mardi 23 septembre 2025

Lettre à mon député (2)

Monsieur le député,


Il y a un an et demi, je vous avais écrit pour vous faire part de mes craintes au sujet de la guerre en Ukraine. Vous avez eu la gentillesse de me répondre, et je vous en remercie. Hélas, beaucoup de craintes que j'exprimais à ce moment-là, notamment la possible élection de Donald Trump, se sont réalisées depuis. Au point que la situation est maintenant bien pire que ce qu'elle était en mars 2024, et qu'elle nécessite des actions immédiates de la part de la France et des autres pays européens.

En particulier, la montée en puissance de la Russie en terme de production de drones à longue portée (de type  "Shahed") est particulièrement inquiétante. On le voit en Ukraine, où ils peuvent désormais envoyer des vagues de 400, 500, 600 ou même 800 drones certaines nuits, selon les chiffres publiés par les Ukrainiens. Ceux-ci souffrent car ces attaquent saturent leur défense anti-aérienne, et tuent de trop nombreux civils, dont parfois de très jeunes enfants. Nous sommes un pays qui a été meurtri par les attentats de 2015; comment pouvons-vous accepter que les Ukrainiens subissent quotidiennement de telles attaques terroristes ? 

Le fait qu'il y a des alertes chaque nuit ou presque depuis maintenant plus de trois ans provoque une fatigue immense. Une fatigue que ceux qui ont la chance de pouvoir dormir chaque nuit dans un lit, en paix, ne peuvent pas vraiment comprendre. Je m'attriste que certaines personnes minimisent la gravité de ces attaques aériennes en avançant le fait que les drones et missiles russes tuent moins que, par exemple, les bombardements israéliens sur Gaza, ou les massacres dans la province du Kivu (République Démocratique du Congo). C'est, à mon avis, une erreur de raisonnement: ces personnes oublient (volontairement?) que le nombre de civils officiellement tués en Ukraine est relativement faible car la défense aérienne tient encore bon malgré l'accroissement des attaques, et que l'offensive terrestre russe est elle aussi contenue: seuls les civils tués dans des territoires contrôlés par les Ukrainiens sont comptabilisés. Dans les territoires occupés par la Russie, il ne sont pas comptabilisés, mais l'analyse des images satellites  du cimetière de Marioupol montre qu'il y a probablement eu plus de 85 000 morts rien que pour cette ville qui a été rasée lors de sa prise par les Russes au tout début de la guerre.

Quoi qu'il en soit, la défense anti-aérienne ukrainienne, efficace aujourd'hui, peut flancher demain faute de munitions. N'attendons pas qu'il soit trop tard avant d'intervenir. C'est ce que propose la pétition "Skyshield : sauvons les civils des drones russes, protégeons le ciel de l'Ukraine !" que vous connaissez bien car vous en êtes un des premiers signataires. Vous êtes un des rares élus à avoir soutenu cette initiative dès le départ, et je tiens à vous remercier pour ça. Cette initiative est nécessaire mais je crains que, même si elle est un jour mise en place, elle ne sera pas suffisante.

En effet, il ne suffit pas de vouloir défendre le ciel ukrainien, encore faut-il en avoir les moyens. Or, je crains que notre armée, tout comme celles des autres pays occidentaux, ne dispose pas de matériel approprié pour faire face aux armes employées par les Russes: une masse de drones "Shahed" relativement bon marché, et en nombre suffisant pour saturer nos défenses. L'attaque contre la Pologne, dans la nuit du 9 au 10 septembre, a montré l'impréparation des pays de l'OTAN face à cette menace, comme l’a d’ailleurs souligné Philips P. O’Brien, professeur en études stratégiques de l’université Saint Andrews (Écosse).

Et encore, il ne s'agissait là que d'une manœuvre d'intimidation et/ou de reconnaissance, avec quelques dizaines de drones "Gerbera" sans charge explosive. Et ce n'est pas tenable de tirer des missiles à 1 million d'euros pour détruire des drones en coûtant 10 000. Il nous faut impérativement disposer d'intercepteurs bon marché et que l'on peut produire en masse pour contrer ces drones, quitte à copier ce que font les Ukrainiens.

Et surtout, on ne pourra pas défendre le ciel ukrainien si les Russes continuent d'augmenter leur production. Tant que des mesures ne sont pas prises pour détruire ces usines, les drones qu'elles produisent constituent une menace non seulement pour les Ukrainiens, mais aussi pour tous les Européens. Et ce, même si les combats en Ukraine s'arrêtent. Car les Russes pourraient alors accumuler des dizaines de  milliers (voire des centaines de milliers) de ces drones et menacer ensuite de les envoyer sur l'Europe. Ce serait une menace d'une nature différente de la menace nucléaire dont ils abusent dans leur rhétorique, mais plus crédible car restant sous le seuil de la guerre nucléaire tout en étant potentiellement dévastatrice non seulement sur les villes, mais surtout sur toute l'infrastructure et toutes les défenses militaires européennes.

Il faut donc reconnaître que les Ukrainiens, qui cherchent à détruire les capacités de production militaire de leurs ennemis grâce à de multiples attaques aériennes par drones et missiles, protègent ainsi l'Europe toute entière. Les aider à accomplir cette tâche, en produisant sur notre sol tout ou une partie des composants nécessaires à la fabrication des drones et missiles longue portée est non seulement bénéfique à court terme (pour aider les Ukrainiens à se défendre) mais aussi à moyen terme (pour constituer nous aussi une réserve de ce type d'armes et ainsi de pouvoir répliquer à de possibles menaces de même nature. Le gouvernement danois a d'ailleurs récemment annoncé sa volonté d'acquérir ce type d'armes à très longue portée.

Aussi je vous prie, notamment lors du prochain examen du budget, de porter une attention particulière aux dépenses militaires et de veiller à ce que les équipements que l'armée française compte acquérir correspondent bien aux besoins et au retour d'expérience de la guerre en Ukraine, qui, comme toutes les guerres importantes, accélère le développement de nouvelles armes et de nouvelles technologies. Il faut que l'armée française se prépare à la guerre d'aujourd'hui, et possiblement la guerre de demain, plutôt que de suivre des plans établis avant cette guerre et qui sont peut-être déjà obsolètes. De plus, ces acquisitions matérielles devraient se faire de préférence auprès de l'industrie européenne, indépendamment de l'industrie des USA, tant il y a des risques que ce pays ne soit plus notre allié si Trump parvient à y imposer ses idées néo-fascistes (ce qui semble hélas être en train de se produire).

J'aimerais aussi que le soutien de la France à l'Ukraine soit à la hauteur des enjeux, et permettent à l'Ukraine non seulement de "ne pas perdre" face aux Russes, mais surtout de gagner cette guerre horrible. Car le fait de donner aux Ukrainiens toujours trop peu, toujours trop tard n'a fait que prolonger cette guerre et à permis aux Russes de s'adapter aux évolutions du champ de bataille et de ses équipements, nous plaçant désormais dans une position de faiblesse. Cet effort supplémentaire devra être juste socialement, faute de quoi le soutien populaire à l'Ukraine s'effondrera. Le fait qu'on n'ose toujours pas confisquer les "avoirs russes gelés" pour financer les besoins des Ukrainiens m'est incompréhensible. On pourrait aussi confisquer les avoirs de ceux qui utilisent leur fortune pour aider les soutiens français de Poutine, comme par exemple les milliardaires Vincent Bolloré et Pierre-Édouard Stérin, qui veulent mettre fin à la démocratie française en amenant l'extrême-droite au pouvoir.

Ma troisième et dernière demande ne concerne pas le budget, mais plutôt le discours à tenir sur cette guerre. On présente souvent l'Ukraine comme ayant besoin de notre aide, de nos garanties de sécurité et d'ailleurs cette lettre ne fait pas exception. Mais il faut aussi souligner que nous avons besoin de l'Ukraine autant qu'elle a besoin de nous. En effet, face à la menace russe qui perdurera pendant de nombreuses années, et puisque le soutien américain est désormais plus qu'incertain, nous ne pourrons pas nous passer de l'aide de l'Ukraine: ils ont l'armée de terre la plus puissante d'Europe, l'expérience des combats et la capacité à fabriquer des armes et des drones en masse (capacité que nous n'avons pas encore). Comme l'explique l'analyste danois Anders Puck Nielsen, une fois la guerre en Ukraine terminée, les garanties de sécurité doivent être pensées à l'échelle de l'Europe car il s'agit de dissuader une future agression russe non seulement en Ukraine, mais possiblement dans n'importe quel pays frontalier. Il faudra donc intégrer l'Ukraine à un dispositif de défense commun, non seulement pour sa sécurité mais aussi celle de tous les autres pays européens. Cette évidence n'est que très rarement énoncée dans les média français; aussi je vous en serai reconnaissant d'en dire quelques mots si vous avez la possibilité de vous exprimer sur le sujet, que ce soit à l'Assemblée Nationale ou dans les média.


Enfin, et bien que ce soit hors sujet avec tout ce qui précède, je profite de cette lettre pour vous faire part de mon profond malaise sur la situation des Palestiniens à Gaza: famine organisée, assassinat de journalistes et de médecins, civils visés alors qu'ils attendent l'aide humanitaire, les crimes commis par l'armée israélienne sont trop nombreux pour être énumérés ici. La politique criminelle de Netanyahou devrait être sanctionnée aussi durement que l'est celle de Poutine. Or, à part des condamnations verbales sans aucun effet ou des propositions symboliques à l'ONU, la France ne fait rien pour stopper le massacre. L'aide humanitaire est bloquée, les manifestations de soutien parfois interdites. Plus encore que pour l'Ukraine, j'assiste par média interposés à un crime monstrueux qui se déroule en temps réel et face auquel je me sens totalement impuissant.  


Je vous prie d'agréer, Monsieur le Député, l'expression de mes sentiments distingués. 

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