dimanche 19 octobre 2025

Les Russes combattant pour l'Ukraine

En 2022 et 2023, les Ukrainiens ont mis en avant, dans les média, certaines unités composées de Russes (et/ou Biélorusses) combattant pour l'Ukraine. Leur statut varie: certaines unités font partie de la "légion internationale", d'autres sont complètement indépendantes (et même, théoriquement, hors de l'armée ukrainienne). Ces unités (et leur position d'après UA Control map) sont notamment :

Ces unités avaient notamment fait parlé d'elles en mai 2023 quand elles avaient pénétré en Russie. Depuis, on n'entend plus trop parler d'elles. Pourquoi ?


Les Tchétchènes

Ce sont les premiers à avoir soutenu l'Ukraine, puisque certains Tchétchènes combattent pour l'Ukraine depuis 2014. Leur motivation est simple: prendre leur revanche contre les Russes, et contre Poutine en particulier, qui ont massacré les Tchétchènes durant les deux guerres de Tchétchénie (durant lesquelles plus d'un quart de la population tchétchène a péri). De plus, ils peuvent espérer que, si l'Ukraine gagne la guerre, la Russie sera suffisamment déstabilisée pour que les Tchétchènes puissent se débarrasser des mafieux Kadyrov alliés de Poutine qui dirigent actuellement la petite république. Il est à noter que l'Ukraine est le seul pays à reconnaître l'indépendance de la Tchétchénie "temporairement occupée par la Russie".

En 2022, ils ont participé à la défense de Kyiv, puis à la bataille de Bakhmut. Mais depuis la chute de Bakhmut, ils ne font plus guère parler d'eux. Fin 2022, on estimait qu'entre 1000 et 2000 Tchétchènes combattaient pour l'Ukraine (toutes unités confondues). Je n'ai pas trouvé d'estimation plus récentes, ni plus fiable. Cela reste juste du déclaratif. Il est possible que les combattants Tchétchènes soient bien moins nombreux maintenant.



Le corps des volontaires russes (RVC / RDK)

Cette formation, apparue en 2022, est constituée de nationalistes Russes opposés à Poutine. Son fondateur est même ouvertement néo-nazi. Leur motivation est moins claire que celle des Tchétchènes, mais ils partagent, avec la légion "Liberté de la Russie", l'idée de renverser un jour le régime de Poutine, et de mettre fin à l'impérialisme russe en rendant leur indépendance aux régions peuplées de minorités "non-ethniquement russes" affin d'avoir une Russie ethniquement pure. Oui, ils sont bien d'extrême droite. Il y a aussi, associé au RVC, des séparatistes venant de Carélie (une région voisine de la Finlande). La taille du corps est inconnue, mais est généralement estimée à quelques centaines de combattants. 

Le RVC a fait surtout parlé de lui en mai 2023 quand, dans une action commune avec la légion "Liberté de la Russie", ils ont pénétré en force en Russie, dans l'oblast de Belgorod, et ont rapidement progressé jusqu'à environ 10km de profondeur, avant de se retirer quelques jours plus tard. Ils ont également mené d'autres raids à la frontières russe, mais qui n'ont pas eu le même succès. 

En mars 2025, le groupe Carélien a participé à la prise d'une plate-forme pétrolière en mer noire. En août 2025, le Corps des volontaires russes a mené un assaut près d'Ivanivka. Reporting From Ukraine lui avait d'ailleurs consacré une de ses vidéos.



La légion "Liberté de la Russie"

Cette formation regroupe des opposants russes et est bien plus hétérogène politiquement que le groupe précédent, même si certains de ses membres sont aussi d'extrême-droite. Leurs motivations varient, comme on peut le constater dans ce reportage de 2024. EDIT: autre vidéo, très récente, sur des Russes de cette unité.

Le groupe revendique d'avoir 5 bataillons et certains estiment ses effectifs entre 500 et 2000 hommes. Mais vu leur relative discrétion sur le champ de bataille, je pense qu'ils sont plutôt dans le bas de cette fourchette.

Tout comme le groupe précédent, on a surtout parlé d'eux dans les médias lors de leurs attaques de 2023. Depuis, ils sont toujours présents mais moins actifs et/ou moins documentés par les médias. En mars 2025, un article affirmait que, en plus d'être une unité combattant sur la ligne de front, ils mènent aussi des opérations de sabotage dans les arrières russes. En juillet 2025, ils ont tendu une embuscade à des Kadirovites et frappé la logistique russe dans la région de Zaporijja.



Conclusion

Le nombre de Russes combattant pour l'Ukraine n'est pas connu précisément, mais on peut l'estimer, au mieux, à quelques milliers. La relative discrétion de ces unités après 2023 s'expliquent de plusieurs manières: d'abord, la faiblesse de leurs effectifs. L'allongement de la durée de la guerre, et l'absence d'une victoire rapide de l'Ukraine (qui permettait d'espérer faire tomber Poutine) ne doivent pas non plus aider à recruter plus de Russes désireux de renverser Poutine. L'échec de la rébellion de Prigojine n'incite pas les Russes à prendre les armes contre Poutine. Le discours médiatique, présentant constamment la Russie comme "victorieuse", n'aide pas non plus.

Ensuite, depuis août 2024, les forces ukrainiennes régulières ne se gênent plus pour attaquer directement le territoire russe, il n'y a donc plus besoin de ces groupes de Russes "indépendants" pour mener des opérations militaires terrestres sur le territoire russe, et ces combattants sont plus utiles pour des opérations discrètes sur les arrières russes (sabotage, etc) que pour tenir la ligne de front. 

De plus, je n'ai parlé ici que des unités constituées de volontaires russes. Mais de nombreuses unités ukrainiennes, comme la 3e brigade d'assaut, acceptent des combattants étrangers, et il se peut donc que certains Russes combattent au sein de ces unités. 

Cela dit, la faiblesse des effectifs nous amènent à la conclusion implacable: du fait de l'enrôlement forcé, de la propagande, des incitations financières et de la corruption, il y a hélas bien plus d'Ukrainiens combattant pour les Russes que de Russes combattant pour les Ukrainiens. Néanmoins, aussi peut nombreux qu'ils soient, ces Russes méritent tous notre respect. Tout comme les opposants à Poutine qui, s'ils ne sont pas sur le champ de bataille, n'en restent pas moins des voix qui portent et des meneurs qui aident l'Ukraine. Comme l'ancien champion du monde d'échecs, Gary Kasparov, ou Mikhail Kokoritch, dont l'entreprise fournit 10 000 drones par ans à l'Ukraine. Certains comme Pavel Kushnir, l'on payé de leur vie.

lundi 6 octobre 2025

Guerre en Ukraine: bilan du mois de septembre 2025

Comme chaque mois, voici un petit bilan du mois de septembre 2025, à mettre en perspective avec les constats que j'avais faits fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre, fin novembre, fin décembre 2023 ainsi que fin janvier, fin février, fin mars, fin avril, fin mai, fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre, fin novembre, fin décembre 2024, et puis fin janvier, fin févrierfin marsfin avrilfin maifin juinfin juillet et fin août 2025.

Une fois de plus, les Russes ont continué leur grignotage des défenses ukrainiennes (notamment dans le sud et autour de Siversk), et menacent toujours d'encercler trois villes clefs de la ligne de défense ukrainienne: Kupyansk, Pokrovsk et Kostiantynivka. A Pokrovsk, les Ukrainiens ont contre-attaqué dans la zone où les Russes avaient percé le mois dernier. A Kostiantynivka, la situation est stable, tandis qu'elle est confuse à Kupyansk (les deux camps revendiquent des succès). De plus, les attaques aériennes ont continué, avec régulièrement des centaines de drones russes frappant les villes ukrainiennes pour y semer la terreur tandis que les Ukrainiens ont continué leurs attaques à longue distance sur les raffineries russes.

Contre-attaque ukrainienne au nord-est de Pokrovsk, carte (c) RFU News


Pertes russes et ukrainiennes

Je rappelle les pertes russes telles qu'annoncées par les officiels ukrainiens dans les 4 catégories à surveiller: artillerie, MLRS, DCA et équipements spéciaux. Pour chacune, je vais donner les moyennes pour la première année (mars 2022 à février 2023), la deuxième année (mars 2023 à février 2024) et la troisième année (mars 2024 à février 2025) puis les chiffres de mars, avril, mai, juin, juillet, août et septembre 2025.

  • Artillerie 
    • moyenne 1ere année: 190/mois
    • moyenne 2e année: 650/mois
    • moyenne 3e année: 1150/mois
    • 1690 (mars), 1554 (avril), 1384 (mai), 1243 (juin), 1193 (juillet), 1288 (août), 1112 (septembre)
  • MLRS
    • moyenne 1ere année: 40/mois
    • moyenne 2e année: 43/mois
    • moyenne 3e année: 25/mois
    • 44 (mars), 27 (avril), 26 (mai), 27 (juin), 24 (juillet), 25 (août), 29 (septembre)
  • DCA
    • moyenne 1ere année: 21/mois
    • moyenne 2e année: 37/mois
    • moyenne 3e année: 30/mois
    • 37 (mars), 23 (avril), 27 (mai), 17 (juin), 13 (juillet), 10 (août), 11 (septembre)
  • Équipements spéciaux
    • moyenne 1ere année: 19/mois
    • moyenne 2e année: 114/mois
    • moyenne 3e année: 181/mois
    • 24 (mars), 82 (avril), 33 (mai), 19 (juin), 14 (juillet), 17 (août), 27 (septembre)

Comparé au mois précédent, les chiffres sont relativement stables, avec une baisse des chiffres concernant l'artillerie. Plus généralement, comparé au mois d'août, il y a une nette baisse des pertes matérielles  (4 365) et une très légère baisse des pertes humaines (28 420), selon le comptage réalisé par l'analyste Ragnar Bjartur Gudmundsson. En ce qui concerne les pertes visuellement confirmées, selon Oryx on en est à un ratio de 1:1, avec 251 pertes russes et 234 pertes ukrainiennes. C'est le quatrième mois consécutif durant lequel les pertes ukrainiennes sont "normales" (autour de 200/mois) et les pertes russes (également autour de 200/mois) qui sont bien plus basses que les 500 pertes/mois habituelles en 2023-2024. Au point qu'il faut commencer à croire que ce ratio est la nouvelle "normale". Encore faut-il l'expliquer.

Comme je l'ai déjà dit maintes fois, cela signifie soit que les Ukrainiens ne publient tout simplement plus beaucoup de vidéos montrant les destructions qu'ils causent, peut-être délibérément avec l'intention de faire croire aux Russes qu'ils sont sur le point de gagner, soit, ce qui es plus probable, que les pertes matérielles russes ont beaucoup diminué.

Alors certes, on peut imaginer que cette diminution est due au fait que la Russie emploie de moins en moins de matériel militaire sur le front, remplacés par des véhicules civils qui ne sont pas comptabilisés par Oryx. Mais Andrew Perpetua, qui regarde l'ensemble des vidéos disponibles et répertorie l'ensemble des pertes des deux camps (civiles comme militaires) arrive lui aussi à un ratio proche de 1:1. 

Si le calcul de ce ratio est correct, cela signifie que les Ukrainiens sont très mal. Dans une guerre d'attrition, ce qui compte, ce n'est pas le terrain, mais la capacité de chacun des belligérants à générer plus de force que l'ennemi n'arrive à en détruire. Or, étant donné la disparité des capacités de recrutement des Russes et des Ukrainiens, il faut un rapport de perte de 2:1 en faveur des Ukrainiens pour maintenir juste l'équilibre dans cette guerre d'attrition. Un rapport de perte de 1,5:1 ou de 1:1 signifie que la Russie gagne la guerre d'attrition.

C'est d'autant plus mauvais que la Russie mène une offensive générale depuis pratiquement deux ans, et qu'on ne voit pas de signe de ralentissement. Logiquement, le rapport de perte devrait être favorable au défenseur (les Ukrainiens), surtout que ceux-ci ne manque pas de munitions en ce moment (contrairement au printemps 2024). De plus, un signe d'épuisement des Russes serait qu'ils ne parviennent  à conquérir que de moins en moins de territoire pour de plus en plus de pertes. L'inverse (qui est actuellement constaté par les données OSINT) est plutôt un signe d'épuisement progressif des Ukrainiens. La question est maintenant ce qu'ils peuvent faire pour renverser la tendance.


La "percée de Pokrovsk" contrée par les Ukrainiens

La "percée" de Pokrovsk qui avait fait coulé beaucoup d'encre le mois dernier, et avait fait dire à bien des experts que la Russie avait obtenu une supériorité tactique et/ou que le front Ukrainien allait s'effondrer (prophétie maintes fois énoncée, jamais réalisée) s'est transformé en cauchemar pour les Russes. Les Ukrainiens ont réussi à encercler des troupes russes dans de petites "poches" qui sont autant de pièges mortels pour les soldats de Poutine. Cette contre-attaque ukrainienne réussie amène à faire plusieurs observations:
  1. Les Ukrainiens ne sont sans doute pas autant "au bout du rouleau" que ce qui est dit et répété dans les grands médias occidentaux. Ils sont capables de prendre un avantage tactique local, ont encore un peu de réserves qu'ils ont su mobiliser intelligemment, et réussissent leurs contre-attaques bien mieux que les Russes
  2. Dans cette guerre, les véritables encerclements sont rares. Les Ukrainiens sont souvent "presque encerclés", et à l'automne 2024, quand l'avancée des Russes étaient la plus rapide, certains bataillons ont pu être coupés de leur arrière pendant quelques jours. Mais ils s'en sont toujours sorti en réussissant à évacuer la grande majorité de leurs soldats. A l'inverse, les Russes sont littéralement pris dans des poches pendant des semaines, et ne peuvent ni en sortir, ni recevoir de renforts. Cette différence montre à la fois que les Ukrainiens sont plus souples pour ordonner des retraits (même si cette souplesse est très relative), et que leur compétence tactique reste probablement bien supérieure à celle des Russes.
  3. Zelensky a annoncé que cette contre-attaque a reconquis plus de 300 km2 de terrain. DeepStateMap indique plutôt une surface reconquise entre 50 et 150 km2, selon le statut de la zone grise. Il est possible que Zelensky compte comme "reconquis" à la fois la zone grise et le terrain formé par ces poches russes encerclées. Pour donner quelques perspectives, cette superficie de 300 km2, à supposer qu'elle soit vraie, correspondrait à la moitié du terrain gagné lors de la "grand offensive de 2023", un quart du terrain gagné à Soudja en août 2024 (avant d'être lentement reperdu) ou 1% de ce que les contre-offensives de 2022 (en mars et à l'automne) avaient récupéré 
  4. 2025 est la première année sans grande offensive ukrainienne. Que ce soit en 2022, 2023 et 2024, ils avaient toujours mené des opérations offensives durant l'été et/ou l'automne. Pas cette année, à part de petites contre-attaques à Sumy et Pokrovsk. Est-ce un signe d'épuisement de l'armée ukrainienne ? Ou au contraire une stratégie défensive plus assumée ? Ou simplement la conséquence de la réorganisation de l'armée ukrainienne ? 
Olivier Kempf, toujours aussi négatif vis-à-vis des Ukrainiens, voit les choses différemment: "la situation du saillant reste très confuse. Cela fait sept semaines que les Ukrainiens tentent de le réduire." Si je ne partage pas l'avis de cet analyste qui ne voit que le verre à moitié vide, force est de constater que les contre-attaques ukrainiennes semblent impliquer un grand nombre d'unités disparates (souvent déplacées d'autres secteurs du front) et que les Ukrainiens sont peut-être passés tout proche de la défaite opérationnelle dans ce secteur et que leur rétablissement n'est pas encore acquis, même si la situation n'est probablement pas aussi mauvaise que le disent Kempf et autres analystes "pessimistes".

Les opérations terrestres n'apportant pour le moment aucun avantage décisif, Russes comme Ukrainiens se tournent vers ce que Michel Goya appelle "la guerre de corsaires". En particulier, chacun continue sa campagne aérienne, avec des objectifs distincts. Pour les Ukrainiens, il s'agit de frapper l'appareil productif russe et sa logistique: usines, chemins de fer, mais surtout les raffineries, dépôts pétroliers et oléoducs. Pour les Russes, il s'agit d'intimider et de démoraliser les populations civiles (européennes et ukrainiennes).


La Russie intimide l'Europe, qui proteste mollement

Car le principal événement, dans ce domaine, c'est l'escalade russe qui a envoyé drones et/ou avions dans l'espace aérien des pays de l'OTAN: pays baltes, Finlande, Pologne et Roumanie. Des drones non-identifiés (mais que l'on soupçonne fortement être russes) ont aussi survolé des installations militaires en France et en Allemagne, et ont paralysés plusieurs aéroports danois. Si le mode opératoire de ces survols de drones est inconnu (drones venant de Russie ? largués depuis des pétroliers de la flotte fantôme ? Ou d'équipes déjà sur place ? fausses alertes ?), il est néanmoins inquiétant. D'autant plus que les drones semblent échapper, pour la plupart, aux radars et autres forme de contrôle du trafic aérien.

La répétition fréquente de ces "incidents" ne laisse guère de place au doute: tout cela est planifié, voulu par Poutine. Dans quel but ? Il y a des buts évidents: intimidation, détournement d'attention pour forcer les Européens à se concentrer sur leur sécurité plutôt que d'aider l'Ukraine. D'autres pourraient être plus pernicieux: cartographier les défenses européennes et y déceler les faiblesses, "ébouillanter la grenouille" pour habituer les Européens à se faire survoler par les drones russes. Olivier Kempf, lui, penche pour l'intimidation dans un contexte de "négociations" forcées : « vous n’êtes pas prêts pour l’escalade, il est donc temps de tirer les conclusions de la situation internationale (fin du soutien américain) et militaire (difficultés ukrainiennes) et de ne plus pousser Kiev à poursuivre la guerre ». NB: comme d'habitude, je ne suis pas d'accord avec l'interprétation de Kempf, mais je la mentionne car il se peut que les Russes raisonnent ainsi (et qu'ils se trompent lourdement).

Face à cette escalade, l'Europe agit peu. On n'ose pas abattre les drones (et on a parfois de bonnes raisons pour cela) , encore moins les avions russes. Par contre, on fait beaucoup de réunions. On a même convoqué des ambassadeurs russes, lorsque les Russes ont bombardé la représentation officielle de l'UE à Kyiv, c'est dire... Bon, je me moque mais la question n'est pas simple. C'est tout l'objet du billet de Michel Goya Le retour du rôdeur devant le seuil. On peut aussi lire l'analyse de Minna Alander. Je ne suis pas expert en géopolitique, je ne sais pas quelle est la meilleure réaction. En revanche, je constate que les Occidentaux sont toujours dans la réaction, et non dans l'action. Et c'est bien ça le problème. Tant qu'on laisse l'initiative à Poutine, tant qu'on a peur de l'escalade, Poutine escaladera. Je reviendrai dessus dans a conclusion: les Européens doivent définir et mener à bien un plan d'action, plutôt que de ce contenter de réagir. Faire planer sur la Russie une menace sérieuse. Par exemple se préparer à envahir Kaliningrad ou la Biélorussie, et proposer à Poutine: "tu arrêtes tes conneries en Ukraine, en échange on arrête nos plans pour virer Lukashenko et soutenir l'indépendance de la République Populaire de Königsberg."


Mais les principales attaques russes se concentrent sur l'Ukraine, où les Russes ont encore augmenté le volume de leurs frappes aériennes. Ils frappent de jour et de nuit, avec parfois plusieurs centaines de drones. Au mois de septembre, 5600 drones et 184 missiles ont été tirés sur l'Ukraine, avec pas moins de 6 nuits à plus de 400 drones et missiles tirés contre l'Ukraine:
  • 3 septembre: 502 drones + 24 missiles
  • 7 septembre: 805 drones + 8 missiles
  • 10 septembre: 415 drones + 43 missiles
  • 20 septembre: 579 drones + 40 missiles
  • 28 septembre: 593 drones + 50 missiles
Et même les nuits "ordinaires", il y a parfois plus de 100 drones et missiles. Ce sont des chiffres hallucinants (s'ils sont vrais: il n'est as exclu que les Ukrainiens exagèrent l'ampleur des attaques massives). L'initiative SkyShield est plus que jamais nécessaire. La pétition, hélas, stagne après avoir dépassé les 50 000 signatures.


Moscou brûle-t-il ?

De son côté, l'Ukraine vise principalement l'industrie pétrolière russe. Alors qu'en août, c'était principalement les raffineries qui étaient visées, en septembre il y a eu à la fois des attaques contre les raffineries, mais aussi les stations de pompage pour les oléoducs, des pétroliers et des quais de chargement. Ces attaques ont pour conséquence une pénurie d'essence pour une partie de la population civile, notamment en Crimée occupée. Les prix à la pompe ont augmenté de 40%, et ces destructions ont un impact économique, entre le prix des réparations et la baisse des revenus. La Russie a également étendu l'arrêt de ses exportations de d'essence raffinée jusqu'à fin 2025, et pourrait même devenir importatrice d'essence tout en continuant à exporter du pétrole brut.

Il y a beaucoup de choses à dire sur ces attaques, et je recommande l'analyse de Philips P. O'Brien (qui cite celle de la BBC) ainsi que celle de Perun, comme toujours une des plus complètes et très pertinente. Parmi les principaux points à retenir:
  • ces attaques sont différentes de celles de 2024, qui visaient surtout les réservoirs de carburant; cette fois-ci, ce sont les tours de raffinages, bien plus vitales au fonctionnement des raffineries, qui sont visées
  • ces attaques sont systématiques: toutes les raffineries situées à moins de 1400 km de l'Ukraine et produisant plus de 3 millions de tonnes/an ont été touchées au moins une fois. La dernière grosse raffinerie qui était encore intacte fin septembre, celle de Yaroslavl, a été incendiée le 1er octobre.
  • on estime que la capacité de raffinage de la Russie a baissé, entre 17% et 38% selon les sources. Sachant qu'auparavant, la Russie raffinait environ 25% de plus que ce dont elle avait besoin, cela signifie qu'il se peut qu'elle soit maintenant un peu en déficit (d'où les importations d'essence envisagées)
  • si on constate déjà des conséquences néfastes pour les Russes (problème de ravitaillement), les Ukrainiens doivent frapper encore et encore ces raffineries pour produire des effets durables et stratégiques; c'est un point que je surveillerai dans mes prochains bilans mensuels 
  • on n'a pas toujours le détail des frappes ukrainiennes, mais les quelques vidéos montrant des arrivées de drones Antonov An-196 "Liutyi". Rien n'indique que les armes produites par Firepoint (drones FP-1 et missiles FP-5 Flamingo) sont utilisées lors de ces attaques, malgré toute la communication autour de ces armes. Peut-être que les accusations de corruption contre cette société ont un fond de vérité... A moins qu'ils ne les réservent pour d'autres cibles.
Ce dernier point pose alors une question: si l'Ukraine emploie, pour cette campagne aérienne, des drones opérationnels depuis fin 2024, et que ces frappes produisent un effet significatif sur l'économie russe, pourquoi n'avoir pas commencé cette campagne plus tôt ? En fait, l'historique de ces frappes témoigne peut-être de pressions américaines.



Ce graphique de la BBC montre que la campagne a commencé début 2024, mais avait été réduite d'intensité au moment où Biden craignait que ces attaques ne fassent monter le prix du pétrole (handicapant pour sa campagne présidentielle). Hélas, Trump a été élu et, début 2025, les Ukrainiens ont attaqué de nouveau intensément les raffineries. En mars, Trump et Zelensky ont passé un accord, peut-être que celui-ci comportait secrètement une interdiction d'attaquer les raffineries russes. Quand Trump a révélé sa duplicité début août, les Ukrainiens y sont allé à fond. Cette explication est spéculative, mais il est frappant de voir la coïncidence entre les variations du nombre de ces attaques et les accords (ou non) signés par Zelensky avec Trump et Biden.


Impasses diplomatiques et stratégiques

Après un mois d'août qui a vu Donald Trump embrasser littéralement la cause de Poutine, après les journalistes parlant des heures des "conditions de paix" et d'une fin prochaine de la guerre, tout cela est complètement oublié. Poutine a refusé les conditions offertes par Trump (pourtant archi-favorables aux Russes), et ce dernier est passé à autre chose: la transformation des USA en une dictature fasciste, transformation accélérée suite à l'assassinat du propagandiste d'extrême-droite Charlie Kirk.

Donc pas de sanctions supplémentaire, plus d'aide américaine (mais ceux-ci acceptent de vendre certaines armes à l'Ukraine), bref l'Europe est censée se débrouiller toute seule, ce qu'elle a bien du mal à faire faute de volonté politique. Les "négociations" sont au point mort, ce qui ne surprendra pas les lecteurs de ce blog. S'il y a de nombreux signes de faiblesse dans l'économie russe, parier sur un effondrement de celle-ci est risqué, surtout si Poutine dispose d'un soutient discret mais efficace (et très intéressé) de la Chine. Pour ce que l'on en sait, la Russie ne sera stoppée que militairement. Face à ce constat, peut-on dire que les Européens et/ou les Ukrainiens savent ce qu'ils doivent faire pour gagner ? Hélas, la réponse est clairement non pour les premiers, et probablement non pour les seconds.

Pour les Européens, c'est simple: ils sont incapables ne serait-ce que formuler ce qu'ils veulent, encore moins de se mettre d'accord sur une stratégie commune et, par conséquent, ils sont incapables de mettre en oeuvre cette stratégie. Tout juste sont-ils capables de formuler ce qu'ils ne veulent pas:
  • ils ne veulent pas que l'Ukraine perde la guerre
  • ils ne veulent pas que Trump les abandonnent
  • ils ne veulent pas d'une escalade avec la Russie 
Malheureusement pour eux, ils n'ont quasiment aucun contrôle sur tout cela. Ces trois points sont hérités de leur stratégie précédente (élaborée et probablement imposée par Biden), qui consistait à ralentir suffisamment la progression russe et attendre que Poutine finisse par comprendre que cette invasion n'est économiquement pas rentable pour lui et qu'il négocie la fin du conflit. Alors certes, cette stratégie n'a jamais été publiquement exprimée ainsi, mais quand on voit les actes des occidentaux jusqu'en novembre 2024, ça colle parfaitement avec cette stratégie, qui a lamentablement échoué avec l'élection de Trump. Et, après avoir passé les 10 premiers mois de 2024 à espérer que Trump ne sera pas élu (raté) puis les 3 mois suivants à espérer qu'il ne serait pas aussi cinglé qu'annoncé (encore raté) puis à jurer qu'ils n'abandonneront jamais l'Ukraine (sans s'en donner les moyens), les Européens en sont maintenant à espérer que Poutine ne les attaquera pas tout de suite (ce qui promet d'être aussi raté que tout ce qui précède).

Pour les Ukrainiens, ce n'est guère mieux. Ils ont un peu plus d'excuses que les Européens car il y a bien plus de contraintes auxquelles ils doivent faire face, entre une guerre sur leur sol et un soutien occidental insuffisant. Mais ils n'ont résolu aucun des problèmes internes: problème de commandement, corruption, production d'armes insuffisante, problèmes de recrutement. La réforme corps/brigade, annoncée il y a près d'un an, se fait trop lentement et en dépit du bon sens, probablement car de hauts gradés (le général Sirsky lui-même ?) font tout pour mettre des bâtons dans les roues. Il est à noter que Sirsky a récemment remplacé les commandants de deux des premiers corps "opérationnels", officiellement pour leurs mauvais résultats, mais on peut se demander si ces deux corps n'ont pas été délibérément privés des ressources nécessaires pour assurer la défense de leur secteurs.

En face, la situation stratégique de Poutine est à peine moins bloquée. Son plan est de projeter une image de "victoire" en Ukraine (même si sur le terrain, son armée est toujours embourbée ) et d'attendre que les élections portent au pouvoir des partis pro-russes, comme ce qui vient d'arriver en république Tchèque. Mais ce plan est long, très long, et vu les dégâts que causent les frappes ukrainiennes l'économie russe pourrait très bien flancher avant le soutien occidental.




mardi 23 septembre 2025

Lettre à mon député (2)

Monsieur le député,


Il y a un an et demi, je vous avais écrit pour vous faire part de mes craintes au sujet de la guerre en Ukraine. Vous avez eu la gentillesse de me répondre, et je vous en remercie. Hélas, beaucoup de craintes que j'exprimais à ce moment-là, notamment la possible élection de Donald Trump, se sont réalisées depuis. Au point que la situation est maintenant bien pire que ce qu'elle était en mars 2024, et qu'elle nécessite des actions immédiates de la part de la France et des autres pays européens.

En particulier, la montée en puissance de la Russie en terme de production de drones à longue portée (de type  "Shahed") est particulièrement inquiétante. On le voit en Ukraine, où ils peuvent désormais envoyer des vagues de 400, 500, 600 ou même 800 drones certaines nuits, selon les chiffres publiés par les Ukrainiens. Ceux-ci souffrent car ces attaquent saturent leur défense anti-aérienne, et tuent de trop nombreux civils, dont parfois de très jeunes enfants. Nous sommes un pays qui a été meurtri par les attentats de 2015; comment pouvons-vous accepter que les Ukrainiens subissent quotidiennement de telles attaques terroristes ? 

Le fait qu'il y a des alertes chaque nuit ou presque depuis maintenant plus de trois ans provoque une fatigue immense. Une fatigue que ceux qui ont la chance de pouvoir dormir chaque nuit dans un lit, en paix, ne peuvent pas vraiment comprendre. Je m'attriste que certaines personnes minimisent la gravité de ces attaques aériennes en avançant le fait que les drones et missiles russes tuent moins que, par exemple, les bombardements israéliens sur Gaza, ou les massacres dans la province du Kivu (République Démocratique du Congo). C'est, à mon avis, une erreur de raisonnement: ces personnes oublient (volontairement?) que le nombre de civils officiellement tués en Ukraine est relativement faible car la défense aérienne tient encore bon malgré l'accroissement des attaques, et que l'offensive terrestre russe est elle aussi contenue: seuls les civils tués dans des territoires contrôlés par les Ukrainiens sont comptabilisés. Dans les territoires occupés par la Russie, il ne sont pas comptabilisés, mais l'analyse des images satellites  du cimetière de Marioupol montre qu'il y a probablement eu plus de 85 000 morts rien que pour cette ville qui a été rasée lors de sa prise par les Russes au tout début de la guerre.

Quoi qu'il en soit, la défense anti-aérienne ukrainienne, efficace aujourd'hui, peut flancher demain faute de munitions. N'attendons pas qu'il soit trop tard avant d'intervenir. C'est ce que propose la pétition "Skyshield : sauvons les civils des drones russes, protégeons le ciel de l'Ukraine !" que vous connaissez bien car vous en êtes un des premiers signataires. Vous êtes un des rares élus à avoir soutenu cette initiative dès le départ, et je tiens à vous remercier pour ça. Cette initiative est nécessaire mais je crains que, même si elle est un jour mise en place, elle ne sera pas suffisante.

En effet, il ne suffit pas de vouloir défendre le ciel ukrainien, encore faut-il en avoir les moyens. Or, je crains que notre armée, tout comme celles des autres pays occidentaux, ne dispose pas de matériel approprié pour faire face aux armes employées par les Russes: une masse de drones "Shahed" relativement bon marché, et en nombre suffisant pour saturer nos défenses. L'attaque contre la Pologne, dans la nuit du 9 au 10 septembre, a montré l'impréparation des pays de l'OTAN face à cette menace, comme l’a d’ailleurs souligné Philips P. O’Brien, professeur en études stratégiques de l’université Saint Andrews (Écosse).

Et encore, il ne s'agissait là que d'une manœuvre d'intimidation et/ou de reconnaissance, avec quelques dizaines de drones "Gerbera" sans charge explosive. Et ce n'est pas tenable de tirer des missiles à 1 million d'euros pour détruire des drones en coûtant 10 000. Il nous faut impérativement disposer d'intercepteurs bon marché et que l'on peut produire en masse pour contrer ces drones, quitte à copier ce que font les Ukrainiens.

Et surtout, on ne pourra pas défendre le ciel ukrainien si les Russes continuent d'augmenter leur production. Tant que des mesures ne sont pas prises pour détruire ces usines, les drones qu'elles produisent constituent une menace non seulement pour les Ukrainiens, mais aussi pour tous les Européens. Et ce, même si les combats en Ukraine s'arrêtent. Car les Russes pourraient alors accumuler des dizaines de  milliers (voire des centaines de milliers) de ces drones et menacer ensuite de les envoyer sur l'Europe. Ce serait une menace d'une nature différente de la menace nucléaire dont ils abusent dans leur rhétorique, mais plus crédible car restant sous le seuil de la guerre nucléaire tout en étant potentiellement dévastatrice non seulement sur les villes, mais surtout sur toute l'infrastructure et toutes les défenses militaires européennes.

Il faut donc reconnaître que les Ukrainiens, qui cherchent à détruire les capacités de production militaire de leurs ennemis grâce à de multiples attaques aériennes par drones et missiles, protègent ainsi l'Europe toute entière. Les aider à accomplir cette tâche, en produisant sur notre sol tout ou une partie des composants nécessaires à la fabrication des drones et missiles longue portée est non seulement bénéfique à court terme (pour aider les Ukrainiens à se défendre) mais aussi à moyen terme (pour constituer nous aussi une réserve de ce type d'armes et ainsi de pouvoir répliquer à de possibles menaces de même nature. Le gouvernement danois a d'ailleurs récemment annoncé sa volonté d'acquérir ce type d'armes à très longue portée.

Aussi je vous prie, notamment lors du prochain examen du budget, de porter une attention particulière aux dépenses militaires et de veiller à ce que les équipements que l'armée française compte acquérir correspondent bien aux besoins et au retour d'expérience de la guerre en Ukraine, qui, comme toutes les guerres importantes, accélère le développement de nouvelles armes et de nouvelles technologies. Il faut que l'armée française se prépare à la guerre d'aujourd'hui, et possiblement la guerre de demain, plutôt que de suivre des plans établis avant cette guerre et qui sont peut-être déjà obsolètes. De plus, ces acquisitions matérielles devraient se faire de préférence auprès de l'industrie européenne, indépendamment de l'industrie des USA, tant il y a des risques que ce pays ne soit plus notre allié si Trump parvient à y imposer ses idées néo-fascistes (ce qui semble hélas être en train de se produire).

J'aimerais aussi que le soutien de la France à l'Ukraine soit à la hauteur des enjeux, et permettent à l'Ukraine non seulement de "ne pas perdre" face aux Russes, mais surtout de gagner cette guerre horrible. Car le fait de donner aux Ukrainiens toujours trop peu, toujours trop tard n'a fait que prolonger cette guerre et à permis aux Russes de s'adapter aux évolutions du champ de bataille et de ses équipements, nous plaçant désormais dans une position de faiblesse. Cet effort supplémentaire devra être juste socialement, faute de quoi le soutien populaire à l'Ukraine s'effondrera. Le fait qu'on n'ose toujours pas confisquer les "avoirs russes gelés" pour financer les besoins des Ukrainiens m'est incompréhensible. On pourrait aussi confisquer les avoirs de ceux qui utilisent leur fortune pour aider les soutiens français de Poutine, comme par exemple les milliardaires Vincent Bolloré et Pierre-Édouard Stérin, qui veulent mettre fin à la démocratie française en amenant l'extrême-droite au pouvoir.

Ma troisième et dernière demande ne concerne pas le budget, mais plutôt le discours à tenir sur cette guerre. On présente souvent l'Ukraine comme ayant besoin de notre aide, de nos garanties de sécurité et d'ailleurs cette lettre ne fait pas exception. Mais il faut aussi souligner que nous avons besoin de l'Ukraine autant qu'elle a besoin de nous. En effet, face à la menace russe qui perdurera pendant de nombreuses années, et puisque le soutien américain est désormais plus qu'incertain, nous ne pourrons pas nous passer de l'aide de l'Ukraine: ils ont l'armée de terre la plus puissante d'Europe, l'expérience des combats et la capacité à fabriquer des armes et des drones en masse (capacité que nous n'avons pas encore). Comme l'explique l'analyste danois Anders Puck Nielsen, une fois la guerre en Ukraine terminée, les garanties de sécurité doivent être pensées à l'échelle de l'Europe car il s'agit de dissuader une future agression russe non seulement en Ukraine, mais possiblement dans n'importe quel pays frontalier. Il faudra donc intégrer l'Ukraine à un dispositif de défense commun, non seulement pour sa sécurité mais aussi celle de tous les autres pays européens. Cette évidence n'est que très rarement énoncée dans les média français; aussi je vous en serai reconnaissant d'en dire quelques mots si vous avez la possibilité de vous exprimer sur le sujet, que ce soit à l'Assemblée Nationale ou dans les média.


Enfin, et bien que ce soit hors sujet avec tout ce qui précède, je profite de cette lettre pour vous faire part de mon profond malaise sur la situation des Palestiniens à Gaza: famine organisée, assassinat de journalistes et de médecins, civils visés alors qu'ils attendent l'aide humanitaire, les crimes commis par l'armée israélienne sont trop nombreux pour être énumérés ici. La politique criminelle de Netanyahou devrait être sanctionnée aussi durement que l'est celle de Poutine. Or, à part des condamnations verbales sans aucun effet ou des propositions symboliques à l'ONU, la France ne fait rien pour stopper le massacre. L'aide humanitaire est bloquée, les manifestations de soutien parfois interdites. Plus encore que pour l'Ukraine, j'assiste par média interposés à un crime monstrueux qui se déroule en temps réel et face auquel je me sens totalement impuissant.  


Je vous prie d'agréer, Monsieur le Député, l'expression de mes sentiments distingués. 

mercredi 10 septembre 2025

Les corps d'armée ukrainiens (2)

Il y a deux mois, j'avais déjà fait un point sur la réforme en cours dans l'armée ukrainienne pour passer à un système "corps-brigades". Depuis, certaines choses ont changé, on en a appris plus sur ces corps d'armée, aussi il est temps de faire un nouveau point sur cette réforme. Je recommande aussi l'analyse faite par Donald Hill an août sur le même sujet, ainsi qu'une mise-à-jour très récente sur la position des corps.

Position des différents corps, carte faite par Donald Hill

Lors de ma dernière analyse, j'avais indiqué que les Ukrainiens auraient dû logiquement choisir entre:

  • créer des corps en fonction des brigades déjà présentes dans un secteur et donner le commandement de ce secteur à un corps d'armée
  • créer des corps en calibrant leur force

Les Ukrainiens n'ont pas choisi, ils ont fait les deux à la fois:

  1. ils ont placé chaque secteur sous le commandement d'un corps. J'ai eu le nez creux lors de ma précédente analyse, car les secteurs que j'avais désignés correspondent, à peu de choses près, aux secteurs placés sous la direction d'un corps.
  2. ils ont standardisé la force de chaque corps; leur plan est d'avoir, pour chaque corps d'armée, au moins 4 brigades mécanisées (ou équivalent), une brigade "fortement mécanisée" (sauf pour le corps de marine, les parachutistes et la garde nationale) et une brigade d'artillerie.
Mais ce faisant, les corps ne commandent pas, sur le front, les unités qui leur sont structurellement subordonnées, comme nous allons le voir dans la synthèse que j'ai faite en m'appuyant principalement sur les informations du site militaryland.net, et ua control map pour le positionnement des unités. 

Pour chaque corps, je vais indiquer:

  • Le secteur du front qui lui est attribué
  • Sa composition. La brigade principale, quand elle est connue, est en gras.
  • La localisation de chacune de ses brigades / régiments (je laisse de côté les bataillons / compagnies)
  • Son appartenance: si le corps est rattaché à la garde nationale, aux forces aéroportées (que je nomme "parachutistes", même si ce n'est pas leur nom ukrainien, et de toute façon ce sont des unités d'infanterie mécanisées) ou de marine. Sinon, pas d'indication particulière. Pour les unités, GN = garde nationale et DT = défense territoriale.
Pour la localisation, je découpe ainsi le front en 9 secteurs d'environ 150km de large (du nord au sud): Sumy, Kharkiv, Kupyansk, Lyman (inclus Siversk), Kostiantynivka (inclus Chassiv Yar), Pokrovsk, Ivanivka (au nord-ouest de Grand Novosilka), Orikhiv, Kherson. De plus, deux secteurs Kyiv et Tchernihiv, plus larges, ont un corps chargé de leur défense mais ne sont pas "sur le front".

En fonction de ces informations, le nom de chaque corps est coloré ainsi:
  • gris: le corps n'a pas de secteur attribué 
  • orange: moins de la moitié de ses brigades sont dans son secteur
  • bleu: au moins la moitié de ses brigades sont dans son secteur
  • vert: le corps est regroupé(*) dans son secteur 
(*) je considère que le corps est regroupé si toutes ses brigades sauf une sont dans son secteur du front dont il est responsable. Cette tolérance d'une brigade est due au fait que les informations de localisations peuvent être imprécises ou datées.


1er corps (garde nationale)

Secteur: entre Kostiantynivka et Pokrovsk
  • 12e brigade GN 'Azov' Kostiantynivka
  • 1ere brigade GN 'Bureyiv' : Kupyansk
  • 14e brigade GN 'Chervona Kalyna' : Pokrovsk
  • 15e brigade GN 'Kara-Dag' : Kupyansk
  • 20e brigade GN 'Lyubart' : Kostiantynivka


2e corps (garde nationale)

Secteur: Kharkiv
  • 13e brigade GN 'Khartia' : Kharkiv
  • 3e brigade GN 'Spartan' : Pokrovsk
  • 4e brigade GN 'Rubizh' : Pokrovsk
  • 17e brigade GN 'Raid' : Ivanivka
  • 18e brigade GN 'Slovyansk' : Kostiantyinvka


3e corps

Secteur: Lyman
    • 3e brigade d'assaut : Lyman
    • 53e brigade mécanisée : Lyman
    • 60e brigade mécanisée : Lyman
    • 63e brigade mécanisée : Lyman
    • 21e régiment de drones : ???
    • 52e brigaded'artillerie : ???
    • 125e brigade fortement mécanisée : Kostiantyinvka

    7e corps (parachutistes)

    Secteur: Pokrovsk
      • 25e brigade de parachutistes : Pokrovsk
      • 77e brigade de parachutistes : Kupyansk
      • 78e régiment de parachutistes : Sumy
      • 79e brigade de parachutistes : Pokrovsk
      • 81e brigade de parachutistes : Lyman
      • 148e brigade d'artillerie : Ivanivka


      8e corps (parachutistes)

      Secteur: ???
        • 82e brigade de parachutistes : Pokrovsk
        • 46e brigade de parachutistes : Ivanivka
        • 71e brigade de chasseurs : Sumy
        • 80e brigade de parachutistes : Sumy
        • 95e brigade de parachutistes : Sumy
        • 147e brigade d'artillerie : ???


        9e corps

        Secteur: Pokrovsk
          • 32e brigade mécanisée : Pokrovsk
          • 68e brigade de chasseurs : Pokrovsk
          • 142e brigade mécanisée : Pokrovsk
          • 153e brigade mécanisée : Pokrovsk
          • 5e brigade fortement mécanisée : Ivanivka
          • 55e brigade d'artillerie : Pokrovsk


          10e corps

          Secteur: Kupyansk
            • 14e brigade mécanisée : Kupyansk
            • 43e brigade mécanisée : Kupyansk
            • 48e brigade d'artillerie : Ivanivka
            • 115e brigade mécanisée : Lyman
            • 116e brigade mécanisée : Kupyansk
            • 117e brigade fortement mécanisée : Kostiantynivka


            11e corps

            Secteur: entre Lyman et Kostiantynivka
              • 24e brigade mécanisée : Kostiantynivka
              • 30e brigade mécanisée : Kostiantynivka
              • 45e brigade d'artillerie : Lyman
              • 56e brigade motorisée : Kostiantynivka
              • 127e brigade fortement mécanisée: Kharkiv


              12e corps

              Secteur: Kiyv
                • brigade présidentielle : Kostiantynivka
                • 5e brigade d'assaut : Ivanivka
                • 19e brigade GN : Kyiv 
                • 25e brigade GN : Pokrovsk
                • 27e brigade GN :  Orikhiv
                • 27e brigade d'artillerie : Sumy
                • 28e régiment GN :  Pokrovsk
                • 31e régiment GN : Kupyansk
                • 67e brigade mécanisée : Ivanivka
                • 72e brigade mécanisée : Ivanivka
                • 112e brigade DT : Kupyansk
                • 118e brigade DT : Orikhiv
                • 120e brigade DT : Pokrovsk
                • 151e brigade mécanisée : Kupyansk

                14e corps

                Secteur: ???
                  • 22e brigade mécanisée : Sumy
                  • 58e brigade motorisée : Kharkiv
                  • 92e brigade d'assaut : Pokrovsk

                  15e corps

                  Secteur: Tchernihiv
                    • 10e brigade de montagne : Lyman
                    • 143e brigade mécanisée : Tchernihiv
                    • 144e brigade mécanisée : Tchernihiv
                    • 158e brigade mécanisée : Kupyansk
                    • 129e brigade fortement mécanisée : Sumy


                    16e corps

                    Secteur: Kupiansk
                      • 3e brigade fortement mécanisée : Kupyansk
                      • 26e brigade d'artillerie : Kostiantynivka
                      • 41e brigade mécanisée : Sumy
                      • 42e brigade mécanisée : Kupyansk
                      • 57e brigade motorisée : Kharkiv
                      • 154e brigade mécanisée : Kupyansk
                      • 113e brigade DT : Kharkiv


                      17e corps

                      Secteur: Orikhiv
                        • 65e brigade mécanisée : Orikhiv
                        • 44e brigade d'artillerie : Orikhiv
                        • 108e brigade DT : Orikhiv
                        • 110e brigade mécanisée :  Ivanivka
                        • 118e brigade mécanisée : Orikhiv
                        • 128e brigade de montagne: Orikhiv
                        • 241e brigade DT : Orikhiv
                        • 411e régiment de drones : Ivanivka
                        • 128e brigade fortement mécanisée : Orikhiv


                        18e corps

                          Secteur : Sumy
                          • 1ère brigade fortement méchanisée : Sumy
                          • 21e brigade mécanisée : Sumy
                          • 47e brigade mécanisée : Sumy
                          • 47e brigade d'artillerie  : Pokrovsk
                          • 66e brigade mécanisée : Lyman
                          • 156e brigade mécanisée : Sumy

                          19e corps

                          Secteur: Kostiantynivka
                            • 28e brigade mécanisée : Kostiantynivka
                            • 40e brigade d'artillerie : Lyman
                            • 44e brigade mécanisée : Kostiantynivka
                            • 100e brigade mécanisée Kostiantynivka


                            20e corps

                            Secteur: Ivanivka
                              • 17e brigade fortement mécanisée : Pokrovsk
                              • 23e brigade mécanisée : Ivanivka
                              • 31e brigade mécanisée : Ivanivka
                              • 33e brigade mécanisée : Ivanivka
                              • 141e brigade mécanisée : Ivanivka


                              21e corps 

                              Secteur: ???
                                • 93e brigade mécanisée : Pokrovsk
                                • 152e brigade de chasseurs : Pokrovsk
                                • 155e brigade mécanisée "Anne de Kiev" : Pokrovsk
                                • 159e brigade mécanisée : Orikiv
                                • 4e brigade fortement mécanisée : Kupyansk


                                30e corps (Marines)

                                Secteur: Kherson
                                  • 32e brigade d'artillerie : Orikhiv
                                  • 34e brigade de défense côtière : Kherson
                                  • 35e brigade de Marine : Pokrovsk
                                  • 36e brigade de Marine : Kostiantynivka
                                  • 37e brigade de Marine : Ivanivka
                                  • 38e brigade de Marine : Pokrovsk
                                  • 39e brigade de défense côtière : Kherson
                                  • 40e brigade de défense côtière : Kherson
                                  • 406e brigade d'artillerie : Kherson


                                  Conclusion

                                  Le système Corps-brigades se met en place, mais lentement, très lentement. Par rapport à il y a deux mois, les principaux progrès sont:
                                  • la transformation de suffisamment de brigades (blindées et de défense territoriales) pour que la plupart des corps dispose d'une de ces brigades; il y en a actuellement 10, déjà réparties dans les corps d'armées
                                  • la créations de plusieurs brigades d'artillerie, là encore pour que chaque corps en ait une; la répartition n'est pas contre pas encore faite
                                  • chaque corps d'armée va aussi avoir un bataillon de reconnaissance; certains sont en cours de création ou de restructuration (passant de bataillon de fusiliers à bataillon de reconnaissance)
                                  • la composition de la plupart des corps est maintenant connue
                                  • le front a été découpé en secteurs attribués à un corps
                                  • malheureusement, les corps sont dispersés et doivent commander, sur leur secteur, des unités qui ne leur sont pas rattachées ce qui nuit fortement à leur efficacité, voire même annule tout l'intérêt de cette réforme
                                  Sur ce dernier point, il y a quand même quelques progrès. Il y a deux mois, seuls 5 corps (3e, 11e, 16e, 17e, 20e) étaient regroupés, les autres étant très dispersés. Dans cette nouvelle synthèse, le 16e corps est considéré comme dispersé car les critères que j'ai adopté ont changé. En revanche, les 9e et 19e corps sont considérés comme regroupés, et 3 autres corps sont en voie de regroupement.

                                  On remarque aussi qu'entre Konstiantynivka et Pokrovsk, il y a beaucoup de corps (1er, 7e, 9e, 11e et 19e) et leurs zones de responsabilités ne sont pas très claires pour le moment.

                                  La lenteur de cette réforme qui est pourtant attendue depuis près d'un an est quand même surprenante dans un pays en guerre, qui lutte pour sa survie. Je continue à penser qu'il y a de fortes réticences internes à cette réforme, parmi les haut gradés. Et ce sont les simples soldats qui font les frais de cette réticence au changement, hélas.

                                  mardi 2 septembre 2025

                                  Guerre en Ukraine: bilan du mois d'août 2025

                                  Comme chaque mois, voici un petit bilan du mois d'août 2025, à mettre en perspective avec les constats que j'avais faits fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre, fin novembre, fin décembre 2023 ainsi que fin janvier, fin février, fin mars, fin avril, fin mai, fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre, fin novembre, fin décembre 2024, et puis fin janvier, fin févrierfin marsfin avrilfin maifin juin et fin juillet 2025.


                                  Une fois de plus, les Russes ont continué leur grignotage des défenses ukrainiennes, et menacent très sérieusement d'encercler trois villes clefs de la ligne de défense ukrainienne: Kupyansk, Pokrovsk et Kostiantynivka. En particulier, il y a eu près de Pokrovsk une "percée" qui a fait couler beaucoup d'encre. Les Ukrainiens, de leur côté, ont mené de petites contre-attaques, non seulement sur le front de Sumy (comme en juillet), mais un peu partout sur le front est, de Kupyansk à Ivanska. Cependant, malgré ces contre-attaques, les Ukrainiens perdent dans l'ensemble du terrain (environ 500km2 sur le mois d'août). De plus, les attaques aériennes ont continué, avec régulièrement des centaines de drones russes frappant les villes ukrainiennes pour y semer la terreur tandis que les Ukrainiens ont concentré leurs attaques à longue distance sur les raffineries russes.

                                  Raffinerie russe en flamme, 28 août 2025


                                  Pertes russes et ukrainiennes

                                  Je rappelle les pertes russes telles qu'annoncées par les officiels ukrainiens dans les 4 catégories à surveiller: artillerie, MLRS, DCA et équipements spéciaux. Pour chacune, je vais donner les moyennes pour la première année (mars 2022 à février 2023), la deuxième année (mars 2023 à février 2024) et la troisième année (mars 2024 à février 2025) puis les chiffres de mars, avril, mai, juin, juillet et août 2025.

                                  • Artillerie 
                                    • moyenne 1ere année: 190/mois
                                    • moyenne 2e année: 650/mois
                                    • moyenne 3e année: 1150/mois
                                    • 1690 (mars), 1554 (avril), 1384 (mai), 1243 (juin), 1193 (juillet), 1288 (août)
                                  • MLRS
                                    • moyenne 1ere année: 40/mois
                                    • moyenne 2e année: 43/mois
                                    • moyenne 3e année: 25/mois
                                    • 44 (mars), 27 (avril), 26 (mai), 27 (juin), 24 (juillet), 25 (août)
                                  • DCA
                                    • moyenne 1ere année: 21/mois
                                    • moyenne 2e année: 37/mois
                                    • moyenne 3e année: 30/mois
                                    • 37 (mars), 23 (avril), 27 (mai), 17 (juin), 13 (juillet), 10 (août)
                                  • Équipements spéciaux
                                    • moyenne 1ere année: 19/mois
                                    • moyenne 2e année: 114/mois
                                    • moyenne 3e année: 181/mois
                                    • 24 (mars), 82 (avril), 33 (mai), 19 (juin), 14 (juillet), 17 (août)

                                  Comparé au mois précédent, les chiffres sont relativement stables, avec une légère remontée des chiffres concernant l'artillerie. Plus généralement, il y a à la fois une augmentation des pertes matérielles  (5053) et une baisse des pertes humaines (28 880), selon le comptage réalisé par l'analyste Ragnar Bjartur Gudmundsson. En ce qui concerne les pertes visuellement confirmées, selon Oryx on en est à un ratio de 1:1, avec 201 pertes russes et 197 pertes ukrainiennes. C'est la troisième fois de suite que les pertes ukrainiennes sont "normales" (autour de 200/mois) et les pertes russes qui sont anormalement basses. Pourquoi ? Comme toujours, il peut y avoir deux explications (au moins), qui sont mutuellement exclusives.

                                  La première est que les chiffres donnés par les Ukrainiens sont fantaisistes et que, effectivement les pertes russes ont fortement diminué ces derniers mois, car ils sont en train de gagner la guerre d'attrition et ont changé leurs tactiques pour minimiser leurs pertes tout en continuant de grignoter du terrain. Il faut d'ailleurs noter que l'essentiel des pertes revendiquées par les Ukrainiens relève de deux catégories: artillerie et camions, qui ont toutes deux un taux de confirmation par Oryx très faible.

                                  La seconde explication est que les chiffres donnés par les Ukrainiens sont relativement fiables et que les Ukrainiens ne publient tout simplement plus beaucoup de vidéos montrant les destructions qu'ils causent, peut-être délibérément avec l'intention de faire croire aux Russes qu'ils sont sur le point de gagner. Il faut reconnaître que cette seconde explication est moins probable que la première, mais on aurait tort de l'écarter a priori.


                                  La "percée" de Pokrovsk

                                  La principale nouvelle, sur la ligne de front est la "percée" de Pokrovsk. Du moins, c'est celle qui a eu le plus d'écho médiatique. D'ailleurs, le colonel et historien Michel Goya a repris la plume sur son blog pour en parler, après 6 mois de silence. Que s'est-il passé ? Le 11 août, des milblogers ukrainiens dont Bohdan Krotevych (ancien commandant de la brigade Azov) et le site DeepStateMap ont alerté sur une percée russe au nord-est de Pokrovsk: plus de 14km de long, perçant même la ligne défensive que les Ukrainiens sont en train de construire derrières les lignes de front actuelles. Quelques jours plus tard, les Ukrainiens ont réagi, envoyé des renforts et repris en partie ce terrain.

                                  Trois semaines plus tard, il n'y a pas d'évolution sur la carte DeepStateMap, comme si des unités russes étaient encerclées derrières les lignes ukrainiennes. Or, cette situation devrait être instable: soit parce que les Ukrainiens anéantissent les unités encerclées, soit parce que les Russes réussissent à consolider leur avancées. Mais cela peut simplement être le fait que la carte, dans le secteur, n'est plus mise à jour, et que c'est toujours dans une zone grise.

                                  Je constate d'ailleurs que ce que je disais le mois dernier sur l'état de la "ligne de front" est maintenant, peu ou prou, l'explication donnée par la plupart des analystes pour expliquer cette percée:

                                  En 2025, s'il y a des tranchées, elles sont plutôt des petites positions dans une large "zone grise", avec seulement un petit groupe de soldats les gardant, ou se réfugiant dans la cave d'une maison détruite. Les assauts se font aussi en petits groupes, une dizaine de soldats tout au plus, qui essaient de progresser et occuper plus de terrain. Il arrive donc qu'un groupe arrive à avancer plus avant de se faire éliminer, souvent par les drones FPV.

                                  NB1: ce n'est pas moi qui a fait cette observation en premier, c'est ce qui découle de nombreux témoignages et analyses de milblogger ukrainiens (et OSINTers). Mais il est notable que, jusqu'en août, les grands médias occidentaux ne présentaient pas souvent les choses de cette manière.

                                  NB2: il y a une "percée" similaire" du côté de Kupyansk, dont je parlais déjà dans mon précédent bilan mensuel. Il semble que, là aussi, les Ukrainiens ont contre-attaqué et réduit la dangerosité de l'avancée russe même si la situation reste préoccupante.

                                  J'ai déjà parlé des incertitudes qu'on a sur l'état du rapport de force actuel, et sur le fait que les Russes progressent lentement mais surement depuis maintenant plus de 22 mois. Le plus probable (scénario par défaut) est que les deux armées sont toutes deux épuisées, l'armée russe ayant juste un léger avantage, mais il existe deux scénarios possibles mais peu probables, l'un supposant que l'armée ukrainienne contrôle la situation ("grande feinte ukrainienne"), l'autre au contraire que l'armée russe contrôle la situation ("futur assaut sur l'OTAN"). Or, cette "percée" de Pokrovsk a une interprétation radicalement différente selon ces 3 scénarios, et il est pour le moment impossible de savoir quelle interprétation est la bonne.
                                  1. scénario "par défaut": les Ukrainiens manquent d'hommes, ce qui laisse des trous béants dans leur défenses et les Russes ont pu s’infiltrer. Cependant, ces derniers manquent maintenant de matériel mécanisé (qu'ils peuvent difficilement emmener jusqu'à la ligne de contact) et sont eux-même en trop mauvaise position pour exploiter correctement la percée, ce qui laisse le temps à l'Ukraine de ramener des renforts faits de bataillons pris un peu partout sur le front. La contre-attaque colmate tant bien que mal la brèche, mais l'Ukraine reste dans une situation très précaire
                                  2. scénario "grande feinte ukrainienne": les Ukrainiens minimisent délibérément le nombre d'hommes placés en première ligne, et privilégient une défense active. Les Russes ont poussé (pour avoir des résultats à montrer avant le sommet d'Anchorage) mais les Ukrainiens ont réagi conformément à leurs plans et ont éliminés les Russes infiltrés.
                                  3. scénario "futur assaut sur l'OTAN": les Ukrainiens manquent d'hommes, ce qui laisse des trous béants dans leur défenses et les Russes ont pu s’infiltrer. Ils auraient pu exploiter et faire s'effondrer les défenses ukrainiennes, mais ont délibérément choisi de ne pas le faire car une victoire trope rapide desservirait leur stratégie à plus long terme.


                                  Campagnes aériennes

                                  Après un calme relatif durant les 15 premiers jours d'août, durant lesquels les attaques aériennes russes ont été réduite en volume (en général, de 50 à 100 drones par nuit), les Russes ont repris leur bombardements de terreur sur les villes ukrainiennes avec d'autant plus de force qu'ils ont accumulé du stock, avec 4 attaques massives (plus de 200 drones par nuit). Voici les chiffres donnés par les Ukrainiens:
                                  • 19 août: 270 drones + 10 missiles
                                  • 21 août: 574 drones + 40 missiles
                                  • 28 août: 598 drones + 31 missiles
                                  • 30 août: 537 drones + 45 missiles
                                  Concernant les dégâts causés, il s'agit principalement d'immeubles d'habitations (avec leur triste lot de victimes civiles), mais il y a eu aussi des attaques contre des entrepôts, des infrastructures énergétiques et même quelques cibles de hautes valeur comme l'usine Bayraktar et un système de lancement de missiles Neptune.


                                  Les Ukrainiens ont eux aussi intensifié leurs attaques aériennes, notamment contre les raffineries russes, ce qui a eu pour conséquence de réduire la production russe de 17%. La Russie souffre aussi d'une pénurie d'essence dans certaines régions, ainsi que d'une augmentation des prix de l'essence.

                                  Outre les raffineries, plusieurs autres cibles de valeurs ont été touchées par les Ukrainiens dont:
                                  Surtout, les Ukrainiens ont développés de nouvelles capacités d'attaque à longue distance, dont le missile "flamant rose". Celui-ci, s'il tient ses promesses en terme de capacités opérationnelles, de coût et de rythme de production, pourrait devenir une sérieuse épine dans le pieds des Russes. Mais pour le moment, cela reste surtout de la spéculation, il faut que les Ukrainiens concrétisent durant les mois de septembre et d'octobre ce qu'ils ont esquissés en août. S'ils arrivent à détruire les capacités de raffinage russe, ce serait pour le coup quelque chose de stratégique (mot employé à tort par les journalistes pour parler de la moindre prise d'un village).



                                  La trahison de Trump


                                  Quel contraste avec le mois précédent ! Enfin, dans les média. Car Trump n'a jamais changé. Il a toujours été pour Poutine, quels que soient ses tweets rageurs, ses menaces sans effets, ses mensonges politiques. Oh, pas ouvertement, il doit composer avec une opinion américaine très majoritairement anti-Poutine, il doit donc faire semblant de s'opposer à Poutine et de soutenir l'Ukraine. Mais pas question de sanctions supplémentaires, ou de continuation de l'aide. Tout au plus il veut bien que les Américains vendent ce qu'avant ils donnaient et continuer les sanctions existantes. 

                                  J'ai analysé le sommet d'Anchorage. Qui a été suivi d'un sommet où les Européens se sont déplacés en masse à Washington pour une rencontre "historique" .... qui n'a strictement rien donné. Je ne sais pas si tout cela fait partie d'un plan machiavélique de Trump et Poutine, ou bien si Trump est juste très con (ou les deux) mais voici ce que l'ordure a fait, ou exige:
                                  • pas de retrait russe, et en revanche, l'Ukraine doit abandonner des territoires très importants
                                  • aucune sanctions supplémentaires contre la Russie; par contre, menaces de sanctions contre l'Ukraine, l'Europe, et le reste du monde
                                  • plus rien sur le retour des enfants ukrainiens, les dommages de guerre, l'arrestation des criminels de guerre etc
                                  • les Européens sont priés d'acheter américains plutôt que de développer leurs industries.
                                  • ils sont aussi censés offrir des "garanties de sécurités" qui n'ont rien de dissuasives.
                                  • et aussi offrir le prix Nobel de la Paix à Trump (comment ça, ils n'ont pas ce pouvoir ?)
                                  • et lui dire merci, sinon JD Vance leur crie dessus.
                                  Et le pire, c'est que ça marche. Les Européens ne parlent que de "garanties de sécurité" à mettre en place lorsque le cessez-le-feu sera mis en place, mais plus de COMMENT imposer ce cessez-le feu puisque Poutine n'en veut pas. Ils attendent juste le bon vouloir de Trump qui peut mettre en place des sanctions efficaces (ce qui n'arrivera pas, Trump roulant pour Poutine). Ou bien ils s'imaginent, comme Trump, qu'en faisant suffisamment de concessions à Poutine celui-ci finira par accepter un "cessez-le-feu" et la promesse de ne plus attaquer de nouveau.


                                  L'aveuglement servile des Européens

                                  Et ce n'est pas que sur l'Ukraine que les Européens ne prennent aucune mesure concrète pour contrer Trump. Ils n'ont pas osé répondre aux droits de douane imposés par Trump. Ils sont "sonnés" par l'assaut de Trump contre les régulations européennes. Ils semblent incapables de comprendre quelque chose qui est pourtant évident: Trump est du côté des dictateurs, de Poutine, et contre l'Union EuropéenneSeul le président portugais a osé dire que Trump est un agent d'influence russe. Il n'y a rien à attendre de lui et, s'il peut être utile de le flatter et de manipuler son égo gigantesque, il ne faut pas espérer obtenir autre chose que des broutilles. Face à Trump, les Européens devraient se mettre en ordre de bataille. Et non préparer l'ordre du jour de la prochaine réunion pour tenter d'amadouer Trump pour la 357e fois.

                                  Il en est de même face à Poutine. Macron a beau dire clairement les choses sur Poutine, ça ne reste que des mots creux, non suivis d'effets. Les Européens s'indignent des frappes russes sur Kyiv, mais ne font rien. Ah si, ils convoquent l'ambassadeur russe car un bâtiment appartenant à l'UE a été visé. Une telle attaque justifierait pourtant des représailles autrement plus conséquentes, y compris une réponse militaire directe contre la Russie, si les dirigeants européens n'étaient pas des mollusques apeurés à l'idée même de "l'escalade".

                                  J'aimerais croire que tout cela n'est qu'une ruse, que nos dirigeants agissent discrètement pour contrer Trump et armer l'Ukraine, mais on ne voit rien dans ce sens. Et surtout, je n'ai jamais été surpris positivement par Macron & co. Les seules fois où ils agissent discrètement, c'est pour faire passer leurs mesures fiscales impopulaires. Concernant Macron, j'ai vu sa gestion du covid19: il a pris certaines bonnes décisions, mais souvent trop tard, sans aucune anticipation, et compensant par un excès de communication son manque de préparation. Je me souviens encore de sa sortie au théâtre, début mars 2020, deux semaines avant le premier confinement, et de son explication comme quoi rien ne nous empêchera de sortir et profiter de la vie... avant que la réalité de l'épidémie et des services d'urgences débordés ne le rattrape. Je me souviens de sa dissolution, l'an dernier, persuadé qu'elle lui apporterait une nouvelle majorité alors qu'elle n'a fait que fractionner encore plus l'assemblée nationale. Bref, je l'ai vu se planter, agir trop peu ou trop tard, mais je ne l'ai jamais vu anticiper, agir discrètement et efficacement pour résoudre un problème. 

                                  Alors certes, Macron n'est pas le seul dirigeant européen. Mais les autres sont, à de rares exceptions près, faits du même bois. Alors que la montée des dangers exige une Europe forte, avec des dirigeants qui ne se contentent pas de parler mais agissent réellement, on a toute une génération d'hommes et femmes qui semblent incapables de faire autre chose que de la communication, une génération de "dirigeants" tous plus lâches et incapables les uns que les autres, et qui hypothèquent l'avenir de l'Europe par pure médiocrité.


                                  Quo vadimus ?

                                  Trois ans et demi de cette guerre de haute intensité, qui a probablement fait plus de 1,5 million de morts et blessés. Trois ans et demi que les Ukrainiens luttent pour leur survie tandis que les Européens blablattent et que les Américains sabotent leur démocratie. Et la couverture médiatique est de plus en plus mauvaise, dans le sens où les journalistes sont incapables d'expliquer ce qui se passe, ils s'imaginent que la guerre va bientôt s'arrêter et retombent le lendemain dans leur routine habituelle. Éternel cirque médiatique qui souffre d'amnésie chronique. Mais surtout, ce qui perturbe la compréhension, c'est que tous les acteurs disent que pour eux, tout va bien.

                                  L'Ukraine dit que tout va bien: ils détruisent les Russes à la chaîne, ils communiquent à tout va sur la mise en place de tel ou tel équipement (comme les missiles flamingo) et ne semblent pas remarquer que leurs alliés ne parlent plus d'aider l'Ukraine à gagner la guerre, juste à la perdre dans des conditions "acceptables". Ils n'ont toujours pas de réponse aux bombes planantes et à la supériorité numérique des Russes, leur réforme des corps d'armée tant nécessaire se fait mais les corps ne commandent pas leurs unités et Sirsky reste commandant-en-chef malgré tous les échecs accumulés depuis février 2024.

                                  La Russie dit que tout va bien: l'opération militaire spéciale se déroule comme prévu, l'économie russe ne s'est jamais mieux portée et la Russie peut encore tenir mille ans comme ça, en tous cas bien plus longtemps que cet occident décadent. L'épuisement des stocks soviétiques, la destruction de toute leur économie hors secteur militaire, leur vassalisation par la Chine ne sont que des broutilles sans intérêt.

                                  Trump dit que tout va bien: il est le plus grand président de l'univers, grâce à lui il y aura la paix en Ukraine dans deux semaines (Si seulement Zelensky voulait bien céder la moitié de l'Ukraine en échange d'une vague promesse), et le comité Nobel ferait mieux de lui donné le prix Nobel de la Paix s'il ne veut pas que Trump envahisse la Norvège.

                                  L'Union Européenne dit que tout va bien: on soutiendra l'Ukraine jusqu'au bout, on a annoncé une nouvelle aide de 500 millions (pour acheter des armes américaines destinées à l'Ukraine), la prochaine réunion sur les garanties de sécurité est prévue pour bientôt et d'ailleurs Trump est de notre côté et ne va pas nous trahir. On oublie l'indépendance stratégique et les efforts de réindustrialisation, on ne se soucie pas de la montée des populismes aidés par les Russes.

                                  On a donc 4 acteurs (Ukraine, Russie, Union Européenne, USA) et chacun se répète: "jusqu'ici, tout va bien. jusqu'ici, tout va bien." Comme le disait déjà si bien le filme La Haine, il y a trente ans: l'important, ce n'est pas la chute, c'est l'atterrissage. Logiquement, ce n'est pas possible que les 4 aient raison en même temps. Il y a au moins un des quatre acteurs qui a tort et qui finira sur le carreau. Lequel ou lesquels ?

                                  On ne le saura pas tout de suite. Même si les journalistes spéculent sur la fin prochaine de la guerre, sur une hypothétique rencontre entre Zelensky et Poutine, comme souvent depuis novembre dernier, ce sont juste des nouvelles qui font l'actualité mais sont oubliées deux semaines plus tard, cala ne change rien au fait que les exigences russes sont inacceptables, et que l'Ukraine tient encore debout.  Je maintiens donc ce que je disais en janvier dernier: cette guerre va encore durer un an ou plus, hélas. Ce n'est qu'en 2026 ou 2027 qu'on saura, probablement trop tard, quel chemin a été pris et ce vers quoi on s'achemine.

                                  Les Russes combattant pour l'Ukraine

                                  En 2022 et 2023, les Ukrainiens ont mis en avant, dans les média, certaines unités composées de Russes (et/ou Biélorusses) combattant pour l...