Hier, le 1 juin 2025, le SBU ukrainien a réussi un coup de maître en frappant simultanément au moins 4 aérodromes où sont stationnés les bombardiers stratégiques russes. Cette opération, nommée "Pavutyna" (Spiderweb / toile d'araignée), est largement couverte par les médias. Aussi je vais me concentrer sur des aspects peu ou pas couverts par ces médias.
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5 avions détruits / endommagés à la base de Belaya |
Date et coordination
Cela n'a pas été assez souligné (sauf par quelques spécialistes comme Michel Goya), mais la coordination et la logistique de cette opération est tout simplement un exploit. Il fallait que 4 camions arrivent au même moment, dans 4 endroits très éloignés, que les télécommunications fonctionnent, que rien ne soit découvert, etc. D'autant plus que les chauffeurs de camions semblent ne pas avoir été au courant de ce qu'ils transportaient. Il y a eu peut-être quelques ratés (au moins un camion a échoué) mais dans l'ensemble le taux de succès revendiqué par les Ukrainiens dépasse l'entendement, compte tenu de toutes les contraintes.
C'est pourquoi je suis sceptique quand certains affirment que la date est symbolique (c'est le jour anniversaire où l'Ukraine avait dû céder à la Russie ses Tu-22M pour des impayés de gaz) ou que c'était fait exprès pour arriver juste avant les négociations du 2 juin à Istanbul. Les Ukrainiens avaient déjà suffisamment de contraintes pour ne pas s'imposer en plus de devoir frapper précisément le 1er juin, alors que l'opération a duré 18 mois.
Ampleur des dégâts
Les Ukrainiens disent avoir touché plus de 40 avions, valant au total 7 milliards d'euros. Si on n'a pas encore la confirmation visuelle pour ces 40 appareils, il y a a minima 9 avions détruits (5 Tu-95, 4 Tu-22M) et 3 à 5 Tu-95 endommagés. Rien que le prix de ces appareils dont on a la confirmation visuelle dépasse le milliard de dollars. C'est tout simplement un désastre pour l'aviation russe.
Car ce n'est pas seulement une question d'argent: ces avions étaient tous des reliques de l'URSS, et la Russie ne dispose pas de quoi construire leurs remplaçants. Or, quand ils ne bombardent pas les villes ukrainiennes, ces avions sont censés porter des bombes H et faire partie de la dissuasion nucléaire russe. Vu l'âge des avions (qui impacte leur disponibilité), et les dégâts occasionnés par les Ukrainiens, c'est toute la composante aérienne de la "triade nucléaire" russe qui perd toute sa crédibilité. Seuls trois pays (USA, Chine, Russie) possédaient cette triade au complet. De facto, on peut maintenant rayer la Russie de cette très courte liste.
En revanche, la question de savoir si cela va impacter les frappes aériennes russes est plus difficile à évaluer. Ces derniers mois, les Russes n'envoient plus de salve de 100 missiles comme ils le faisaient auparavant, mais tout juste quelques missiles de croisière. Il suffit qu'il leur reste une poignée de ces bombardiers opérationnels (ce qui est probablement le cas) pour continuer leur campagne aérienne, qui repose maintenant surtout sur des vagues de centaines de Shaheds. Mais peut-être que cela va inciter les Russes à passer un pacte (explicite ou non) avec les Ukrainiens, sur le mode "on n'envoie plus de missile de croisière et vous n'attaquez plus nos bombardiers stratégiques". Car les Russes ne peuvent plus se permettre de perdre encore plus de ces bombardiers.
Rapprochement avec l'opération pont de Kertch
Cette opération me fait fortement penser à celle qui avait très gravement endommagé le pont de Kertch, le 8 octobre 2022. La aussi, c'était un camion "anodin" (et dont le conducteur n'était peut-être pas au courant), circulant en Russie, qui était impliqué dans cette destruction. Il y avait aussi une coordination remarquable: le camion ayant explosé à proximité d'un train de carburant qui était à l'arrêt, et qui a pris feu.
De plus, la date était symbolique: c'était le lendemain l'anniversaire de Poutine. Là encore, le niveau de coordination requis fait que c'était probablement une simple coïncidence, mais ce genre de détail me fait croire que ce sont les mêmes personnes du SBU qui sont responsables de ces deux attaques. Et les deux opérations ont été des succès inattendus.
Le précédent de 2023
Ce n'est pas la première fois que les Ukrainiens (plus exactement, un groupe de résistants biélorusses) envoient des petits drones contre les avions stratégiques russes. En 2023, déjà, un petit drone s'était posé sur le radar d'un A-50U et l'avait endommagé selon les auteurs de la vidéo (même si l'ampleur des dégâts n'avait pas alors pu être établie).
Ce qui a changé, depuis 2023, c'est l'ampleur de l'attaque, bien mieux préparée et exécutée que celle de 2023. Au lieu d'un ou deux drones, ce sont plus de 100 qui ont été utilisés, coordonnés entre eux pour maximiser les dégâts. Et, malgré le précédent, et d'autres attaques de drones contre les bases aériennes russes, les Russes ne prennent toujours pas de mesures de protection efficaces, comme par exemple construire des hangars pour protéger leurs avions.
A propos du A-50U détruit
Les Ukrainiens disent avoir détruit un A-50, même s'il n'y a pas encore de preuve visuelle de la destruction. Il est cependant probable, vu l'endroit où s'est produite l'attaque, qu'il s'agit d'un A-50U opérationnel. Or, la Russie ne disposait avant guerre que 7 ou 8 de ces appareils, et en a perdu 2 début 2024, en plus de celui potentiellement endommagé en 2023. Et ne peut pas en construire de nouveau. Théoriquement, ils peuvent construire une version plus moderne (le A-100), mais il semble que les sanctions aient mis un coup d'arrêt, en 2022, à la production des A-100. Et vu l'état des anciens A-50 (non améliorés), ça leur reviendrait sans doute moins cher de construire un avion neuf que de moderniser une de ces épaves.
Cette perte, si elle est confirmée, est encore plus grave que celle des Tu-95 et Tu-22M3. La Russie n'a tout simplement plus assez de ces appareils pour disposer d'une capacité AWACS pour protéger son territoire. Or, on a vu, notamment lors du récent affrontement aérien entre l'Inde et le Pakistan, l'importance de ces avions AWACS qui ont permis aux Pakistanais d'abattre au moins un Rafale en les détectant puis en guidant des missiles à longue portée.
Les Russes peuvent-ils faire de même ?
Cette opération va sans doute donner des idées, non seulement aux Russes, mais aussi à n'importe quel groupe terroriste. Il est très facile de créer quelques dizaines de drones, de les dissimuler, et d'attaquer non seulement des cibles militaires, mais (dans le cas où c'est une organisation terroriste qui les emploie), n'importe quelle foule, n'importe quelle structure, et ce partout dans le monde. Il y a bien trop de cibles potentielles pour pouvoir les protéger. A mes yeux, cela démontre (une fois de plus) l'inutilité des "plans vigipirate" et autres "opération sentinelle" qui mettent simplement des flics et des soldats en patrouille dans les grandes villes pour donner une illusion de sécurité. A mon avis (et je crois que Michel Goya défend aussi cette idée), c'est juste un gaspillage de moyens. Si les terroristes et/ou agents russes peuvent lancer une attaque, il est déjà trop tard.
La seule défense efficace, c'est la défense active, c'est-à-dire infiltrer et neutraliser les groupes avant qu'ils ne lancent leur attaque. C'est pourquoi on ne peut qu'être désespéré quand on voit le manque de réaction des hommes politiques à chaque fois qu'on découvre une opération (présumée russe) sur notre sol, que ce soit le survol de terrain militaires, des explosions et incendies suspects, les opérations de propagande, la corruption des partis politique, etc. La stratégie d'ignorer les provocations russes n'est pas tenable à long terme, et plus on attend, plus on risque de subir ce qu'ont subit les Russes hier.
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