mercredi 2 juillet 2025

Guerre en Ukraine: bilan du mois de juin 2025

Comme chaque mois, voici un petit bilan du mois de juin 2025, à mettre en perspective avec les constats que j'avais faits fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre, fin novembre, fin décembre 2023 ainsi que fin janvier, fin février, fin mars, fin avril, fin mai, fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre, fin novembre, fin décembre 2024, et puis fin janvier, fin févrierfin marsfin avril et fin mai 2025.

Une fois de plus, les Russes ont continué leur grignotage des défenses ukrainiennes. Mais les événements les plus importants n'ont pas eu lieu sur le front (comme souvent). Le 1er juin, les Ukrainiens ont réussi une opération audacieuse en frappant, au sol, la flotte de bombardiers stratégiques russes. Le 13 juin, Israël a attaqué directement l'Iran, puis, les 21-22 juin, Donald Trump a ordonné un raid aérien de plusieurs bombardiers B2 sur l'Iran, avant de décréter quelques jours plus tard un "cessez-le-feu". Cette guerre éclaire a provoqué un petit pic sur le prix du pétrole, et a surtout endommagé la posture morale des Occidentaux et le droit international.

Image tirée d'une vidéo d'un drone de l'opération "Toile d'araignée", 01/06/2025



Pertes russes et attaques aériennes

Je rappelle les pertes russes telles qu'annoncées par les officiels Ukrainiens dans les 4 catégories à surveiller: artillerie, MLRS, DCA et équipements spéciaux. Pour chacune, je vais donner les moyennes pour la première année (mars 2022 à février 2023), la deuxième année (mars 2023 à février 2024) et la troisième année (mars 2024 à février 2025) puis les chiffres de mars, avril, mai et juin 2025

  • Artillerie 
    • moyenne 1ere année: 190/mois
    • moyenne 2e année: 650/mois
    • moyenne 3e année: 1150/mois
    • 1690 (mars), 1554 (avril), 1384 (mai), 1243 (juin)
  • MLRS
    • moyenne 1ere année: 40/mois
    • moyenne 2e année: 43/mois
    • moyenne 3e année: 25/mois
    • 44 (mars), 27 (avril), 26 (mai), 27 (juin)
  • DCA
    • moyenne 1ere année: 21/mois
    • moyenne 2e année: 37/mois
    • moyenne 3e année: 30/mois
    • 37 (mars), 23 (avril), 27 (mai), 17 (juin)
  • Équipements spéciaux
    • moyenne 1ere année: 19/mois
    • moyenne 2e année: 114/mois
    • moyenne 3e année: 181/mois
    • 24 (mars), 82 (avril), 33 (mai), 19 (juin)

On constate une fois de plus une baisse des pertes russes (en particulier l'équipement spécial, et anti-aérien), même si les chiffres sont toujours impressionnants en ce qui concerne l'artillerie. Plus généralement sur l'ensemble des équipements terrestres (5084) et des pertes humaines (32 680), il y a une baisse des chiffres mensuels pour le 3e mois consécutif. Les pertes d'équipements visuellement confirmées sont elles aussi en baisse selon Oryx: 257 pertes russes et 228 pertes ukrainiennes. La baisse des pertes russes (qui tourne habituellement autour de 400-500/mois) est particulièrement notable, et le ratio pertes russe/pertes ukrainiennes, tout juste supérieur à 1, est très mauvais pour l'Ukraine. A voir si cette tendance se confirme et ce qu'elle signifie.

Comme annoncé en introduction, les Ukrainiens ont réussi à détruire une dizaine de bombardiers stratégiques russes (et endommager au moins une dizaine d'autres d'appareils) lors de l'opération "toile d'araignée" le 1er juin. Je recommande la vidéo de Perun qui, si elle est longue (comme d'habitude), constitue à mes yeux la meilleure analyse de cette opération, des dégâts causés et de leur conséquences. Si ces destructions ne vont pas changer les choses sur le front, ni même sur les attaques aériennes russes (très majoritairement le fait de drones Shahed plus que de missiles), en revanche elles ont montré que les Ukrainiens ont de la ressource et peuvent surprendre les Russes et leur faire payer chèrement cette guerre qui se poursuit. 

Le nombre de drones (Shaheds &co) employés par les Russes a encore augmenté ce mois-ci, avec, certaines nuits, plus de 400 drones employés.  Ces attaques aériennes ont culminé dans la nuit du 28 au 29 juin, avec 477 drones et 60 missiles employés. Si les chiffres ukrainiens sont exacts, cela signifie que les Russes ont considérablement augmenté leur production (sans doute plus de 3000 shaheds/mois) au point que ces drones constituent une menace non seulement pour l'Ukraine mais aussi pour toute l'Europe. 

En effet, si un cessez-le-feu se met en place et que les Russes continuent à produire ces drones à cette vitesse (ou, pire, s'ils accélèrent encore leur cadence de production), ils auront rapidement des dizaines de milliers de ces drones en stock et pourront menacer d'en envoyer 1000 ou 2000 par jour sur un pays si on ne se plie pas à leurs exigences. Largement de quoi saturer n'importe quelle défense anti-aérienne et provoquer des dégâts considérables aux villes, infrastructures, etc, de n'importe quel pays européen. C'est une menace plus pernicieuse et plus crédible que celle des armes nucléaires, car si les dégâts sont moindres, l'impact psychologique l'est tout autant. Malheureusement, beaucoup de nos concitoyens (et dirigeants politiques) préfèrent ignorer cette réalité: la Russie doit être défaite coûte que coûte.


Réorganisations ukrainiennes

L'armée ukrainienne poursuit sa réorganisation en introduisant les corps d'armée, mais que c'est long. Ce mois-ci, on a appris la composition de deux corps d'armée: 
  • le 16e corps (dit "de Kharkiv") centré autour de la 92e brigade d'assaut, se compose également de la 3e brigade blindée, des 41e, 57e, 58e brigades mécanisées/motorisées (ces types sont similaires), ainsi que de la 113e brigade de défense territoriale
  • le 20e corps centrée autour de la 17e brigade "lourdement mécanisée", se compose également des 23e, 31e, 33e et 141e brigades mécanisées
A noter que ces deux corps, contrairement aux autres corps précédemment annoncés et dont les unités étaient dispersées sur tout le front, ont leurs unités dans des zones relativement proches: entre Kharkiv et Koupiansk pour le 16e corps, entre Zelene Pole et Ivanivska (deux petites viles / villages situés à  au sud-ouest de Pokrovsk) pour le 20e corps.

Le mois de juin a vu aussi la démission du général Drapatyi, le chef des forces terrestres de l'Ukraine, que beaucoup considèrent comme bien meilleur que son supérieur, le général-en-chef Sirsky. J'ai parlé des erreurs de commandement reprochées à Sirsky. Drapatyi a présenté sa démission suite à une n-ième tragédie: un camp d'entrainement, bien trop proche du front, a été bombardé par les Russes, le commandant du centre n'ayant pris aucune mesure pour contrer la menace drone + iskander. Dans sa lettre de démission, Drapatyi dit que ses ordres n'ont pas été suivis et fustige la culture de népotisme et d'impunité dans l'armée ukrainienne. Cette démission, c'était une manière de poser un ultimatum: "C'est eux [les officiers incompétents] ou moi". Zelensky, face à ce choix, décide de ... couper la poire en 2. La démission de Drapatyi est acceptée (il est remplacé par le général Shapovalov) mais est nommé "chef des forces combinées" dont l'autorité est pour le moins nébuleuse. Drapatyi s'est exprimé sur ce qu'il faut changer au sein de l'armée ukrainienne et regrette qu'il y a eu si peu de progrès. 

Reste à voir si les changements nécessaires vont enfin avoir lieu. Car si rien ne change, la situation va empirer pour l'Ukraine.



Les guerres selon Netanyahou (et Trump)

Comme souvent depuis novembre 2024, les événements les plus décisifs n'ont pas eu lieu en Ukraine. Ce mois-ci, c'est l'attaque israélienne contre l'Iran qui a une influence indirecte mais très importante sur la guerre en Ukraine. 

D'abord, parce que 20 000 missiles destinés à l'Ukraine ont été  détournées par Trump pour être utilisées au moyen orient. De manière générale, l'Occident fournit énormément d'armes pour permettre à Netanyahou de poursuivre ses guerres. Autant d'armes et de munitions qui pourraient être bien plus utiles en Ukraine. Bien qu'anecdotique (pour le moment), il y a aussi l'histoire de militants pro-palestiniens détruisant du matériel militaire destiné à l'Ukraine (car ils pensaient que c'était pour Israël).

Ensuite, parce que cette nouvelle actualité contribue à invisibiliser, dans les média occidentaux, la guerre en Ukraine, dont la couverture médiatique a beaucoup diminuée depuis la fin 2023.

Enfin, parce que ces attaques enfoncent un nouveau clou dans le cercueil du droit international, qui était déjà bien mis à mal depuis 2022 (et même avant). L'Ukraine et la Russie sont de facto en guerre, mais la Russie continue à faire comme s'il n'y a pas de guerre, du moins officiellement. Et ce n'est qu'un premier exemple de conflit armée entre deux états (ce qui s'appelle une guerre) mais qu'un des deux belligérants (voir les deux) assurent qu'il n'y a pas de guerre.

Un peu comme la guerre entre l'Inde et le Pakistan, en 2025, deux pays peuvent mener des frappes aériennes et s'envoyer des dizaines ou des centaines de missiles pendant une quinzaine de jours, sans déclaration de guerre formelle, et desescalader ensuite le conflit. Avec, cette fois-ci, les USA qui s'invitent et lancent un unique raid aérien avec leurs meilleurs bombardiers et des bombes spécialement conçues pour frapper des installation très enterrées.

Et quelle est la réaction du reste du monde ? Il y a quelques condamnations, mais surtout des appels au cessez-le-feu. Et surtout, pas de sanction ni d'actions entreprises contre l'agresseur. C'est particulièrement le cas dans la séquence qui vient de se produire entre l'Iran et Israël/USA. 

Cela fait des années que l'Iran est en conflit larvé avec Israël et les USA. L'Iran finance et arme des mouvements hostiles à Israël (Hezbollah, Houtis, Hamas), et les services secrets israéliens et américains cherchent également à ralentir le programme nucléaire iranien, assassiner certains membres du régime iranien etc. Sans parler des menaces orales des uns et des autres. Mais ça restait en dessous du seuil de la guerre ouverte.

En avril 2024, Israël avait déjà attaqué directement l'Iran, en bombardant une annexe de son ambassade en Syrie. L'Iran avait riposté par une attaque de missile et de drones, massive mais télégraphiée. Fin septembre 2024, rebelotte: Israel tue un général Iranien a Beyrouth (en visant un des chef du Hamas), l'Iran riposte en tirant 200 missiles. Si ces échanges de frappes avaient fait sauté quelques tabous (en particulier, l'Iran se permettait d'attaquer directement Israël), leur ampleur était calculée pour éviter toute escalade.  

Mais ce qui s'est passé ce mois-ci dépasse largement le seuil de la guerre ouverte. Israël a bombardé des cibles militaires, des installations nucléaires mais aussi des quartiers résidentiels et des hôpitaux. La riposte iranienne n'a pas non plus été très sélective, frappant tout ce qu'ils pouvaient. Bref, c'est la guerre, indiscutablement. Une guerre dans laquelle Israël et les USA sont les agresseurs.

Certains argumentent qu’Israël ne peut pas se permettre que l'Iran dispose de la bombe atomique, et que l'attaque de militaires et scientifiques iraniens (même à leur domicile) est donc justifiée. D'abord, notons qu'Israël agite cette menace nucléaire iranienne depuis 1995. Et qu'eux-même ont la bombe (pas officiellement, mais c'est un secret de polichinelle). Mais surtout, est-ce que ça justifie vraiment qu’Israël assassine toute la famille d'un scientifique, réunie à un enterrement ? L'attaque de la prison d'Evin, tuant de nombreux prisonniers et leurs avocats ? Et pour quel résultat, au final ? Même avec l'aide des B2 américains, il est probable que le programme nucléaire iranien n'est pas détruit, tout juste un peu retardé, et que cette agression va justement les pousser à finaliser au plus vite le développement de la bombe. Loin de stopper la prolifération nucléaire, cette attaque israélo-américaine va l'accélérer.

Et si ce genre de conséquences néfastes à long terme ce n'est pas étonnant, vu l'idiot narcissique orange qui dirige les USA, que dire des dirigeants européens qui ont au mieux protesté mollement, au pire carrément approuvé l'opération ? Comment peut-on condamner l'agression russe et approuver l'agression israélienne /américaine ? C'est un "double standard" à l'état pur. 

D'autant plus que, malgré tous les crimes commis par Israël contre la population de Gaza, dont une famine organisée, l'assassinat de journalistes, le bombardement d’hôpitaux, etc (il faudrait des pages entières pour les recenser tous), les Européens ne comptent pas arrêter Netanyahou (sous mandat d'arrêt de la CPI), ni prendre la moindre sanction contre Israël. Même quand des soldats israéliens avouent avoir reçu l'ordre de tirer dans la foule affamée, il n'y a aucune réaction de notre gouvernement. Un tel silence est coupable, une telle inaction équivaut à de la complicité.

Comment, alors, croire qu'on va punir les Russes pour leurs crimes ? Même si Zelensky et le Conseil de l'Europe ont signé un accord pour établir un tribunal de guerre, celui-ci restera lettre morte. Et comment demander à des pays tiers d'appliquer les sanctions contre la Russie ? Ces pays peuvent logiquement dire que, puisque l'Occident ne fait rien contre Israël, ils n'ont aucune obligation (pas même morale) à sanctionner la Russie. Ils pourraient aussi dire: "pourquoi dois-je faire quelque chose pour sauver les enfants ukrainiens, alors que vous n'avez rien fait pour sauver les enfants palestiniens ?"

Netanyahou et Trump détruisent directement toutes les valeurs de la civilisation occidentale. Ou, pour les plus cyniques, ils révèlent simplement sa profonde hypocrisie. En ce sens, ils ont le même objectif que Poutine, affaiblissant considérablement l'influence de l'Europe et des USA dans le monde entier. Et ce ce point de vue, le mois de juin a été un grand succès pour ce trio de fachos crapuleux et sanguinaires.

Guerre en Ukraine: bilan du mois de juin 2025

Comme chaque mois, voici un petit bilan du mois de juin 2025, à mettre en perspective avec les constats que j'avais faits   fin juin ,  ...