samedi 16 août 2025

Anch-ô rage, ô désespoir

ô vieillesse ennemie !

Deux vieillards (Poutine 72 ans, Trump 79 ans), qui sont nos ennemis, viennent donc de se rencontrer à Anchorage, en Alaska, pour tenter de dépecer l'Ukraine comme la Tchécoslovaquie avait été dépecée à Munich en 1938.

Fin juillet, les média occidentaux en étaient sûrs: Trump était fâché contre Poutine, et allait prendre des sanctions dévastatrices et aider massivement l'Ukraine si ce dernier ne cessait pas les combat d'ici le 8 août. Seules les rares personnes lisant ce blog, ou d'autres analystes lucides sur Trump et Poutine (par exemple le professeur Philips P. O'Brien), savait qu'il n'en était rien.

Et le 7 août, à la place des sanctions, Trump nous annonce qu'il va rencontrer Poutine pour décider du sort de l'Ukraine, sans les Ukrainiens. Tout comme les Tchécoslovaques n'étaient pas invités à Munich. Voici donc une analyse à chaud de cette "rencontre au sommet" entre le truand russe et le truand américain.


Trump et Poutine se partageant l'Europe (c) Jess Frampton

Un peu de contexte

Mon introduction peut sembler un peu brutale à ceux qui suivent de loin le conflit. Trump et Poutine sont ils vraiment nos ennemis ? Après tout, nous ne sommes pas en guerre contre la Russie, et les USA sont nos alliés. Du moins en théorie. Car en pratique, si nous ne sommes pas en guerre contre la Russie, la Russie elle mène une guerre hybride contre nous. Et Trump cherche la guerre commerciale avec le monde entier... à l'exception de quelques pays comme la Russie et Israël.

Mais, même ainsi, ne vaut-il pas mieux négocier une fin de la guerre en Ukraine, guerre qui n'a que trop duré et a fait plus d'un million de victimes ? Si, mais Poutine n'a aucune envie de négocier. Où plutôt, il négocie en utilisant la doctrine Gromyko:

Premièrement, exigez le maximum et ne soyez pas gênés dans vos demandes. Exigez même ce qui ne vous a jamais appartenu. Deuxièmement, présentez des ultimatums. Menacez de guerre, n’épargnez pas les menaces, puis proposez des négociations comme issue à la situation : il y aura toujours, en Occident, des gens pour mordre à l’hameçon. Troisièmement, une fois les pourparlers engagés, ne cédez pas d’un pas. Vos interlocuteurs finiront par vous offrir une partie de ce que vous avez demandé. Mais même alors, ne signez pas : poussez pour obtenir davantage, et ils accepteront. Lorsque vous aurez obtenu la moitié ou les deux tiers de ce qui ne vous appartenait pas, vous pourrez vous considérer comme un diplomate.



Le choix de l'Alaska

La rencontre a eu lien en Alaska, et Trump croit qu'il va en Russie. Outre que cela illustre la stupidité, l'inculture et/ou l'affaiblissement des capacités cognitives de l'agent orange, il est fortement probable que le lieu a été choisi par Poutine, plutôt qu'un pays tiers comme la Turquie ou les Emirats Arabes Unis, et que c'est un choix judicieux pour plusieurs raisons:

  • cela permet de rappeler aux Américains qu’on peut marchander des territoires sans demander leur avis aux habitants du coin (comme les Russes et Américains l’ont fait lors de la vente de l’Alaska en 1867)
  • cela donne l’impression que Poutine se rend en Amérique, et il concède ainsi quelque chose de purement symbolique à Trump … en apparence. Car pour les Russes, l’Alaska c’est une terre russe, et il y a récemment en Russie un regain d'intérêt, et même une théorie du complot, pour revendiquer l'Alaska.
  • cela évite à Poutine de survoler un pays ayant ratifié le traité de Rome, qui aurait l'obligation de l'arrêter et de l'emmener à la CPI, à La Haye (bien que l'exemple de Netanyahou montre que les pays sont peu enclins à respecter cette obligation).



Le plan de Trump

Trump veut le prix Nobel de la Paix, probablement parce que Obama l'a eu. Et il croit que, s'il parvient à  faire cessez les combats en Ukraine (quitte à concéder tout ou une partie du pays à Poutine), il l'aura. Aussi on pourrait croire que Trump veut à tout prix un accord, mais ce n'est pas exactement le cas. Il veut bien un accord, mais pas à n'importe quel prix. En fait, il veut bien que ce prix soit très élevé ... du moment que ce sont les Ukrainiens (et Européens) qui le paient. Hors de question, pour lui, de faire payer les Russes ou les Américains.

Donc, d'après ce que l'on sait, voici ce que Trump a proposé à Poutine:

  • échange de territoires (mais lesquels ?) pour donner à la Russie la totalité du Donbas
  • reconnaissance de facto (sinon de jure) des territoires occupés par les Russes
  • levée partielle des sanctions
En échange, Poutine ne s'engage que sur de vagues promesses, comme un cessez-le-feu, qui ne valent strictement rien puisque Poutine pourra de toute manière les violer quand ça lui plaira.

Et surtout, il faut voir ce que ce plan ne contient pas:
  • aucune garantie de sécurité pour l'Ukraine, à part une vague promesse de continuer l'aide militaire à l'Ukraine
  • aucune punition pour les crimes de guerre commis par les Russes
  • aucune compensation pour les destructions commises par les Russes
  • aucun plan pour faire revenir les enfants enlevés par les Russes
Autrement dit: ce plan est 100% favorable à la Russie, 0% favorable à l'Ukraine.

Alors, certes, Trump promettait aussi de graves conséquences pour la Russie si elle ne signait pas le "deal", mais c'était au moins la 4e fois que Trump faisait semblant d'être dur avec la Russie, sans que ce soit suivi du moindre effet. Et le pire, c'est qu'une fois de plus les journalistes sont tombés dans le panneau, aucun n'osant dire la vérité: Trump ne veut tout simplement pas sanctionner la Russie. 



Le narratif pro-russe (et pro-Trump) de presque tous les média

Avant de parler de la rencontre en elle-même, le simple fait qu'elle a pu avoir lieu est entièrement favorable au narratif russe, tant interne qu’externe. Il renforce tous les mensonges de la propagande russe, parmi lesquels:

  • « l’Ukraine n’existe pas »
  • « la Russie est l’égale des USA »
  • « la Russie est en train de gagner la guerre »
  • « les Européens sont les vassaux des USA, ils n’ont pas leur mot à dire »

Et dans les média, ce narratif est repris tel quel, ou à peine contesté. La rencontre en Alaska était présenté comme le seul moyen d'obtenir la paix, et Trump et Poutine comme les seuls interlocuteurs "valables". Il n'y a quasiment pas eu de remise en cause de la pertinence même de la démarche; certes, les média ont bien relayé les protestations des Européens, qui insistaient pour que l'Ukraine prenne part aux négociations, mais aucun grand média n'a présenté les choses telles quelles sont, à savoir:

  1. la cause de la guerre, c'est l'impérialisme russe. Poutine croit qu'il peut envahir ses voisins, et les asservir, dans le but de reconstituer l'empire russe / soviétique
  2. Poutine ne respecte que la force. Le seul moyen de stopper ses ambitions, c'est de s'y opposer fermement, par des sanctions économiques et des actions militaires
  3. Par conséquent, on n'obtiendra pas la paix en cédant à Poutine. Pas plus qu'on a obtenu la paix en cédant à Hitler. La seule manière d'obtenir la paix, c'est justement de renforcer l'aide à l'Ukraine et les sanctions contre la Russie, de telle sorte que l'armée de Poutine ne puisse plus progresser en Ukraine, que Poutine ne puisse plus espérer de victoire militaire. 
  4. Or, c'est précisément les mesures que Trump ne veut pas prendre; il n'y avait donc aucun espoir pour que cette conférence puisse mener à la paix



Beaucoup de bruit pour rien ? 

Dès lors on comprend mieux pourquoi cette rencontre n'a abouti à rien de concret, du moins, en apparence. Car à l'issue de cette rencontre, il ne s'est rien produit: pas d'accord signé, pas de cessez-le-feu même temporaire, tout juste de vagues déclarations d'autosatisfactions que les journalistes présents en grand nombre n'ont pu questionner car les deux hommes ne se sont pas pliés à l'exercice d'une conférence de presse. Ce qui, en soit, est déjà une victoire pour Poutine, qui normalise ses relations avec les USA sans reculer sur quoi que ce soit.

Mais surtout, Poutine a pu dérouler son narratif, et assurer que la paix est possible, on y est presque ... si seulement Zelensky voulait bien céder à toutes les demandes russes. Il sort donc grand gagnant de cette rencontre, la menace des sanctions de Trump est oubliée, et il a peut-être réussi à conforter Trump dans l'idée que le véritable "obstacle" c'est Zelensky. En tout cas, il est vain de croire que Trump va prendre des actions concrètes contre Poutine, même après ce qui apparaît aux yeux de tous (ou presque) comme une humiliation de Trump par Poutine.

Pourtant, cela aurait pu être bien pire. Trump et Poutine auraient très bien pu annoncer leur plan de dépeçage de l'Ukraine sans tenir compte de l'avis des Européens et des Ukrainiens. Cependant, Poutine exigeait sans doute encore des choses que Trump ne peut pas encore lui accorder, soit parce que l'opinion américaine n'est pas encore prête au "lâchage" complet de l'Ukraine que serait l'application du "plan Trump",  soit parce que Poutine estime qu'il peut encore obtenir plus que ce que Trump lui propose actuellement. Trump et Poutine sont du même côté; mais ils ne sont peut-être pas sur la même longueur d'onde.


Et les Européens ?

Les Européens ont non seulement brillé par leur absence, à un sommet qui mettait en scène leur impuissance, mais ils ont aussi fait preuve d'une servilité étonnante face à Donald Trump.

Souvenez-vous du premier plan proposé par JD Vance au sommet de Munich, en février dernier : gel des combats, reconnaissance de facto de l’occupation russe, levée partielle des sanctions, aucune garantie de sécurité pour l’Ukraine. C'est peu ou prou le même plan que Trump a proposé à Poutine. En février, les Européens avaient alors vivement protesté, certains avaient même parlé à juste titre de trahison. Mais cette fois ci, les Européens ne protestent plus, à part de vagues déclarations de principe. Pire: ils semblent globalement d'accord avec Trump, et ne parlent même plus de donner à l'Ukraine les moyens de gagner cette guerre.

Alors certes, il n'est peut-être pas utile d'afficher publiquement un désaccord avec Trump. Mais, outre que cela laisse l'opinion publique désarmée face au narratif russe, ce silence public devrait être compensé par une action discrète pour contrer Trump. Or, il semble qu'il n'en est rien. Faute de volonté politique, les Européens n'osent pas prendre leur destin en main.

En six mois, les Européens n’ont que mollement accru leur aide à l'Ukraine, alors que, pour compenser la traîtrise de Trump et renverser le rapport de force sur le front, il aurait fallu la multiplier par 10. Toujours pas de Taurus, ni de moyens de détruire l’aviation russe et de faire cesser les attaques aériennes. Je crains que, ces six dernier mois n’ont fait qu’acter l’abandon de l’Ukraine, l'Europe se révélant incapable de se montrer à la hauteur des enjeux, et l'Ukraine incapable s'attaquer réellement à certains facteurs qui l'empêchent de monter en puissance (comme son commandement militaire défaillant). 

2 commentaires:

  1. je pense que l'échec de la réunion du 15/8 est plutôt un bon point. Trump est déconsidéré pour un bon moment ; il va-t-à la chasse au Nobel et il perd sa place. Poutine n'est pas aussi en forme qu'on le dit : l'Azerbaïdjan vient de lui faire un pied de nez. Les Européens vont (peut-être) pouvoir quitter le rôle de doublures.

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    1. Puissiez-vous avoir raison. Pour ma part, je suis bien plus pessimiste. En particulier, et bien que je suis un Européen convaincu, je désespère de voir les Européens incapables de prendre leur destin en main, alors que les crises deviennent de plus en plus graves.

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