vendredi 1 novembre 2024

Guerre en Ukraine: bilan du mois d'octobre 2024

Comme chaque mois, voici un petit bilan du mois d'octobre 2024, à mettre en perspective avec les constats que j'avais faits fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre, fin novembre, fin décembre 2023 ainsi que fin janvier, fin février, fin mars, fin avril, fin mai, fin juin, fin juillet, fin août et fin septembre 2024.

Une fois de plus, les Russes ont continué leur grignotage des défenses ukrainiennes, à un rythme encore plus soutenu que le mois précédent. Vuhledar est tombée au mains des Russes au début du mois, et ceux-ci ont ensuite continué une progression assez rapide dans le secteur. La situation reste très préoccupante aussi vers Pokrovsk, Toretsk et à l'est de Kupyansk où les Russes ont réussi à couper en deux le dispositif Ukrainien à l'est de la rivière Oskil. En ce qui concerne la région de Kursk, les Ukrainiens sont maintenant là aussi sur la défensive.
 
Pertes russes au 31/10/2024, selon les officiels ukrainiens

EDIT: Pour tous les changements sur la ligne de front, je renvoie au très complet bilan mensuel du site Militaryland.net.


Octobre rouge sang

Je rappelle les pertes russes telles qu'annoncées par les officiels Ukrainiens dans les 4 catégories à surveiller: Artillerie, MLRS, DCA et équipements spéciaux. Pour chacune, je vais donner les chiffres mensuels habituels ces derniers mois, ainsi que les moyennes pour la première année (mars 2022 à février 2023) et la deuxième année (mars 2023 à février 2024) puis les chiffres de mars > avril > mai > juin > juillet > août > septembre > octobre 2024

  • Artillerie 
    • moyenne 1ere année: 190/mois
    • moyenne 2e année: 650/mois
    • 980 (mars) > 961 (avril) > 1129 (mai) > 1393 (juin) > 1553 (juillet) > 1528 (août) > 1208 (septembre) > 1191 (octobre)
  • MLRS
    • moyenne 1ere année: 40/mois
    • moyenne 2e année: 43/mois
    • 23 (mars) > 30 (avril) > 35 (mai) > 22 (juin) > 21 (juillet) > 45 (août) > 28 (septembre) > 39 (octobre)
  • DCA
    • moyenne 1ere année: 21/mois
    • moyenne 2e année: 37/mois
    • 53 (mars) > 36 (avril) > 36 (mai) > 58 (juin) > 34 (juillet) > 33 (août) > 23 (septembre) > 31 (octobre)
  • Équipements spéciaux
    • moyenne 1ere année: 19/mois
    • moyenne 2e année: 114/mois
    • 228 (mars) > 148 (avril) > 187 (mai) > 284 (juin) > 249 (juillet) > 280 (août) > 336 (septembre) > 257 (octobre)

Ces chiffres sont donc toujours très élevés, sans être des records. Mais, de manière générale, les pertes annoncées sont de 41 890 hommes et 5 160 pièces d'équipement perdues par les Russes selon le comptage mensuel fait par Ragnar Bjartur Gudmundsson, ce qui constitue un record tant pour les pertes matérielles que pour les pertes humaines.

Comme toujours, il y a débat sur la fiabilité de ces chiffres ukrainiens, j'ai déjà dit plusieurs fois ce que j'en pensais. On peut bien sûr imaginer que les Ukrainiens, forcés de reculer notamment dans le Donbas, gonflent les chiffres pour "compenser" leurs pertes territoriales. Mais comme les Russes ont considérablement intensifié leurs attaques, il est très probable que leurs pertes atteignent des niveaux records, ce qui va dans le sens des chiffres ukrainiens.

 

 

Bilan de l'offensive de Koursk

Cela fait bientôt 3 mois que les Ukrainiens ont lancé leur offensive dans la région de Koursk, et il est temps de faire un bilan de ces trois mois. On peut diviser cette offensive en trois phases de durée inégales:

  1. l'attaque initiale (les 2-3 premiers jours): les Ukrainiens attaquent par surprises les Russes et percent leurs défenses. Ils avancent rapidement (jusqu'à 30km de profondeur) le long de quelques axes routiers. La confusion règne chez les Russes, qui tirent sur certains de leurs convois. A ce moment, il y a peut-être 5 à 10 000  hommes côté ukrainien, et quelques milliers côté russe. Durant cette première phase, les Ukrainiens ont clairement le dessus, faisant de nombreux prisonniers et occupant au moins 450km2 de territoire (probablement plus)
  2. la période de consolidation (les 3-4 semaines suivantes): Russes comme Ukrainiens envoient des renforts dans la région. Les Russes construisent des fortifications  loin de la "ligne de front", pour autant qu'elle puisse être définie tant il y a de flou et de brouillard de guerre. Il y a de nombreuses embuscades de part et d'autres. A ce moment, il y a peut-être 15 à 20 000  hommes de chaque côté. L'Ukraine augmente la taille du territoire qu'elle occupe, jusqu'à 1200 km2. Elle parvient à atteindre la rivière Seym tout en ayant détruit les ponts, ce qui piège les forces russes situées à Glushkovo. Cependant, l'Ukraine n'arrive ni à prendre le village de Korenevo, ni à détruire tout les ponts flottants sur la Seym.
  3. les contre-attaques russes (depuis mi-septembre). La Russie dégage Korenevo puis mène une contre-attaque réussie sur le flan ouest du territoire occupé par les Ukrainiens, ce qui sécurise l'approvisionnement de Glushkovo. Ce à quoi les Ukrainiens répondent en contre-attaquant la contre-attaque russe et tentent de prendre Glushkovo par le sud, mais échouent et sont ensuite contraints de se replier. Les Russes attaquent également au nord, est et sud-est du territoire occupé par les Ukrainiens, et arrivent à reconquérir environ le tiers du territoire occupé par l'Ukraine.  En ce moment, il y a peut-être 30 000  hommes côté ukrainien et 50 000 hommes côté russe (d'après les Ukrainiens) 

En résumé, les Ukrainiens n'ont pas su exploiter correctement leur succès initial et sécuriser une ligne défensive solide (ce qui aurait nécessité de prendre Korenevo et Glushkovo). Si bien que maintenant, ils sont dans la région de Koursk dans la même situation qu'ailleurs sur le front: obligés de reculer face à des Russes plus nombreux et disposant de la supériorité aérienne. C'est donc un échec opérationnel pour l'Ukraine, qu'il convient d'analyser.

La première observation que l'on peut faire, c'est que les Russes, malgré leur confusion initiale, se sont relativement bien défendus; ils ont envoyé suffisamment de troupes pour obtenir une supériorité numérique locale, ont commencé à ériger des fortifications "au cas où" et ont profité de leur supériorité aérienne pour déverser des milliers de bombes planantes sur les Ukrainiens. Leur réaction a été un peu lente et ils ont comme d'habitude envoyé au casse-pipe des milliers de soldats, mais ils ont réussi à stopper les avancées ukrainiennes.

Du reste, les Russes n'ont pas été les seuls à être lents. Les Ukrainiens ont trop tardé à renforcer leur attaque, si bien qu'ils ont vite perdu l'avantage numérique qu'ils avaient durant la première phase. Et une fois cet avantage perdu, la progression des Ukrainiensa été ralentie, puis stoppée. Il faut noter que la force d'attaque initiale (2 à 3 brigades mécanisées) était suffisante pour percer, mais pas pour contrôler un territoire aussi vaste. L'opération était-elle prévue pour être d'une ampleur bien plus limitée  (et aurait eu plus de succès que prévu) ? Ou bien les Ukrainiens avaient dès le départ l'intention d'envoyer plus d'unités, mais ne pouvait pas se permettre de dégager plus d'unités du front avant le début de l'opération de Koursk ?

Cette lenteur explique peut-être ce qui s'est passé mi-septembre, au moment des premières contre-attaques russes. D'abord, la contre-attaque russe enfonce les lignes ukrainiennes, en particulier celles tenues par la 103e brigade de défense territoriale. Puis Zelensky déclare que "tout se déroule selon le plan" et les Ukrainiens lancent une offensive pour prendre à revers la contre-offensive russe, mais échoue. Je ne pense pas que les Ukrainiens avaient prévu la contre-offensive russe, et s'étaient préparés à les prendre à revers.

Je crois au contraire que le plan était de répéter ce qui s'est fait à Kherson à l'automne 2022, forçant la Russie à se retirer d'une zone où ils étaient coincés, dos à la rivière, et que l'Ukraine se préparait à attaquer Glushkovo après que les Russes soient affaiblis par un ou deux mois sans ravitaillement. Et que, surpris par la contre-offensive russe, le haut-commandement ukrainien a ordonné à ses troupes d'attaquer Glushkovo avant qu'elles soient prêtes à le faire, ce qui a été logiquement un échec.

Si mon hypothèse est bonne, on voit que le commandement ukrainien a commis deux erreurs:

  1. une erreur opérationnelle: avoir crû qu'ils pourraient réitérer Kherson 2022 (il aurait été meilleur de foncer sur Glushkovo dès les premiers jours de l'offensive de Koursk) et/ou n'avoir pas su ou pu  mobiliser les ressources (hommes et matériel) nécessaires pour le faire très rapidement.
  2. une erreur tactique: avoir confié la défense du "verrou" qui bloquait le ravitaillement russe à une simple brigade de défense territoriale. Ce n'est pas la première fois que le commandement ukrainien commet ce genre d'erreurs, qui semblent de plus en plus fréquentes (peut-être par manque de bonnes brigades pour tenir le front)

Du fait de ces erreurs, il est maintenant trop tard pour les Ukrainiens pour espérer établir une défense solide dans le territoire occupé, ce qui rend inévitable, à plus ou moins long terme, sa reconquête par les Russes. Ils sont contraints, à Koursk comme ailleurs, à devoir battre lentement en retraite.

 

 

Comme des lapins pris dans les phares d'un camion poubelle

Au delà du champ de bataille et de la situation sur le front, la désagréable impression d'immobilisme du mois dernier s'est accentuée. 

Zelensky a dévoilé son "plan de la victoire", et les réactions ont été pour le moins mitigées. Je crois que cela tient en partie à ce que ce plan n'est pas, comme beaucoup s'y attendaient, une stratégie militaire révolutionnaire. Il se place à un autre niveau. Il pose les conditions matérielles et diplomatiques d'une possible victoire ukrainienne, et montre quels seraient les avantages pour les Occidentaux (en particulier les Américains) de cette victoire. De fait, ce plan s'adresse avant tout à une personne: Donald Trump, qui pourrait bien emporter (légalement ou illégalement) l'élection présidentielle américaine. 

Et ce possible retour de l'ordure orange paralyse tout. Les Ukrainiens, bien entendu, mais aussi les Européens. Chacun sait bien que Trump le traitre fera tout pour que Poutine gagne. Qu'il disposera des leviers nécessaires pour ruiner toute stratégie (offensive comme  défensive) des Ukrainiens. Qu'il rendra tous les sacrifices ukrainiens vains.

Si on ne peut guère reprocher aux Ukrainiens d'être tétanisés par cette horrible perspective, l'immobilisme des Européens est moins excusable. Depuis des mois, les Européens auraient dû mettre en place tous les moyens nécessaires pour garantir la sécurité de l'Ukraine même en cas de victoire de Trump. Mais non. Ils se contentent d'espérer que Harris va gagner, ou que Trump ne fera pas ce qu'il a pourtant annoncé qu'il fera. Un bon dirigeant sait bien qu'il faut espérer le meilleur, mais se préparer au pire. Pour le moment, les préparations européennes sont dans le même état que les défenses ukrainiennes: inexistantes.Deux ans et demis après le début de cette guerre, et les Européens ne sont toujours pas prêts, et ne font rien pour l'être. Quelle honte !

Liens en vrac, 14/03/2025

Nouvelle fournée des liens intéressants que j'ai pu trouver depuis la dernière fois .   Analyses Bombardiers de nuit ukrainiens Une erre...