dimanche 19 janvier 2025

Les défaillances du commandement ukrainien (1)

Il y a un an, je m'interrogeais sur l'organisation du commandement ukrainien. Ma conclusion était alors:

Pourtant, ce problème du commandement des "échelons intermédiaires" semble assez peu pointé du doigt par les analystes militaires. Il faut dire que, au moins pour les phases défensives, les faiblesses du commandement ukrainiens passent au second plan. En tous cas, c'est un problème bien moins important que le fait que les USA coupent tout approvisionnement en armes et en munitions. Mais c'est un problème que les Ukrainiens devront résoudre un jour ou l'autre s'ils comptent libérer le territoire actuellement occupé par les Russes.

Un an plus tard, le problème n'est pas résolu (il s'est au contraire aggravé); en revanche, il est de plus en plus discuté dans les média, au point que cela éclipse parfois les discussions sur les (non-)livraisons d'armes par les Occidentaux. Donc, pour développer ce que je disais dans mon bilan du mois de décembre, voici quelques réflexions sur les problèmes liés aux défaillances du commandement ukrainien.

Une des premières choses qui frappe, quand on regarde la composition de l'armée ukrainienne, c'est la grande diversité du type de brigades, et la quasi-absence d'unités à un échelon supérieur (division, corps ou armée). Or, ces deux caractéristiques constituent un handicap qui explique au moins en partie les difficultés actuelles de l'armée Ukrainienne.

Ordre de bataille de la 47e brigade mécanisée, établi par SIRDO



Tous types de brigades

Le Colonel Goya rappelait que, pendant la seconde guerre mondiale, l'armée des USA n'avait que 3 types de divisions (divisions d'infanterie, divisions blindées, division de parachutistes), et que les unités inférieures étaient à peine plus diverses, ce qui permettait aux américains de standardiser leur armée. C'est tout le contraire qui s'est produit en Ukraine. En m'appuyant sur les données du site Militaryland, voici les différentes brigades ukrainiennes, selon leur types:

  • 42 brigades mécanisées (14e, 21e, 22e, 23e, 24e, 28e, 30e, 31e, 32e, 33e, 41e, 42e, 43e, 44e, 47e, 53e, 54e, 60e, 61e, 63e, 65e, 67e, 72e, 93e, 100e, 110e, 115e, 116e, 117e, 118e, 141e, 142e, 143e, 150e, 151e, 153e, 154e, 155e, 156e, 157e, 158e, 159e)
  • 4 brigades motorisée (56e, 57e, 58e, 59e)
  • 5 brigades blindée (1ere, 3e, 4e, 5e, 17e)
  • 3 brigades d'assaut (3e, 5e, 92e)
  • 3 brigades de chasseurs (68e, 71e, 152e)
  • 2 brigades de montagne (10e, 128e)
  • 1 brigade de parachutiste (25e)
  • 3 brigades aéromobiles (46e, 77e, 81e)
  • 4 brigades d'assaut aérien (79e, 80e, 82e, 95e)
  • 4 brigades de marine (35e, 36e, 37e, 38e) 
  • 14 brigades de la garde nationale (1e, 2e, 3e, 4e, 5e, 11e, 12e, 13e, 14e, 15e, 17e, 18e, 27e, 31e),  + 3 brigades de garde frontière + 1 à 4 brigades de la police
  • 31 brigades de défense territoriale (1ere, 101e, 102e, 103e, 104e, 105e, 106e, 107e, 108e, 109e, 110e, 111e, 112e, 113e, 114e, 115e, 116e, 117e, 118e, 119e, 120e, 121e, 122e, 123e, 124e, 125e, 126e, 127e, 128e, 129e, 241e)
  • 4 autres brigades (légion internationale, brigade présidentielle, 144e brigade d'infanterie, brigade consolidée de fusiliers)

Soit au moins 13 types de brigades, pour un total de 120 brigades. Et encore, on ne parle là que des différentes brigades "de mêlée", pas des brigades d'artillerie, d'ingénierie et autres brigades de support. C'est donc beaucoup de types différents surtout que toutes ces brigades jouent plus ou moins le même rôle: tenir la ligne de front. Celle-ci ne passe pas par des montagnes, il n'y a pas d'opérations aéroportées, ni amphibies (à l'exception de la tête de pont qui était à Krynky): les brigades de montagne, de marine ou de parachutistes n'ont donc pas un rôle différent comparé aux brigades d'infanterie mécanisée/motorisée.

Or, loin de vouloir simplifier ce modèle (comme le suggérait le colonel Goya en septembre dernier), les Ukrainiens ont créé ces derniers mois deux nouveaux types de brigades en transformant des brigades existantes:

  • les 5e et 17e brigades blindées, ainsi que la 117e brigade mécanisée, sont devenues des "brigades mécanisées lourdes"
  • les 34e et 40e brigade de défense côtière ont été créées, a priori en remplacement de la 150e brigade mécanisées et 124e brigade de défense territoriale; la 126e brigade de défense territoriale est supposée suivre ce mouvement et devenir la 39e brigade de défense côtière.

La question est donc de comprendre pourquoi il y a tant de types de brigades, et pourquoi les Ukrainiens continuent d'en ajouter, plutôt que de simplifier cette organisation (ou plutôt cette désorganisation).



La bataille des cinq armées

Une première clef est de comprendre  que l'armée ukrainienne terrestre (on ne parle pas des forces aériennes ni de la marine) est divisée en cinq groupes :

  1. les forces d'assaut aérien (parachutistes)
  2. l'infanterie de marine
  3. la garde nationale
  4. la défense territoriale
  5. enfin toutes les autres unités

Toutes ces forces sont -en théorie- subordonnées au commandant en chef (le général Syrsky) et toutes dépendent du ministère de la défense à l'exception de la garde nationale, qui dépend du ministère de l'intérieur. Mais les quatre premiers groupes disposent d'un certain degré d'autonomie.

Déjà, leurs unités ne dépendent pas d'un des quatre "commandements opérationnels" (nord/sud/es/ouest). Les forces d'assaut aérien et l'infanterie de marine dépendent d'un "corps" spécifique et ont un certain prestige, étant considérées comme des formations d'élite (il en est de même dans l'armée russe, où les parachutistes/VDV et l'infanterie de marine sont considérés comme des troupes d'élite). La garde nationale dépend du ministère de l'intérieur, et regroupe d'ailleurs des formations issues de volontaires (comme la fameuse 12e brigade "Azov") et des formations issues de structures indépendantes de l'armée, comme la police et les gardes-frontières. Enfin, la défense territoriale est financée directement par les régions qui "gèrent"  les brigades qu'elles ont levées et par une structure de commandement régional (nord/sud/est/ouest) qui est en miroir des commandements opérationnels.

Cette différence de statuts explique ce qui arrivé à la 1ère brigade de défense territoriale "Ivan Bohun", mais qui était auparavant la 1ère brigade à but spécial "Ivan Bohun", une unité d'élite, bien équipée qui faisait partie du 9e corps. Il est curieux que cette unité a été "dégradée", passant d'unité d'élite correctement équipée à unité territoriale mal équipée. Bien que les officiels ukrainiens n'ont jamais donné de raison à ce changement, c'est très probablement lié à une décision politique et/ou un conflit avec la hiérarchie militaire. 

En février 2024, un bataillon de cette brigade (le célèbre "Dyka Pole") est dissout et son chef (le Major Andriy Malakhov) arrêté. Malakhov bénéficiait pourtant du soutient du général Zaluzhny, qui sera remplacé quelques semaines plus tard par Syrsky en tant que Commandant-en-chef de l'armée ukrainienne. Il est probable que les autres membres de cette brigade ont cherché à rejoindre la défense territoriale en signe de protestation et/ou pour se mettre à l'abri d'autres représailles de la part du nouveau haut commandement militaire. 

J'ai aussi parlé, sur ce blog, de la 67e brigade mécanisée,  qui avait perdu un de ses éléments les plus emblématiques (les "Da Vinci Wolves") puis qui a été "reprise en main" et purgée de ses éléments liés au parti politique "Secteur droit".

Ces exemples illustrent comment des querelles (personnelles et/ou politiques) peuvent dégrader des unités militaires, mais aussi que les soutiens politiques, la personnalité des commandants etc comptent beaucoup et font que l'armée ukrainienne n'est pas homogène ni vraiment centralisée. Et cela se reflète dans le mode de fonctionnement des brigades et des bataillons.


 

L'indépendance à tout prix ?

Dans le nom officiel des brigades (et de certains bataillons) apparaît le mot-clef "séparé" (окрема). Cela signifie qu'ils disposent d'un "numéro d'unité" et d'un insigne propre et sont, en théorie,  capables d'opérer indépendamment de toute unité supérieure. Cela pose des problèmes structurels (sur lesquels je me focaliserait plus tard) mais dénote surtout d'un certain esprit d'indépendance. 

Car cela ne signifie pas seulement que ces unités ont leur propre logistique, leur propre soutien d'artillerie etc. Ils peuvent avoir aussi (pour certaines unités), leur propre financement et leur propres centre de recrutement. Le fait que les ukrainiens peuvent ainsi "choisir" leur brigade en allant directement les contacter fait que certaines unités populaires peuvent "grossir".

L'exemple le plus frappant est celui des "Magyar's birds", une unité fondée et commandée par Robert Brovdi, dit "Magyar". Comme expliqué ici, Robert Brovdy est un entrepreneur originaire de la petite région ukrainienne où l'on parle hongrois (d'où son nom de guerre), qui s'est porté volontaire en février 2022 pour servir dans une unité de défense territoriale, où il commande un simple peloton. A partir d'avril 2022, il commence à s'intéresser aux drones et est un des premiers à développer de nouvelles techniques pour les utiliser comme bombardiers ou kamikaze. Son groupe grossit, devient une compagnie puis un bataillon indépendant au sein du corps des Marines. L'unité continue de grossir pour devenir un régiment, et plus récemment une brigade. Ils sont en grande partis auto-financés (et/ou financés par des campagnes de dons), recrutent directement des volontaires et les forment, publient des vidéos pour montrer leur "travail" et travaille la main dans la main avec des constructeurs de drones comme les "Wild Hornets".

"Magyar's birds" n'est pas la seule unité ukrainienne à se former ainsi autour d'une personnalité ou d'un petit groupe. Quelques autres exemples: le bataillon "Da Vinci wolves", et tout récemment le 91e bataillon anti-char. En fait c'est depuis 2014 que se forment de telles unités, la plus célèbre étant Azov, pour combattre les Russes. Ces unités sont souvent financées par le privé (oligarques ou simples citoyens) et ont ensuite été intégrées à la garde nationale. S'il y a ce genre d'initiative, c'est probablement un signe de méfiance vis-à-vis de l'Etat et de la hiérarchie militaire, souvent perçue comme corrompue et inefficace. 

Mais ces initiatives, qui dans l'ensemble permettent à l'Ukraine d'avoir des petites unités motivées et de bonnes qualité, sont aussi un des facteurs qui explique pourquoi l'armée ukrainienne est aussi hétérogène - et a du mal à gérer les formations plus grandes que des brigades.


 

Hétérogénéité et manque de matériel

Un autre facteur expliquant cette hétérogénéité est l'état du matériel disponible pour chaque brigade/ bataillon.  Avant 2022, les choses étaient plus simples: il y avait en gros 3-4 types de brigades, qui regroupaient chacune 4 bataillons :

  • brigade blindée = 3 bataillons de tank + 1 bataillon mécanisé
  • brigade mécanisée = 3 bataillons mécanisés + 1 bataillon de tank
  • brigade motorisée =  3 bataillons mécanisés + 1 compagnie de tank
  • les autres types de brigades (de marine, de parachutistes, de montagne etc) étaient des brigades motorisées avec une "spécialisation"
  • il n'y a avait pas de brigades territoriales

Chaque brigade avait, en plus de ses 4 bataillons (qui comptait chacun 30 tanks ou véhicules blindés), un groupe d'artillerie (~30 pièces) et un bataillon anti-aérien (manpads igla et/ou canons Zu-23). Mais, suite à l'invasion à grande échelle depuis février 2022, cette composition bien ordonnée a plus ou moins disparu. Déjà, la plupart des brigades existantes se sont vues adjoindre 1, 2 ou 3 bataillons d'infanterie supplémentaires. Puis, lors de la création de nouvelles brigades, certaines brigades existantes ont été réduire d'un ou deux bataillons pour former l'ossature d'une nouvelle brigade.

Il est également possible que les brigades blindées ont été plus ou moins démantelées en 2023 pour créer de nouvelles brigades mécanisées, et qu'avec l'attrition les bataillons blindés sont plus ou moins réduits à la taille d'une compagnie. Pour ne prendre que l'exemple de la 47e brigade mécanisée, équipée de chars Abrams M1, on sait que les USA n'en ont livré que 31 et qu'au moins 18 ont été perdus. Ce qui laisse, au mieux, 13 chars pour toute la brigade au lieu des 30 que devrait normalement compter un bataillon de chars. De toute façon, cela fait longtemps qu'on ne voit plus de concentration de tanks chez les Ukrainiens, il y a au mieux 1 ou 2 tanks impliqués dans chaque action.

Donc, quel que soit la dénomination officielle, les brigades actuelles sont surtout constituées d'infanterie (régulière ou mécanisée) avec parfois une petite composante blindée.  Pour la trentaine de brigades de défense territorial formées au début de la guerre, c'est encore pire: elles n'ont ni groupe d'artillerie ni éléments blindés, même si certaines (comme la 100e) ont été "améliorées" pour devenir des brigades mécanisées. 

De plus, il n'est pas rare qu'une brigade soit équipée, puis rééquipée de manière très disparate en fonction des livraisons d'armes occidentales, des pertes, des décisions du haut commandement etc. Pour reprendre l'exemple de la 47e brigade mécanisée, sirdo a reconstitué l'historique de son bataillon blindé. Au départ, elle devait recevoir 28 T55S, une version (certes améliorée) du T-55, donc pas top. Du moins, c'est ce qu'indiquaient les documents qui ont fuité du Pentagone. Puis, en mai 2023, elle a reçu les meilleurs chars disponibles: 21 Leopards 2A6. Qui en fait été destinés à la 21e brigade mécanisée. Enfin, début 2024, elle a reçu 31 chars M1 Abrams en replacement des Leopards. Bonjour les problèmes pour coordonner tout ça.

La diversité du matériel est donc telle qu'il est difficile d'évaluer la force d'une brigade, d'autant que le nombre de bataillons par brigade varie de 3 par exemple la 110e brigade mécanisée) à 8 (par exemple la 93e brigade mécanisée). Et de toute manière, cela importe peu car le haut commandement ukrainien a la fâcheuse tendance à ne pas déployer de brigades complètes, mais seulement certains bataillons d'une brigade.

 

 

Formez vos bataillons

L'an dernier, j'avais fait l'observation que les Ukrainiens déploient leurs unité non au niveau de la brigade, mais du bataillon. Il arrive ainsi qu'un bataillon d'une brigade combatte à des centaines de kilomètres du reste de sa brigade. On a vu que ce cas de figure est "prévu" car certains bataillons bénéficient d'une large autonomie. Il n'en reste pas moins que c'est loin d'être une manière optimale de combattre. 

D'une part, parce que si ces bataillons "séparés" intègrent un petit groupe d'artillerie et un soutien logistique, c'est loin d'être autant que ce qui est disponible au niveau de la brigade. D'autant plus que les bataillons ukrainiens sont assez petits: de 250 à 500 hommes selon les chiffres qui avaient fuité du pentagone, même si la fiabilité de ce chiffre est incertaine.

D'autre part parce que ça réduit la cohérence des brigades et les affaiblit donc: il vaut mieux qu'une brigade combatte plutôt que trois bataillons issus de trois brigades différentes. Enfin, il est plus facile pour le niveau supérieur de coordonner l'activité de quelques brigades plutôt que d'une multitude de bataillons. 

La question est donc: pourquoi les Ukrainiens le font-ils ? A cette question, je n'ai pas de réponse certaine, juste des hypothèses, plus ou moins probables.

La première hypothèse est que les Ukrainiens feraient des rotations de bataillons plutôt que des rotations de brigades: autrement dit, pour chaque brigade, il y a toujours un ou deux bataillons à l'arrière et que, quand il faut renforcer en urgence un secteur, ce sont ces bataillons à l'arrière qui sont envoyés quand bien même le reste de l'unité combat dans un autre secteur.

La seconde est que les Ukrainiens sont dans une situation tellement critique qu'ils n'ont plus aucune brigade en réserve, et doivent donc bricoler en urgence en dépouillant certaines brigades de secteurs supposés calmes pour renforcer là où les défenses craquent.

La troisième hypothèse est que les Ukrainiens sont effectivement habitués à tout faire au niveau "bataillon" et que le niveau brigade est une coquille vide. Et que, jusqu'en 2024, ça semblait marcher, ils ont été pris au dépourvu quand ce système a commencé à montrer ses limites.



Conclusion

J'arrive déjà à la conclusion, et j'ai à peine parlé des défaillances du commandement ukrainien. Car mon but n'est pas tant de lister ces défaillances et de conclure que "le Général Sirsky  est incompétent" (comme trop de monde le fait en s'arrêtant à la première explication venue) mais d'expliquer pourquoi il y a ces défaillances.

Dans ce premier billet, j'ai donc tenté d'expliquer pourquoi l'organisation de l'armée ukrainienne est aussi hétérogène, ce qui pose de gros problèmes pour la commander et pourquoi, même à supposer que le haut commandement ukrainien voudrait essayer de suivre le conseil du Colonel Goya "simplifier pour vaincre", il ne pourrait que très difficilement le faire: il doit composer avec la fragmentation structurelle de l'armée ukrainienne, avec les soutiens politiques des uns et des autres, avec un matériel hétéroclite et qui doit toujours être changé, avec des individus forts et désirant préserver leur autonomie, etc.

La suite de cette analyse, dans laquelle je parlerai des défaillances proprement dites, sera publiée prochainement.

 

dimanche 5 janvier 2025

Guerre en Ukraine: bilan du mois de décembre 2024

Comme chaque mois, voici un petit bilan du mois de décembre 2024, à mettre en perspective avec les constats que j'avais faits fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre, fin novembre, fin décembre 2023 ainsi que fin janvier, fin février, fin mars, fin avril, fin mai, fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre et fin novembre 2024.

Une fois de plus, les Russes ont continué leur grignotage des défenses ukrainiennes, surtout dans le sud-est où ils ont pratiquement pris Kurakove et menacent très sérieusement Velyka Novosilka.  La situation reste très préoccupante aussi vers Pokrovsk, Toretsk, Chassiv Yar et vers Kupyansk, même si jusqu'à présent ces villes tiennent encore. Dans la région de Kursk, les Ukrainiens continuent de reculer tout en infligeant de grandes pertes aux Russes et aux Nord-Coréens déployés dans la région.
 
Cependant, une fois de plus, l'événement qui aura le plus de conséquence n'a pas eu lieu sur le champ de battaille. Ce mois-ci, c'est en Syrie que ça s'est passé: la chute de Bachar el-Assad prive la Russie d'un précieux allié.
 
 
 

Pertes humaines record, pertes matérielles en baisse (bis)

Je rappelle les pertes russes telles qu'annoncées par les officiels Ukrainiens dans les 4 catégories à surveiller: Artillerie, MLRS, DCA et équipements spéciaux. Pour chacune, je vais donner les chiffres mensuels habituels ces derniers mois, ainsi que les moyennes pour la première année (mars 2022 à février 2023) et la deuxième année (mars 2023 à février 2024) puis les chiffres de mars > avril > mai > juin > juillet > août > septembre > octobre > novembre > décembre 2024

  • Artillerie 
    • moyenne 1ere année: 190/mois
    • moyenne 2e année: 650/mois
    • 980 (mars) > 961 (avril) > 1129 (mai) > 1393 (juin) > 1553 (juillet) > 1528 (août) > 1208 (septembre) > 1191 (octobre) > 896 (novembre) > 619 (décembre)
  • MLRS
    • moyenne 1ere année: 40/mois
    • moyenne 2e année: 43/mois
    • 23 (mars) > 30 (avril) > 35 (mai) > 22 (juin) > 21 (juillet) > 45 (août) > 28 (septembre) > 39 (octobre) > 10 (novembre) > 3 (décembre)
  • DCA
    • moyenne 1ere année: 21/mois
    • moyenne 2e année: 37/mois
    • 53 (mars) > 36 (avril) > 36 (mai) > 58 (juin) > 34 (juillet) > 33 (août) > 23 (septembre) > 31 (octobre) > 25 (novembre) > 13 (décembre)
  • Équipements spéciaux
    • moyenne 1ere année: 19/mois
    • moyenne 2e année: 114/mois
    • 228 (mars) > 148 (avril) > 187 (mai) > 284 (juin) > 249 (juillet) > 280 (août) > 336 (septembre) > 257 (octobre) > 47 (novembre) > 54 (décembre)

Les baisses constatées au mois dernier se poursuivent. En particulier, les pertes de MLRS sont encore plus basses, presque inexistantes. Ce qui est d'autant plus intrigant que les réserves matérielles russes de MLRS sont virtuellement épuisées. Se pourrait-il qu'ils n'en aient plus ? Pourtant, chaque jour, les Ukrainiens rapportent environ 200 attaques de MLRS russes chaque jour, une moyenne qui est d'ailleurs en augmentation ces deux derniers mois. L'explication à cette contradiction apparente est peut-être la même que celle qui explique pourquoi les Ukrainiens ne détruisent plus que très rarement des avions et hélicoptères, car ceux-ci veillent à rester autant que possible loin de la ligne de front. De même, il est possible que la Russie utilise moins les MLRS TOS1A (portée ~10km) et BM-21 "Grad" (portée ~20km)  et plus les MLRS à plus longue portée BM-27 "Uragan" et BM-30 "Smerch".

En tout, 3 764 pièces d'équipement ont été perdues par les Russes selon le comptage mensuel fait par Ragnar Bjartur Gudmundsson, en baisse de 20% par rapport au mois précédent, alors que dans le même temps les Russes ont perdu 49 150 hommes en novembre, ce qui pulvérise une fois de plus le record du mois précédent. 

Ce double mouvement (baisse des pertes matérielles, augmentation des pertes humaines) s'accentue donc en décembre et n'est pas du tout une bonne nouvelle pour la Russie: c'est le signe que les capacités de son armée se dégradent. Malheureusement, il est probable qu'il en soit de même pour l'armée ukrainienne.



Critiques contre le haut commandement ukrainien

De plus en plus de voix s'élèvent contre la gestion de la guerre par le haut-commandement ukrainien, et ces critiques viennent souvent de pro-ukrainiens fervents. Un des plus expressifs est sans aucun doute Tom Cooper / Sarcastosaurus qui depuis maintenant près de six mois injurie les décideurs ukrainiens (en particulier le commandant-en-chef Syrsky et le président Zelensky) et les traite d'incompétents. Si tous ne partagent pas le ton (excessif et insultant) de Tom Cooper, d'autres analystes et militaires formulent les mêmes critiques de manière plus polie mais non moins sévère:
 
Les principaux griefs sont:
  • mauvais processus de mobilisation et d’entraînement
  • problèmes d'organisation de la structure de commandement
  • problèmes lors des rotations d'unités
  • problèmes de logistique
  • mauvais choix tactiques
  • fâcheuse habitude de "découper" les brigades et d'envoyer ses bataillons sur différents fronts 

Tous ces problèmes ont pour conséquences une baisse de la qualité des unités ukrainiennes, un manque de cohésion tactique et opérationnelle, et au final une défense plus faible et des pertes plus importantes.

J'avais parlé de certains de ces problèmes il y a près d'un an. Hélas, ils se sont aggravés depuis. La 155e brigade mécanisée "Anne de Kiev", tout juste équipée et entraînée par la France, semble avoir fait les frais de ces problèmes de commandement ukrainien, du moins si on en croit les reportages qui circulent à son sujet.
 
Des réformes drastiques sont donc d'autant plus nécessaires que ces problèmes sont anciens et que de nombreux articles ont été écrits dessus tout au long de 2023 et 2024. Mais, autant que l'on puisse en juger, le haut-commandement ukrainien n'apprécie guère toutes ces remises en questions et sa réponse varie entre essayer de faire taire les critiques et promettre des réformes qui ne se font pas. Comprendre pourquoi ces réformes ne se font pas, alors que l'Ukraine pourrait grandement en bénéficier, est une autre paire de manche. J'essaierais de développer ce point prochainement.


La chute du boucher de Damas

En novembre, c'est hors d'Ukraine que Poutine a eu sa plus belle victoire avec l'élection de Trump. En décembre, c'est encore hors d'Ukraine que Poutine a eu sa plus terrible défaite avec la chute de Bachar El-Assad. Avec la fin du règne de la terreur du "Boucher de Damas", la Russie perd un allié précieux, et l'Ukraine gagne un ami. La Russie a été incapable de sauver Assad, preuve s'il en était besoin de son affaiblissement militaire suite à la guerre en Ukraine.

Certes, la Syrie ne fournissait à la Russie ni armes ni hommes, contrairement à l'Iran et la Corée du Nord. Au contraire, elle immobilisait une petite partie de la puissance militaire russe. Mais elle fournissait toute la base arrière nécessaire au développement de l'influence russe au Moyen-Orient et en Afrique. De plus, le fait que le régime syrien est tombé si rapidement montre à quel point ce genre de dictature (même quand il obtient officiellement 99% des votes) peut tomber facilement quand un petit groupe (mais bien armé et déterminé) se rebelle contre le pouvoir central. On se souvient de la facilité avec laquelle Prigojine a marché sur Moscou.
 
Pour le reste, l'issue de la guerre en Ukraine est toujours suspendu aux futures décisions de Donald Trump. J'ai déjà écrit dessus le mois dernier, et il n'y a pas grand'chose à ajouter; comme Trump dit tout et son contraire, il est difficile de prévoir ce qu'il fera, même si je devine que ce ne sera pas bon pour l'Ukraine. Beaucoup d'analystes tiennent pour acquis que Trump obtiendra son cessez-le-feu. Pour ma part, j'en doute. D'abord, parce que le plan proposé par Trump ne plait ni aux Ukrainiens, ni aux Russes, ni aux Européens (même si personne ne commet l'affront de le dire frontalement). Ensuite, parce que Trump a fait des promesses sur tous les sujets, et n'en tiendra que quelques unes (voire même aucune). Je doute que l'Ukraine fasse partie de ses priorités, et son investissement dans cette affaire sera sans doute minimal. Possible que les négociations s'enliseront, Trump passera a autre chose et se contentera de ne plus envoyer d'aide à l'Ukraine.

Les défaillances du commandement ukrainien (1)

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