mardi 28 janvier 2025

Les défaillances du commandement ukrainien (2)

Comme je l'avais dit dans la première partie de cette analyse,  une des premières choses qui frappe, quand on regarde la composition de l'armée ukrainienne, c'est la grand nombre de "types" de brigades, et la quasi-absence d'unités à un échelon supérieur aux brigades (division, corps ou armée). Or, ces deux caractéristiques constituent un handicap qui explique au moins en partie les difficultés actuelles de l'armée Ukrainienne. J'ai abordé la diversité des brigades dans la première partie, je vais donc m'intéresser au second problème: l'absence de division, corps etc pour structurer l'armée ukrainienne, et ses conséquences opérationnelles.

Chaîne(s) de commandement de la 100e brigade mécanisée, établie par SIRDO



Les chaînes (de commandement) qui enchaînent

Il y a un an, je me demandais comment le commandement ukrainien pouvait fonctionner sans structure au dessus des brigades. A l'époque, il y avait relativement peu de documentation sur le sujet disponible publiquement. Maintenant, beaucoup de témoignages, analyses et données sont disponibles, et la réponse à ma question est: il fonctionne très mal. Et pour illustrer ce problème, on va parler de la 100e brigade mécanisée ukrainienne.

Cette brigade était à l'origine la 100e brigade de défense territoriale, originaire de Volyn, dans le nord-ouest de l'Ukraine. En mars 2024, elle est devenue une unité mécanisée, recevant des Marders puis des Bradleys (donc les  meilleurs blindés dont disposent les ukrainiens). Cela montre qu'elle est considérée comme une unité d'élite, et est rattachée au 9e corps (qui regroupe bon nombre d'unités prestigieuses, comme la 47e brigade mécanisée et la 3e brigade d'assaut). Mais le 9e corps n'est pas une unité opérationnelle en charge d'un secteur du front. La 100e brigade mécanisée combat actuellement près de Toretsk, loin de la 3e brigade d'assaut (qui combat au sud-est de Kupyansk) et de la 47e (qui combat à Koursk).

La 100e brigade mécanisée dépend donc du "groupe tactique Luhansk" et du "groupe stratégique Khortytsia" comme indiqué sur le schéma ci-dessus. Mais ces groupes ne sont pas des unités comme des corps ou des armées, qui commanderaient un certain nombre de brigades; ce sont juste des quartiers généraux qui coordonnent l'action de brigades qui ne leur sont pas subordonnées hiérarchiquement. D'ailleurs, le commandant de ces groupes peut être d'un rang égal, voire même inférieur, au commandant d'une brigade. C'est le cas de la 100e mécanisée, commandée par le colonel Ruslan Tkachuk, alors que le "groupe tactique Luhansk" est lui aussi dirigé par un colonel.

Hiérarchiquement, la 100e mécanisée dépend du "commandement opérationnel ouest", responsable de la logistique, de l’entraînement et donc du remplacement de ses pertes, mais  qui est loin du front et ne "voit" pas l'unité combattre. La 100e mécanisée est également subordonnée hiérarchiquement au 9e corps dont le rôle est pour  le moins énigmatique.

Ce n'est donc pas une mais trois chaînes de commandement auxquelles cette brigade est soumise. A qui obéit-elle réellement ? Que se passe-t-il si les états-majors donnent des ordres différents ? A qui la brigade rapporte-elle ses pertes ? Qui décide si elle doit se replier, ou contre attaquer ? S'il y a un problème dans sa logistique (ou une erreur de commandement), qui est responsable et qui peut résoudre le problème ? Autant de questions qui sont relativement simples à répondre quand la chaîne de commandement est claire, mais qui posent problème avec l'organisation ukrainienne. Et qui ont des conséquences fatales.



L'enchaînement des erreurs

L'armée ukrainienne compte environ 120 brigades de première ligne, plus des brigades d'artillerie, de génie etc. Pour encadrer toute cette armée, il faudrait au moins un quarantaine de divisions (et/ou une vingtaine de corps d'armée). Or il n'y a aucune division et seulement 5 corps d'armée (dont le rôle est encore flou). Le fait que l'armée ukrainienne ne sont pas organisée de manière de manière classique a de nombreuses conséquences néfastes.

On a vu que, pour se coordonner, les Ukrainiens ont des "groupes tactiques" et "groupes stratégique" qui doivent gérer un secteur du front. Le problème est que, quand un secteur devient chaud et nécessite donc le déploiement d'un grand nombre de brigades, le groupe tactique doit alors gérer de 10 à 20 brigades différentes, voir même plus. A Bakhmut, début 2023, c'était pas loin de 30 brigades qui étaient, du moins en théorie, sous la responsabilité du "groupe tactique" local. Le problème est encore pire pour les "groupes stratégiques" qui peuvent avoir à gérer jusqu'à 60 brigades, sans comptés les nombreux bataillons "détachés". Aucun général, aucun humain ne peut gérer correctement une telle masse d'unités.

Aussi, il n'est pas étonnant que des erreurs tactiques et opérationnelles ont régulièrement lieu: mauvaise rotation de brigades, retrait d'une brigade laissant le flanc d'une autre brigade vulnérable, position-clef défendue par une unité faible... Voici quelques exemples qui ont coûté cher à l'Ukraine

  • la chute de Soledar, en janvier 2023, position clef tenue par la 93e brigade qui a été prise par les Russes suite à la rotation de cette brigade et à son remplacement par des brigades plus faibles.
  • la mauvaise défense d'Orechetyne en avril 2024: cette position-clef était défendue par un unique bataillon de défense territoriale, sa prise par les Russes a fait effondré toute une ligne de défense ukrainienne
  • en juillet 2024, une erreur dans une rotation d'unités à Toretsk a offert aux Russes l'opportunité de prendre une ligne de défense qui tenait bon depuis 2014; depuis, la bataille pour la ville fait rage, mais les Ukrainiens finiront par la perdre
  • en septembre 2024, dans la région de Koursk, les Ukrainiens avait acculé plusieurs milliers de soldats russes à Glushkovo, dos à la rivière; cependant, le point qui "verrouillait" la poche russe n'était défendu que par la 103e brigade territoriale, qui s'est faite défoncée par une puissante contre attaque russe, et enlevant aux ukrainiens tout espoir de tenir la région sur le long terme
  • en octobre et novembre 2024, le front de Pokrovsk à Vuhledar s'est disloqué; certaines unités ukrainiennes furent abandonnées sur la ligne de front. Un commandant d'un bataillon de défense territoriale s'est suicidé quand on lui a ordonné de mener un assaut pour lequel son unité n'était pas équipé.

On voit que ces erreurs se sont multipliées ces derniers temps. Et qu'il y a un thème commun: une mauvaise évaluation de la valeur de certaines unités, trop faibles pour accomplir la tâche qui leur est confiée.  Comme je l'ai dit dans la première partie, les unités ukrainiennes sont très hétérogènes, et deux bataillons, ou deux brigades, ne sont pas interchangeables, et il faut une bonne connaissance de chaque unité pour savoir quelle(s) tâche(s) elle peut accomplir. Les généraux commandant les "groupes tactiques" n'ont visiblement pas cette connaissance.

Alors, on peut simplement croire que les généraux responsables des "groupes tactiques" sont incompétents, que ce sont des fautes personnelles des commandants en question et qu'il suffit de trouver des généraux compétents pour résoudre le problème. Mais comme je le disais plus haut, personne ne peut gérer des groupes d'unités aussi importants, des erreurs arriveront fatalement, et ce d'autant plus régulièrement que les Russes font tout pour "mettre la pression" jusqu'à faire craquer les Ukrainiens.

Cette organisation en "groupes tactiques" étant loin d'être optimale (pour parler très poliment), on peut se demander comment les Ukrainiens en sont arrivés là et comment ils peuvent la changer.


 

Un bricolage de 2014 qui perdure

A la dissolution de l'URSS, les Ukrainiens avaient une organisation militaire classique: plusieurs divisions, regroupées dans trois corps d'armée. Mais l'armée ukrainienne était trop nombreuse pour un pays pauvre. Aussi les divisions furent dissoutes, pour ne garder que des brigades, et les corps d'armée furent transformés pour devenir les 4 "commandement opérationnels nord/sud/est/ouest". L'armée fit bien souvent les frais des restrictions budgétaires de l'état ukrainien, au point d'être dans un état lamentable en 2014.

Une telle évolution est logique dans un pays en paix et en grandes difficultés financières, et dont l'intégrité territoriale était reconnue, et censée être protégée, par les 5 membres permanents du conseil de sécurité de l'ONU. Lorsque la Russie a envahit l'Ukraine en 2014, et qu'il a fallu combattre les forces russes (déguisés en "séparatistes ukrainiens") dans le Donbas, de très nombreux volontaires ont formés des bataillons hors de la structure militaire classique. C'est pour coordonner toutes ces troupes (régulières et irrégulières) que furent créer ces groupes tactiques.

Durant les années de "paix" entre 2015 et 2022, ces groupes tactiques furent réorganisés, passant de 5 à 3 puis 2 groupes opérationnels pour garder la "ligne de front" sur laquelle il n'y avait plus guère de combats. En 2022, lors de l'invasion à grande échelle, de nouveaux groupes tactiques furent créer dans l'urgence. Leur côté "souple et informel" n'était pas une mauvaise chose dans les premiers mois de la guerre, quand les fronts n'étaient pas figés. D'autant plus que l'Ukraine manquait d'officiers, et qu'il fallait former de nombreuses nouvelles brigades. Mais depuis la fin 2022, cette organisation est plus un frein qu'autre chose.

L'Ukraine gagnerait donc à avoir une armée structurée en divisions/corps/armées, comme l'armée russe (et toutes les armées du monde ayant une taille relativement importante). Cela permettrait de simplifier la logistique, de clarifier la chaîne de commandement, de mieux coordonner les différentes brigades et bataillons. Et aussi, de responsabiliser les commandants ukrainiens, et peut-être les inciter ainsi à bâtir de meilleures défenses en profondeur.
 
Tout le monde est d'accord sur ce point, y compris les Ukrainiens En novembre 2024, les Ukrainiens ont annoncés qu'ils passeraient à un système corps/brigades. Mais cette réforme annoncée tarde à se concrétiser. Et surtout, pourquoi ne pas avoir lancé cette réforme plus tôt ?



Occasions manquées

Il y a eu plusieurs occasions pour réformer la structure de l'armée ukrainienne. La première était de le faire pendant la période 2016-2022, quand la guerre était de faible intensité et que les unités de volontaires ont été intégrées dans les forces armées de l'Ukraine. Mais il faut comprendre qu'à l'époque, les "commandement opérationnels" avaient juste la bonne taille pour faire office de corps d'armée: chacun commandait 5 brigades mécanisée ou blindée, plus une brigade d'artillerie. Donc c'était gérable. Les "groupes tactiques" qui étaient responsables de la coordination sur le front de l'est était également de taille assez modestes et restaient "gérables". Il n'y avait donc pas d'incitation à réformer ce système, surtout en période de "paix".

Ce n'est qu'après l'augmentation de la taille de l'armée ukrainienne, en 2022, que le système a commencé à montrer ses limites. Et c'est en 2023 qu'une deuxième occasion a été manquée pour passer à un système Corps-Brigade. En effet, 12 brigades avaient été formées et entraînées (dont 9 par les Occidentaux) pour la contre-offensive ukrainienne, et les Occidentaux comptaient très probablement organiser ces brigades en deux corps de 6 brigades (les fameux 9e et 10e corps). Il est probable que les Occidentaux prévoyaient un plan semblable à celui décrit par le Colonel Goya.

Mais les Ukrainiens avaient d'autres plans. Rétrospectivement, il me parait clair que les Ukrainiens savaient qu'ils ne pouvaient pas percer les lignes russes et ont mené une contre-offensive minimale. Ils ont décidé de n'employer qu'une partie de ces 12 brigades pour la contre-offensive, et employer le reste pour renforcer d'autres secteurs du front. On peut argumenter que même pour le plan que les Ukrainiens avait choisi, il aurait été utile d'employer ces structures de corps, plutôt que d'en faire des coquilles vides qui s'ajoutaient aux "groupes tactiques" et "groupes stratégiques". Pourquoi ne l'ont-ils pas fait ? C'est une question qu'il faudrait poser au haut commandement ukrainien. Peut-être que, voyant les occidentaux ne leur donnant pas les armes nécessaires pour leur contre-offensive, les Ukrainiens ont jeté le bébé (= les conseils de réorganisation) avec l'eau du bain.

Une troisième opportunité était quand Sirsky a remplacé Zalujny à la tête de l'armée ukrainienne. C'était l'occasion de changer la structure de commandement. Or, rien n'a été fait; en effet, beaucoup des généraux qui ont été promus à ce moment-là (en particulier Sodol et Sirsky) étaient alors à la tête de ces groupes tactiques ou stratégique. Il est d'ailleurs remarquable que Sirsky était à la fois le chef des forces terrestres dans leur ensemble ET le chef du "groupe stratégique Khortytsia" qui gérait le front de Kupyansk  à Toretsk. On peut donc penser que ces généraux sont pour que perdure le système actuel, malgré ses défauts flagrants.



Des embryons de réforme

Pourtant, il existe bien quelques tentatives pour créer ces corps d'armée dont l'Ukraine a besoin. L'exemple le plus abouti concerne le corps de l'infanterie de marine (qui ne dépend donc pas du commandement des forces terrestres). Le corps des marines compte:

  • 4 brigades d'infanterie de marine (structurellement identiques à des brigades d'infanterie motorisée)
  • 3 brigades de défense côtières, formées à partir de brigades de défense territoriales
  • 2 brigades d'artillerie
  • 1 brigade de drones(+ 1bataillon)

Le tout commandé par le 30e corps.

Jusqu'à peu, toutes ces unités étaient également regroupées près de Kherson. Hélas, ces unités ont ensuite été dispensées un peu partout pour colmater les brèches, plutôt que d'être employées en tant que corps d'armée.

En plus des 9e et 10e corps créés en 2023, le 11e corps a été créé en 2024. Il regroupe 3 brigades mécanisées, 1 brigade blindée et 1 brigade d'artillerie. Toutes ces unités sont relativement proches géographiquement, étant sur le "front de Liman" au nord de Siversk, à l'exception de la 61e brigade mécanisée envoyée à Kursk. 

La création d'un 12e corps a aussi été annoncée récemment, mais semble encore être une coquille vide.



Conclusion

Le système de commandement ukrainien, reposant sur des chaînes de commandement multiples et des "groupes tactiques" et "groupes stratégiques" beaucoup trop vastes, est à la fois inefficace et favorise les erreurs tactiques et opérationnelles. Les Ukrainiens gagneraient à revenir à une structure plus classique comme un système Corps - Brigades, ce qu'ils disent avoir l'intention de faire. Cette réforme annoncée tarde à se mettre en place, même s'il y a déjà quelques structures qui existent et qu'il faut développer plus.

Les problèmes de l'armée ukrainienne sont structurels; c'est pourquoi ça ne sert à rien de changer les généraux; sans réforme structurelle, les mêmes problèmes resurgiront. Quand Zelensky a limogé tous les chefs régionaux des centres de recrutement en août 2023, les problèmes ont perduré car la structure n'a pas été changée. 

Or, les réformes structurelles sont les plus compliquées à mettre en place, car il y a toujours des résistances internes. Elles ne peuvent se faire que s'il y a une volonté forte au plus haut niveau de la hiérarchie; autrement dit, seuls Zelensky et/ou Sirsky peuvent faire en sorte que cette réforme ait lieu. Mais le premier est surtout occupé à essayer de maintenir l'aide occidentale malgré le retour de l'ordure orange, et Sirsky, si on en croit plusieurs témoignages, passe son temps à micro-manager telle ou telle brigade ukrainienne (quand ce ne sont pas carrément des bataillons ou des compagnies), et à essayer de faire taire les critiques contre lui. Il y a donc peu d'espoir que les choses s'améliorent dans un proche avenir. 

D'autant plus que celles et ceux qui demandent des changements dans l'armée ukrainienne ne mettent pas en avant ce problème de structure (quand bien même ils reconnaissent son existence): ils se focalisent plus sur les problèmes d’entraînement, de formation de nouvelles brigades ou sur les "généraux incompétents" sans comprendre que c'est la structure actuelle de l'armée ukrainienne qui génère ces erreurs tactiques ou opérationnelles, et que c'est ça qu'il faut changer en priorité.

Mais c'est sur que ces questions de structure de commandement attirent moins l'attention médiatique que, par exemple, les déboires des toutes nouvelles brigades, comme la 155e brigade mécanisée "Anne de Kiev" qui a beaucoup fait parler d'elle ces derniers mois, comme j'en parlerai dans la suite de cette analyse.


dimanche 19 janvier 2025

Les défaillances du commandement ukrainien (1)

Il y a un an, je m'interrogeais sur l'organisation du commandement ukrainien. Ma conclusion était alors:

Pourtant, ce problème du commandement des "échelons intermédiaires" semble assez peu pointé du doigt par les analystes militaires. Il faut dire que, au moins pour les phases défensives, les faiblesses du commandement ukrainiens passent au second plan. En tous cas, c'est un problème bien moins important que le fait que les USA coupent tout approvisionnement en armes et en munitions. Mais c'est un problème que les Ukrainiens devront résoudre un jour ou l'autre s'ils comptent libérer le territoire actuellement occupé par les Russes.

Un an plus tard, le problème n'est pas résolu (il s'est au contraire aggravé); en revanche, il est de plus en plus discuté dans les média, au point que cela éclipse parfois les discussions sur les (non-)livraisons d'armes par les Occidentaux. Donc, pour développer ce que je disais dans mon bilan du mois de décembre, voici quelques réflexions sur les problèmes liés aux défaillances du commandement ukrainien.

Une des premières choses qui frappe, quand on regarde la composition de l'armée ukrainienne, c'est la grande diversité du type de brigades, et la quasi-absence d'unités à un échelon supérieur (division, corps ou armée). Or, ces deux caractéristiques constituent un handicap qui explique au moins en partie les difficultés actuelles de l'armée Ukrainienne.

Ordre de bataille de la 47e brigade mécanisée, établi par SIRDO



Tous types de brigades

Le Colonel Goya rappelait que, pendant la seconde guerre mondiale, l'armée des USA n'avait que 3 types de divisions (divisions d'infanterie, divisions blindées, division de parachutistes), et que les unités inférieures étaient à peine plus diverses, ce qui permettait aux américains de standardiser leur armée. C'est tout le contraire qui s'est produit en Ukraine. En m'appuyant sur les données du site Militaryland, voici les différentes brigades ukrainiennes, selon leur types:

  • 42 brigades mécanisées (14e, 21e, 22e, 23e, 24e, 28e, 30e, 31e, 32e, 33e, 41e, 42e, 43e, 44e, 47e, 53e, 54e, 60e, 61e, 63e, 65e, 67e, 72e, 93e, 100e, 110e, 115e, 116e, 117e, 118e, 141e, 142e, 143e, 150e, 151e, 153e, 154e, 155e, 156e, 157e, 158e, 159e)
  • 4 brigades motorisée (56e, 57e, 58e, 59e)
  • 5 brigades blindée (1ere, 3e, 4e, 5e, 17e)
  • 3 brigades d'assaut (3e, 5e, 92e)
  • 3 brigades de chasseurs (68e, 71e, 152e)
  • 2 brigades de montagne (10e, 128e)
  • 1 brigade de parachutiste (25e)
  • 3 brigades aéromobiles (46e, 77e, 81e)
  • 4 brigades d'assaut aérien (79e, 80e, 82e, 95e)
  • 4 brigades de marine (35e, 36e, 37e, 38e) 
  • 14 brigades de la garde nationale (1e, 2e, 3e, 4e, 5e, 11e, 12e, 13e, 14e, 15e, 17e, 18e, 27e, 31e),  + 3 brigades de garde frontière + 1 à 4 brigades de la police
  • 31 brigades de défense territoriale (1ere, 101e, 102e, 103e, 104e, 105e, 106e, 107e, 108e, 109e, 110e, 111e, 112e, 113e, 114e, 115e, 116e, 117e, 118e, 119e, 120e, 121e, 122e, 123e, 124e, 125e, 126e, 127e, 128e, 129e, 241e)
  • 4 autres brigades (légion internationale, brigade présidentielle, 144e brigade d'infanterie, brigade consolidée de fusiliers)

Soit au moins 13 types de brigades, pour un total de 120 brigades. Et encore, on ne parle là que des différentes brigades "de mêlée", pas des brigades d'artillerie, d'ingénierie et autres brigades de support. C'est donc beaucoup de types différents surtout que toutes ces brigades jouent plus ou moins le même rôle: tenir la ligne de front. Celle-ci ne passe pas par des montagnes, il n'y a pas d'opérations aéroportées, ni amphibies (à l'exception de la tête de pont qui était à Krynky): les brigades de montagne, de marine ou de parachutistes n'ont donc pas un rôle différent comparé aux brigades d'infanterie mécanisée/motorisée.

Or, loin de vouloir simplifier ce modèle (comme le suggérait le colonel Goya en septembre dernier), les Ukrainiens ont créé ces derniers mois deux nouveaux types de brigades en transformant des brigades existantes:

  • les 5e et 17e brigades blindées, ainsi que la 117e brigade mécanisée, sont devenues des "brigades mécanisées lourdes"
  • les 34e et 40e brigade de défense côtière ont été créées, a priori en remplacement de la 150e brigade mécanisées et 124e brigade de défense territoriale; la 126e brigade de défense territoriale est supposée suivre ce mouvement et devenir la 39e brigade de défense côtière.

La question est donc de comprendre pourquoi il y a tant de types de brigades, et pourquoi les Ukrainiens continuent d'en ajouter, plutôt que de simplifier cette organisation (ou plutôt cette désorganisation).



La bataille des cinq armées

Une première clef est de comprendre  que l'armée ukrainienne terrestre (on ne parle pas des forces aériennes ni de la marine) est divisée en cinq groupes :

  1. les forces d'assaut aérien (parachutistes)
  2. l'infanterie de marine
  3. la garde nationale
  4. la défense territoriale
  5. enfin toutes les autres unités

Toutes ces forces sont -en théorie- subordonnées au commandant en chef (le général Syrsky) et toutes dépendent du ministère de la défense à l'exception de la garde nationale, qui dépend du ministère de l'intérieur. Mais les quatre premiers groupes disposent d'un certain degré d'autonomie.

Déjà, leurs unités ne dépendent pas d'un des quatre "commandements opérationnels" (nord/sud/es/ouest). Les forces d'assaut aérien et l'infanterie de marine dépendent d'un "corps" spécifique et ont un certain prestige, étant considérées comme des formations d'élite (il en est de même dans l'armée russe, où les parachutistes/VDV et l'infanterie de marine sont considérés comme des troupes d'élite). La garde nationale dépend du ministère de l'intérieur, et regroupe d'ailleurs des formations issues de volontaires (comme la fameuse 12e brigade "Azov") et des formations issues de structures indépendantes de l'armée, comme la police et les gardes-frontières. Enfin, la défense territoriale est financée directement par les régions qui "gèrent"  les brigades qu'elles ont levées et par une structure de commandement régional (nord/sud/est/ouest) qui est en miroir des commandements opérationnels.

Cette différence de statuts explique ce qui arrivé à la 1ère brigade de défense territoriale "Ivan Bohun", mais qui était auparavant la 1ère brigade à but spécial "Ivan Bohun", une unité d'élite, bien équipée qui faisait partie du 9e corps. Il est curieux que cette unité a été "dégradée", passant d'unité d'élite correctement équipée à unité territoriale mal équipée. Bien que les officiels ukrainiens n'ont jamais donné de raison à ce changement, c'est très probablement lié à une décision politique et/ou un conflit avec la hiérarchie militaire. 

En février 2024, un bataillon de cette brigade (le célèbre "Dyka Pole") est dissout et son chef (le Major Andriy Malakhov) arrêté. Malakhov bénéficiait pourtant du soutient du général Zaluzhny, qui sera remplacé quelques semaines plus tard par Syrsky en tant que Commandant-en-chef de l'armée ukrainienne. Il est probable que les autres membres de cette brigade ont cherché à rejoindre la défense territoriale en signe de protestation et/ou pour se mettre à l'abri d'autres représailles de la part du nouveau haut commandement militaire. 

J'ai aussi parlé, sur ce blog, de la 67e brigade mécanisée,  qui avait perdu un de ses éléments les plus emblématiques (les "Da Vinci Wolves") puis qui a été "reprise en main" et purgée de ses éléments liés au parti politique "Secteur droit".

Ces exemples illustrent comment des querelles (personnelles et/ou politiques) peuvent dégrader des unités militaires, mais aussi que les soutiens politiques, la personnalité des commandants etc comptent beaucoup et font que l'armée ukrainienne n'est pas homogène ni vraiment centralisée. Et cela se reflète dans le mode de fonctionnement des brigades et des bataillons.


 

L'indépendance à tout prix ?

Dans le nom officiel des brigades (et de certains bataillons) apparaît le mot-clef "séparé" (окрема). Cela signifie qu'ils disposent d'un "numéro d'unité" et d'un insigne propre et sont, en théorie,  capables d'opérer indépendamment de toute unité supérieure. Cela pose des problèmes structurels (sur lesquels je me focaliserait plus tard) mais dénote surtout d'un certain esprit d'indépendance. 

Car cela ne signifie pas seulement que ces unités ont leur propre logistique, leur propre soutien d'artillerie etc. Ils peuvent avoir aussi (pour certaines unités), leur propre financement et leur propres centre de recrutement. Le fait que les ukrainiens peuvent ainsi "choisir" leur brigade en allant directement les contacter fait que certaines unités populaires peuvent "grossir".

L'exemple le plus frappant est celui des "Magyar's birds", une unité fondée et commandée par Robert Brovdi, dit "Magyar". Comme expliqué ici, Robert Brovdy est un entrepreneur originaire de la petite région ukrainienne où l'on parle hongrois (d'où son nom de guerre), qui s'est porté volontaire en février 2022 pour servir dans une unité de défense territoriale, où il commande un simple peloton. A partir d'avril 2022, il commence à s'intéresser aux drones et est un des premiers à développer de nouvelles techniques pour les utiliser comme bombardiers ou kamikaze. Son groupe grossit, devient une compagnie puis un bataillon indépendant au sein du corps des Marines. L'unité continue de grossir pour devenir un régiment, et plus récemment une brigade. Ils sont en grande partis auto-financés (et/ou financés par des campagnes de dons), recrutent directement des volontaires et les forment, publient des vidéos pour montrer leur "travail" et travaille la main dans la main avec des constructeurs de drones comme les "Wild Hornets".

"Magyar's birds" n'est pas la seule unité ukrainienne à se former ainsi autour d'une personnalité ou d'un petit groupe. Quelques autres exemples: le bataillon "Da Vinci wolves", et tout récemment le 91e bataillon anti-char. En fait c'est depuis 2014 que se forment de telles unités, la plus célèbre étant Azov, pour combattre les Russes. Ces unités sont souvent financées par le privé (oligarques ou simples citoyens) et ont ensuite été intégrées à la garde nationale. S'il y a ce genre d'initiative, c'est probablement un signe de méfiance vis-à-vis de l'Etat et de la hiérarchie militaire, souvent perçue comme corrompue et inefficace. 

Mais ces initiatives, qui dans l'ensemble permettent à l'Ukraine d'avoir des petites unités motivées et de bonnes qualité, sont aussi un des facteurs qui explique pourquoi l'armée ukrainienne est aussi hétérogène - et a du mal à gérer les formations plus grandes que des brigades.


 

Hétérogénéité et manque de matériel

Un autre facteur expliquant cette hétérogénéité est l'état du matériel disponible pour chaque brigade/ bataillon.  Avant 2022, les choses étaient plus simples: il y avait en gros 3-4 types de brigades, qui regroupaient chacune 4 bataillons :

  • brigade blindée = 3 bataillons de tank + 1 bataillon mécanisé
  • brigade mécanisée = 3 bataillons mécanisés + 1 bataillon de tank
  • brigade motorisée =  3 bataillons mécanisés + 1 compagnie de tank
  • les autres types de brigades (de marine, de parachutistes, de montagne etc) étaient des brigades motorisées avec une "spécialisation"
  • il n'y a avait pas de brigades territoriales

Chaque brigade avait, en plus de ses 4 bataillons (qui comptait chacun 30 tanks ou véhicules blindés), un groupe d'artillerie (~30 pièces) et un bataillon anti-aérien (manpads igla et/ou canons Zu-23). Mais, suite à l'invasion à grande échelle depuis février 2022, cette composition bien ordonnée a plus ou moins disparu. Déjà, la plupart des brigades existantes se sont vues adjoindre 1, 2 ou 3 bataillons d'infanterie supplémentaires. Puis, lors de la création de nouvelles brigades, certaines brigades existantes ont été réduire d'un ou deux bataillons pour former l'ossature d'une nouvelle brigade.

Il est également possible que les brigades blindées ont été plus ou moins démantelées en 2023 pour créer de nouvelles brigades mécanisées, et qu'avec l'attrition les bataillons blindés sont plus ou moins réduits à la taille d'une compagnie. Pour ne prendre que l'exemple de la 47e brigade mécanisée, équipée de chars Abrams M1, on sait que les USA n'en ont livré que 31 et qu'au moins 18 ont été perdus. Ce qui laisse, au mieux, 13 chars pour toute la brigade au lieu des 30 que devrait normalement compter un bataillon de chars. De toute façon, cela fait longtemps qu'on ne voit plus de concentration de tanks chez les Ukrainiens, il y a au mieux 1 ou 2 tanks impliqués dans chaque action.

Donc, quel que soit la dénomination officielle, les brigades actuelles sont surtout constituées d'infanterie (régulière ou mécanisée) avec parfois une petite composante blindée.  Pour la trentaine de brigades de défense territorial formées au début de la guerre, c'est encore pire: elles n'ont ni groupe d'artillerie ni éléments blindés, même si certaines (comme la 100e) ont été "améliorées" pour devenir des brigades mécanisées. 

De plus, il n'est pas rare qu'une brigade soit équipée, puis rééquipée de manière très disparate en fonction des livraisons d'armes occidentales, des pertes, des décisions du haut commandement etc. Pour reprendre l'exemple de la 47e brigade mécanisée, sirdo a reconstitué l'historique de son bataillon blindé. Au départ, elle devait recevoir 28 T55S, une version (certes améliorée) du T-55, donc pas top. Du moins, c'est ce qu'indiquaient les documents qui ont fuité du Pentagone. Puis, en mai 2023, elle a reçu les meilleurs chars disponibles: 21 Leopards 2A6. Qui en fait été destinés à la 21e brigade mécanisée. Enfin, début 2024, elle a reçu 31 chars M1 Abrams en replacement des Leopards. Bonjour les problèmes pour coordonner tout ça.

La diversité du matériel est donc telle qu'il est difficile d'évaluer la force d'une brigade, d'autant que le nombre de bataillons par brigade varie de 3 par exemple la 110e brigade mécanisée) à 8 (par exemple la 93e brigade mécanisée). Et de toute manière, cela importe peu car le haut commandement ukrainien a la fâcheuse tendance à ne pas déployer de brigades complètes, mais seulement certains bataillons d'une brigade.

 

 

Formez vos bataillons

L'an dernier, j'avais fait l'observation que les Ukrainiens déploient leurs unité non au niveau de la brigade, mais du bataillon. Il arrive ainsi qu'un bataillon d'une brigade combatte à des centaines de kilomètres du reste de sa brigade. On a vu que ce cas de figure est "prévu" car certains bataillons bénéficient d'une large autonomie. Il n'en reste pas moins que c'est loin d'être une manière optimale de combattre. 

D'une part, parce que si ces bataillons "séparés" intègrent un petit groupe d'artillerie et un soutien logistique, c'est loin d'être autant que ce qui est disponible au niveau de la brigade. D'autant plus que les bataillons ukrainiens sont assez petits: de 250 à 500 hommes selon les chiffres qui avaient fuité du pentagone, même si la fiabilité de ce chiffre est incertaine.

D'autre part parce que ça réduit la cohérence des brigades et les affaiblit donc: il vaut mieux qu'une brigade combatte plutôt que trois bataillons issus de trois brigades différentes. Enfin, il est plus facile pour le niveau supérieur de coordonner l'activité de quelques brigades plutôt que d'une multitude de bataillons. 

La question est donc: pourquoi les Ukrainiens le font-ils ? A cette question, je n'ai pas de réponse certaine, juste des hypothèses, plus ou moins probables.

La première hypothèse est que les Ukrainiens feraient des rotations de bataillons plutôt que des rotations de brigades: autrement dit, pour chaque brigade, il y a toujours un ou deux bataillons à l'arrière et que, quand il faut renforcer en urgence un secteur, ce sont ces bataillons à l'arrière qui sont envoyés quand bien même le reste de l'unité combat dans un autre secteur.

La seconde est que les Ukrainiens sont dans une situation tellement critique qu'ils n'ont plus aucune brigade en réserve, et doivent donc bricoler en urgence en dépouillant certaines brigades de secteurs supposés calmes pour renforcer là où les défenses craquent.

La troisième hypothèse est que les Ukrainiens sont effectivement habitués à tout faire au niveau "bataillon" et que le niveau brigade est une coquille vide. Et que, jusqu'en 2024, ça semblait marcher, ils ont été pris au dépourvu quand ce système a commencé à montrer ses limites.



Conclusion

J'arrive déjà à la conclusion, et j'ai à peine parlé des défaillances du commandement ukrainien. Car mon but n'est pas tant de lister ces défaillances et de conclure que "le Général Sirsky  est incompétent" (comme trop de monde le fait en s'arrêtant à la première explication venue) mais d'expliquer pourquoi il y a ces défaillances.

Dans ce premier billet, j'ai donc tenté d'expliquer pourquoi l'organisation de l'armée ukrainienne est aussi hétérogène, ce qui pose de gros problèmes pour la commander et pourquoi, même à supposer que le haut commandement ukrainien voudrait essayer de suivre le conseil du Colonel Goya "simplifier pour vaincre", il ne pourrait que très difficilement le faire: il doit composer avec la fragmentation structurelle de l'armée ukrainienne, avec les soutiens politiques des uns et des autres, avec un matériel hétéroclite et qui doit toujours être changé, avec des individus forts et désirant préserver leur autonomie, etc.

EDIT: La suite de cette analyse parle des défaillances dues à la structure de commandement ukrainien.

 

dimanche 5 janvier 2025

Guerre en Ukraine: bilan du mois de décembre 2024

Comme chaque mois, voici un petit bilan du mois de décembre 2024, à mettre en perspective avec les constats que j'avais faits fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre, fin novembre, fin décembre 2023 ainsi que fin janvier, fin février, fin mars, fin avril, fin mai, fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre et fin novembre 2024.

Une fois de plus, les Russes ont continué leur grignotage des défenses ukrainiennes, surtout dans le sud-est où ils ont pratiquement pris Kurakove et menacent très sérieusement Velyka Novosilka.  La situation reste très préoccupante aussi vers Pokrovsk, Toretsk, Chassiv Yar et vers Kupyansk, même si jusqu'à présent ces villes tiennent encore. Dans la région de Kursk, les Ukrainiens continuent de reculer tout en infligeant de grandes pertes aux Russes et aux Nord-Coréens déployés dans la région.
 
Cependant, une fois de plus, l'événement qui aura le plus de conséquence n'a pas eu lieu sur le champ de battaille. Ce mois-ci, c'est en Syrie que ça s'est passé: la chute de Bachar el-Assad prive la Russie d'un précieux allié.
 
 
 

Pertes humaines record, pertes matérielles en baisse (bis)

Je rappelle les pertes russes telles qu'annoncées par les officiels Ukrainiens dans les 4 catégories à surveiller: Artillerie, MLRS, DCA et équipements spéciaux. Pour chacune, je vais donner les chiffres mensuels habituels ces derniers mois, ainsi que les moyennes pour la première année (mars 2022 à février 2023) et la deuxième année (mars 2023 à février 2024) puis les chiffres de mars > avril > mai > juin > juillet > août > septembre > octobre > novembre > décembre 2024

  • Artillerie 
    • moyenne 1ere année: 190/mois
    • moyenne 2e année: 650/mois
    • 980 (mars) > 961 (avril) > 1129 (mai) > 1393 (juin) > 1553 (juillet) > 1528 (août) > 1208 (septembre) > 1191 (octobre) > 896 (novembre) > 619 (décembre)
  • MLRS
    • moyenne 1ere année: 40/mois
    • moyenne 2e année: 43/mois
    • 23 (mars) > 30 (avril) > 35 (mai) > 22 (juin) > 21 (juillet) > 45 (août) > 28 (septembre) > 39 (octobre) > 10 (novembre) > 3 (décembre)
  • DCA
    • moyenne 1ere année: 21/mois
    • moyenne 2e année: 37/mois
    • 53 (mars) > 36 (avril) > 36 (mai) > 58 (juin) > 34 (juillet) > 33 (août) > 23 (septembre) > 31 (octobre) > 25 (novembre) > 13 (décembre)
  • Équipements spéciaux
    • moyenne 1ere année: 19/mois
    • moyenne 2e année: 114/mois
    • 228 (mars) > 148 (avril) > 187 (mai) > 284 (juin) > 249 (juillet) > 280 (août) > 336 (septembre) > 257 (octobre) > 47 (novembre) > 54 (décembre)

Les baisses constatées au mois dernier se poursuivent. En particulier, les pertes de MLRS sont encore plus basses, presque inexistantes. Ce qui est d'autant plus intrigant que les réserves matérielles russes de MLRS sont virtuellement épuisées. Se pourrait-il qu'ils n'en aient plus ? Pourtant, chaque jour, les Ukrainiens rapportent environ 200 attaques de MLRS russes chaque jour, une moyenne qui est d'ailleurs en augmentation ces deux derniers mois. L'explication à cette contradiction apparente est peut-être la même que celle qui explique pourquoi les Ukrainiens ne détruisent plus que très rarement des avions et hélicoptères, car ceux-ci veillent à rester autant que possible loin de la ligne de front. De même, il est possible que la Russie utilise moins les MLRS TOS1A (portée ~10km) et BM-21 "Grad" (portée ~20km)  et plus les MLRS à plus longue portée BM-27 "Uragan" et BM-30 "Smerch".

En tout, 3 764 pièces d'équipement ont été perdues par les Russes selon le comptage mensuel fait par Ragnar Bjartur Gudmundsson, en baisse de 20% par rapport au mois précédent, alors que dans le même temps les Russes ont perdu 49 150 hommes en novembre, ce qui pulvérise une fois de plus le record du mois précédent. 

Ce double mouvement (baisse des pertes matérielles, augmentation des pertes humaines) s'accentue donc en décembre et n'est pas du tout une bonne nouvelle pour la Russie: c'est le signe que les capacités de son armée se dégradent. Malheureusement, il est probable qu'il en soit de même pour l'armée ukrainienne.



Critiques contre le haut commandement ukrainien

De plus en plus de voix s'élèvent contre la gestion de la guerre par le haut-commandement ukrainien, et ces critiques viennent souvent de pro-ukrainiens fervents. Un des plus expressifs est sans aucun doute Tom Cooper / Sarcastosaurus qui depuis maintenant près de six mois injurie les décideurs ukrainiens (en particulier le commandant-en-chef Syrsky et le président Zelensky) et les traite d'incompétents. Si tous ne partagent pas le ton (excessif et insultant) de Tom Cooper, d'autres analystes et militaires formulent les mêmes critiques de manière plus polie mais non moins sévère:
 
Les principaux griefs sont:
  • mauvais processus de mobilisation et d’entraînement
  • problèmes d'organisation de la structure de commandement
  • problèmes lors des rotations d'unités
  • problèmes de logistique
  • mauvais choix tactiques
  • fâcheuse habitude de "découper" les brigades et d'envoyer ses bataillons sur différents fronts 

Tous ces problèmes ont pour conséquences une baisse de la qualité des unités ukrainiennes, un manque de cohésion tactique et opérationnelle, et au final une défense plus faible et des pertes plus importantes.

J'avais parlé de certains de ces problèmes il y a près d'un an. Hélas, ils se sont aggravés depuis. La 155e brigade mécanisée "Anne de Kiev", tout juste équipée et entraînée par la France, semble avoir fait les frais de ces problèmes de commandement ukrainien, du moins si on en croit les reportages qui circulent à son sujet.
 
Des réformes drastiques sont donc d'autant plus nécessaires que ces problèmes sont anciens et que de nombreux articles ont été écrits dessus tout au long de 2023 et 2024. Mais, autant que l'on puisse en juger, le haut-commandement ukrainien n'apprécie guère toutes ces remises en questions et sa réponse varie entre essayer de faire taire les critiques et promettre des réformes qui ne se font pas. Comprendre pourquoi ces réformes ne se font pas, alors que l'Ukraine pourrait grandement en bénéficier, est une autre paire de manche. J'essaierais de développer ce point prochainement.


La chute du boucher de Damas

En novembre, c'est hors d'Ukraine que Poutine a eu sa plus belle victoire avec l'élection de Trump. En décembre, c'est encore hors d'Ukraine que Poutine a eu sa plus terrible défaite avec la chute de Bachar El-Assad. Avec la fin du règne de la terreur du "Boucher de Damas", la Russie perd un allié précieux, et l'Ukraine gagne un ami. La Russie a été incapable de sauver Assad, preuve s'il en était besoin de son affaiblissement militaire suite à la guerre en Ukraine.

Certes, la Syrie ne fournissait à la Russie ni armes ni hommes, contrairement à l'Iran et la Corée du Nord. Au contraire, elle immobilisait une petite partie de la puissance militaire russe. Mais elle fournissait toute la base arrière nécessaire au développement de l'influence russe au Moyen-Orient et en Afrique. De plus, le fait que le régime syrien est tombé si rapidement montre à quel point ce genre de dictature (même quand il obtient officiellement 99% des votes) peut tomber facilement quand un petit groupe (mais bien armé et déterminé) se rebelle contre le pouvoir central. On se souvient de la facilité avec laquelle Prigojine a marché sur Moscou.
 
Pour le reste, l'issue de la guerre en Ukraine est toujours suspendu aux futures décisions de Donald Trump. J'ai déjà écrit dessus le mois dernier, et il n'y a pas grand'chose à ajouter; comme Trump dit tout et son contraire, il est difficile de prévoir ce qu'il fera, même si je devine que ce ne sera pas bon pour l'Ukraine. Beaucoup d'analystes tiennent pour acquis que Trump obtiendra son cessez-le-feu. Pour ma part, j'en doute. D'abord, parce que le plan proposé par Trump ne plait ni aux Ukrainiens, ni aux Russes, ni aux Européens (même si personne ne commet l'affront de le dire frontalement). Ensuite, parce que Trump a fait des promesses sur tous les sujets, et n'en tiendra que quelques unes (voire même aucune). Je doute que l'Ukraine fasse partie de ses priorités, et son investissement dans cette affaire sera sans doute minimal. Possible que les négociations s'enliseront, Trump passera a autre chose et se contentera de ne plus envoyer d'aide à l'Ukraine.

Guerre en Ukraine: bilan du mois de février 2025

Comme chaque mois, voici un petit bilan du mois de janvier 2025, à mettre en perspective avec les constats que j'avais faits fin juin , ...