lundi 26 mai 2025

L'Ukraine fait-elle exprès de perdre la guerre ?

Depuis plus de 18 mois, l'armée ukrainienne est présentée, non seulement dans les média russes mais aussi dans la plupart des médias occidentaux, comme épuisée, inférieure en nombre et en équipement à l'armée russe, et au bord de la rupture. Les réformes nécessaires (élargissement de la conscription, meilleures méthodes d'entrainement, meilleur commandement) tardent à se mettre en place, et l'offensive russe, qui dure maintenant depuis octobre 2023, se poursuit toujours de plus belle, au point que les Ukrainiens disent maintenant redouter une nouvelle offensive d'été russe.

Aujourd'hui je voudrais explorer une hypothèse un peu folle, mais qui mérite qu'on se pose au moins la question: et si c'était délibéré ? Et si les Ukrainiens faisaient exprès de perdre la guerre, ou plutôt, faisaient exprès de donner l'impression de perdre la guerre ?

Disons-le d'emblée, cette hypothèse ne résiste pas au rasoir de Hanlon« Ne jamais attribuer à la malveillance ce que la bêtise suffit à expliquer.  Il est bien plus probable que les difficultés des Ukrainiens s'expliquent par des erreurs de commandement auxquelles j'ai consacré quatre billets [1][2][3][4], qu'à un plan délibéré. Difficultés qui sont ensuite exagérées par les journalistes pour faire vendre du papier, et qui donnent l'impression que l'Ukraine perd la guerre. Mais, aussi improbable soit-elle, cette hypothèse expliquerait bien des choses comme je vais l'expliquer.



Une gigantesque feinte ?

La principale raison qui me fait envisager cette hypothèse est le rythme de progression russe.  Cela fait maintenant 18 mois que les Russes "grignotent" constamment les défenses ukrainiennes, avec parfois quelques accélérations mais globalement ça reste un rythme de progression tout juste suffisant pour qu'ils aient l'illusion de "gagner la guerre" mais trop lent pour percer ou simplement pour progresser significativement, même si on teint compte que l'armée russe est maintenant principalement une armée d'infanterie bien moins mécanisée qu'elle ne l'était en 2022. Et surtout, si les Ukrainiens étaient réellement au bord de l'effondrement, il devrait y avoir une accélération. Il y en a bien eu une petite accélération de juillet à novembre 2024, mais celle-ci peut s'expliquer par des Russes qui "mettent le paquet" juste avant les élections américaines plus que par un fléchissement des défenses ukrainiennes. L'hypothèse d'une feinte ukrainienne n'est pas la seule qui peut expliquer ce phénomène (par exemple, ce pourrait être les Russes qui freinent délibérément leurs avancées), mais elle reste l'hypothèse la plus simple.

Il y a aussi quelques épisodes qui font froncer les sourcils, comme quand Budanov, le chef du renseignement ukrainien et très souvent optimiste sur l'issue de la guerre, aurait dit en comité réduit qu'en l'absence de négociations sérieuses avant l'été 2025, l'existence même de l'Ukraine serait en jeu. Même si d'autres ont dit que la citation était inexacte, et que l'administration ukrainienne a officiellement démenti, l'ensemble de la séquence fait penser à une fuite organisée par Budanov lui-même, une manière de leurrer les Russes, de donner du crédit à l'idée que l'armée ukrainienne serait au bord de l'effondrement. 

De même, les Ukrainiens ne démentent que mollement les nombreux articles les présentant comme "au bord de l'effondrement" dans la presse occidentale. Ils ont laissé s'installé ce narratif (bien nourri par les trolls russes qui le répètent en boucle depuis des années) et concèdent souvent avoir de grandes difficultés sur le terrain.

Enfin, il y a la fâcheuse habitude du haut commandement ukrainien de colmater les brèches du front en envoyant des bouts de brigades. C'est le genre de truc que n'importe quel commandant un peu compétent ne ferait qu'en ultime recours, tant cela va à l'encontre de toute bonne gestion des ressources militaires disponibles. Or, les Ukrainiens le font régulièrement depuis octobre 2023 (et même avant). Tout cela donne l'impression que les Ukrainiens sont constamment au bord de l'effondrement, et pourtant ils tiennent toujours et, d'après leur statistiques (dont j'ai discuté la fiabilité) sont même en train d'infliger de plus en plus de pertes aux Russes.



Pourquoi l'Ukraine voudrait-elle "perdre la guerre" ?

Si un des principes de l'Art de la Guerre est bien de feindre la faiblesse quand on est fort, quel serait l'intérêt pour l'Ukraine d’apparaître constamment au bord de l’effondrement ? Réponse simple: pousser les Russes à les attaquer, encore et encore, en se disant que l'Ukraine finira bien par craquer. 

J'en ai déjà parlé il y a près d'un an: en octobre 2023, la meilleure stratégie pour les Russes aurait été de réduire l'intensité des combats, laisser les Ukrainiens s'épuiser dans une contre-offensive qui ne menait à rien et reconstituer leur armée pour attaquer en force plus tard. Le lent grignotage des défenses ukrainiennes est la stratégie la plus coûteuse, pour les Russes, et la plus incertaine.

De plus, avec Donald Trump qui est prêt à "stopper les combats" sans offrir une quelconque garantie de sécurité à l'Ukraine, et donc à revenir à la situation expliquée au précédent paragraphe, le fait que les Russes croient l'Ukraine au bord de l'effondrement incite Poutine à refuser un plan qui lui est pourtant très favorable. Est-ce que ce sera suffisant pour que Trump se décide enfin à agir contre Poutine ? Je ne le pense pas, et d'ailleurs, si cette "gigantesque feinte" a été mise en place, ce fut bien avant l'élection de Trump. Les Ukrainiens ont d'autres plans.

Il ne faut pas oublier que l'objectif stratégique pour l'Ukraine, c'est de chasser entièrement les Russes de son territoire. Pas simplement de résister, de tenir les lignes actuelles, mais bien de vaincre les Russes. Et cela ne pourra se faire que si la Russie s'écroule économiquement et/ou militairement. Militairement, cela voudrait dire mettre l'armée russe "KO debout", c'est à dire dans une situation où, n'ayant pas perdu de terrain, les Russes ont perdu tant d'hommes et de matériels qui ne pourront pas résister à une contre-offensive ukrainienne.



Les Ukrainiens peuvent-ils contre-attaquer ?

Encore faudrait-ils que les Ukrainiens en aient les moyens. Or, d'après les informations disponibles en sources ouvertes, ce n'est pas le cas, d'autant plus avec l'arrêt des livraisons américaines suite à la prise de fonction de Trump. Les pertes matérielles des Ukrainiens sont grandes; pire, d'après les chiffres Oryx, le rapport des pertes visuellement confirmées oscille actuellement autour de 1,5:1 en faveur des Ukrainiens. Ce rapport de perte est malgré tout trop peu favorable à l'Ukraine compte tenu de la différence de taille entre les deux pays. Il faudrait au moins du 3:1 pour que l'attrition favorise l'Ukraine. Or, ces trois dernier mois, on constate que les pertes ukrainiennes sont supérieures à la moyenne tandis que celles des russes sont dans cette moyenne. Autrement dit, en analysant les données OSINT, on ne peut qu'aboutir  à la conclusion que l'Ukraine perd la guerre d'attrition.

Mais, quand j'ai analysé la fiabilité des chiffres ukrainiens, je suis arrivé à la conclusion que les Ukrainiens ne montrent pas tout ce qu'ils détruisent, loin de là. Dans l'hypothèse de ce "scénario de la grande feinte", il est logique que les Ukrainiens le fassent délibérément, justement pour entretenir l'illusion qu'ils sont en train de perdre la guerre d'attrition. De même, ils pourraient également mentir sur certaines statistiques, comme le nombre de bombardements russes, le nombre de drones/missiles attaquant l'Ukraine chaque nuit, là encore pour donner l'impression que tout va bien pour la Russie, jusqu'à ce que les Russes soient effectivement épuisés.

Cela dit, même à supposer que les Russes sont bien plus mal que ce que les données OSINT le laissent penser, et donc qu'ils perdent la guerre d'attrition, vu l'avantage défensif de la guerre actuel, il faudrait énormément de ressources aux Ukrainiens pour reconquérir durablement un quelconque territoire, même face à une armée russe affaiblie. Ressources que les Ukrainiens n'ont probablement pas. Donc, même avec des hypothèses les plus optimistes pour l'Ukraine, cela semble être une impasse. Sauf à imaginer que les Ukrainiens ont une arme secrète pour désactiver tous les drones, mais là on est plus dans le domaine de la science fiction que dans l'analyse militaire.

Il y a peut-être l'espoir que la Russie s'effondre économiquement, ou que les Russes, face à des pertes démentielles pour des gains mineurs, finissent par se révolter, mais je pense le premier difficile à prévoir et le second très improbable. Ou alors, les Ukrainiens comptent sur une erreur de Poutine, mais laquelle ? Je ne sais pas.

En fin de compte, la réponse est peut-être que, même sans espoir de pouvoir contre-attaquer, les Ukrainiens veulent arriver au point d'épuisement de la Russie, et qu'ils suivent donc la stratégie qui leur donne le plus de chance d'obtenir ce résultat rapidement, avec en plus le mince espoir que la Russie finisse par craquer complètement.



Et Koursk ?

L'attaque surprise dans la région de Koursk, en août 2024, donne des arguments à la fois pour et contre cette hypothèse de la "grande feinte". D'un côté, cela a prouvé que les Ukrainiens avaient des ressources bien plus importantes que ce qui était alors envisagé dans les média occidentaux, et ont su garder le secret jusqu'à leur attaque.  D'un autre côté, cette attaque va complètement à l'encontre de la stratégie même de faire croire à la Russie que l'Ukraine est au bout du rouleau.

On peut envisager au moins deux raisons, qui peuvent être complémentaires:

  1. vu l'importance des élections américaines dans le résultat de cette guerre, les Ukrainiens ont pu considérer qu'il était vital de démontrer que leur cause n'était pas perdue, allant à l'encontre de la rhétorique de Traitor Trump. Si tel était le cas, ce fut en vain; de toute manière, les électeurs américains accordent généralement assez peu d'importance à ce qui se passe à l'étranger
  2. l'opération était au départ censée être un simple raid pour capturer des prisonniers russes mais, ayant réussi bien au delà du plan initial, les Ukrainiens ont choisi d'occuper le terrain même si cela allait contre leur stratégie générale, par pure opportunité. Cela expliquerait aussi pourquoi les buts de cette opération étaient nébuleux
Ce dernier point expliquerait (mais n'excuserait pas) pourquoi les Ukrainiens n'avaient pas prévu une logistique suffisante et se sont ensuite relativement mal défendu. 



Conclusion

Je le redis: ce scénario d'une "grande feinte" est improbable. Je lui accorde moins de 5% de chance d'être vrai. Il est bien plus probable que les difficultés ukrainiennes soient bien réelles, et non feintes. Mais, si j'ai voulu consacré un peu de temps à l'explorer, c'est pour rappeler que, pour atteindre leurs objectifs stratégiques, les Ukrainiens ont tout intérêt à ne pas dire toute la vérité, non pas en exagérant leurs succès (comme les trolls russes veulent le faire croire) mais au contraire en les minimisant. D'autres mensonges peuvent aussi exagérer la menace russe, comme par exemple annoncer plus de drones russes lancés (et abattus). Après tout, les destructions constatées peuvent tout aussi bien être le résultat d'une attaque de 50 drones (dont 40 interceptés)  que celui d'une attaque de 250 drones (dont 240 interceptés). 

Du fait de l'incapacité (ou plutôt, du manque de volonté) des Occidentaux à livrer les armes nécessaires à l'Ukraine, et ne le faisant que trop peu et trop tard, l'Ukraine a toutes les raisons de faire croire qu'elle est au bord de l'effondrement.  Reste le risque que, si la situation se dégrade réellement, les Occidentaux ne réagiront pas d'avantage que d'habitude, étant trop habitués aux nouvelles d'un possible effondrement immédiat.

mercredi 14 mai 2025

La fiabilité des chiffres ukrainiens

Chaque jour depuis mars 2022, l'état-major ukrainien communique les chiffres de pertes russes (journalières et cumulées depuis le 24/02/2022). Et ces chiffres sont proprement hallucinants: près d'un million d'hommes, plus de 10 000 tanks, plus de 22 000 blindés, plus de 27 000 pièces d'artillerie.  Pour certaines catégories, ces chiffres dépassent ce que les Russes possédaient avant guerre (armée active + stocks en réserve). Dès lors se posent l'éternelle question: ces chiffres sont-ils fiables ? Je vais tenter de répondre à cette question, d'abord concernant les pertes matérielles, puis les pertes humaines.

Pertes russes visuellement confirmées au 01/05/2025 (Oryx)



Pertes confirmées / pertes annoncées / pertes réelles

Il faut comprendre que la notion de "perte" est très large; pour le matériel, cela peut aller d'un équipement simplement endommagé à complètement détruit. Pour les soldats, cela varie: blessure légère, blessure grave, mort, prisonnier ou simplement disparus. Un même soldat peut être blessé plusieurs fois, et un même équipement endommagé plusieurs fois, ce qui complique le comptage. Or, dans les chiffres ukrainiens, il n'y a aucune distinction entre ces différentes pertes. Dans le doute, la plupart des experts estiment que ces chiffres couvrent toutes les pertes (humaines comme matérielles), donc y compris les blessés simples et les véhicules endommagés. 

Bien que j'ai quelques réserves sur cette interprétation (notamment pour les pertes humaines), pour les pertes matérielles je vais moi aussi considérer que ces chiffres sont des pertes totales, et qu'il n'y a pas de duplicata (je suppose qu'un véhicule endommagé deux fois n'est compté que comme +1 dans les chiffres ukrainiens), ce qui permet de les comparer aux pertes visuellement confirmée qui sont répertoriées par des sites comme Oryx. Le "pas de duplicata" est une hypothèse qui est sans doute un peu trop optimiste. Disons que c'est une simplification car les duplicata ne concernent probablement qu'une petite proportion des chiffres annoncés (et sont de toute manière inclus dans la catégorie plus large d'erreurs/ d'exagération sur les chiffres des pertes) et ne changera donc pas fondamentalement les analyses que je vais faire.

De plus, il est raisonnable de penser que le chiffre des pertes réelles est compris entre celui des pertes visuellement confirmées (limite basse) et celui des pertes annoncées par les Ukrainiens (limite haute). Toute la question est de savoir où, entre ces deux limites, se situe le chiffre des pertes réelles, et donc de savoir quelle est la différence entre les chiffres annoncés et les chiffres réels. La "règle d'or" est: plus l'écart entre les chiffres donnés par Oryx et ceux annoncés par le état-major ukrainien est faible, plus ces derniers peuvent être considérés comme fiables.



Un écart qui se creuse

Or, cet écart, qui était relativement faible au début du conflit (durant la première année, environ 50% des pertes annoncées par les Ukrainiens étaient confirmées visuellement), est maintenant très important: seules un peu moins de 20%  des pertes annoncées sont confirmées. Et encore, ce chiffre est à 20%  en raison de la fiabilité initiale. Si on ne regarde que sur les deux derniers mois (mars et avril 2025), les pertes russes en matériel sont

  • en mars:  386 (confirmés) / 6252 (annoncés)  = 6,2%
  • en avril:  606 (confirmés) / 6464 (annoncés)  = 9,4%

L'écart est donc maintenant très important, comparé à ce qu'il était durant la première année, et cela peut s'expliquer de deux manières:

  • soit c'est parce que les Ukrainiens gonflent leurs chiffres dans un but de propagande, par exemple pour compenser leurs difficultés dans le Donbas. Ce serait donc les Ukrainiens qui seraient moins fiables
  • soit c'est parce que proportionnellement moins de vidéo sortent, le caractère répétitif des combats fait que l'intérêt est moindre qu'au début de la guerre. Ce serait donc Oryx qui serait moins fiable

NB: dans cette analyse, je compare toujours aux chiffres d'Oryx. Or, il existe d'autres sites OSINT qui listent les pertes russes visuellement confirmées, comme Warspotting ou les listes établies par Andrew Perpetua et son équipe. Si je choisis Oryx, ce n'est pas parce qu'ils sont meilleurs que les autres, mais parce que c'est un point de comparaison que j'utilise depuis le départ de ce blog et que l'essentiel est d'avoir toujours le même point de comparaison pour pouvoir faire des analyses sur une certaine durée.

Répondre à la question de savoir qui a perdu en fiabilité est essentiel pour comprendre la dynamique des combats, car les deux chiffrent dessinent un visage complètement différent de la guerre:

  • D'après Oryx, les pertes russes sont relativement stables (environ 500 pertes/mois depuis août 2023), et ces derniers temps, on est sur un rapport de pertes de 1,5:1 en faveur des Ukrainiens, ce qui, compte tenu de l'écart de puissance entre les deux pays, favorise la Russie. Selon les chiffres Oryx, la Russie est en train de gagner la guerre d'attrition
  • D'après les chiffres ukrainiens, les pertes russes ont considérablement augmenté depuis août 2023 et sont à un niveau absolument intenable même pour la Russie. Selon les chiffres ukrainiens, l'Ukraine est en train de gagner la guerre d'attrition



Qu'est-ce qui explique cet écart ?

Tout d'abord, il faut noter que l'écart dépend des catégories. En prenant le total, catégorie par catégorie, depuis février 2022, on a les chiffres suivants. Pour la catégorie bateaux/sous-marins, le taux de confirmation (28/29) est proche de 100%. Pour d'autres catégories, comme les tanks, les blindés, les MLRS, les systèmes anti-aériens, les avions et hélicoptères, le taux de confirmation (entre 25 et 40%) est plus faible mais reste significatif. Enfin, pour les drones, les véhicules divers et l'artillerie, on a des taux de confirmations inférieur à 10%. 

NB: comme précisé plus haut, ces taux de confirmation sont maintenant plus faibles qu'au début de la guerre, à deux exceptions près: les avions et hélicoptères. Durant les trois premiers mois, les Ukrainiens annonçaient beaucoup de pertes russes dans ces deux catégories sans qu'on ait de confirmation visuelle. Depuis, les pertes russes annoncées sont bien moins nombreuses, mais plus souvent confirmées. Vu que, durant les trois premiers mois, les Russes envoyaient leurs avions au dessus du territoire contrôlé par les Ukrainiens, et que depuis ils n'osent plus le faire, cela laisse penser qu'ils ont effectivement subi beaucoup de pertes durant cette période.

Notons donc que ces taux de confirmation entre les différentes catégories suivent une certaine logique: plus un équipement est facilement photographiable, plus il y a d'accord entre les chiffres Oryx et les chiffres des officiels ukrainiens. Cela laisse penser que les chiffres ukrainiens sont "fiables", mais que c'est surtout les preuves visuelles qui manquent pour certaines catégories, comme l'artillerie. En effet:

  • les pièces d'artillerie peuvent être repérées par des radars de contre-batteries et détruites sans laisser aucune preuve visuelle
  • idem si elles sont repérées par l'action, derrière les lignes ennemis, de partisans ou d'unités des forces spéciales; ceux-ci ne vont certainement pas publier des vidéo qui pourraient compromettre leur mission principale
  • les pièces détruites sont loin de la ligne de front. Plus difficile de les photographier. Surtout qu'elles vont plutôt être positionnées à des endroits où il est plus facile de se camoufler, pas nécessairement les coins les plus fréquentés.
  • les pièces endommagées peuvent facilement être évacuées, contrairement aux tanks endommagés sur le champ de bataille et qui sont souvent abandonnés sur place (et peuvent donc être plus facilement photographiés).
  • il est également possible que les ukrainiens compte dans la catégorie "artillerie" certaines pièces qu'Oryx ne répertorie pas, comme de petits mortiers, ce qui peut là encore expliquer les différences entre les deux chiffres

Ces raisons peuvent ainsi logiquement expliquer pourquoi le taux de confirmation est plus faible pour l'artillerie. Et donc, vu que les pertes d'artilleries ont bondit à partir de mars 2023 (car l'armée Ukrainienne vise spécifiquement l'artillerie russe) et sont maintenant très supérieures à d'autres catégories comme les tanks et les blindés, cela peut expliquer en partie pourquoi le taux de confirmation a baissé avec le temps.

De plus, les Russes ont de plus en plus recourt à des véhicules civiles, non seulement pour leur logistique, mais aussi pour mener des assauts (motos, "voitures de golf", camions divers etc). En avril, plus de 90% des véhicules perdus par les Russes étaient "non blindés" (très majoritairement des véhicules civiles). Or, Oryx ne répertorie que les véhicules militaires, tandis que les chiffres annoncés par les Ukrainiens comprennent tous les types de véhicules, ce qui, là encore, fait considérablement augmenter l'écart entre les deux chiffres et donc la baisse apparente du taux de confirmation.



Des corrélations

Il existe d'autres manières d'estimer indirectement la fiabilité des chiffres ukrainiens. La première, mathématique, est de chercher une corrélation, de préférence pour des catégories où il y a moins de doute sur l'identification des véhicules, comme les tanks. C'est pourquoi l'analyste islandais Ragnar Gudmundsson a comparé les chiffres annoncés et confirmés pour les tanks pour voir s'il y a une corrélation sur la durée. Et les données montrent qu'effectivement, les deux courbes sont faiblement corrélées. NB la corrélation était plus forte au début de la guerre, mais a diminué avec le temps. NB: corrélation ne signifie pas que les chiffres Ukrainiens sont exacts. S'ils multiplient par 10 le chiffre des pertes réelles, il y aurait bien une corrélation mais un taux de confirmation très faible. La corrélation trouvée suggère juste que les chiffres ukrainiens ne sont pas purement inventés (comme l'affirment les trolls russes) mais reflètent (imparfaitement) la réalité.

Un autre indice est d'utiliser les photos satellites des stocks russes pour estimer combien de véhicules sont sortis des stocks pour remplacer les pertes. C'est ce que fait le vidéaste CovertCabal. A cela il faut ajouter le nombre d'équipement en service actif au début de la guerre, et le nombre d'équipements neufs produits en 3 ans (tirés de cette vidéo de Perun), pour estimer le nombre maximal de pertes, et le comparer aux chiffres ukrainiens

  • tanks: 2800 (sortis des stocks) +  600 (produits) +  2500 (avant-guerre) = 5900  vs  10800 (pertes revendiquées)
  • blindés: 3400 (sortis des stocks) + 1800 (produits) +  6500 (avant-guerre) = 11700 vs  22400 (pertes revendiquées)
  • MLRS: 1100 (sortis des stocks) + ??? (produits) + 1200 (avant-guerre) = 2300 vs  1380 (pertes revendiquées)
  • artillerie (tractée + automotrice):   10 000 (sortis des stocks) + ??? (produits) + 3500 (avant-guerre) =  13500 vs 27700 (pertes revendiquées)
On remarque donc que, sauf si la production russe est bien plus élevée que ce qui est généralement estimé, les chiffres ukrainiens dépassent largement le nombre de "cibles" possibles, sauf pour les MLRS. En revanche, on a (pour les trois autres catégories) des pertes "possibles"  à peu près égales à la moitié des pertes annoncées. Cette corrélation renforce l'idée que les chiffres annoncés par les ukrainiens, s'ils ont surestimées, sont néanmoins corrélés aux pertes réelles.

NB: les chiffres "sortis des stocks" étaient ceux d'il y a près d'un an (mi-2024) tandis que je les compare aux pertes cumulées jusqu'à aujourd'hui. D'un autre côté, il faudrait aussi retirer le nombre de matériel encore en service actif dans l'armée russe (pour avoir le nombre réel de pertes).

Ces deux corrélations, bien que relativement faibles, permettent d'écarter l'idée répandue par les propagandistes russes insinuant que les chiffres ukrainiens sont tout simplement inventés. 



La vidéo de Magyar

Il y a quelques semaines, le commandant de la 414e brigade de drones, les célèbres "birds of Magyar", a présenté une vidéo des destructions faites par son unité pendant une semaine (du 15 au 21 avril 2025). La liste des cibles détruites en une semaine est impressionnante: 18 tanks, 29 blindés, 38 pièces d'artilleries, 3 MLRS, 1 système de défense anti-aérienne, 13 camions et 74 motos, 27 drones interceptés et 12 équipement d'ingénieurie. Il dit aussi avoir tué environ 1500 russes en 3 semaines, soit environ 70/jour.

Bien entendu, il est théoriquement possible que Magyar déforme la réalité (par exemple si les destructions montrées se sont déroulées sur plus d'une semaine) mais la réputation de cet homme est qu'il est très honnête, tant sur ses succès que sur ces échecs. Ce genre de vidéo donne du crédit aux chiffres annoncés par les Ukrainiens, car, si la 414e est la formation de dronistes la plus grande et sans doute la plus performante de l'armée ukrainienne, elle est loin d'être la seule, et il suffit que tout le reste de l'armée fasse 10 fois plus que cette seule brigade (un facteur raisonnable sachant qu'il y a environ 100 brigades dans l'armée ukrainienne) pour que l'on retrouve les chiffres annoncés par les Ukrainiens, à quelques exceptions près.

En effet, j'ai compté les chiffres annoncés pour la période correspondante (en prenant 1 jour de marge, du 14 au 22 avril). On peut alors calculer quel pourcentage des pertes annoncées l'ont été par la 414e brigade:

  • personnel: 500 / 9100 = 5,5%
  • tanks: 18 / 61  = 29,5%
  • blindés: 29 / 166 = 17,5%
  • artillerie: 38 / 467 = 8,1 %
  • MLRS: 3 / 5 = 60%
  • DCA: 1 / 10 = 10%
  • transports: 87 / 1329 = 6,5%
  • équipement spécial: 12 / 58 = 20,7 % (on ne sait pas exactement ce que couvre la catégorie "équipement spécial"; dans le doute, j'ai considéré que ça couvre au moins le matériel d'ingénierie)



Chiffres annoncés le 14 avril 2025


Chiffres annoncés le 22 avril 2025



Ces taux sont assez variables (celui sur les MLRS sort vraiment du lot, mais vu les faibles chiffres on ne peut rien en déduire) mais globalement ils confirment l'idée que les chiffres avancés par les ukrainiens sont crédibles, et donc que les pertes russes sont catastrophiques (c'est juste que les Ukrainiens ne publient pas toutes les vidéos le prouvant). Il y a toutefois quelques doute sur les catégories qui sont en dessous de 10%: artillerie, transports et  surtout, le nombre de pertes humaines.



Les pertes humaines

Un lecteur attentif aura remarqué que j'ai comparé le nombre de morts annoncés par Magyar (500/semaine) au nombre de "personnel éliminé" (9100 en 8 jours). Or, la plupart des gens considèrent que le chiffre indiqué dans les bilans quotidiens des pertes russes couvrent les morts et blessés, et non juste les morts. Il est vrai que la formulation ("eliminated personnel" en anglais) est ambiguë mais:
  • lors des premiers bilans, en 2022, ce chiffre était bien présenté comme le nombre de russes morts. Pas "tués et blessés".
  • ce n'est que lorsque le chiffre a dépassé les 200 000 (au printemps 2023) que les gens ont commencé à le présenter comme étant le total "tués et blessés"
  • maintenant que ce chiffre approche le chiffre symbolique de 1 million, plus personne ne remet en cause le fait que cela inclut les morts et blessés.
Enfin si, il y a une personne (au moins) qui n'est pas d'accord avec cette interprétation: moi. 

Entendons-nous bien: je ne pense pas qu'il y a 1 million de soldats russes qui sont morts. Ma dernière estimation, fin février 2025, était 4 fois moindre: environ 230 000. Mais je pense que le chiffre présenté par les Ukrainiens ne couvre que les morts, ou peut-être les morts et blessés les plus graves, prisonniers etc, bref ceux pour qui la guerre est finie. Pourquoi ?

D'abord parce que j'ai de la mémoire, et que je suis ces statistiques quotidiennes depuis 2022. Si, à un moment, les Ukrainiens étaient passé de "morts" à "mort et blessés", cela aurait fait un bond dans les courbes (x2 ou x3 au minimum), qui n'a jamais été observé. Le seul "bond" s'est produit en mai 2024, au moment de l'offensive de Kharkiv, quand on est passé brutalement d'un chiffre autour de 900-1000 à un chiffre autour de 1300-1500. Ce bond était bien trop faible (x1,5) et s'expliquait facilement par le déclenchement de l'offensive.

Ensuite, le chiffre est bien trop faible pour représenter tous les morts et blessés côté russe, surtout quand on les compare aux autres chiffres comme ceux pour les tanks, l'artillerie etc. En effet, comme je l'ai dit plus haut, il est matériellement impossible que les Russes ont perdu 10 000 tanks, 22 000 blindés ou 27 000 pièces d'artillerie. Ils en ont perdu au mieux la moitié. Par contre, le consensus est bien qu'ils ont probablement entre 700 000 et 1 000 000 blessés et tués. Le chiffres de "personnel éliminé" serait donc le seul à être égal, voire même peut-être inférieur, aux pertes réelles.

Enfin, le terme même employé par les Ukrainiens ("personnel éliminé" ) indique bien qu'ils ne pensent pas que les personnes comptabilisées pourront continuer le combat.

Pour toutes ces raisons, il est plus logique d'estimer que ce chiffre correspond aux morts ou "morts + blessés graves" (auquel cas il est bien au-dessus du nombre réel) qu'aux "morts + blessés" (auquel cas il serait à peu près équivalent au nombre réel).


Conclusion

Sur ce blog, j'avais déjà parlé à plusieurs reprises de la fiabilité des chiffres ukrainiens (la première fois il y a près de deux ans, en juillet 2023), et je reste sur mes conclusions précédentes: les chiffres ukrainiens sont relativement fiables. Même si cette fiabilité a peut-être un peu baissé depuis le début de la guerre, elle reste remarquable pour des chiffres publiés en temps de guerre par un des belligérants, et qui ont tendance à être très exagérés du fait des erreurs, du brouillard de guerre et de l'incitation à verser dans la propagande. 

J'avais l'habitude de dire que, pour avoir une bonne estimation des pertes russes, il faut prendre les chiffres ukrainiens et enlever un tiers, voire la moitié, pour avoir une estimation correcte des pertes russes. Comme les divers indicateurs que nous avons semblent montrer que les chiffres ukrainiens sont un peu moins fiables qu'au début de l'invasion à grande échelle, je dirais maintenant qu'il faut diviser par deux, voire par trois, les chiffres ukrainiens (pour le matériel) et par trois, voire par quatre les chiffres des pertes humaines pour avoir une estimation correcte.

Même avec cette division, ces chiffres restent bien supérieurs aux chiffres Oryx. Cela signifie aussi que les pertes russes augmentent et sont supérieures à ce que la Russie peut produire. Peut-on pour autant dire que l'Ukraine est en train de gagner la guerre d'attrition ? Il faudrait connaitre les chiffres réels des pertes ukrainiennes pour en être sûr. 

Quoi qu'il en soit, cela indique que les Ukrainiens sont loin de publier toutes les preuves des pertes qu'ils infligent aux Russes. Les analystes qui ne travaillent qu'à partir des chiffres OSINT (pour ne pas être accusés de partialité) feraient bien d'au moins envisager la possibilité que le rapport de force n'est peut-être pas celui qu'on nous présente dans les média, et même avec les données OSINT. Et cela pose même une question sur le degré de dissimulation dont fait preuve l'Ukraine, question que j'aborderai dans un prochain billet.


dimanche 4 mai 2025

Guerre en Ukraine: bilan du mois d'avril 2025

Comme chaque mois, voici un petit bilan du mois d'avril 2025, à mettre en perspective avec les constats que j'avais faits fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre, fin novembre, fin décembre 2023 ainsi que fin janvier, fin février, fin mars, fin avril, fin mai, fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre, fin novembre, fin décembre 2024, fin janvier, fin février et fin mars 2025.

Une fois de plus, les Russes ont continué leur grignotage des défenses ukrainiennes, mais à un rythme toujours plus faible. Les lignes n'ont quasiment pas bougé tant dans Toretsk et Chassiv Yar, que vers Pokrovsk, et vers Kupyansk. C'est surtout dans le sud, et le sud-est que les Russes ont un peu progressé. De leur côté, les Ukrainiens ont parfois regagné un peu de terrain, mais ça reste souvent anecdotique. Ce mois ci, c'est surtout sur les frappes à longues distance et sur le plan diplomatique que les choses ont été notables.



Explosion dans le 51e arsenal du GRAU, 22 avril 2025


Pertes russes et ukrainiennes

Je rappelle les pertes russes telles qu'annoncées par les officiels Ukrainiens dans les 4 catégories à surveiller: Artillerie, MLRS, DCA et équipements spéciaux. Pour chacune, je vais donner les chiffres mensuels habituels ces derniers mois, ainsi que les moyennes pour la première année (mars 2022 à février 2023), la deuxième année (mars 2023 à février 2024) et la troisième année (mars 2024 à février 2025) puis les chiffres de mars et avril 2025

  • Artillerie 
    • moyenne 1ere année: 190/mois
    • moyenne 2e année: 650/mois
    • moyenne 3e année: 1150/mois
    • 1690 (mars), 1554 (avril)
  • MLRS
    • moyenne 1ere année: 40/mois
    • moyenne 2e année: 43/mois
    • moyenne 3e année: 25/mois
    • 44 (mars), 27 (avril)
  • DCA
    • moyenne 1ere année: 21/mois
    • moyenne 2e année: 37/mois
    • moyenne 3e année: 30/mois
    • 37 (mars), 23 (avril) 
  • Équipements spéciaux
    • moyenne 1ere année: 19/mois
    • moyenne 2e année: 114/mois
    • moyenne 3e année: 181/mois
    • 24 (mars), 82 (avril)
Une fois de plus, ces chiffres sont hallucinants, en particulier ceux concernant l'artillerie. Ces chiffres élevés peuvent s'expliquer par l'évolution des techniques de repérage de l'artillerie russe. D'après le site de Ragnar Gudmundsson, les pertes russes pour le mois de février 2025 se chiffrent à 6 464 véhicules (nouveau record mensuel) et 36 570 hommes.
 
Pour les pertes visuellement confirmées, Oryx compte plus de pertes russes que d'habitude (606 équipements comptabilisé), tandis que les pertes ukrainiennes sont au même niveau que le mois précédent (391 équipements comptabilisés). Même s'il y a de l'amélioration par rapport au mois de mars, c'est loin d'être un ratio favorable à l'Ukraine. Cependant, ces chiffres dépendent beaucoup de ce qui a été publié. Par exemple, ce mois-ci les Magyar's Birds ont publié une vidéo illustrant leurs destructions sur une seule semaine. Résultats: 18 tanks, 29 blindés, 3 MLRS, 38 pièces d'artilleries, 1 système de défense anti-aérienne, et bien d'autres équipements. En plus des très nombreux hommes / abris/ etc attaqués. Si Magyar dit vrai et cette vidéo ne compte que les pertes sur une semaine, cela donne du crédit aux chiffres des pertes russes rapportées par l'Ukraine.

Un des événements les plus spectaculaires ce mois-ci (et une belle réussite des Ukrainiens) a été l'énorme explosion survenue au 51e arsenal du GRAU (direction des arsenaux d'artillerie et de missile) situé à 70 km de Moscou. Ce complexe, pouvant accueillir jusqu'à 260 000 tonnes de munitions, a été détruit à  environ 50% (la moitié des bâtiments détruits d'après les images satellites).  Même s'il est difficile de savoir quelle quantité de munition a explosé, c'est un énorme coup dur pour la Russie. Ce dépôt était en effet le plus gros dépôt de munitions de toute la partie "européenne" de la Russie.


NB: dans ces bilans mensuels, je ne parle que de la situation militaire et diplomatique. Je ne parle pas, ou très peu, des multiples crimes de guerre russes. Ceux-ci, hélas, continuent, comme par exemple deux missiles balistiques envoyés sur Sumy le 13 avril.



Manœuvres diplomatiques, encore et encore


Traitor Trump veut toujours obtenir la "paix en Ukraine" (enfin, un simple cessez-le-feu) à n'importe quel prix... du moment que ce sont les Ukrainiens qui paient ce prix. Lui qui s'était vanté de pouvoir ramener la paix en 24H explique maintenant que c'était une grosse blague. Le délai de 100 jours qu'il s'était fixé était légèrement plus réaliste, mais n'a pas non plus été tenu. Maintenant, ils parlent d'un nouveau délai de 100 jours, pas pour conclure une paix ni même un cessez-le-feu, mais simplement pour "rapprocher" l'Ukraine et la Russie.

Et pourtant, ces tractations ont fait les titres des journaux quasiment tous les jours. L'agitation diplomatique a été commenté dans tous les sens et en les commentant moi aussi je risque surtout de n'ajouter que du bruit au bruit ambiant. Je ne commenterai donc pas l'épisode de la "trêve de Pâques" qui n'en était pas une, ni sur les menaces de tout laisser tomber de la part des USA, ni sur l'entretien de 15 minutes entre Trump et Zelensky, ni toute la propagande pro-russe régurgitée par Trump et Witkoff, ni tous les autres "moments médiatiques" auxquels la presse a accordé son attention un jour pour mieux les oublier le lendemain. En revanche, je vais commenter trois accords ou plan d'accord qui me semblent important pour le long terme.

1) La trêve sur les infrastructures énergétique: annoncée fin mars pour une durée de 30 jours, cet accord informel semble avoir été plus ou moins tenu, malgré quelques violations par les Russes; ces derniers semblent depuis plus se concentrer sur les attaques de terreurs, ciblant les résidences civiles, et il y a bien moins de "blackout" énergétique en Ukraine. Réciproquement, alors que jusqu'en mars, les raffineries russes flambaient les unes après les autres, à de rares exceptions elles n'ont pas été attaquées en avril. Le statut de cette trêve semble flou (est-elle prolongée ?) mais il semble que, peut-être de peur de déplaire à Trump, les belligérants n'osent pas la violer trop ouvertement. 

2) L'accord sur les minerais. Après plus de deux mois de négociations, de rebondissements et de pièges, le fameux accord entre les USA et l'Ukraine sur l'exploitation des ressources minières a été signé le 30 avril. Notons que, peut-être par peur d'un nouveau guet-apens, c'était la vice-première ministre ukrainienne qui est allé à Washington signer l'accord, et non Zelensky. Zelensky avait au départ envisagé cet accord comme un moyen de continuer à acheter des équipement américains et/ou d'obtenir des garanties de sécurité; en d'autres mots, d'assurer la protection future de l'Ukraire. Trump a voulu en faire quelque chose de complètement différent: un paiement (d'un montant exorbitant de 500 milliards de $) de l'aide passée (qui atteint péniblement 120 milliards de $). Vu par Trump, ce n'était qu'un plan de prédation de l'Ukraine, qui n'obtiendrait rien mais devrait payer un max . Trump a mis une pression maximale pour que l'Ukraine signe cet accord inique, mais ils ont refusé, et l'accord signé au final est plus proche de ce que Zelensky envisageait que ce que le mafieux Trump exigeait. Cela montre qu'on peut résister à Trump et obtenir de lui des accords plus équitables que ce que celui-ci propose. Certes, comme le souligne Philips O'Brien, cela reste un accord de prédation qui n'accorde aucune garantie de sécurité à l'Ukraine. Mais au moins l'Ukraine paie pour plus d'aide américaine, et non pour l'aide passée, et la durée est de 10 ans (reconductible) là où Trump voulait un accord ad vitam aeternam. Cela pourrait même aider indirectement l'Ukraine, car maintenant les USA ont un intérêt à ce que l'Ukraine conserve ses ressources minières (pour mieux les piller ensuite). De plus, le fait d'avoir signé "quelque chose" va peut-être inciter Trump a être mieux disposé envers l'Ukraine, même si à mon avis c'est un espoir assez vain.

3) Le "plan de Trump pour la paix" et la contre-proposition européenne/ukrainienne: ce plan et cette contre-proposition n'ont pas été dévoilé officiellement, mais ont fuité dans les journaux. Et le moins qu'on puisse dire est que Trump a pris fait et cause pour les Russes. Trump ne demande strictement rien aux Russes, à part de cessez les combats. Il lui offre la levée des sanctions et la reconnaissance, par les USA, de l'annexion de la Crimée. En revanche, Trump demande aux Ukrainiens:
  • d'abandonner de facto ou de jure tous les territoires occupés par les Russes
  • de renoncer à l'OTAN
en échange de ... strictement rien du tout. Bref, les Ukrainiens paient tout et n'obtiennent rien en échange (décidément une constante, chez Trump). Comme l'ont résumé de nombreux commentateurs: Trump manie la carotte et le bâton; la carotte pour les Russes, le bâton pour les Ukrainiens. Ce plan est tellement pro-russe qu'on se demande pourquoi Poutine dit le refuser. La raison est que Poutine estime:
  • soit que militairement, il peut encore gagner du terrain et s'emparer des 4 oblasts qu'il revendique et/ou qu'il y aura un effondrement de l'armée ukrainienne qui lui permettra de revendiquer encore plus
  • soit, ce qui est plus probable, c'est qu'il est en fait d'accord avec ce plan, mais qu'il exprime publiquement des demandes plus élevées pour maintenir la pression et/ou donner l'impression que le plan de Trump est équilibré.
Naturellement, les Ukrainiens (et au moins une partie des européens) sont contre. Ils ont donc fait une contre-proposition, un peu plus équilibrée. Cyrille Amoursky a fait une comparaison de ces deux plans. Ce qui me frappe, dans cette contre-proposition, c'est qu'elle est en apparence assez proche de celle des américains (même si des différences fondamentales apparaissent dans les détails) et qu'elle reste très favorable aux Russes. Le plan européen ne demande pas aux Russes de reculer, entérinant de facto le contrôle russe sur près de 20% de l'Ukraine, et n'offre pas aux Ukrainiens de garanties de sécurité suffisantes pour dissuader les Russes de remettre le couvert dans quelques années, une fois leur armée reconstituée. En fait, ce plan européen ressemble beaucoup à ce que Pete Hegseth avait présenté aux européen en février, et qui semblait alors une trahison aux yeux des Européens. Je vois donc deux interprétation possibles pour cette contre-proposition:
  1. La résignation: les Européens et Ukrainiens savent qu'ils n'obtiendront rien de plus et essaie simplement de sauver les apparences, et d'obtenir quelque chose de légèrement plus favorable. C'est ce que pense Guillaume Ancel, qui estime que l'Ukraine sera obligée d'accepter ce plan désavantageux faute d'alternative.
  2. La ruse: la contre-proposition est calculée pour être inacceptable pour les Russes tout en étant suffisamment proche de la proposition de Trump pour que ce dernier ne comprenne pas que les Européens refusent sa proposition. Si cela est vrai, cela signifient qu'ils essaient juste de maintenir l'aide américaine aussi longtemps que possible, sans réelle intention de céder à Trump/Poutine.

J'espère que la seconde interprétation est la bonne, sans en avoir la certitude.

Liens en vrac, 12/08/2025

Nouvelle fournée des liens intéressants que j'ai pu trouver depuis  la dernière fois . Analyses La nouvelle "théorie de la victoire...