samedi 29 juin 2024

A chaud et à froid

Je reviens sur deux billets que j'avais publiés l'an dernier quelques jours après que les évènements se soient produits, un sur la prise de Bakhmut, l'autre sur la destruction du barrage de Nova Kakhovka, car des études (bien plus poussées que les recherches que j'avais alors faites "à chaud") ont été publiées récemment et qui permettent de juger, un an plus tard, de la pertinence de mes analyses.

Art by Maria Tolstova / Mediazona



Estimation des pertes pour la bataille de Bakhmut

J'avais alors conclu que le nombre de morts, dans chaque camp, était:

Pour les Russes: probablement de 21 000 à 42 000 morts (intervalle maximal: de 16 000 à 51 000 morts)

Pour les Ukrainiens: probablement de 12 500 à 21 000 morts (intervalle maximal: de 9 500 à 26 000 morts)

Avec le caveat:  Notez que cela repose sur de grosses approximations, et qu'il faut prendre ça plus comme des ordres de grandeurs que des chiffres exacts.

 

Le journal russe Mediazona a publié une étude sur le nombre de morts dans le groupe Wagner, qui était la principale force d'attaque russe déployée dans le secteur. En s'appuyant sur les documents interne du groupe Wagner, ils ont pu prouver au moins 19 500 morts russes. Ils ne donnent pas les chiffres pour les autres unités russes présentes sur place, mais on peut supposer qu'il y en a eu au moins quelques milliers. L'estimation que j'avais faites pour les Russes se révèle avoir été correcte.

 

Mediazona a aussi vérifié les morts publiés par le compte twitter anonyme UALosses qui tient une base de donnés de soldats ukrainiens tués, et montré que leur base de donnée est fiable dans l'ensemble. UALosses donne la date et le lieu de la mort quand il est connu. Pour la bataille de Bakhmut, durant la période concernée (NB: ils ont retenu la période du 15 juillet 2022 au 06 juin 2023, en décalage de 2 semaines avec la période que j'avais choisie, du 3 juillet 2022 au 20 mai 2023), UALosses recense 4871 morts ukrainiens, auxquels il faut ajouter certains morts à Bakmut mais à une date inconnue et/ou aux bonnes dates mais dans un lieu inconnu. Même si ce sont des chiffres minimaux (certaines pertes peuvent être non documentées), il semble que j'avais un peu surestimé le nombre de morts ukrainiens. Les nombreux récits des "lourdes pertes ukrainiennes à Bakhmut" publiées dans les journaux occidentaux m'avaient certainement poussé à cette surestimation (NB: je me doutais à l'époque que je surestimais sûrement un peu les pertes ukrainiennes).

 


La destruction du barrage de Nova Kakhovka

Une semaine après sa destruction, j'avais conclu:

Il y a assez d'éléments pour conclure, au delà du doute raisonnable, que les Russes sont responsables de la destruction du barrage et donc de toutes les destructions causées par l’inondation qui s'en suit. Il y a encore un petit doute sur leurs intention (avait-ils vraiment l'intention de faire sauter tout le barrage d'un coup, où est-ce une erreur de leur part ?).

 

Une étude très complète sur cette destruction a été publiée 1 an après l'évènement. Elle conclut:

In summary, there is a reasonable basis to believe that the destruction of the Kakhovka Hydroelectric Power Plant resulted directly from the detonation of explosives planted by Russian military personnel within the Dam structure. There is no convincing information that would allow one to reasonably entertain alternative scenarios. Furthermore, there exists a strong probability that the order to destroy the power plant originated from representatives of Russia’s highest military-political command.

Ils aboutissent à cette conclusion sensiblement à partir des éléments que j'avais déjà pointés, mais en poussant l'enquête beaucoup plus loin que je ne l'avais alors fait.



Conclusion

J'avais donc vu juste.

Je ne dis pas ça pour me jeter des fleurs (enfin, pas seulement pour ça). Il y a deux ans, après la découverte du massacre de Boutcha (puis de tous les autres massacres) je m'étais engueulé avec des "pacifistes" qui prétendait qu'on ne pouvait pas savoir qui avait vraiment commis ces massacres et justifiaient leur position par le célèbre aphorisme: "La première victime d'une guerre, c'est la vérité". Et prétendaient qu'il vaudra au moins 10 ans avant qu'on puisse connaître la vérité.

Sauf que c'est faux. Certes, on ne peut pas tout savoir dans l'immédiat, il y a toujours un certain "brouillard de guerre"; mais, en étant rigoureux dans la méthodologie, en s'appuyant sur les renseignements en sources ouvertes et le travail des journalistes sérieux, on peut quand même avoir une bonne idée de ce qui se passe, quasiment en temps réel. Ceux qui prétendent qu'on ne peut rien savoir utilisent en fait le sophisme du tout ou rien. Et c'est d'autant plus pernicieux que, une actualité chassant l'autre, les partisans du "on ne peut pas encore savoir" comptent en fait sur cette amnésie du grand public pour que, quand les preuves définitives seront enfin disponibles, tout le monde ou presque ne se souciera plus de l'événement originel.

C'est pourquoi il est important de faire des analyses "à chaud". Il faut être conscient des limites de ces analyses, garder à l'esprit que les estimations que l'on fait à chaud restent assez grossières, et être prêt à réviser ses conclusions quand de nouveaux éléments factuels mettent à mal nos analyses. 

Or, j'ai l'impression que les grands journaux ont quasiment tous délaissé ces analyses "à chaud". Ils se contentent généralement de citer les deux belligérants, sans prendre position pour déterminer qui ment et qui dit la vérité. Et ce genre de neutralité journalistique ne favorise pas la vérité, mais au contraire favorise les menteurs, et laissent les lecteurs dans l'ignorance là où pourtant il y a une soif de savoir. 

A ma connaissance, aucun grand journal français n'a, "à chaud", publié d'estimation chiffrée des pertes à Bakhmut ni n'a clairement affirmé que les Russes étaient responsables de la destruction du barrage: au mieux, les journalistes citent des "experts" pour éviter de prendre eux-même explicitement position. Toujours cette "neutralité journalistique" qui au final nuit tant à la qualité des journaux.

 

vendredi 14 juin 2024

Contre-offensive ukrainienne : bilan du mois de mai

Comme chaque mois, voici un petit bilan du mois de mai 2024, à mettre en perspective avec les constats que j'avais faits fin juin, fin juillet, fin août, fin septembre, fin octobre, fin novembre, fin décembre 2023 ainsi que fin janvier, fin février, fin mars et fin avril 2024.

Ce bilan arrive un peu en retard, car j'étais occupé à écrire mon précédent billet sur Jean-Luc Mélenchon


Les combats ont encore augmenté d'intensité, les Russes ayant décidé de lancer une nouvelle offensive vers Kharkiv tout en intensifiant leurs attaques sur tout le front.
 
Cette offensive sur Kharkiv a permis aux Russes d'occuper rapidement une dizaine de villages et une surface d'environ 200 km2; avec leurs autres avancées, c'est même plus de 300 km2 qu'ils ont conquis au mois de mai, leur meilleur "bilan" et terme de surface conquise, pour ceux qui sont obsédés par ce genre de chiffres.
 
Cependant, cette offensive s'est enlisée au bout de 10 jours, les Ukrainiens contra-attaquant même à certains endroit. Sur le reste du front, les Russes ont continué à progressé (sans pour autant réussir à percer les lignes ukrainiennes et ont repris certains villages symboliques libérés l'an dernier lors de la contre-offensive ukrainienne, à savoir Kyslivka et Robotyne. 
 
Pour plus d'information sur les territoires conquis par les Russes, je renvoie au très complet bilan du mois de mai, par Militaryland.net.



Pertes russes: un record de nouveau pulvérisé

Je rappelle les pertes russes telles qu'annoncées par les officiels Ukrainiens dans les 4 catégories à surveiller: Artillerie, MLRS, DCA et équipements spéciaux. Pour chacune, je vais donner les chiffres mensuels habituels (c'est-à-dire jusqu'à février 2023) puis les chiffres de mars > avril > mai > juin > juillet > août > septembre > octobre  > novembre > décembre 2023 > janvier 2024 > février > mars > avril > mai

  • Artillerie (de 100 à 200/mois): 290 (mars) > 238 (avril) > 553 (mai) > 688 (juin) > 677 (juillet) > 691 (août) > 947 (septembre) > 873 (octobre) > 682 (novembre) > 555 (décembre) > 731 (janvier 2024) > 875 (février) > 980 (mars) > 961 (avril) > 1129 (mai)
  • MLRS (de 10 à 65/mois): 48 (mars) > 17 (avril) > 31 (mai) > 57 (juin) > 67 (juillet) > 36 (août) > 63 (septembre) > 47 (octobre) > 66 (novembre) > 33 (décembre) > 31 (janvier 2024) > 26 (février) > 23 (mars) > 30 (avril) > 35 (mai)
  • DCA (de 5 à 40/mois): 32 (mars) > 16 (avril) > 38 (mai) > 56 (juin) > 73 (juillet) > 38 (août) > 37 (septembre) > 25 (octobre) > 39 (novembre) > 23 (décembre) > 40 (janvier 2024) > 27 (février) > 53 (mars) > 36 (avril) > 36 (mai)
  • Équipement Spécial (de 10 à 30/mois): 66 (mars) > 63 (avril) > 99 (mai) > 122 (juin) > 138 (juillet)  > 113 (août) > 102 (septembre) > 84 (octobre) > 108 (novembre) > 144 (décembre) > 184 (janvier 2024) > 149 (février) > 228 (mars) > 148 (avril) > 187 (mai)

On arrive à un stade où je manque de qualificatifs pour commenter le niveau des pertes russes. Pour la première fois, la barre des 1000 pièces d'artillerie/mois est franchie; et d'après les chiffres donnés par les Ukrainiens, et analysés par Ragnar Gudmundsson, les Russes auraient perdu au mois de mai 38 900 hommes et 4370 pièces d'équipement. Tout indique que le mois de juin sera à un niveau proche en ce qui concerne les pertes russes.
 
Alors, bien sûr il faut garder à l'esprit que ce ne sont que des annonces non confirmées. Les chiffres enregistrés par Oryx restent à un niveau similaire à ceux des mois précédents: environ 500 pertes matérielles russes confirmées, et environ 200 côté ukrainien. Mais, étant donné que les Russes ont ouvert un nouveau front et qu'ils continuent à attaquer de partout, il est logique que leurs pertes augmentent dans des proportions telles que le disent les Ukrainiens.
 
Les Ukrainiens ont eu également de nombreux succès dans le domaines des frappes à longues distances et de la guerre maritime. Outre les raffineries russes qui continuent à partir en fumée, les Ukrainiens ont détruit ou endommagés (liste non exhaustive):
Dans l'ensemble, les Russes ont eu des pertes matérielles et humaines considérables au mois de mai. Qu'ont-ils obtenu en échange ? Presque rien.
 
 
 

Échec stratégique à Kharkiv, grignotage ailleurs

 
On l'a dit: sur les cartes, jamais la Russie n'a avancé aussi vite depuis le printemps 2022. Mais cette progression territoriale est un trompe-l'oeil.
 
Tout d'abord, cette progression s'est faite essentiellement au nord-est de Kharkiv, avec l'offensive des Russes dans la région. Cependant, cette offensive a été stoppée à environ 5km de la frontière. Le terrain occupé a certes une grande superficie, mais aucun intérêt stratégique.

Pire: cette offensive a conduit les occidentaux à lever une partie des restrictions sur l'usage de leurs armes sur le territoire russe, si bien que les Ukrainiens peuvent maintenant répliquer aux Russes et frapper leurs bases à proximité de la frontière ukrainienne. Et, après avoir une nouvelle fois menacé le monde d'une guerre nucléaire si ces armes occidentales étaient utilisées sur le sol russe, Poutine s'est couché lorsque l'on a franchi cette "ligne rouge". Comme le dit Tendar: "le roi est nu".

Ce nouvel échec stratégique russe, peut-être dû à de la précipitation, a causé de nombreuses pertes russes, les forçant maintenant à garder un terrain qui ne les intéresse pas et à engager de nouvelles réserves qui seraient plus utiles ailleurs. Cependant, l'Ukraine a elle aussi été forcée d'engager certaines de ses réserves dans la région, qui sont donc maintenant indisponibles ailleurs.

Ailleurs, les Russes ont un peu progressé. Ils cherchent à "effacer" les avancées ukrainiennes de l'été 2023 et ont repris des villages symboliques (Robotyne et Kyslivka et Staromaiorsk), en plus de revendiquer la prise d'autres villages comme Andriivka, Urozhaine  mais les données OSINT laissent penser que ceux-ci sont toujours sous contrôle Ukrainien. Le fait que les Russes dépensent beaucoup d'énergie à reprendre ces villages montrent qu'ils ont probablement un objectif global qui accorde plus d'importance à l'aspect médiatique/symbolique qu'à l'aspect stratégique.
 
Les Russes ont également consolidé leur saillant au nord-ouest d'Avdiivka et ont pris quelques villages à l'est de Kupyansk. Sans être dramatiques pour les Ukrainiens, ces prises indiquent que les Russes continuent à progresser malgré l'arrivée de munitions américaines. Ils continuent à avoir une supériorité écrasante en terme d'obus tirés, et leurs bombes planantes tombent tous les jours sur les positions ukrainiennes. Et malgré toutes les pertes russes, il semblent qu'ils ont toujours assez de réserve pour continuer à attaquer. Cela montre qu'il faut vraiment que l'Ukraine et les Occidentaux trouvent une réponse satisfaisante aux bombardements russes, et donnent aux Ukrainiens de quoi augmenter la taille de leur armée de manière significative.


Conclusion

Comme les deux mois précédents, les Russes poursuivent leurs offensives, grignotent les défenses ukrainiennes mais au prix de pertes considérables. Le fait que leur offensive n'a pas encore culminé au bout de 8 mois, et ce malgré le retour de l'aide américaine, signifie soit que l'état de l'armée ukrainienne est très dégradé, soit que l'on a gravement sous-estimé les capacités de régénération de l'armée russe. Dans les deux cas, ce serait surprenant que les Ukrainiens reprennent l'initiative avant 2025. Même l'arrivée d'une poignée de F-16 et/ou d'autres avions occidentaux ne sera pas en mesure de changer la donne.

Et c'est probablement ça, le but de l'offensive russe: faire en sorte que l'Ukraine reste sur la défensive et semble perdre, au  moins jusqu'en novembre prochain. La guerre que mène la Russie est une guerre hybride, et sa principale cible n'est pas l'Ukraine. Sa principale cible est l'opinion des pays occidentaux. Comme l'expliquait Dimitri Minic (à partir de 26:00), au sujet de la pensée stratégique russe: "son but premier, tout est lié à ça, c'est d'arrêter l'aide occidentale à l'Ukraine, et c'est de soumettre l'Ukraine. Il n'y a pas d'autre objectif, pour l'instant." Après les 60 milliards voté par les américains en avril, en mai les Européens ont eux aussi augmenté leur aide à l'Ukraine.
 
Or, les Russes ont déjà du mal à progresser quand les Ukrainiens étaient à court de munitions, toute cette aide qui va arriver progressivement rend la victoire russe impossible... Sauf changement politique dans les pays occidentaux. Tous les espoirs de Poutine semblent donc reposer sur l'homme qui peut bloquer l'aide américaine à lui tout seul: Donald Trump. Le sort de l'Ukraine ne sera pas décidé dans les tranchées du Donbas, mais par le vote de quelques milliers d'Américains dans les swing states. C'est pourquoi je pense que la stratégie russe sur le terrain n'est qu'au service de leur stratégie d'influence globale, une idée que je développerai dans ma prochaine analyse qui fera le bilan de tout ce qui s'est déroulé depuis un an, quand l'Ukraine avait lancé sa contre-offensive début juin 2023.
 




 

jeudi 6 juin 2024

Jean-Luc Mélenchon est-il vraiment pro-Poutine ?

Alors que les élections européennes approchent à grand pas, celles que Jean-Luc Mélenchon qualifie de "premier tour de l’élection présidentielle", il est bon de se souvenir que certains partis de gauche (LFI, PCF, mais aussi LO et d'autres petits partis moins connus), sont régulièrement qualifiés de "pro-poutine", du moins en ce qui concerne la guerre en Ukraine. Dans ce billet, je vais surtout me concentrer sur le cas de Jean-Luc Mélenchon, car il s'est beaucoup exprimé sur l'Ukraine, mais il faut être conscient que les autres dirigeants LFI et PCF sont peu ou prou sur la même ligne politique, avec quelques nuances, même s'ils s'expriment moins sur la question.

Capture d'écran BFM TV - 01/03/2022


Le déni

Si vous parlez à un militant/sympathisant "France Insoumise" (ou d'une autre mouvance de la "gauche radicale"), il vous assurera probablement que, non, Mélenchon n'est pas pro-Poutine, ce sont les média français qui disent ça et que pour connaître la vérité, il faut se pencher sur ce que Mélenchon a vraiment dit. C'est ce que j'ai fait (et je ne suis pas le seul à l'avoir fait). 

Et en effet, Mélenchon affirme qu'il est contre Poutine. Dès le 24 février 2022, il a condamné l'invasion russe en Ukraine. Mais il ne faut pas se contenter de ces quelques déclarations, car Mélenchon a aussi dit beaucoup d'autre choses qui donnent une image bien différente.

De manière générale, je pense qu'il faut juger un homme politique (quel qu'il soit) en prenant en compte à la fois:

  • tout ce qu'il dit
  • tout ce qu'il veut faire
  • tout ce qu'il a fait

Les partisans de Mélenchon diront que Mélenchon et Poutine se situent à l'opposé dans le spectre politique: Poutine est de droite voire d'extrême-droite, Mélenchon de gauche voire d'extrême-gauche. C'est vrai en général, mais il n'empêche que sur certains sujets, ils peuvent avoir des convergences. Et même plus.

D'ailleurs, Mélenchon fait lui-même cette distinction. Comme le souligne un collectif de chercheurs et d'artistes: "Il [le porte-parole de Mélenchon en 2017] dit par ailleurs : «Sur Poutine, nous faisons une distinction nette entre sa politique intérieure et sa politique extérieure. C'est un nationaliste russe et un libéral.» Comprendre : la première caractéristique est acceptable, pas la seconde."

Autrement dit, si on prouve que, sur le sujet des relations internationales, et en particulier de l'Ukraine, Jean-Luc Mélenchon parle comme Poutine, veut peu ou prou la même chose que Poutine, et agit en faveur de Poutine, alors il est pro-Poutine. Il peut très bien détester personnellement Poutine, ou s'opposer sur le plan de la politique intérieure, ce qui nous intéresse ici c'est la politique extérieure, et c'est sur ce sujet-là que nous allons voir si les dires, le programme et les actions de Mélenchon sont favorables à Poutine.

A noter que, pour le troisième point (les actions), comme Mélenchon n'a pas souvent été au pouvoir, il n'a pas "fait" grand chose ni dans un sens ni dans l'autre. Par contre, en tant que député (au parlement européen puis au parlement français), il a voté diverses lois et résolutions (votes qui constituent donc, faute de mieux, les actions concrètes de sa politique), et on peut analyser ces votes d'autant plus facilement que Mélenchon s'exprime souvent sur les raisons de ses propres votes (et c'est tout à son honneur de faire preuve d'une telle transparence).

Mais commençons donc par ce que Mélenchon a dit au sujet de Poutine, depuis le début des années 2000, et au sujet de l'Ukraine depuis 2014.


Poutine: pas son modèle, mais...

«Monsieur Poutine n'est pas mon modèle. Mon ami en Russie est Sergueï Oudaltsov, le responsable du Front de Gauche, qui a été en prison pendant 4 ans et demi pour avoir combattu la politique de son gouvernement. Voilà ce que j'ai à dire sur le sujet » déclarait Mélenchon en février 2022.

Certes, Poutine n'est pas le modèle de JLM. Mais le reste de déclaration n'est pas tout à fait vraie. Ainsi, l'ami russe de Mélenchon, Sergueï Oudaltsov, ne s'oppose pas toujours à Poutine: il soutient l'invasion russe de l'Ukraine. Précisons que, suite à ces déclarations d'Oudaltsov, Mélenchon a rompu avec lui. Mais cette "amitié" était de toute manière très artificielle, comme le rappelle le youtuber politique Tzitzimitl (vers 36:00 de la vidéo), lorsque JLM a rendu visite à Oudaltsov, ce dernier "semblait découvrir un nouveau soutien, aucun des deux n'ayant jamais parlé de l'autre jusque là". Je me pose donc la question: pourquoi JLM tient-il tant à nous donner le nom d'un "ami" anti-Poutine, comme si c'était une preuve qu'il n'est pas pro-Poutine ? Après le célèbre "je ne suis pas raciste, j'ai un ami noir", Mélenchon a donc inventé le "je ne suis pas pro-Poutine, j'ai un ami anti-Poutine." On sait à quoi s'en tenir avec ce genre d'argument.

Et puis, tous les opposants à Poutine n'ont pas les faveurs de Mélenchon. Ainsi, en 2015 Mélenchon présente Boris Nemtsov, opposant à Vladimir Poutine assassiné, comme un « voyou politique » et un « odieux antisémite », avant de se rétracter sur l'accusation d'antisémitisme. Puis, JLM a voté contre la résolution condamnant cet assassinat (en utilisant de faux arguments) et dénigrait Nemtsov: "son parti a fait moins de 1% aux dernières élections. On fait mieux comme figure de proue". Au passage, notons que JLM fait comme si les élections, en Russie, étaient représentatives. N'importe quel vrai opposant à Poutine sait bien que ces élections sont truquées, et n'utiliserait pas le score électoral (officiel) de tel ou tel parti comme argument.

Alexeï Navalny n'a reçu un hommage (assez tiède) de JLM qu'une fois mort. Auparavant, JLM qualifiait Navalny d'"opposant libéral lourdement marqué d'antisémitisme". Ce en quoi il n'avait pas complètement tort, mais on remarque quand même la tendance, chez JLM, à disqualifier la plupart des opposants russes qui gênent le Kremlin. Car il faut se souvenir qu'en Russie, certains ne sont opposants à Poutine que "sur le papier", et ne sont là que pour donner l'illusion du choix dans l'élection présidentielle russe. Ces "opposants"-là, Mélenchon ne les critique jamais.

Se pourrait-il que l'opposition de Mélenchon soit elle aussi de façade, et qu'au fond, il est d'accord avec Poutine, du moins pour les questions de politique étrangère ?



L'OTAN, cet épouvantail commun à Poutine et à Mélenchon

Mélenchon et Poutine ont indéniablement au moins un point commun: tous deux détestent viscéralement l'OTAN, et tiennent l'OTAN pour responsable de tout ou presque. 

On pourrait se dire que, après tout, un homme politique a le droit de proposer de sortir la France de l'OTAN, comme le souhaite JLM, et que si ça arrange Poutine, c'est juste une coïncidence. De plus, JLM est loin d'être le seul, à gauche, à être contre l'OTAN. Mais dès qu'il s'agit de l'OTAN, Mélenchon use d'une rhétorique si violente qu'elle en devient caricaturale, et épouse tellement les vues de Poutine que ça en devient gênant (pour rester poli).

Ainsi, il parle d'"annexion de l’Ukraine dans l’OTAN" (21 février 2022), comparant implicitement l'adhésion (volontaire) à l'OTAN et la conquête brutale d'un territoire par la Russie.


JLM semble penser que l'adhésion (ou non) à l'OTAN dépend uniquement de la volonté des USA. Si le poids des USA dans l'OTAN est très important, ils ne décident pas de tout. N'importe quel pays peut bloquer l'adhésion d'un nouveau membre. La France et l'Allemagne ont d'ailleurs bloqué l'adhésion de l'Ukraine en 2008. Et surtout, ni les USA, ni personne d'autre ne force un pays à entrer dans l'OTAN. 

Mélenchon (comme Poutine) ne comprend visiblement pas que, si l'OTAN s'est étendu dans l'est de l'Europe, c'est à la demande de ces pays. A noter que dans les années 1990, ni les USA ni les pays d'Europe de l'ouest n'étaient chaud pour admettre de nouveaux membres. Ce sont les pays de l'est (en particulier les Polonais) qui leur ont forcé la main. La réalité est donc l'inverse de ce que croient et disent Poutine et Mélenchon. Le fait qu'un petit pays se sente menacé par la Russie belliciste et cherche donc la protection de l'OTAN n'a jamais dû lui traverser l'esprit. Il faut dire que Mélenchon méprise ces pays. On se souvient encore de sa honteuse tirade: « mais qu’ils aillent se faire foutre. T’en connais un Lituanien ? J’en ai jamais vu un moi. »

En fait, Mélenchon retire aux "petits pays" d'Europe de l'Est tout agentivité, c'est-à-dire qu'il ne les considère pas comme des agents capables de faire leurs propres choix, mais comme des jouets des "grandes puissances". C'est une vision très semblable à celle de John Mearsheimer, un professeur américain autoproclamé "chef de l'école réaliste", et cette vision (contredite par les faits) est profondément raciste et méprisante. Alors, quand quelqu'un qui se dit de gauche y adhère, cela pose surtout des questions sur la sincérité de son engagement politique.

Pour finir sur ce sujet, notez bien que le lien de causalité n'est pas "JLM apprécie la politique de Poutine, donc il déteste l'OTAN" mais plutôt "JLM déteste l'OTAN, donc il apprécie la politique de Poutine". Et c'est cette détestation viscérale de l'OTAN qui pousse Mélenchon vers des positions politiques contraires aux valeurs de la Gauche, notamment en Syrie.



Syrie: "Poutine va régler le problème"

La Syrie, c'est un des dossiers sur lequel Mélenchon s'est planté largement, a menti et s'est couvert de honte. Dans la guerre civile syrienne, Mélenchon apprécie les Kurdes (OK), déteste DAESH et les Turcs (OK). Jusque là, ce sont des engagements politiques dignes des valeurs de gauche que Mélenchon prétend incarner. Petite digression: Bernard-Henri Levy est également sur la même ligne politique concernant les Kurdes, DAESH et les Turcs, c'est peut-être la seule fois où JLM et BHL sont autant d'accord sur un sujet. Fin de la digression.

Là où ça pose problème, c'est que Mélenchon loue l'action des Russes, minimise les crimes de Bachar el Assad et de ses alliés russes et iraniens, et ment souvent. On se souvient de sa petite phrase "il [Poutine] va régler le problème [= DAESH]", prononcée lors de l’émission « On n’est pas couché » le 20 février 2016, mais les propos réellement scandaleux de JLM arrivent un peu plus tard:

— Yann Moix : « Poutine est bien en train d’éliminer la rébellion en ce moment et d’écraser une partie des populations civiles, vous êtes d’accord avec ça ? »

— Jean-Luc Mélenchon : « Non. (…) Pardon M. Moix, mais ce que vous dites ne correspond pas aux faits, même pour vous faire plaisir, je ne vais dire que je suis d’accord. »

Mélenchon nie la réalité, à savoir que l'armée russe n'a guère combattu DAESH mais a surtout massacré les rebelles syriens et a aidé un dictateur sanglant, Bachar El Assad, à se maintenir au pouvoir. Comme le rappelle l'article cité plus haut :

Il est donc indéniable que, en ce qui concerne la Syrie, Mélenchon fait de la désinformation en faveur de Poutine. Et ce ne sera pas la seule fois (cf article cité plus haut). 

On peut également citer que, en 2018, Mélenchon accuse les USA de lâcher les Kurdes quand l'armée turque envahit la poche d'Afrin, au nord-ouest de la Syrie. Or, il se trouve que, dans cette ville, les Américains n'étaient pas présents: c'était au contraire les Russes qui y avaient des "observateurs", et que la Russie a retiré pour permettre aux Turcs de mener leur offensive suite à un accord entre Poutine et Erdogan (explications ici, vers 35:00). Dans ce cas précis, Mélenchon a donc menti pour protéger les Russes et dénigrer les Américains. Et, comble du cynisme, dans la vidéo qu'il publie en soutien aux Kurdes d'Afrin, JLM affirme que "les Russes jouent sur place un rôle majeur notamment dans l'aide à la résistance des Kurdes" alors que ces Russes viennent d'abandonner les Kurdes d'Afrin.

En 2019, Mélenchon suggère même que la France intervienne militairement et menace de déclarer la guerre à la Turquie pour soutenir les Kurdes: "Le devoir de tous ceux qui sont armés devant les troupes turques est de répliquer et de mener implacablement la guerre pour vaincre Erdogan le terroriste et ses troupes qui sont celles du fascisme et de l'obscurantisme".  Une déclaration surprenante alors que Mélenchon se présente souvent comme un "partisan de la paix" et du "non-alignement" et qu'il faut garder à l'esprit pour juger ses propos sur une possible intervention française en Ukraine.



"Non-aligné" mais aligné un peu quand même

Jean-Luc Mélenchon dit souvent qu'il est pour le "non-alignement", qu'il pense que la France ne devrait pas choisir un camp entre les USA, la Russie, la Chine etc. Dans son programme de 2022, il veut une France "indépendante, souveraine et non-alignée". Dans celui de 2017, il écrivait: "Nous sortirons de l’OTAN pour ne pas être entrainés dans les guerres des États-Unis. Nous construirons une nouvelle alliance de pays non alignés, agissant pour la paix et dans le seul cadre de l’ONU."

Au passage, on rappellera à Mélenchon que l'OTAN est une alliance défensive; les USA ne peuvent entraîner les autres pays dans des guerres qu'en invoquant le fameux article 5. Ce que les USA ont fait, une seule fois, après les attentats du 11 septembre, pour engager l'alliance en Afghanistan. Le pluriel "les guerres" est donc de trop. Mais passons sur cette faute de grammaire.

"Alliance de pays non-alignés" est un oxymore; si on est dans une alliance, quelle qu'elle soit, on est aligné avec les autres membres de cette alliance. Mais passons sur cette faute de logique. Car Mélenchon fait bien entendu référence au Mouvement des non-alignés, un groupe de pays qui, pendant la guerre froide, n'étaient ni les alliés des USA, ni de l'URSS. Ce mouvement regroupant des pays très démocratiques comme la Corée du nord, l'Iran, l'Arabie Saoudite etc, on se demande bien avec quels pays Mélenchon compte former son alliance; dans son programme comme dans ses discours, il se garde bien de les nommer, à quelques exceptions près.

Ainsi, durant les années 2000-2015, Mélenchon était en pâmoison devant le Venezuela de Hugo Chavez et Nicolas Maduro. Au point que Mélenchon proposait de rejoindre "l'Alliance bolivarienne". Bien entendu, après que le Venezula soit devenu une dictature sanglante et un état en faillite, Mélenchon essaie de faire oublier cette fulgurance géopolitique ... qui figurait pourtant toujours dans son programme de 2017.

Et Mélenchon a toujours soutenu l'idée de se rapprocher de la Russie. Alors certes, nombreux sont les hommes politiques français dans le même cas: Le Pen, Zemmour, Sarkozy, Fillon et même Macron (jusqu'à récemment). Mais Mélenchon se disant humaniste et voulant fonder sa politique étrangère sur des valeurs démocratiques, écologiques et le respect de la charte de l'ONU, on se demande pourquoi les multiples massacres commis par la Russie en Tchétchénie, en Syrie, l'invasion de l'Ukraine et de la Géorgie ne semblent pas disqualifier la Russie, aux yeux de Mélenchon, pour faire partie de cette "nouvelle alliance de pays non alignés, agissant pour la paix et dans le seul cadre de l’ONU." 

En outre, le simple citoyen que je suis se demande quel pourrait être l'intérêt de la France de détruire les alliances militaires et les liens économiques et diplomatiques que nous avons avec d'autres pays démocratiques, qui sont nos proches voisins (Union Européenne) et/ou nos alliés historiques (USA) pour nous rapprocher de pays dirigés par des dictateurs et n'ayant rien à nous offrir, ni économiquement, ni militairement. A première vue, cela semble complètement stupide. A seconde vue aussi. En fait, il faut vraiment être biberonné à l'anti-américanisme le plus primaire pour trouver le moindre intérêt aux propositions de JLM en matière de géopolitique. Car il semble que ce dernier est prêt à s'allier avec n'importe qui, du moment que ces nouveaux "alliés" seraient anti-occidentaux.

Pour finir sur une touche humoristique: on dit souvent que quand quelqu'un se dit centriste, cela signifie en fait qu'il est "ni de gauche, ni de gauche". Le "non alignement" de Mélenchon est du même tonneau: en fait, il est "ni anti-Poutine, ni anti-Poutine".

Malheureusement, il faut maintenant aborder un sujet bien moins rigolo: l'Ukraine, et ce que Mélenchon en a dit depuis 2014.



Mélenchon contre l'Ukraine, de 2014 à février 2022

Lorsque se produit la révolution de Maidan, Jean-Luc Mélenchon se déchaîne contre l'Ukraine, tenant des propos extrêmement violents autant que mensongers, et des fulgurances géopolitiques qui, avec le recul, étaient aussi fiables que les prédiction de Madame Soleil. Voici quelques extraits de son blog.

 

5 mars 2014:

La révolte populaire Ukrainienne était légitime. Elle a été confisquée par un gouvernement illégitime et illégal dans lequel l’extrême droite a quatre ministres. L’énergie révolutionnaire des Ukrainiens n’est pas épuisée. La prochaine vague sera anti-européenne, c’est-à-dire hostile aux politiques que l’Union Européenne veut imposer là-bas pour récupérer sa mise bancaire et financière. A l’heure actuelle l’enjeu numéro un est d’éviter la guerre. Cela signifie empêcher par-dessus tout la partition du pays : on ne touche pas aux frontières en Europe !

(la dernière phrase est est à garder en mémoire, cf prochain extrait 10 jours plus tard)

 

15 mars 2014:

Bien sûr la Crimée est « perdue » pour l’OTAN. Bonne nouvelle. Il faut espérer que, du coup, la bande de provocateurs et d’agités qui dirigent la manœuvre va se calmer quelque temps. Car il était évident que si recommençait le cirque qui a conduit en son temps le géorgien Saakachvili à vouloir brutaliser les enclaves russophones de son pays, l’affaire finirait comme alors. C’est-à-dire par une sécession sous protection militaire russe. Poutine a profité habilement d’une politique aventurière et irresponsable provoquée par les autorités de fait ukrainiennes. Mais avait-il le choix ? Pouvait-il accepter une avancée de l’OTAN en Crimée, sa grande base navale sur la mer noire, trajet du gazoduc qui contourne l’incontrôlable Ukraine ? Non, bien sûr, et aucune personne informée ne peut soutenir le contraire. Inconvénient : l’occasion a fait le larron: la prise d’avantage est considérable pour la Russie. Avantage : la frontière de l’est est à peu près stabilisée si l’OTAN n’en rajoute pas. Les USA avancent et conquièrent le chaos ukrainien, mais les russes reprennent la Crimée. En cas de prolongation des tensions, les Russes prendront aussi le Donetz. Le moment venu, les Polonais mettront les doigts dans le secteur eux aussi. Mais c’est une autre histoire.

(Mélenchon soutient donc une conquête territoriale par les forces armées russes, contraire au droit international sur lequel JLM prétend fonder sa politique étrangère, et il n'a plus de problème à ce qu'on touche aux frontières en Europe, contredisant ce qu'il écrivait 10 jours plus tôt)

 

25 mars 2014:

Au prétexte de la concentration de troupes russes en Crimée, les « occidentaux » jouent à faire peur. Soyons lucides. La Russie envahissant l’Ukraine ? Pour quoi faire ? Malheureusement pour elle, l’Ukraine va s’effondrer toute seule. Les Russes préfèrent laisser aux seuls Européens la charge d’une contrée ruinée, dirigée par des kleptocrates maniant leurs marionnettes nazies. Un pays dangereux, en proie à une révolte populaire permanente contre une misère sociale que la Troïka va aggraver. Un pays dévasté, qui contient le sarcophage incertain de Tchernobyl et sept autres centrales nucléaires vétustes. D’ici peu, le pétrole et le gaz russes sortiront de Russie par un autre gazoduc et oléoduc. Pourquoi diable la Russie envahirait-elle cet espace ?

(Belle prédiction de Madame Soleil)


18 septembre 2014:

Cette Résolution inique dénonce « l'agression » Russe en Ukraine et demande le maintien des sanctions contre la Russie. Pour justifier ces prise de position elle présente comme des faits avérés des affirmation très discutable comme « l' impossibilité des enquêteurs à accéder au site du crash du MH17 » ou la présence d'un « flux continu d'armes et de munitions en provenance de la Russie ». Mais sans aucune réaction quant à la présence de Svoboda au gouvernement. Ou sur la division Azof qui compose le gros des troupe ukrainienne et qui a le même emblème que la division nazi Das Reich responsable entre autre du massacre d'Oradour sur Glane. Je vote contre ce texte belliciste. Je me réjouis donc des défaites des bandes armées « Ukrainiennes » néo-nazis.

(Il est maintenant établi que les Russes ont fourni armes, hommes et munitions aux "séparatistes", qui étaient en fait des agents russes, et qui sont responsable de l'attentat contre le vol MH17 qui a causé la mort de 300 innocents. Le bataillon Azov n'a jamais constitué le gros des troupes ukrainiennes, etc ) 

 

 

On peut continuer longtemps comme ça, mais ça devient répétitif. A chaque fois, Mélenchon reprend la propagande russe sur l'Ukraine, est à 100% pour la Russie, vomit sur le gouvernement ukrainien, se réjouit des victoires russes. Bref, il se comporte comme n'importe quel troll pro-Poutine sur Twitter, on croirait lire du Florian Phillippot ou autre membre d'un groupuscule d'extrême-droite pro-Poutine.

Sur le plan politique, Mélenchon voulait aussi livrer les frégates Mistral à la Russie, voulait construire un gazoduc "southstream" pour contourner l'Ukraine. Et en tant que député européen (jusqu'en 2017), Jean-Luc Mélenchon a systématiquement voté contre toutes les proposition d'aides à l'Ukraine (y compris des aides destinées aux universités ukrainiennes) et contre toute condamnation du régime de Poutine ou de sanctions contre la Russie. Et les explications de ses votes tournent toujours autour des mêmes thèmes: validation des conquêtes territoriales russes, dénigrement du gouvernement ukrainien, haine de l'OTAN, exhortation à laisser tomber les sanctions et à se rapprocher de la Russie. Jamais il ne condamne l'intervention russe, il blâme toujours l'OTAN, les "nazis", etc. Bref, de 2014 à 2022, il se contente de reprendre à son compte, et sans aucune nuance, la propagande russe.

Et, début 2022, alors que la Russie amassait hommes et matériel pour préparer son invasion, Mélenchon continuait de minimiser la menace russe

2 janvier: 

La Russie est un partenaire, je ne suis pas d'accord pour que l'on en fasse un ennemi, je ne suis pas d'accord avec le fait que l'on ait trahi la parole que l'on avait donnée aux dirigeants russes

18 janvier:

Pour quelle raison devrions-nous assumer les querelles des Lettons ou des Estoniens avec la Russie, qui durent depuis mille ans ? Pourquoi devrions-nous garantir les frontières physiques de l’Ukraine ?

30 janvier:

Je considère que ce sont les Etats-Unis qui sont dans la position agressive et non pas la Russie, j'admets que cela puisse choquer

Ce n'est finalement que le 21 février 2022 que Mélenchon commencera à critiquer Poutine au sujet de l'Ukraine, trois jours avant l'invasion.



La condamnation de l'agression russe

Après avoir passé 8 ans à vomir sur l'Ukraine et à louer la Russie, ce n'est donc qu'à la veille de l'invasion russe que Mélenchon daigne enfin critiquer un peu Poutine. 

D'abord, le 21 février, il critique la décision russe de reconnaître l'indépendance des "républiques populaires de Louhansk et de Donetsk". Pour la première fois, il admet que la Russie est responsable de l'escalade. Tout en continuant à blâmer l'OTAN: "Il est à craindre qu’à la décision russe succède une décision américaine d’intégrer l’Ukraine dans l’OTAN. Autre mauvaise affaire pour nous Français qui n’avons aucun intérêt à l’extension de la domination militaire des USA et de leurs intérêts sur notre continent." On sent que ce qui emmerde vraiment Mélenchon, c'est que l'OTAN utilise la décision russes pour admettre l'Ukraine dans l'OTAN. Au passage, celui qui avait approuvé l'annexion de la Crimée en 2014 affirme: "Le respect des frontières, quelles qu’elles soient est une condition de base d’une vie internationale où la diplomatie et l’ONU tranchent plutôt que les armes et les coups de force". Soit Mélenchon est gros hypocrite, soit il a une mémoire de poisson rouge.

Puis, le 24 février, alors que les chars russes foncent vers Kyiv, Mélenchon prend enfin le parti de l'Ukraine contre la Russie. Il désigne Poutine comme l'agresseur. Il réclame un cessez-le-feu et le retrait des Russes, ainsi que la tenue d'une réunion de l'OSCE pour "discuter des garanties pour la sécurité de la Russie et des Européens".

Quelques jours plus tard, comme le rapporte Europe1: interrogé sur l'envoi d'armes à l'Ukraine demandé par son concurrent à gauche l'écologiste Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon a répliqué : "Ils ne sont jamais en retard d'une bêtise. (...) Pensez-vous qu'elle [l'Ukraine] soit en état de résister à la Russie, sur le terrain la guerre est perdue."  Mélenchon, comme Poutine, pensait que la Russie pourrait prendre Kyiv en quelques jours. On voit qu'en plus d'être brillant question géopolitique, Jean-Luc Mélenchon est aussi un analyste militaire de premier plan.

Comme en plus il pense que "les sanctions économiques ne servent à rien", on se demande ce qu'il compte offrir à l'Ukraine, à part un vague blabla de soutien. Nul doute que ça a du faire chaud au coeur des Ukrainiens, qui eux réclamaient armes et munitions. Mais au moins, Mélenchon avait cessé de répéter toute la propagande russe au sujet de l'Ukraine, et qu'il avait affirmé que le "non alignement", ce n'est pas la neutralité.

 

 

Mélenchon, soutien ou boulet pour l'Ukraine ?

Au cours des plus de 2 ans de guerre, la position de Mélenchon sur l'Ukraine (mais aussi celle de Macron et des autres dirigeants politiques français) a de nouveau changé, et pas en mieux. S'il accepte maintenant  de livrer certaines armes à l'Ukraine, il s'oppose à la plupart des sanctions contre la Russie. Et il reprend, de nouveau, tous les éléments de langage des désinformateurs russes.

Prenons par exemple cette interview de mars 2024, analysée par l'Oeil du Kremlin:

Réponse [de Mélenchon]: l'OTAN est en partie responsable, car la Russie se sentirait elle-même menacée (et elle a bien raison de le penser selon lui) -> c'est une reprise du narratif mensonger de Poutine; en vérité, la Russie n'est absolument pas menacée par l'OTAN et Poutine le sait très bien. Notez qu'en prétendant que l'OTAN est en partie responsable, Mélenchon minimise la responsabilité de Poutine ce qui contredit ses déclarations de février 2022, quand il disait que Poutine est le responsable de la guerre.

Mélenchon considère que l'accord douanier avec l'Ukraine (pour soutenir l'économie ukrainienne en levant des droits de douanes) "ruine l'agriculture française" -> là encore, reprise du narratif mensonger de Poutine, utilisé notamment en Pologne, pour monter les agriculteurs européens contre l'Ukraine. En fait, ce sont surtout les produits agricoles russes et biélorusses qui déstabilisent le marché agricole européen.

Mélenchon affirme que "personne ne peut vaincre un pays qui est sur sept fuseaux horaires" -> c'est faux,  car la Russie a été vaincue plusieurs fois au cours de son histoire 1905, 1917, et plus récemment en Afghanistan (enfin, c'était l'URSS) et durant la première guerre de Tchétchénie. Or, les pro-russes essaient de faire croire que la Russie est invincible, et Mélenchon fait exactement comme eux.

 

Autre exemple parlant: la réaction de Mélenchon à l'idée, émise par Macron,  d'envoyer des troupes françaises en Ukraine. Enfin, d'officialiser le fait que des troupes françaises s'y trouvent déjà. Mélenchon déclarait alors: « Nous ne sommes ni Ukrainiens ni Russes, et ce n’est pas vrai, contrairement aux surenchères verbales sur le sujet, que nous sommes menacés dans toute l’Europe » Jean-Luc Mélenchon ignore visiblement que, si, la Russie menace toute l'Europe et attaque la France. A la télévision russe, les animateurs discutent régulièrement d'envoyer des bombes H sur les capitales européennes ou d'envahir les pays européens. Dimitri Medvedev, ancien président et ancien premier ministre russe, profère chaque jour ou presque les mêmes menaces. Il a également expliqué qu'en cas de victoire russe, la population ukrainienne sera déportée dans des camps en Sibérie pour y être "rééduquée". La Russie a aussi récemment émis l'idée de modifier unilatéralement ses frontières maritimes avec la Finlande et l'Estonie. Sans parler des attaques comme la propagande, les ingérences électorales, les cyberattaques, les assassinats commis par les services secrets russes en Europe, etc. Donc, non seulement la Russie menace l'Europe, mais elle mène déjà contre nous une "guerre hybride" conformément à la doctrine Gerasimov.

Dans la même interview, Mélenchon ajoute que « Ça ferait de nous des belligérants » C'est tout simplement faux. Le colonel et historien Michel Goya rappelle d'ailleurs que deux puissances nucléaires peuvent aller très loin dans la confrontation, y compris en envoyant des troupes combattre les armées de l'autre puissance, sans pour autant franchir le seuil de la guerre. C'est déjà arrivé plusieurs fois dans l'Histoire. Mais surtout, on constate qu'une fois de plus, en parlant "d'escalade" de "belligérance", en agitant la menace nucléaire et en racontant n'importe quoi sur la dissuasion nucléaire,  Mélenchon parle exactement comme un propagandiste russe anonyme. 

Donc, si Mélenchon dit soutenir l'Ukraine, on ne peut que constater que, dans ses discours et interviews, il soutient surtout la propagande russe. Certains propagandistes russes aiment d'ailleurs se faire passer pour des soutiens ukrainiens, insistant lourdement sur "les pertes ukrainiennes" sans jamais parler des pertes russes ou des crimes de guerre des Russes, parlant de "l'occident belliciste" alors que c'est la Russie qui a déclenché la guerre et qui menace l'Europe, affirme qu'on ne peut pas gagner contre une puissance nucléaire en oubliant qu'on possède aussi cette arme (et donc, selon la logique des trolls, nous serions nous aussi invincibles). Je constate que rien ne distingue Mélenchon de ce type de troll russe. En particulier, ces trolls disent "appeler à la paix" pour en fait demander à ce que l'on cède à toutes les exigences russes.

 

 

Un plan de "paix" qui donne tout aux fascistes

Le 12 mars 2024, LFI et le PCF ont voté contre l'accord de défense France-Ukraine, faisant ainsi "pire" (ou étant juste moins hypocrite) que l'extrême-droite qui s'est abstenue. Parmi les arguments invoqués pour voter contre, la LFI et le PCF affirment qu'il ne peut y avoir aucune solution militaire mais une "issue diplomatique" qui serait, si on comprend bien (ils ne formulent jamais clairement ce qu'ils veulent concrètement), un cessez-le-feu sans exiger au préalable le départ des troupes russes, suivi d'une discussion pour offrir des garanties de sécurité à toutes les états de l'Europe. 

Cette "solution" donne à Poutine tout ce qu'il veut, à savoir que la Russie garde tous les territoires conquis, tandis que l'Ukraine, amputée d'une importante partie de son territoire, resterait à la merci de son puissant voisin. Car comme ils refusent que l'Ukraine entre dans l'OTAN, qu'est-ce qui empêcherait la Russie de profiter de quelques années de calme pour se reconstituer une armée et achever ensuite le travail en Ukraine ? Rien. Qu'est-ce qui arriverait aux populations des territoires occupés ? La déportation des enfants, la "russification" forcée, les arrestations, les tortures, les viols, tous ces crimes que la Russie a commis en Ukraine et que Mélenchon propose, non de punir, mais de laisser les Russes continuer à agir de la sorte.

Est-ce bien cela, les valeurs de la gauche "humaniste" ? Se coucher devant le fascisme russe ?  Faire l'autruche en espérant vainement que Poutine respectera enfin un accord, lui qui a envahi l'Ukraine en dépit des accords signés, lui qui fait du commerce d'armes avec la Corée du Nord, ce qui est interdit par les résolutions du conseil de sécurité que la Russie avait elle-même voté ? 

Et que penseraient les Ukrainiens, si on les abandonne comme le veut Mélenchon ? Quelle garantie de sécurité pourrait-ils avoir, alors que Mélenchon leur refuse l'entrée dans l'OTAN ? Je n'en vois qu'une: celle que possède déjà la Russie, à savoir la possession d'armes nucléaires. Est-ce donc cela que veut Mélenchon ? La prolifération nucléaire ? Car, si l'Occident abandonne l'Ukraine, laisse la Russie conserver ce qu'elle a volé, tous les pays du monde comprendront que les garanties de sécurité ne valent rien, et que si l'Ukraine avait conservé les bombes H qu'elle possédait à la chute de l'Union soviétique, la Russie n'aurait pas pu l'envahir. Et ces pays feront ce qui est nécessaire à la garantie de leur intégrité territoriale.

Que ce soit à dessein, par lâcheté ou par pure stupidité, Mélenchon veut un monde qui se dirigerait inéluctablement vers la guerre nucléaire. S'il était vraiment pour la paix, JLM comprendrait que la seule manière d'avoir une paix durable, c'est que la Russie doit défaite militairement dans cette guerre, que Poutine perde. Mais ça, Mélenchon ne le veut surtout pas. Plus que jamais, "ni anti-Poutine, ni anti-Poutine" est donc bien la devise politique de Jean-Luc Mélenchon.


 

Conclusion

Les média, les autres partis politiques disent que Mélenchon est pro-Poutine. La lecture des écrits de Mélenchon (notamment son blog) et l'analyse de ses discours montrent que cette réputation est en grande partie vraie. Par ses mensonges, Mélenchon a défendu l'action criminelle de Poutine en Syrie. Pendant 8 ans (2014-2022), il a pris le parti de la Russie contre l'Ukraine. Et si Mélenchon dit maintenant soutenir l'Ukraine, quand on analyse à la fois ce qu'il veut, ce qu'il dit et ce qu'il fait, il continue à favoriser les intérêts de Poutine au détriment des intérêts de l'Ukraine, des intérêts de l'Europe et des intérêts de la France.

Je ne sais pas si cette longue analyse suffira à convaincre les partisans de Jean-Luc Mélenchon. D'expérience, je constate que les militants politiques préfèrent ne pas voir les mauvais côtés des hommes et femmes politiques qu'ils admirent. Mais ceux qui sont un peu plus ouverts d'esprit comprendront en quoi les dénégations de Jean-Luc Mélenchon ne valent rien: il est bien politiquement pro-Poutine. 



Bonus

Compilation des positions pro-poutine de Mélenchon 

Mélenchon, Poutine et l'Histoire

Jean-Luc Mélenchon est-il un soutien du régime russe ?

La pensée stratégique russe

 

Humour:

En mars 2022, Mélenchon, qui n'a jamais accepté de qualifier Poutine de dictateur, disait "Vladimir Poutine est plutôt un autocrate. Sa manière de gouverner est extrêmement rugueuse". Quitte à dire ce genre d'euphémisme stupide, qui sait, il aurait pu aussi dire:

  • en 1938: "Monsieur Hitler n'aime pas trop les juifs, mais qui peut croire qu'il menace l'Europe ?"
  • en 1950: "Le camarade Staline est un anti-capitaliste sincère à la tête d'un grand peuple, il faut que la France rompe avec l'OTAN pour rejoindre le pacte de Varsovie"





Big boum big badaboum

Dans la nuit du 17 au 18 septembre 2024, les Ukrainiens ont détruit un important dépôt de munitions situé à proximité de la ville de Toropet...