stupidité, l'inculture et/ou l'affaiblissement des capacités cognitives de l'agent orange, il est fortement probable que le lieu a été choisi par Poutine, plutôt qu'un pays tiers comme la Turquie ou les Emirats Arabes Unis, et que c'est un choix judicieux pour plusieurs raisons:

  • cela permet de rappeler aux Américains qu’on peut marchander des territoires sans demander leur avis aux habitants du coin (comme les Russes et Américains l’ont fait lors de la vente de l’Alaska en 1867)
  • cela donne l’impression que Poutine se rend en Amérique, et il concède ainsi quelque chose de purement symbolique à Trump … en apparence. Car pour les Russes, l’Alaska c’est une terre russe, et il y a récemment en Russie un regain d'intérêt, et même une théorie du complot, pour revendiquer l'Alaska.
  • cela évite à Poutine de survoler un pays ayant ratifié le traité de Rome, qui aurait l'obligation de l'arrêter et de l'emmener à la CPI, à La Haye (bien que l'exemple de Netanyahou montre que les pays sont peu enclins à respecter cette obligation).



Le plan de Trump

Trump veut le prix Nobel de la Paix, probablement parce que Obama l'a eu. Et il croit que, s'il parvient à  faire cessez les combats en Ukraine (quitte à concéder tout ou une partie du pays à Poutine), il l'aura. Aussi on pourrait croire que Trump veut à tout prix un accord, mais ce n'est pas exactement le cas. Il veut bien un accord, mais pas à n'importe quel prix. En fait, il veut bien que ce prix soit très élevé ... du moment que ce sont les Ukrainiens (et Européens) qui le paient. Hors de question, pour lui, de faire payer les Russes ou les Américains.

Donc, d'après ce que l'on sait, voici ce que Trump a proposé à Poutine:

  • échange de territoires (mais lesquels ?) pour donner à la Russie la totalité du Donbas
  • reconnaissance de facto (sinon de jure) des territoires occupés par les Russes
  • levée partielle des sanctions
En échange, Poutine ne s'engage que sur de vagues promesses, comme un cessez-le-feu, qui ne valent strictement rien puisque Poutine pourra de toute manière les violer quand ça lui plaira.

Et surtout, il faut voir ce que ce plan ne contient pas:
  • aucune garantie de sécurité pour l'Ukraine, à part une vague promesse de continuer l'aide militaire à l'Ukraine
  • aucune punition pour les crimes de guerre commis par les Russes
  • aucune compensation pour les destructions commises par les Russes
  • aucun plan pour faire revenir les enfants enlevés par les Russes
Autrement dit: ce plan est 100% favorable à la Russie, 0% favorable à l'Ukraine.

Alors, certes, Trump promettait aussi de graves conséquences pour la Russie si elle ne signait pas le "deal", mais c'était au moins la 4e fois que Trump faisait semblant d'être dur avec la Russie, sans que ce soit suivi du moindre effet. Et le pire, c'est qu'une fois de plus les journalistes sont tombés dans le panneau, aucun n'osant dire la vérité: Trump ne veut tout simplement pas sanctionner la Russie. 



Le narratif pro-russe (et pro-Trump) de presque tous les média

Avant de parler de la rencontre en elle-même, le simple fait qu'elle a pu avoir lieu est entièrement favorable au narratif russe, tant interne qu’externe. Il renforce tous les mensonges de la propagande russe, parmi lesquels:

  • « l’Ukraine n’existe pas »
  • « la Russie est l’égale des USA »
  • « la Russie est en train de gagner la guerre »
  • « les Européens sont les vassaux des USA, ils n’ont pas leur mot à dire »

Et dans les média, ce narratif est repris tel quel, ou à peine contesté. La rencontre en Alaska était présenté comme le seul moyen d'obtenir la paix, et Trump et Poutine comme les seuls interlocuteurs "valables". Il n'y a quasiment pas eu de remise en cause de la pertinence même de la démarche; certes, les média ont bien relayé les protestations des Européens, qui insistaient pour que l'Ukraine prenne part aux négociations, mais aucun grand média n'a présenté les choses telles quelles sont, à savoir:

  1. la cause de la guerre, c'est l'impérialisme russe. Poutine croit qu'il peut envahir ses voisins, et les asservir, dans le but de reconstituer l'empire russe / soviétique
  2. Poutine ne respecte que la force. Le seul moyen de stopper ses ambitions, c'est de s'y opposer fermement, par des sanctions économiques et des actions militaires
  3. Par conséquent, on n'obtiendra pas la paix en cédant à Poutine. Pas plus qu'on a obtenu la paix en cédant à Hitler. La seule manière d'obtenir la paix, c'est justement de renforcer l'aide à l'Ukraine et les sanctions contre la Russie, de telle sorte que l'armée de Poutine ne puisse plus progresser en Ukraine, que Poutine ne puisse plus espérer de victoire militaire. 
  4. Or, c'est précisément les mesures que Trump ne veut pas prendre; il n'y avait donc aucun espoir pour que cette conférence puisse mener à la paix



Beaucoup de bruit pour rien ? 

Dès lors on comprend mieux pourquoi cette rencontre n'a abouti à rien de concret, du moins, en apparence. Car à l'issue de cette rencontre, il ne s'est rien produit: pas d'accord signé, pas de cessez-le-feu même temporaire, tout juste de vagues déclarations d'autosatisfactions que les journalistes présents en grand nombre n'ont pu questionner car les deux hommes ne se sont pas pliés à l'exercice d'une conférence de presse. Ce qui, en soit, est déjà une victoire pour Poutine, qui normalise ses relations avec les USA sans reculer sur quoi que ce soit.

Mais surtout, Poutine a pu dérouler son narratif, et assurer que la paix est possible, on y est presque ... si seulement Zelensky voulait bien céder à toutes les demandes russes. Il sort donc grand gagnant de cette rencontre, la menace des sanctions de Trump est oubliée, et il a peut-être réussi à conforter Trump dans l'idée que le véritable "obstacle" c'est Zelensky. En tout cas, il est vain de croire que Trump va prendre des actions concrètes contre Poutine, même après ce qui apparaît aux yeux de tous (ou presque) comme une humiliation de Trump par Poutine.

Pourtant, cela aurait pu être bien pire. Trump et Poutine auraient très bien pu annoncer leur plan de dépeçage de l'Ukraine sans tenir compte de l'avis des Européens et des Ukrainiens. Cependant, Poutine exigeait sans doute encore des choses que Trump ne peut pas encore lui accorder, soit parce que l'opinion américaine n'est pas encore prête au "lâchage" complet de l'Ukraine que serait l'application du "plan Trump",  soit parce que Poutine estime qu'il peut encore obtenir plus que ce que Trump lui propose actuellement. Trump et Poutine sont du même côté; mais ils ne sont peut-être pas sur la même longueur d'onde.


Et les Européens ?

Les Européens ont non seulement brillé par leur absence, à un sommet qui mettait en scène leur impuissance, mais ils ont aussi fait preuve d'une servilité étonnante face à Donald Trump.

Souvenez-vous du premier plan proposé par JD Vance au sommet de Munich, en février dernier : gel des combats, reconnaissance de facto de l’occupation russe, levée partielle des sanctions, aucune garantie de sécurité pour l’Ukraine. C'est peu ou prou le même plan que Trump a proposé à Poutine. En février, les Européens avaient alors vivement protesté, certains avaient même parlé à juste titre de trahison. Mais cette fois ci, les Européens ne protestent plus, à part de vagues déclarations de principe. Pire: ils semblent globalement d'accord avec Trump, et ne parlent même plus de donner à l'Ukraine les moyens de gagner cette guerre.

Alors certes, il n'est peut-être pas utile d'afficher publiquement un désaccord avec Trump. Mais, outre que cela laisse l'opinion publique désarmée face au narratif russe, ce silence public devrait être compensé par une action discrète pour contrer Trump. Or, il semble qu'il n'en est rien. Faute de volonté politique, les Européens n'osent pas prendre leur destin en main.

En six mois, les Européens n’ont que mollement accru leur aide à l'Ukraine, alors que, pour compenser la traîtrise de Trump et renverser le rapport de force sur le front, il aurait fallu la multiplier par 10. Toujours pas de Taurus, ni de moyens de détruire l’aviation russe et de faire cesser les attaques aériennes. Je crains que, ces six dernier mois n’ont fait qu’acter l’abandon de l’Ukraine, l'Europe se révélant incapable de se montrer à la hauteur des enjeux, et l'Ukraine incapable s'attaquer réellement à certains facteurs qui l'empêchent de monter en puissance (comme son commandement militaire défaillant). 

lundi 4 août 2025

Guerre en Ukraine: bilan du mois de juillet 2025

Comme chaque mois, voici un petit bilan du mois de juillet 2025, à mettre en perspective avec les constats que j'avais faits fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre, fin novembre, fin décembre 2023 ainsi que fin janvier, fin février, fin mars, fin avril, fin mai, fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre, fin novembre, fin décembre 2024, et puis fin janvier, fin févrierfin marsfin avrilfin mai et fin juin 2025.


Une fois de plus, les Russes ont continué leur grignotage des défenses ukrainiennes, et menacent très sérieusement d'encercler trois villes clefs de la lignes de défense ukrainienne: Kupyansk, Porkovsk et Kostiantynivka. Les Ukrainiens, de leur côté, ont mené de petites contre-attaques sur le front de Sumy. De plus, les attaques aériennes ont encore augmenté d'intensité, avec chaque nuit ou presque des centaines de drones russes frappant les villes ukrainiennes pour y semer la terreur.

Note: ceci est mon centième billet publié sur ce blog (en un peu moins de deux ans et demi d'existence). Il sera plus long que mes habituels résumés mensuels.

Magyar (en bas à gauche), Drapatyi (en haut à droite), montage Ukraina Pravda





Situation sur la ligne de front

Généralement, je ne commente guère les changements sur la ligne de front et je me contente de la phrase maintenant habituelle: "Une fois de plus, les Russes ont continué leur grignotage des défenses ukrainiennes."  

La principale raison est que les avancées russes, si elles peuvent sembler importantes quand on les compare à la situation globalement stable de décembre 2022 à avril 2024, n'en reste pas moins minuscules comparées à la taille de l'Ukraine. Et, comme je l'ai déjà dit, la guerre ne sera pas gagnée (ou perdue) par le contrôle de telle ou telle ville du Donbas, mais bien par la capacité (ou non) de poursuivre l'effort de guerre.

De plus, le concept même de "ligne de front" est trompeur à l'ère des drones capables de frapper 10, 20, 30 km ou plus en profondeur. Le front est moins une ligne qu'une zone de 30-40 km de large où il n'y a plus de sécurité, où les drones peuvent frapper à tout moment n'importe qui, et que vu la largeur de cette zone, les avancées dans un sens ou dans l'autres sont presque insignifiantes, et les lignes sur les cartes donnent une fausse impression de précision.

Enfin, beaucoup de gens s'imaginent que cette guerre est un peu comme la première guerre mondiale, d'autant plus qu'on la décrit comme une guerre de tranchée, et s'il y a certaines similarités, il y a quelque chose de très différent: la densité des troupes. On a tous en tête les films sur la première guerre mondiale, avec des dizaines voire des centaines de soldats tassés dans les tranchées, à quelques centaines de mètres de la tranchée adverse, et entre les deux, le no man's land dans lequel les soldats s’élancent en masse pour un assaut. En 2025, s'il y a des tranchées, elles sont plutôt des petites positions dans une large "zone grise", avec seulement un petit groupe de soldats les gardant, ou se réfugiant dans la cave d'une maison détruite. Les assaut se font aussi en petits groupes, une dizaine de soldats tout au plus, qui essaient de progresser et occuper plus de terrain. Il arrive donc qu'un groupe arrive à avancer plus avant de se faire éliminer, souvent par les drones FPV. Là encore, les lignes sur les cartes, même celles qui incluent des zones grises, sont encore loin de refléter la complexité de la situation sur le terrain.

Cela dit, je vais faire une exception ce mois-ci. Dans mon bilan du mois de septembre 2024, j'écrivais déjà: "La situation reste très préoccupante vers Pokrovsk, Toretsk, Vuhledar (sur le point de tomber aux mains des Russes) et à l'est de Kupyansk." Dix mois plus tard, Vuhledar est effectivement tombée peu après que j'ai écrit ces lignes, Toretsk a été difficilement conquise par les Russes. Par contre Pokrovsk et Kupyansk tiennent toujours. Mais pour combien de temps ? Les avancées russes ont beau être lentes, trois villes ukrainiennes sont très menacées: d'une part Kupyansk, d'autre part Porkovsk et Kostiantynivka. Les trois villes ont été des nœuds logistiques importants, même si elles ont perdu ce statut quand le front s'est rapproché, et sont sur le point d'être encerclées.


Kupyansk

Front de Kupyansk, fin juillet 2025 (carte DeepStateMap)


Commençons par Kupyansk, dont la position, sur la rivière Oskil, verrouille tout le nord de la ligne de front. Kupyansk avait été rapidement prise par les Russes dès le premier jour de l'invasion, en février 2022. Sa libération, tout aussi rapide en septembre 2022, avait coupé la logistique russe ravitaillant tout le front au nord-est de Kharkiv, ce qui avait contraint la première armée blindée de la garde, la plus prestigieuse armée russe, à une piteuse retraite d'Izium en abandonnant tout son équipement lourd. Ensuite, les Ukrainiens avaient poussé vers l'est, sur environ 20-30 km, avant d'être stoppés en décembre 2022. Et depuis presque trois ans, les Russes tentent de repousser les Ukrainiens de leur "tête de pont" à l'est de l'Oskil et de reprendre Kupyansk. Ils s'étaient même fixé comme objectif de reprendre la ville à l'été 2023. Deux ans plus tard, la ville tient toujours.

Mais, depuis maintenant un an, les Russes ont progressé dans la région. D'abord, en atteignant l'Oskil au sud-est de Kupyansk, fin octobre 2024. Ce qui a "coupé en deux" la "tête de pont" ukrainienne à l'est de l'Oskil. Plus grave: début 2025 les Russes ont franchi l'Oskil au nord de Kupyansk, et ont entrepris d'encercler la ville par l'ouest. Cette "tête de pont" à l'ouest de l'Oskil, d'abord assez limitée, est maintenant large de 4km environ. Plus grave: d'après DeepStateMap, les Russes ont réussi à se frayer un "couloir" jusqu'à Myrne, juste au nord-ouest de Kupyansk, et la "zone grise" n'est plus qu'à 2km de la principale route ravitaillant Kupyansk. NB: d'autres cartes, comme UA control map ou LiveUAMap indiquent des avancées russes plus modestes, mais toutes disent qu'il y a bien une tête de pont russe au nord-ouest de Kupyansk.

Or, l'Oskil, si elle ne constitue pas une barrière infranchissable comme le Dniepr, constituait néanmoins une défense naturelle très solide. Comment les Russes l'ont-ils franchi ? Simplement car les unités ukrainiennes qui gardaient ce secteur sont de piètre qualité. Autant celles qui sont à l'est de Kupyansk (14e et 43e brigades mécanisées), sont plutôt solides, autant celles qui gardaient l'Oskil n'étaient que des brigades de défense territoriale. On a donc l'exemple typique des erreurs de commandement ukrainien: de "bonnes" brigades tiennent une partie du front mais sont menacées d'encerclement car leurs flancs sont gardés par de "mauvaises" brigades.

Et comment ce commandement ukrainien a réagi? D'abord, en ne faisant rien, ce qui a aggravé la situation. Puis en envoyant deux bataillons d'une bonne brigade (la 30e, qui combat normalement au nord-ouest de Bakhmut), et ce faisant morcelle cette brigade et donc diminue son efficacité, ainsi que 3 des 10 brigades "150" (les 151e, 154e et 158e brigades mécanisées), qui ont connu beaucoup de problèmes et ne sont probablement pas à la hauteur pour contenir l'offensive russe dans le secteur. Pire: plutôt que d'envoyer de quoi repousser les Russes jusqu'à l'Oskil et donc éliminer es risques d'encerclement de Kupyansk, le Haut-commandement ukrainien préfère envoyer ses bonnes unités contre-attaquer et reprendre quelques villages du côté de Sumy.

La mauvaise situation de Kupyansk est donc, à 90%, due aux erreurs de commandement ukrainien. Il est à noter que, dans la réforme en cours qui met en place des corps d'armée, ceux-ci sont chargés de contrôler chacun une partie du front, et que seuls Sumy et Kupyansk n'ont, pour le moment, pas de corps d'armée affectés à ces secteurs du front.


Pokrovsk et Kostiantynivka

Ces deux villes sont dans le viseur de l'armée russe depuis le printemps 2024. Elles tiennent toujours, mais sont encerclées au 3/4.


Front de Pokrovsk/Kostiantynivka, fin juillet 2025 (carte DeepStateMap)


Kostiantynivka n'est qu'à une dizaine de km de Bakhmut (qui elle-même n'était qu'à une dizaine de la ligne de front pré-2022), et les Russes ont d'abord essayé d'attaquer directement depuis le nord-est, par Chassiv Yar qu'ils ont atteint en mars 2024. Depuis, presque aucun progrès de ce côté là. Mais à partir de juillet 2024, les Russes attaquent également par le sud-est, en prenant Toretsk. Et, plus récemment, ils peuvent également attaquer par le sud-ouest. La ville est donc attaquée de 3 côté à la fois, les Russes se trouvant à un peu plus de 5 km dans chaque direction.

Pokrovsk est l'objectif des Russes depuis qu'ils ont pris Avdiivka en février 2024. Il y a 60 km entre les deux villes, mais les défenses ont été mal préparées, et certaines erreurs du commandement ukrainien ont permis aux Russes de progresser rapidement, si bien qu'ils n'étaient plus qu'à 15 km de Pokrovsk en septembre 2024. Comme leurs attaques directes échouaient, ils ont d'abord essayé de contourner la ville par le sud-ouest (fin 2024).  Les Ukrainiens ont réagi et ont réussi à repousser les attaques dans cette directions. Puis, en mars-avril 2025, les Russes ont alors attaqué au nord-est de Pokrovsk, qui était alors défendu par 5 brigades: 2 brigade de la gardes nationale, 2 brigades de défense territoriale et 1 brigade "150" (la 157e brigade mécanisée).  Les Ukrainiens ont bien envoyés quelques renforts de qualité (1ère brigade blindée, 36e et 38e brigade de Marine) mais ce ne fut pas suffisant et, au cours des mois de mai, juin et juillet, les Russes ont pris progressivement plus de terrain, au point qu'ils menacent maintenant à la fois Pokrvosk par le nord-est, et Kostiantynivka par le sud-ouest.

Le sort de Pokrovsk est donc de plus en plus précaire. Il semble que les Russes ont récemment infiltré la ville, illustrant ce que je disais sur la nature poreuse de la "zone grise" qu'est le front. Un excellent reportage a eu lieu dans cette ville. Et on voit mal ce qui permettrait aux Ukrainiens de conserver Pokrovsk et/ou Kostiantynivka à moyen terme. Sauf à imaginer, encore une fois, que tout cela n'est qu'une vaste ruse des Ukrainiens.


Pertes russes et ukrainiennes

Je rappelle les pertes russes telles qu'annoncées par les officiels Ukrainiens dans les 4 catégories à surveiller: artillerie, MLRS, DCA et équipements spéciaux. Pour chacune, je vais donner les moyennes pour la première année (mars 2022 à février 2023), la deuxième année (mars 2023 à février 2024) et la troisième année (mars 2024 à février 2025) puis les chiffres de mars, avril, mai, juin et juillet 2025.

  • Artillerie 
    • moyenne 1ere année: 190/mois
    • moyenne 2e année: 650/mois
    • moyenne 3e année: 1150/mois
    • 1690 (mars), 1554 (avril), 1384 (mai), 1243 (juin), 1193 (juillet)
  • MLRS
    • moyenne 1ere année: 40/mois
    • moyenne 2e année: 43/mois
    • moyenne 3e année: 25/mois
    • 44 (mars), 27 (avril), 26 (mai), 27 (juin), 24 (juillet)
  • DCA
    • moyenne 1ere année: 21/mois
    • moyenne 2e année: 37/mois
    • moyenne 3e année: 30/mois
    • 37 (mars), 23 (avril), 27 (mai), 17 (juin), 13 (juillet)
  • Équipements spéciaux
    • moyenne 1ere année: 19/mois
    • moyenne 2e année: 114/mois
    • moyenne 3e année: 181/mois
    • 24 (mars), 82 (avril), 33 (mai), 19 (juin), 14 (juillet)

On constate une fois de plus une légère baisse des pertes russes dans les quatre catégories, même si les chiffres sont toujours impressionnants en ce qui concerne l'artillerie. Plus généralement sur l'ensemble des équipements terrestres (4704) et des pertes humaines (33 250), il y a une baisse des chiffres mensuels pour le 4e mois consécutif. La baisse concerne aussi les pertes d'équipements russes visuellement confirmées, qui sont ce mois-ci inférieures aux pertes ukrainiennes selon Oryx: 208 pertes russes et 248 pertes ukrainiennes. On a donc une prolongation de la tendance observée le mois dernier, qui est très défavorable à l'Ukraine. Les pertes ukrainiennes sont "normales", ce sont les pertes russes qui sont anormalement basses. Pourquoi ? Comme toujours, il peut y avoir deux explications (au moins), qui sont mutuellement exclusives.

La première est que les chiffres donnés par les Ukrainiens sont fantaisistes et que, effectivement les pertes russes ont fortement diminué ces derniers mois, car ils sont en train de gagner la guerre d'attrition et ont changé leurs tactiques pour minimiser leurs pertes tout en continuant de grignoter du terrain. Il faut d'ailleurs noter que l'essentiel des pertes revendiquées par les Ukrainiens relève de deux catégories: artillerie et camions, qui ont toutes deux un taux de confirmation par Oryx très faible.

La seconde explication est que les chiffres donnés par les Ukrainiens sont relativement fiables et que les Ukrainiens ne publient tout simplement plus beaucoup de vidéos montrant les destructions qu'ils causent, peut-être délibérément avec l'intention de faire croire aux Russes qu'ils sont sur le point de gagner. Il faut reconnaître que cette seconde explication est moins probable que la première, mais on aurait tort de l'écarter a priori.


Campagne aérienne russe

Les Russes ont poursuivi et même encore intensifié leurs frappes aériennes massives contre les villes ukrainiennes. Ils semblent avoir mis au point de nouvelles versions des Shaheds (plus rapides, plus résistants aux contre-mesures, etc). Au mois de juillet, les Russes ont employé plus de 5100 bombes planantes, 6400 drones dont environ 3800 Shaheds et près de 200 missiles. Il y a eu 8 nuits des attaques impliquant au moins 250 drones, et beaucoup d'attaques plus petites (de 30 à 100 drones). Du moins, si on en croit les chiffres ukrainiens.

Car s'il ne fait aucun doute que la Russie lance bien des attaques massives et presque quotidiennes, et qu'on a à chaque fois l'image de quelques coups au but avec des habitations détruites par ces frappes, il est bien plus surprenant que, quel que soit le nombre de drones lancés contre l'Ukraine (que ce soit 60 ou 600), le nombre de drones passant les mailles du filet ne varie guère, environ une vingtaine  ou une trentaine de drones et missiles non interceptés par nuit, et ce quel que soit le nombre de drones lancés. Ce qui, paradoxalement, fait que le taux d'interception est bien meilleur les nuits de frappes massives.

Alors, il peut y avoir de très bonnes explications à ça. Par exemple, les Ukrainiens mobilisent peut-être plus de ressources (par exemple les F-16 et Mirage 2000)  les nuits d'attaque massives, augmentant ainsi ponctuellement l'efficacité de leurs défenses anti-aériennes par rapport aux nuits "ordinaires". Il se peut aussi que, lors des attaques massives, les Russes envoient leurs drones un peu au hasard, pour découvrir les faiblesses de la défense ukrainiennes, et qu'ils exploitent ensuite ces faiblesses les jours suivants avant que les Ukrainiens ne puissent réagir.

Cependant, on ne peut pas non plus écarter l'hypothèse que les Ukrainiens mentent, en exagérant parfois le nombre de drones lancés par la Russie. En effet, on constate que chaque nuit, les Russes réussissent à frapper quelques cibles, et les dégâts qui sont montré dans les média sont compatibles avec les chiffres annoncés par les Ukrainiens d'une vingtaine de drones touchant leur cible. Mais qui nous dit qu'il y a vraiment eu 400 drones lancés dont 380 interceptés ? Et non, 50 drones dont 30 interceptés ? Les dégâts observés seraient les mêmes. Les pays de l'OTAN ont sans doute une idée du nombre de drones envoyés par les Russes, qui eux savent bien combien de drones ils ont envoyés, mais, si c'est bien le cas, personne n'a trop intérêt à minimiser le nombre de drones russes: les uns pour exagérer la menace, les autres pour faire croire à leur population qu'ils sont encore une puissance mondiale.



Changements et protestations en Ukraine

Pendant ce temps, l'Ukraine poursuit sa création de corps d'armées, mais la réforme semble mal engagée: trop lente à se mettre en place, probablement du fait de résistances internes. Seuls 3 des corps, sur les 18 annoncés, sont formés et regroupés dans un même secteur. Les autres sont soit dispersés sur l'ensemble de la ligne de front (ce qui fait de ces corps des structures inutiles et inefficaces), soit toujours au stade de la formation.

L'Ukraine transforme aussi ses brigades blindées (1ere, 3e, 4e, 5e, 17e) et les 4 brigades "de défenses territoriales" qui avaient été transférées aux forces terrestres il y a un an (125e, 127e, 128e, 129e) en "brigades fortement mécanisées". Ce que cette nouvelle dénomination implique comme changement n'est pas encore très clair. Avant 2022, les effectifs théoriques étaient les suivant: chaque brigade blindée avait 3 bataillons blindés et 1 bataillon mécanisé, chaque brigade mécanisée avait  1 bataillon blindé et 3 bataillons mécanisés et chaque brigade de défense territoriale avait 6 bataillons de défense territoriale (infanterie non mécanisée). Chaque brigade "fortement mécanisée" aura théoriquement 6 bataillons: 2 blindés, 2 mécanisés, 2 de fusiliers (infanterie non mécanisée). Reste à savoir si elles pourront avoir effectivement ces effectifs, et correctement équipées

Les Ukrainiens ont aussi formé une nouvelle brigade d'artillerie: la 147e, rattachée au 8e corps. Dans l'ensemble, on a l'impression que l'armée ukrainienne évolue, mais lentement, alors que le rythme de la guerre accélère. Est-ce parce que la situation sur le terrain est moins mauvaise que ce qu'on lit dans les journaux, ou bien est-ce parce que les généraux ukrainiens sont déconnectés de la réalité et continuent de mener les réformes comme des projets bureaucratiques sans lien avec la situation sur le terrain ? J'ai peur, hélas, qu'on soit dans ce dernier cas. J'espère me tromper.

Il y a eu aussi beaucoup de changement au gouvernement, avec notamment un changement de premier ministre, ainsi que du ministre de la défense. Pourtant, je ne crois pas que cela va changer quoi que ce soit concrètement. Le problème est que les personnes nouvellement nommées viennent du même cercle, Zelensky n'ayant pas constitué un gouvernement d'union nationale. Il manque à Zelensky, qui à bien des égards peut être comparé à Churchill, son Clement Attlee, un personnage maintenant un peu oublié mais qui a été tout aussi important que Churchill pour faire marcher le Royaume-Uni à la période la plus sombre de la seconde guerre mondiale.

Ce mois-ci a aussi vu une tentative de réforme, et pas une bonne. Le 22 juillet, le parlement ukrainien a voté une loi mettant fin à l'indépendance de deux organismes anti-corruption, la SAPO et le NABU, au profit d'un procureur nommé par le président. Cette loi est promulguée par Zelenski immédiatement après. La ou les raisons pour lesquelles Zelenski et son parti ont voulu reprendre la main sur ces deux organismes anti-corruption n'est pas très claire. Volonté de centraliser le pouvoir et/ou de museler des organismes pouvant attaquer Zelensky ? Ou, réponse à une possible "infiltration russe" (je n'y crois pas trop) comme le dit Zelensky? D'autres explications ont été données. Selon le chef du SBU, la garde nationale ukrainienne se serait rebellé quand le SAPO a perquisitionné le bureau de son commandant; certaines unités ont même menacé de marcher sur Kyiv. La loi serait alors une réponse à cette perquisition. Philips O'Brien remarque aussi que l'Ukraine a pu croire que la lutte anti-corruption n'était pas ou plus d'actualité dans les pays occidentaux, et que, avec les perspectives d'adhésion à l'Union Européenne s'éloignant, la motivation pour lutter contre la corruption faiblissait.

Quoi qu'il en soit, cette loi est très mal passée. Les dirigeants occidentaux l'ont désapprouvée, et surtout, la population ukrainienne a massivement manifesté contre cette loi, ce qui ne s'était jamais produit depuis 2022. Cette contestation a payé puisque Zelensky, au bout de quelques jours, a finalement annoncé revenir sur cette loi et garantir l'indépendance des deux organismes. Une nouvelle loi, votée le 31 juillet, a annulé la plupart des points de la loi controversée, et le SAPO et le NABU ont retrouvé leur indépendance.

Cet épisode montre que, malgré la guerre, la démocratie fonctionne encore en Ukraine et que Zelensky écoute les protestations populaires. Tous les pays ne peuvent pas en dire autant. Et surtout, cela démontre deux choses:
  1. contrairement à ce que disent les trolls russes, la révolution de Maidan a bien été déclenchée par les Ukrainiens, pour lutter contre la corruption du président d'alors. Les Ukrainiens n'ont besoin de personne pour se soulever et protester, ils viennent de le montrer une nouvelle fois
  2. les Ukrainiens sont vent debout contre la corruption qui gangrène leur pays; on peut en déduire qu'ils n'ont aucune envie de rejoindre un "monde russe" où la corruption est la règle. Malgré 3 ans de guerre, je crois que la volonté de se battre est toujours là.


Changement de cap diplomatique ?

Juillet a été le mois où Trump a enfin décidé de soutenir l'Ukraine. Enfin, c'est ce que les journaux ont écrit. Car en vérité, il n'y a guère de changements:
  • Trump a refusé de prendre de nouvelles sanctions contre la Russie, et leur a donné 50 jours de plus pour continuer leur guerre sans aucune représailles. Délai réduit ensuite à 10 jours... enfin, jusqu'à ce que Trump annonce encore un autre délai. Ou se contente d'un "VLADIMIR STOP !!!"
  • Trump a refusé d'accorder la moindre nouvelle aide directe (financière ou militaire) à l'Ukraine
  • Trump a autorisé la vente de certaines armes à des pays européens, qui arriveront peut-être début 2026, et qui représentent de toute manière un volume bien inférieur à ce que Biden envoyait. Or, Biden envoyait déjà trop peu d'arme pour répondre aux besoins des Ukrainiens... Mais comme Trump a, comme d'habitude, utilisé des superlatifs pour décrire ses actions, les journaleux ont repris tels quels ses mensonges.
En d'autres termes, Trump continue de favoriser la Russie, et tous les journaux ou presque se sont fait enfumés par ses déclarations tonitruantes. Ces journaux ont sans doute une bonne excuse: ce n'est pas comme si Trump faisait constamment ça depuis 10 ans. Non ? Après, même faible, cette "aide" est toujours mieux que rien. Mais les journalistes pourraient faire un petit effort de mise en contexte et de fact-checking, plutôt que de se contenter de relayer les paroles de l'ordure orange, ou, pire, d'en faire des tonnes sur un supposé "tournant", "pivot" ou autres termes similaires, qui trompent le lecteur.

Au moins, dans ses discours, Trump admet que la Russie ne veut pas la paix. Du moins c'est ce qu'il dit en ce moment, demain il peut très bien dire l'inverse. Et ça ne plait pas à Trump, qui s'était vanté de pouvoir obtenir la paix 24h après avoir été élu (soit le 3 novembre 2024). Donc, pour faire plaisir à Trump, les Russes font de nouveau semblant de négocier avec les Ukrainiens. Et les Européens, comme d'habitude, se contentent  de paroles creuses. Alors, certes, ils livrent du matériel militaire. Mais toujours trop peu, et toujours trop tard. L'Allemagne, en particulier, fait un gros effort pour aider les défenses anti-aériennes de l'Ukraine, mais refuse toujours de livrer les missiles Taurus. 

Malheureusement, je ne vois donc aucun changement de cap tant chez les Européens que les Américains, et les Ukrainiens font devoir surtout compter sur eux-même pour vaincre les Russes. En seront-ils capables ? 

Et, au delà de l'Ukraine, le monde s'enfonce dans le chaos. Gaza est affamée par l'armée israélienne, et les gouvernements occidentaux sont complices, par leur silence et leur inaction, de ce "génocide par la faim" (les Ukrainiens ont connu ça dans les années 30). Une nouvelle "non-guerre" (conflit armé entre deux états, sans déclaration de guerre) a eu lieu entre le Cambodge et la Thaïlande. C'est le troisième conflit armé de ce type en moins de 4 mois, après les "non-guerres" entre l'Inde et le Pakistan, et Israël et l'Iran. Et la seule question qui se pose est: où et quand aura lieu la prochaine  "non-guerre" ? Quelle sera l’étincelle qui embrasera le monde ?

Estimations des pertes russes et ukrainiennes, fin août 2025

Tous les 6 mois depuis la création de ce blog, je fais une estimation des pertes russes et ukrainiennes en utilisant la même méthodologie. E...